« On n’est plus là pour négocier » : les agriculteurs déterminés

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Une trentaine de tracteurs ont investi une ville du Gers, le 19 novembre, à l’appel de la Coordination rurale. Ils ont érigé une grande cabane en ballots de paille, symbole d’un mouvement


parti pour durer.


Il est 9 heures, ce mardi 19 novembre, quand une trentaine de tracteurs, escortés par une voiture de gendarmerie, pénètrent dans le centre-ville d’Auch, dans le Gers. Le bruit des moteurs et


des klaxons interpelle les passants sur la place de la Libération, à quelques mètres de la préfecture. « On est avec vous ! » lance un badaud.


À l’appel de la Coordination rurale, un syndicat agricole fondé en 1991 dans le Gers, des agriculteurs et agricultrices de tout le département sont partis aux aurores pour rejoindre Auch et


faire part de leur colère. « Rien n’a bougé depuis la précédente mobilisation il y a un an », explique Michel Dubarry, un bonnet jaune de la Coordination rurale vissé sur la tête. « Les


rendements de nos cultures diminuent, la grande distribution se gave sur notre dos et, en plus, on veut signer de nouveaux accords de libre-échange. On veut nous tuer ! » poursuit celui qui


exploite 60 hectares de grandes cultures et élève des oies reproductrices à Lectoure, dans le nord-est du département.


L’agriculteur fait notamment référence au traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Bolivie), qui pourrait être signé


début décembre. « C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase », réagit Clément Marie, agriculteur à Terraube, en grandes cultures et fruits et légumes.


Sur la place de la Libération, les tracteurs et leurs bennes remplies de pneus, de bois ou de ballots de paille défilent face à la cathédrale Sainte-Marie.


« Tout ce qu’on demande, c’est de vivre de ce qu’on fait. On est des passionnés. Moi, je travaille 70 à 80 heures par semaine pour 600 euros par mois, raconte Enzo Theye, jeune agriculteur


de 22 ans, qui a repris l’exploitation familiale en début d’année à Marciac, et cultive du soja en agriculture biologique. On est un des seuls métiers où ce n’est pas nous qui décidons de


nos prix. Dans la restauration, par exemple, quand le prix de l’électricité augmente, on le répercute sur celui du plat. Pour nous, c’est impossible : on subit la loi de la bourse. »


Concernant les normes environnementales, souvent dénoncées par la Coordination rurale, Enzo Theye se montre plus mesuré : « Pour notre génération, les normes écologiques coulent de source.


Mais les règles sont déconnectées de la réalité du terrain, même si certaines idées sont bonnes. La charge administrative est également trop importante, je passe un jour et demi par semaine


pour faire de la paperasse. »


À côté de lui, Carlo Cecutti, à peine un an de plus, a repris l’exploitation familiale de céréales au mois de mars à Eauze. « Ce sont les gros agriculteurs qui arrivent à s’en sortir et,


bientôt, il n’y aura plus de petits paysans. On aura des mégafermes, et les terres agricoles seront rachetées par de gros investisseurs si cela continue. »


Comme son collègue, le jeune agriculteur avait semé de la coriandre bio l’an dernier, espérant toucher des aides européennes. Face à l’afflux de demandes, la préfecture du Gers a fait


machine arrière en plafonnant la prime. « J’ai investi 34 000 euros dans cette culture, pour qu’au final, on nous verse presque rien », raconte Enzo, amer.


Devant eux, le président de la Coordination rurale Occitanie, Lionel Candelon, s’affaire à bord d’un chariot télescopique pour superposer les ballots de paille. Une bâche opaque est ensuite


tirée pour en faire une grande cabane où plusieurs agriculteurs s’abritent du vent. « La question qu’on se pose en tant que jeunes agriculteurs, c’est de savoir si on veut encore de nous en


France », dit Carlo Cecutti.


La veille, les Jeunes agriculteurs et la FNSEA — syndicat majoritaire productiviste — avaient occupé les ronds-points dans le département pour manifester, eux aussi, leur colère et leur


détresse. « On ne les a pas vus de toute l’année, et là, ils ressortent, à quelques mois des élections à la chambre d’agriculture », affirme Lionel Candelon, qui élève des canards dans le


département. Il oublie de préciser que son syndicat pourrait lui aussi profiter de la colère agricole, et espère rafler à la FNSEA la présidence de nouvelles chambres. « Nous, on n’est plus


là pour négocier », poursuit-il.


Fidèle à la tradition d’actions musclées de son syndicat, aux valeurs compatibles à celles de l’extrême droite, le président régional promet : « Ce qu’on fait là, ce n’est pas une action


éclair : ça va durer. On va bloquer les frontières, les frets alimentaires, et on ira sur Toulouse s’il le faut. On va rencontrer des représentants de banques et d’assurances, de la grande


distribution, le préfet, et si on est entendus, on retournera sur nos exploitations. »


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