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Source : Bador et al. 2017 Les épisodes de canicule ont des conséquences économiques, écosystémiques mais également sanitaires majeures (Terra Nova 2018). La chaleur impacte directement la
santé des populations (malaises, syncopes) et exacerbe les effets de maladies chroniques comme les insuffisances respiratoires, le diabète, les maladies cardiovasculaires, neurologiques,
cérébrovasculaires ou rénales . Ces situations climatologiques sont aussi souvent combinées à des pics de pollution à l’ozone en ville auquel sont particulièrement vulnérables les
populations les plus fragiles (enfants, séniors, travailleurs) . DES ÉVÉNEMENTS DE NATURE NOUVELLE : DES STRATÉGIES DE GESTION DU RISQUE DE FEU DE FORÊT À ADAPTER À DES RISQUES QUI CHANGENT
Une multiplication des situations climatologiques propices aux canicules et aux sécheresses pourrait remettre en question l’efficacité des politiques de lutte contre les feux de forêt. C’est
un sujet sur lequel commencent à se pencher des équipes de chercheurs comme celles d’ Irstea . À la suite des grands incendies de forêt des années 1990 dans le sud-est de la France, une
nouvelle stratégie de prévention et de lutte a été mise en place à partir de 1992. Celle-ci s’appuie sur un principe directeur : l’attaque massive des feux naissants. Il s’agit d’intervenir
vite, avec tous les moyens disponibles dans le but d’éteindre les incendies le plus tôt possible et d’éviter leur extension. Cette stratégie s’est révélée très efficace avec une réduction de
25 % du nombre de départs de feux et de 60 % des surfaces brûlées. Ces progrès ont été possibles grâces à d’importants investissements et l’engagement des pompiers. Cependant, de récentes
expériences montrent qu’en cas d’années exceptionnelles (2003, 2016, 2017), particulièrement chaudes ou ventées, certains incendies échappent à l’attaque précoce et s’étendent alors jusqu’à
ravager plusieurs centaines ou milliers d’hectares. Ces cas amènent certains chercheurs à se demander si on n’aurait pas affaire à une « nouvelle génération d’incendies » qui pourrait
remettre en cause les bonnes pratiques actuelles. Dans un contexte de changement climatique, ce type nouveau d’incendies pourrait alors se révéler redoutable. On observe en effet d’ores et
déjà que l’aléa météo « feux de forêt » augmente régulièrement avec la température et s’étend en montagne et dans l’arrière-pays. Par ailleurs, la saison météo à risque s’allonge. Les
modèles climatiques estiment que ces évolutions se poursuivront dans les prochaines décennies . Les projections laissent entrevoir une augmentation des grands incendies intenses et/ou
rapides lors des évènements météo extrêmes ; le développement d’incendies en montagne et au-delà de la région méditerranéenne jusqu’à atteindre des zones où la végétation est mal adaptée au
feu. 2016 ou 2017 – voire 2003 – pourraient ainsi rétrospectivement apparaître comme des années normales au regard des évolutions en cours. Ces évolutions induiront des coûts supplémentaires
pour la surveillance et la prévention de zones plus vastes (+ 20 % pour la prévention et la lutte pour une extension de 30 % en surface). Elles sont de plus à considérer en lien avec les
changements d’occupation de l’espace (ex. urbanisation), en tenant compte du fait que les zones d’interface entre activités humaines et milieux naturels inflammables sont les plus difficiles
à défendre par les pompiers. Les chercheurs qui travaillent sur ces questions avancent des solutions à court et moyen terme et n’hésitent pas à questionner de possibles changements radicaux
dans la politique de lutte contre les feux. Il pourrait ainsi être nécessaire de rééquilibrer la prévention et la lutte et d’investir davantage dans une gestion active et intégrée des
forêts. (Source : Chatry _ et al._ 2010; Curt and Frejaville 2018). Les changements climatiques sont des phénomènes complexes, multifactoriels et hétérogènes. Toutes les dynamiques à l’œuvre
ne sont pas déterministes et parfaitement prévisibles. Pourtant, malgré les incertitudes qui demeureront toujours nous disposons d’un niveau de connaissance – y compris à des échelles
régionales – déjà extrêmement solide et suffisant pour agir. Il s’agit maintenant d’une question de volonté politique collective, afin d’adopter une attitude proactive et stratégique pour
s’adapter à cette situation inédite. 1.3. PENSER QUE L’ON S’ADAPTERA AU FIL DE L’EAU EST UN PARI RISQUÉ Face aux projections scientifiques d’évolution du climat, un discours très souvent
entendu est que l’on s’adaptera au fur et à mesure (« on s’est toujours adapté »). En effet, la capacité des organisations humaines à s’adapter à de nouveaux environnements semble être un
des atouts majeurs de notre espèce. Agilité et adaptabilité sont devenues des qualités très valorisées. L’environnement des organisations étant de plus en plus perçu comme en évolution
permanente et rapide, la nécessité d’une anticipation spécifique des changements climatiques ne semble pas évidente. Elle apparaîtrait d’autant plus compliquée que, selon la trajectoire
d’émissions de gaz à effet de serre qui sera suivie et selon les modèles utilisés, le futur climatique pourrait être très différent. Dans tous les cas, il s’agit de changements qui dépassent
largement les variations naturelles du climat auxquelles nous sommes habitués. Malgré, ou justement à cause de ces incertitudes, plusieurs éléments laissent penser qu’attendre et voir venir
est une option risquée : Tout d’abord, nous n’avons aucun retour d’expérience permettant d’affirmer avec certitude que nous saurons nous y adapter au fil de l’eau. Par sa rapidité, ce
changement est inédit dans l’histoire de l’humanité. Le changement de cette ampleur le plus rapide – jusqu’à aujourd’hui – dans l’histoire de la Terre a eu lieu, selon les scientifiques, il
y a 56 millions d’années : la température a alors augmenté de 6 °C, mais cela a pris entre dix mille ans et vingt mille ans (Chen _ et al._ 2018) . On parle aujourd’hui de plusieurs degrés
de réchauffement en à peine deux cents ans. Ensuite, parce que l’on ne verra pas tout venir. Si certains impacts du changement climatique sont très visibles d’autres sont difficilement
perceptibles. Il est, par exemple, difficile de se rendre compte au quotidien du déclin de la biodiversité alors que ses conséquences pourraient être dramatiques (WWF 2018). Ces «
transformations silencieuses » sont d’autant plus dangereuses qu’elles peuvent être irréversibles et donc définitives. Si l’on n’anticipe pas, il sera trop tard quand on s’en rendra compte
(Jullien 2005; Simonet 2016). Même en gardant confiance dans la capacité globale de nos systèmes économiques et sociaux à faire face à des changements de l’ordre de + 2° C nous ne pouvons
ignorer qu’une adaptation subie le serait au détriment de certains acteurs : certains territoires et certaines filières pourraient être de grands perdants s’ils ne préparaient pas leur
transformation. Continuer d’investir aujourd’hui dans des activités que le changement climatique rendrait non viables, c’est s’exposer à devoir gérer demain des crises sociales et
éventuellement sanitaires majeures. Symétriquement, ne pas anticiper, c’est potentiellement se priver d’opportunités intéressantes que l’on ne se donnera pas les moyens de saisir à temps. Se
contenter de réagir face à des changements déjà advenus peut par ailleurs conduire à prendre de mauvaises décisions. Dans l’urgence, ou mis devant le fait accompli, on peut ainsi mettre en
œuvre des actions que l’on qualifie de « maladaptation » parce qu’elles contribuent à aggraver le phénomène (par exemple, faire face à des épisodes de canicules en installant des
climatiseurs qui rejettent de l’air chaud dans les rues et aggravent l’effet d’îlot de chaleur urbain ), à reporter ses conséquences sur d’autres (par exemple en construisant des digues qui
aggravent l’érosion dans la commune voisine) ou à augmenter la vulnérabilité à de nouveaux risques (par exemple en misant sur l’irrigation quand certaines ressources en eau pourraient
s’épuiser). Tous les secteurs ne raisonnent pas sur les mêmes échelles de temps. Quand certaines activités économiques peuvent se permettre d’adapter leurs décisions de façon relativement
agile (en changeant par exemple d’une année sur l’autre de fournisseur, en supposant qu’ils ne soient pas tous confrontés au même problème), d’autres ne peuvent se transformer que sur des
temps beaucoup plus longs. Certaines évolutions ou reconversions nécessitent des investissements de long terme (par exemple dans de nouvelles infrastructures ou équipements, mais aussi dans
la formation et l’acquisition de connaissances), de la R&D, de nouvelles compétences et des temps d’apprentissage incompressibles. Ne pas suffisamment anticiper, c’est alors s’enfermer
dans des trajectoires perdantes. De manière générale, toute approche attentiste aboutirait vraisemblablement à faire porter les risques du changement climatique principalement sur les
territoires, les filières ou les citoyens les moins favorisés, que ce soit parce qu’ils sont dans un état de vulnérabilité initiale plus élevé et/ou parce que leurs moyens, et donc leurs
capacités d’adaptation propres, sont limités. Adopter une attitude proactive adaptée à ce qui est en jeu, en tenant compte du cycle de vie des équipements et des décisions, est une attitude
bien plus stratégique. Cela ne signifiera d’ailleurs pas toujours des investissements immédiats : dans certaines circonstances (degré d’incertitude, coût…), attendre peut être un choix
valide. Mais cela doit être un choix conscient et préparé. 2. SE PROJETER DANS UN CLIMAT QUI CHANGE : AVANT TOUT UNE RÉVOLUTION CULTURELLE Il n’y a pas de réponse unique en matière
d’adaptation. Selon le niveau de risque accepté et la vision politique portée, les solutions mises en œuvre peuvent varier. Pour considérer l’éventail des approches possibles, il faut
commencer par faire tomber les obstacles culturels, et ensuite faire évoluer les incitations économiques ainsi que les normes et le cadre règlementaire. 2.1. GESTION DU LITTORAL, CATNAT :
PRÉFIGURATION DES DÉBATS À CONDUIRE Le cas des territoires littoraux est emblématique d’une évolution fondamentale dans la stratégie de gestion des risques et de développement face à la
submersion et à l’érosion marines. À la suite de la tempête Xynthia (2010) a été élaborée une Stratégie nationale de gestion du trait de côte. Cette stratégie (2012–15, puis 2017–19) a été
conçue pour « disposer, sur tout le littoral, d’une vision à moyen et long terme de l’évolution du trait de côte permettant un aménagement durable et équilibré de ces territoires » tenant
compte de l’effet du changement climatique sur le niveau de la mer. Son originalité est de basculer d’une logique techniciste et défensive (digues et maîtrise de la mer) à une « vision
évolutive et non fixiste de l’interface terre-mer à court, moyen et long terme ». Il s’agit d’un véritable changement de paradigme, « éviter la défense systématique contre la mer et
développer des systèmes d’adaptation raisonnés » expérimentant des modes de planification dynamiques. Ce type de philosophie pourrait nourrir de futurs dispositifs législatifs. Une mission
parlementaire sur l’adaptation des territoires aux évolutions du littoral a été créée par le ministère de la Transition écologique et solidaire en avril 2019 et devrait rendre ses
conclusions à l’automne. Celles-ci pourraient déboucher sur un projet de loi discuté au Parlement fin 2019-début 2020 . Cette question de l’attitude face au risque apparaît à nouveau à
l’occasion des discussions sur l’évolution du régime d’assurance des catastrophes naturelles (Mission d’information du Sénat sur la gestion des risques climatiques 2019). En France, le
régime Catnat joue depuis 1982 un rôle clé pour atténuer ce risque social grâce à un mécanisme de réassurance public basé sur la solidarité nationale . Les catastrophes naturelles qui se
situent alors hors du champ de l’assurance classique sont couvertes par ce régime. Cependant la question de la pérennité de ce système dans un contexte d’évolution du risque – notamment à
cause du changement climatique – se pose. « Une modernisation de nos politiques de prévention et d’indemnisation est indispensable pour relever durablement le défi du changement climatique »
(Mission d’information du Sénat sur la gestion des risques climatiques 2019). En 2015, l’Association française de l’assurance (AFA) a conduit une étude croisant des données
socio-économiques – actifs exposés aux aléas naturels – et des projections climatiques pour apporter un éclairage sur le coût croissant que représenteront les aléas naturels en France au
cours des 25 prochaines années (AFA 2015b). L’étude identifie les facteurs qui influencent le plus cette évolution – valeur des actifs exposés, changement climatique, répartition des
richesses – et décrit l’évolution attendue dans la hiérarchie des périls. Cette étude a donné lieu à la rédaction d’un Livre blanc « Pour une meilleure prévention et protection contre les
aléas naturels » (AFA 2015a). Ce document propose des recommandations pour une modernisation du régime Catnat insistant sur l’importance de préserver la solidarité et la nécessité d’y
introduire une incitation à la prévention et au développement de la culture du risque. « Le coût supplémentaire occasionné par les dommages matériels causés par le climat d’ici 2040 est
évalué à 44 milliards d’euros, soit + 90 % par rapport au montant des dégâts cumulés des 25 années précédentes. De 48 milliards d’euros sur la période 1988–2013, les aléas naturels
pourraient coûter 92 milliards d’euros d’ici 25 ans . » En 2015 et 2018 la Caisse centrale de réassurance (CCR) a réalisé des analyses sur les conséquences possibles de différents scénarios
de changement climatique sur le système actuel mettant aussi en avant le caractère indispensable des politiques de prévention et d’atténuation pour préserver les fondements du régime Catnat
(Moncoulon _ et al._ 2016; CCR 2018, 2015) : « À l’horizon 2050, le coût des catastrophes naturelles augmenterait de 50 % avec le scénario RCP 8.5 [changement climatique fort, scénario
tendanciel] du fait de l’augmentation de la fréquence et de la sévérité des événements, de l’élévation du niveau de la mer et de la concentration des populations dans les zones à risques. La
part de l’aléa est estimée à 35 % et celle de la concentration dans les zones à risques à 15 %. Les précédents résultats portant sur le scénario RCP 4.5 [stabilisation des émissions en
2100] montraient une augmentation des dommages due à l’aléa climatique estimée à 20 %. » Ces travaux rappellent que, dans l’équation du risque, il y a non seulement l’aléa, mais aussi
l’exposition et la vulnérabilité des personnes et des biens, ainsi que la capacité à s’adapter. Les acteurs économiques et territoriaux ont une action plus directe et immédiate sur la
réduction de l’exposition et de la vulnérabilité de leurs actifs. L’enjeu est de mieux prendre en compte cette évolution des risques dans le développement économique, l’aménagement et la
construction . Concrètement, cela signifie favoriser et valoriser les efforts de réduction de l’exposition et de la vulnérabilité. Dans le cas du régime Catnat, plusieurs leviers pour
décliner opérationnellement ce principe sont régulièrement avancés. Parmi eux, le besoin de mobiliser plus efficacement les fonds publics en faveur des projets de prévention des risques et
d’adaptation . Il serait également possible d’intégrer des critères d’accroissement de la résilience lors du financement de la reconstruction d’infrastructures sinistrées et d’y conditionner
les conditions d’assurance future (à l’image de ce qu’a fait la ville de New-York après le passage de l’ouragan Sandy ). L’assurance des catastrophes naturelles est un maillon d’une
architecture de répartition des risques et des responsabilités dans l’économie. Elle est un élément d’incitation parmi d’autres. Au-delà de la réforme spécifique du régime Catnat, le défi
est donc bien celui d’une évolution plus globale de la manière dont le risque climatique est intégré dans les stratégies de développement des territoires. Jusqu’ici, en France, la logique
dominante a été celle d’une maîtrise totale du risque, garantie par les autorités. Suite à de nouveaux évènements exceptionnels, ces dernières privilégient la précaution en revoyant à la
hausse les exigences de robustesse ou de protection pour le futur. Cette tendance est le reflet d’un consensus social selon lequel, dans nos sociétés développées, certaines catastrophes sont
inacceptables. Nous nous sommes habitués à un niveau de protection et de service que rien, jusqu’ici, n’a remis en cause. Cette situation a un effet pervers : elle n’encourage pas les
acteurs à mettre la question du changement climatique sur la table : soit parce que les conceptions actuelles sont jugées déjà très robustes, soit parce qu’ils y voient un risque de normes
encore plus contraignantes qui pourraient aller jusqu’à rendre les projets non viables. Les alternatives à un accroissement systématique de la robustesse ne sont jamais mises en discussion
faisant courir un risque de maladaptation ou d’adaptation sous-optimale aux conséquences du changement climatique. Pourtant des alternatives existent à condition de mettre en discussion le
niveau de risque acceptable et de penser de manière dynamique. 2.2. METTRE EN DISCUSSION LE NIVEAU DE RISQUE ACCEPTABLE ET LE NIVEAU DE ROBUSTESSE VISÉ Il existe tout d’abord des cas où se
justifie le fait de tendre vers une précaution maximale – et donc considérer tous les scénarios plausibles mêmes s’ils ne sont pas totalement certains –, notamment quand il s’agit de
services critiques comme l’alimentation en électricité d’un hôpital, le refroidissement d’une centrale nucléaire ou l’accès à des installations de sécurité. Mais il y a d’autres situations
où la question peut légitimement se poser. Une politique territoriale de mobilité pourrait ainsi par exemple se demander pour chaque axe de transport si des interruptions préventives de
circulation avec une procédure de retour à la normale bien préparée ne seraient pas une alternative acceptable à de lourds investissements de prévention des risques extrêmes. Prendre en
compte de telles options de résilience, valoriser les possibles redondances et cibler là où un renforcement de la robustesse est vraiment nécessaire implique un dialogue intégrant toutes les
parties-prenantes d’un territoire et une discussion ouverte sur le niveau de risque acceptable et de ce que sont les attentes et les impératifs en termes, par exemple, de continuité de
service : une route secondaire coupée quelques jours par an est sans doute supportable à condition qu’il y ait des itinéraires alternatifs, et ne justifie pas des investissements
d’infrastructures disproportionnés. Dans le domaine de la logistique, des arbitrages seront par exemple nécessaires, qui viendront sans doute questionner la tendance actuelle à des délais de
livraison toujours plus courts. L’EXEMPLE DU FUTUR DE LA LOGISTIQUE Dans une étude prospective sur les évolutions possibles des activités de la logistique dans les prochaines décennies (DHL
2012), l’entreprise DHL a étudié un scénario intitulé « Global Resilience – local adaptation ». Les auteurs de ce scénario envisagent la multiplication à cause du changement climatique des
évènements extrêmes mettant en tension les chaînes logistiques internationales et source de coûts importants. En réaction, ils anticipent une régionalisation des circuits de production et
de consommation. Le maintien de la sécurité d’approvisionnement entre les boucles régionales deviendrait alors une priorité. La fiabilité prendrait plus de place dans le service de transport
que seraient capables d’offrir différents opérateurs et deviendrait un avantage concurrentiel fort. Garantir cette fiabilité demanderait le développement de systèmes plus redondants,
proposant des options de secours et des solutions de repli telles que des entrepôts pour mettre les marchandises transportées à l’abri en cas d’interruption du trafic. Ces installations
seraient bien évidemment coûteuses mais jugées nécessaires par la société car, sans elles, chaque rupture des circulations aurait un impact économique inacceptable. Une des dynamiques
notables de ce scénario est le basculement dans un univers économique très différent, moins marqué par la recherche d’optimisation des ressources et de maximisation de l’efficacité que par
celle de robustesse et de sécurité. Les réorganisations territoriales et sectorielles seraient également très importantes, favorisant les acteurs les plus agiles et capables d’opérer à des
échelles différentes. Ce type d’approche a un intérêt heuristique très intéressant pour interroger des stratégies d’entreprises et des modèles d’affaire au regard du changement climatique
dans le cadre de travaux de prospective comme ceux préconisés dans le PNACC. Source : https://delivering-tomorrow.de Les doctrines de gestion dont nous héritons correspondaient à un certain
contexte et doivent pouvoir être réinterrogées au regard du changement climatique. Ailleurs dans le monde, y compris dans des pays de l’OCDE, les doctrines peuvent être très différentes (il
est par exemple totalement normal et accepté d’annuler des circulations ferroviaires par prévention aux Pays-Bas). LÀ OÙ LA ROBUSTESSE S’IMPOSE : L’EXEMPLE DE RTE À la suite de la tempête
Lothar en 1999, RTE a conduit un travail d’analyse du réseau de transport d’électricité pour distinguer deux niveaux de fiabilité et identifier les lignes à « sécuriser », c’est-à-dire à
renforcer pour leur permettre de faire face à des évènements climatiques plus extrêmes. Ce travail se poursuit aujourd’hui pour intégrer le changement climatique dans l’équation et anticiper
de possibles besoins d’investissements supplémentaires. Les conditions climatiques sont une variable centrale pour l’équilibre d’un réseau électrique : les températures influencent
historiquement la demande (chauffage/climatisation) et, avec le déploiement des énergies renouvelables, les précipitations, l’ensoleillement et le vent influencent de plus en plus l’offre.
Par ailleurs, le réseau de transport lui-même est exposé aux extrêmes climatiques. La continuité de l’approvisionnement en électricité étant vitale pour l’économie, les gestionnaires de
réseaux de transport et de distribution d’électricité s’efforcent d’anticiper toutes les situations possibles pour s’assurer que le réseau sera en mesure de répondre aux besoins en toutes
circonstances. Pour RTE, la question posée par le changement climatique est : peut-il être à l’origine, pour le réseau, de situations critiques jusqu’ici jamais expérimentées et si oui, de
quel type ? Pour y répondre, un travail a été mené avec Météo France pour générer des simulations d’années météo sous un climat modifié et identifier quels évènements problématiques pour RTE
pourraient advenir . En fonction de la réponse à cette question, des investissements sur le réseau peuvent être programmés pour assurer sa robustesse à une gamme élargie de possibilités
climatiques. Ces discussions doivent également être l’occasion de mettre en débat le niveau de socialisation des risques collectivement souhaitable et la manière dont ces derniers sont
distribués : il s’agit ainsi de trouver le juste équilibre entre les incitations individuelles à faire les choix appropriés en matière d’adaptation, et la mutualisation des risques (ou des
moyens) nécessaire pour assurer une solidarité entre territoires et entre citoyens, en particulier en faveur des plus vulnérables. Cette partie montre que l’adaptation n’est pas qu’une
question d’ajustements techniques mais implique nécessairement des choix politiques. Il s’agit de considérer les options satisfaisantes et de savoir arbitrer entre robustesse et agilité,
anticipation et confiance dans les capacités de réactions futures (qui se préparent aussi). 2.3. PENSER DE MANIÈRE DYNAMIQUE La seconde voie à explorer est de rendre les stratégies de
gestion du risque climatique moins binaires et plus dynamiques. C’est ce que l’on observe dans le cas déjà évoqué du trait de côte où des installations réversibles ou flexibles sont
envisagées, où des modalités de retrait progressif de certaines zones sont évoquées. Dans le cas d’équipements, d’aménagements ou d’infrastructures à durée de vie longue – comme un système
de défense contre les inondations ou un réseau de transport – appelées à évoluer dans le temps et à subir des phases de maintenance et de rénovation successives, des outils permettent de
prévoir dès la conception initiale des options d’adaptation dans le futur et de calculer les coûts et bénéfices économiques associées à ces options d’évolution ou de réversibilité que l’on
laisse ouvertes. La rénovation de la barrière de la Tamise – vaste infrastructure protégeant Londres des crues de son fleuve lors de fortes marées – est un exemple édifiant (cf. encadré). Ne
sachant sur quelle hausse de niveau de la mer tabler, les promoteurs du projet ont opté pour une conception adaptable au cours du temps. Plutôt que de surinvestir dans un ouvrage
surdimensionné ou au contraire de prendre le risque d’être dépassé en sous-estimant l’évolution du risque, une stratégie de réévaluation régulière des enjeux et d’ajustement du dispositif,
techniquement prévue et économiquement évaluée, a été établie. Ce type de démarches peut amener à envisager une diversité de « chemins » d’adaptation possibles avec des points de décision
situés dans le temps et des indicateurs de suivi dédiés . PROTECTION DE LONDRES CONTRE LES INONDATIONS, UNE APPROCHE DYNAMIQUE Londres dispose depuis 1982 d’un système d’écluses qui protège
la ville des inondations (crues du fleuve et hautes marées), dimensionné selon la crue milléniale. Ce système a été de plus en plus sollicité au début des années 2000. Une mission a été mise
en place en 2002 pour proposer un plan de gestion des risques inondation à l’horizon 2100 et répondre à la question : faut-il envisager la construction d’une nouvelle infrastructure pour
remplacer la barrière de la Tamise ? L’évaluation a tenu compte du changement climatique, de l’usure des équipements en place, de l’évolution de l’environnement physique, des transformations
socio-économiques et du niveau de sensibilisation des populations et des institutions. Elle a été menée avec le MET office sur la base de projections climatiques intégrant l’incertitude. Ce
travail a permis l’identification et l’analyse d’options et la proposition d’un plan en trois horizons de temps successifs, fondé sur la robustesse, l’adaptabilité, le séquençage et le
monitoring des actions : 2010–2035 : maintien du niveau de protection et prise en compte du risque dans les nouveaux d’aménagement (1,5 Mds £) ;2035–2049 : renouvellement et renforcement des
défenses existantes (+1m) ; réaménagement des abords du fleuve (1,8 Mds £) ;A partir de 2070 : envisager la construction d’une nouvelle barrière (7 Mds £).Cette proposition a donné lieu à
l’adoption d’une stratégie en 2012 identifiant des séquences et des points de décision à partir de seuils critique suivis constituant des trajectoires d’adaptation. L’intérêt de l’analyse a
été de pouvoir repousser les décisions les plus coûteuses (nouvelle infrastructure) tout en s’y préparant et en suivant au plus près les évolutions, et adapter la réponse au plus près.
Sources : (UK Environment Agency 2012, 2016a, 2016b; Penning-Rowsell et al. 2013; Ranger, Reeder, and Lowe 2013)Bien que le contexte hydrologique soit très différent, la ville de Paris est
également soumise à un fort risque d’inondation lors d’épisodes de crues de la Seine. Sans être à la hauteur de la crue de 1910, de récents évènements (2016, 2018) l’ont rappelé. Les
organismes en charge de la gestion de ce risque comme l’EPTB Seine Grands Lacs ont également commencé à interroger la pérennité des aménagements et pratiques actuelles dans un contexte de
changement climatique sans pour autant aboutir encore à une approche dynamique comparable à celle de Londres (OECD 2018). Les innovations techniques pour accroitre la robustesse,
l’adaptabilité ou la résilience des équipements comme des services sont déjà nombreuses. Les outils et méthodologies pour intégrer ces dimensions dans l’analyse des programmes et des projets
sont disponibles. Le défi est de libérer ce potentiel en permettant les évolutions nécessaires du système d’incitation à la prévention, de répartition des risques et des responsabilités, et
ce, tout au long de la vie des politiques publiques, des stratégies de développement territorial comme des équipements, de leur conception à la gestion des situations consécutive aux
événements exceptionnels comme les catastrophes naturelles. 3. L’ADAPTATION NE SE DÉCRÈTE PAS, C’EST UN PROCESSUS QUI SE CONSTRUIT En matière d’adaptation, les défis principaux ne seront pas
le plus souvent d’ordre technique mais bien d’ordre organisationnel et politique. L’adaptation est donc avant tout une question de gouvernance. 3.1. UNE APPROPRIATION ENCORE TROP LENTE ET
HÉTÉROGÈNE DES DYNAMIQUES D’ADAPTATION La question de l’adaptation n’est pas nouvelle et fait l’objet depuis déjà plusieurs années d’une prise en charge institutionnelle croissante, quoique
toujours insuffisante. L’Accord de Paris fait de l’adaptation un objectif aussi important que l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (article 2) et y consacre un article complet
(article 7). La notion d’adaptation s’est-elle-même considérablement enrichie au fil des rapports d’évaluation du GIEC. En 2013, la stratégie européenne d’adaptation se fixait trois
objectifs : promouvoir la mise en œuvre de stratégies d’adaptation nationales par tous les États-Membres, garantir la prise en compte des conséquences du changement climatique dans les
politiques européennes (notamment dans les secteurs vulnérables de l’agriculture et de la pêche, dans les politique de cohésion et dans les infrastructures, par exemple via des
recommandations pour les investissements dans les infrastructures critiques) et développer la connaissance pour intégrer l’adaptation dans la prise de décision (cf. la plateforme
ClimateAdapt et les nombreux travaux de l’Agence européenne de l’environnement ). Cette stratégie, évaluée en 2018, est actuellement en cours de mise à jour. En France, une Stratégie
nationale d’adaptation a été adoptée dès 2007 suivie en 2011 par le premier Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC) qui a couvert la période 2011–2015. Ce premier plan
était structuré autour de quatre objectifs : (1) Protéger les personnes et les biens ; (2) éviter les inégalités devant les risques ; (3) limiter les coûts et tirer parti des avantages et
(4) préserver le patrimoine naturel. Intersectoriel et interministériel, ce plan couvrait 20 domaines d’action au travers de 84 actions déclinées en 242 mesures visant à incorporer
l’adaptation au sein de l’ensemble des politiques publiques. En 2014, le CESE a rendu un avis sur « l’adaptation de la France au changement climatique mondial » insistant sur trois axes
prioritaires : (1) penser les services futurs d’adaptation, ouvrir le débat dans la société (santé, agriculture, forêt, biodiversité, mer océan pêche) ; (2) intégrer l’adaptation dans
l’action publique sur la base de règles communes et (3) développer la connaissance fondamentale et appliquée. Pour le conseil, il convenait « de s’approprier l’idée d’un futur très
sensiblement différent de notre présent et d’intégrer ce paramètre dans toutes les études sur les secteurs de production, les métiers et les pratiques professionnelles ». Le premier PNACC a
fait l’objet d’une évaluation en 2016 qui a constitué le point de départ d’un processus de concertation pour l’élaboration du deuxième Plan national (2018–2022) présenté en décembre 2018.
Les travaux ont été organisés selon six domaines d’action, qui structurent les priorités du nouveau Plan : Gouvernance et pilotage ; Connaissance et information ; Prévention et résilience ;
Adaptation et préservation des milieux ; Vulnérabilité de filières économiques ; Renforcement de l’action internationale. Le PNACC2 entend ainsi se distinguer par « une plus grande
implication des acteurs territoriaux, une attention forte portée à l’outre-mer, l’implication des grandes filières économiques et la priorité donnée aux solutions fondées sur la nature
partout où cela a du sens ». Parmi ces actions phares on peut citer le développement d’un centre de ressources sur l’adaptation (CEREMA) - hwww.adaptation-changement-climatique.fr/ – ou
encore l’établissement de prospectives économiques pour identifier les filières à risque et les mesures d’accompagnement. Lors de la présentation du PNACC 2, le Ministre de la Transition
écologique et solidaire a évoqué un financement de 3,5 Md€ contre 17 M€ pour le précédent Plan. Il ne s’agit pas là d’une enveloppe ad-hoc directement dédiée à l’adaptation, mais du volume
d’actions financées (par exemple, dans le périmètre des politiques de l’eau) qui devront tenir compte des effets du changement climatique pour continuer l’adaptation du pays . Jusqu’ici les
pouvoirs publics ont, à travers le PNACC, privilégié une démarche de sensibilisation et de diffusion de bonnes pratiques (y compris d’ailleurs à destination des acteurs publics et de l’État
lui-même, encore loin d’être exemplaire). Cette démarche est une première étape. Pour Ronan Dantec, sénateur et président de l’ONERC, le PNACC 2 « doit être vu comme le point de départ
permettant d’ouvrir des discussions stratégiques sur des secteurs comme l’urbanisme, l’agriculture et le tourisme, […] il doit permettre d’affronter progressivement les tabous ». Cependant,
comme le souligne le même Ronan Dantec en tant que coauteur du rapport de la délégation du Sénat à la prospective, au-delà de l’État, du monde scientifique et de quelques acteurs pionniers,
la déclinaison opérationnelle des acquis sur l’adaptation « reste insuffisante ». Il y a un vrai enjeu non seulement de diffusion et de précision de l’information mais également de création
d’une culture commune et d’une mobilisation politique à l’échelle de l’enjeu au niveau national et au niveau territorial. Des bonnes initiatives locales loin d’être généralisées Au-delà de
l’action directe de l’État – par exemple, au travers de la mise à jour des normes et des référentiels ou des outils de planification (PPR, SDAGE, etc.), la sensibilisation ou la mise à
disposition de connaissances – beaucoup d’actions d’adaptation ne peuvent passer que par une appropriation des enjeux par chaque territoire et chaque secteur de l’économie. Des outils de
mise en œuvre et de suivi de l’adaptation sont peu à peu développés, notamment par l’ADEME ou via des structures dédiées comme les Observatoires régionaux des effets du réchauffement
climatique . Au niveau régional les Schémas Régionaux Climat Air Énergie, désormais intégrés aux SRADDET, contiennent notamment des orientations permettant l’adaptation au changement
climatique. RÉSULATS DU QUESTIONNAIRE AUX RÉGIONS DE FRANCE Avec le soutien de Régions de France, nous avons pu faire circuler un questionnaire aux 13 régions métropolitaines et 5 régions
d’outre-mer françaises pour mieux décrire comment le sujet était perçu et traité dans chacun de ces territoires . Nous avons reçu des réponses de 11 régions (9 régions métropolitaines et 2
régions outre-mer) . L’exécutif régional s’est déjà exprimé sur l’adaptation dans 7 des 11 régions mais selon des entrées qui peuvent varier, de la planification (SRADDET) à la gestion des
risques en passant par le développement économique. Pour deux tiers des répondants, l’information disponible sur les impacts du changement climatique reste insuffisante car trop faiblement
appropriable à l’échelle du territoire et non connectée aux prospectives de développement économique locales. Pour 9 répondants sur 11, les régions peuvent jouer un rôle de mobilisation,
d’animation et d’accompagnement à l’adaptation ; pour 8 sur 11, elles ont un rôle de prescription et, pour 7 sur 11, un rôle de financement de l’adaptation. 9 répondants citent les
collectivités infrarégionales comme un acteur auprès duquel agir en priorité ; 8 citent les filières économiques du territoire et 5 les citoyens . Pour accélérer le processus
d’appropriation, différentes initiatives émergent à l’échelle territoriale à l’interface du monde scientifique et de celui des décideurs. Toutes les conditions ne sont cependant pas encore
réunies pour que ces dynamiques se généralisent et aillent au bout de la logique d’appropriation. La Région Nouvelle Aquitaine a, par exemple, réuni sous la direction du climatologue Hervé
Le Treut un comité scientifique composé d’experts pluridisciplinaires, indépendants et permanents, mandaté pour « apporter aux acteurs du territoire les connaissances nécessaires à leur
stratégie d’adaptation au changement climatique ». Ce collectif Acclimaterra (cf. encadré) a publié deux rapports sur « Les impacts du changement climatique en Aquitaine » qui ont permis une
appropriation forte de ces enjeux par les acteurs économiques du territoire. Des démarches comparables commencent à émerger dans différents territoires, à l’initiative des exécutifs
régionaux ou de collectifs de chercheurs ou d’acteurs – voir par exemple le GREC Sud, ReCO (en Occitanie) ou encore Ouranos AuRa (en Auvergne Rhône-Alpes) . L’EXEMPLE DU COLLECTIF
ACCLIMATERRA Le deuxième rapport d’Acclimaterra, publié en 2017, élargit le périmètre de l’analyse à la région Nouvelle Aquitaine. Il décrit par domaine, à partir de la littérature
scientifique existante, les leviers de l’adaptation territoriale en prenant en compte les spécificités de la Région. Des recommandations sont faites pour les différents types de territoires
: urbains, milieux humides, forêts, montagnes et littoraux, mais aussi pour les activités économiques associées : agriculture, pêche et conchyliculture et pour la gestion de la ressource en
eau. Parmi les leviers politiques et sociétaux, le rapport rappelle l’importance de la « mémoire des événements climatiques » qui permet de réduire la vulnérabilité actuelle et de mieux
connaître et appréhender les risques.Les auteurs s’intéressent aux instruments juridiques existants pour l’adaptation, en particulier à l’échelle territoriale avec le SRADDET, le PCAET et le
PLU-I. Ils insistent notamment sur le choix de la localisation du bâti. Si les collectivités sont présentées comme les « chefs d’orchestre des politiques climatiques », l’échelle régionale
apparaît la plus pertinente pour « déterminer des synergies entre les actions d’atténuation du changement climatique et celles d’adaptation ». Mise à l’honneur dans ce rapport, elle «
apporte une dimension systémique à la définition d’actions d’adaptation au changement climatique ». Les domaines de l’énergie, de la participation citoyenne et des enjeux climatiques dans
les territoires urbains sont traités de manière inédite en comparaison au premier rapport. Concernant le domaine de l’énergie, sont analysées la consommation et les sources de production
d’énergie du territoire tout en rappelant que la transition énergétique doit s’inscrire dans un modèle plus durable d’utilisation des ressources naturelles permettant de découpler croissance
économique et consommation d’énergie. Les auteurs insistent aussi sur l’importance d’accroître l’implication, voire la participation des citoyens à la mise en œuvre des projets, facteur
d’une meilleure acceptabilité sociale des mesures d’adaptation. Côté villes, les recommandations portent surtout sur la maîtrise de l’étalement urbain via l’aménagement de villes compactes,
organisées de manière multipolaire, et le développement des mobilités douces (marche, vélo), moins dépendantes de systèmes de transport complexes, potentiellement vulnérables en cas de
phénomènes climatiques tels que des crues. Ce rapport, auquel plus de 240 chercheurs ont contribué, constitue un travail inédit d’élucidation des enjeux locaux et d’accompagnement à la prise
de décision dans tous les domaines affectés par le changement climatique. S’appuyant sur une expertise poussée, il a pour objectif de permettre le passage d’une phase de diagnostic à une
phase de solution. Hervé Le Treut incite toutes les régions à adopter une démarche similaire afin de créer une expertise à l’échelle de leur territoire, essentielle à leur adaptation. Source
: http://www.acclimaterra.fr Il s’agit là d’un effort inédit et très riche mais qui ne semble pas encore suffisant et ne dispose pas des moyens de pleinement se déployer. Une étape
supplémentaire serait de nourrir des démarches prospectives sur l’évolution des territoires et notamment des filières économiques les plus structurantes. A l’échelle de l’intercommunalité,
ce sont les Plan Climat Air Energie Territoriaux que doivent réaliser toutes les EPCI de plus de 20 000 habitants qui doivent comporter un volet adaptation au changement climatique. Certains
territoires sont particulièrement avancés : c’est notamment le cas de grandes villes comme Paris (cf. encadré) ou Lyon qui disposent de stratégies élaborées. _ STRATÉGIES D’ADAPTATION ET
DE RÉSILIENCE DE LA VILLE DE PARIS_ La Ville de Paris dispose d’un volet adaptation très complet dans sa politique climat, qui s’incarne dans une stratégie adaptée en 2015 . Celle-ci entend
répondre à cinq enjeux : (1) canicules et îlots de chaleur urbains, (2) inondations, (3) sécheresses, (4) tension sur les ressources (alimentaires et énergétiques) et (5) biodiversité, tout
en assurant une veille sur des enjeux émergents (risques sanitaires, système assurantiel, migrations climatiques…). L’objectif affiché est « d’adapter Paris […] tout en la rendant plus
attractive, plus agréable à vivre et plus résiliente ». La stratégie s’articule atout de cinq axes : (i) protéger les Parisiens face aux événements climatiques extrêmes (actions de
surveillance, information, continuité des services publics, prévention, gestion de crise…), (ii) garantir l’approvisionnement en eau, en alimentation et en énergie (maîtriser les
consommations, créer de nouveaux puits, renforcer l’accès gratuit à l’eau, renforcer les filières locales, renforcer la résilience des réseaux…), (iii) vivre avec le changement climatique
(nature et eau en ville, transformation du bâti et des documents d’urbanisme…), (iv) accompagner les nouveaux modes de vie et renforcer la solidarité (travail sur les horaires, aménagement
des conditions de travail, télétravail…) et (v) récupération d’eau, dispositifs de solidarité. En parallèle, et dans le cadre de sa participation à la dynamique des 100 Resilient Cities
financée par la fondation Rockefeller, la Ville de Paris s’est dotée d’un Chief Resilience Officer et d’une stratégie de résilience. Plus large et transversale (sans rattachement
administratif particulier), celle-ci prend en compte simultanément plusieurs sources de stress chroniques et la capacité à répondre à des évènements majeurs plus rares. C’est un panel de
risques qui est considéré (inégalités sociales, économiques, territoriales ; terrorisme et sécurité ; changement climatique ; pollution de l’air ; Seine et risques liés au fleuve ;
gouvernance territoriale) et auxquels répondent des solutions transversales articulées autour de trois piliers: les habitants (focus #1 : les solidarités) ; les infrastructures ; la
gouvernance. Cette stratégie donne lieu à la mise en œuvre de projets (notamment expérimentaux) concrets comme le projet Oasis (transformation des cours d’école en îlots de fraîcheur) ou la
création d’une réserve de citoyens formés aux risques et ambassadeurs de la résilience. »L’exemple de Paris est notamment intéressant car il établit un lien explicite et direct entre
adaptation et COHÉSIONS SOCIALE ET TERRITORIALE . Les solidarités – notamment à l’échelle du quartier (ex. capacité à veiller les uns sur les autres et à s’entraider ; existence d’espaces
publics frais partagés) – sont ainsi mises en avant comme un facteur essentiel de la résilience de la ville. Les liens entre la ville et les territoriaux plus ruraux dont elle dépend pour
son alimentation en eau et en nourriture sont aussi soulignés. Source : www.apc-paris.com/plan-climat/adaptation Au-delà de ces meilleures pratiques, le constat général demeure néanmoins que
l’appropriation des enjeux d’adaptation au niveau local reste un processus lent, très hétérogène et encore largement incomplet. Il n’est pas possible de miser sur une appropriation
spontanée des enjeux de l’adaptation par l’ensemble des acteurs, ou même sur une injonction généralisée. L’adaptation ne se décrète pas, c’est un processus qui se construit et cela prend du
temps et peut impliquer des changements profonds des modes de faire. 3.2. L’ADAPTATION COMME UN DÉFI DE GOUVERNANCE : LE PLUS DUR, C’EST DE S’Y METTRE A chaque fois, il s’agit d’arrêter
d’attendre les décisions parfaites et discuter collectivement de l’approche privilégiée. Selon les cas, il peut s’agir d’adaptation incrémentales, au fil de l’eau, ou de véritables
transformations de son modèle. Le plus souvent il n’y a pas qu’un seul choix ni une seule stratégie possible (on peut choisir de suivre de très près les phénomènes et de réagir de façon
agile aux évolutions, on peut devancer des changements, on peut se diversifier pour en atténuer les conséquences, on peut saisir les moments opportuns pour engager des transformations
radicales – par exemple, à la suite d’un incident en choisissant de ne pas reconstruire à l’identique mais de se projeter dans l’avenir…). Dans tous les cas, il est nécessaire de construire
un accord acceptable entre les parties prenantes. En cela, le principal défi de l’adaptation est avant tout un défi de gouvernance et passe par la mise en place de socles de compréhension
communs, d’instances de discussion, d’expérimentations de solutions puis d’arbitrages et des dispositifs d’accompagnement permettant leur mise en œuvre dans des conditions sereines.
L’EXEMPLE DE LA GOUVERNANCE DE LA RESSOURCE EN EAU Le changement climatique fait notamment planer le risque d’une pression accrue sur les ressources en eau qui pourrait affecter de nombreux
acteurs. Pour s’y préparer, de nombreuses études ont été menées à l’échelle de grands bassins (Rhône, Seine, Garonne, Loire, Rhin, Durance, etc.), dans le cadre de différents projets de
recherche, souvent initiés par les Agences de l’eau ou les Comités de Bassin.Il s’agit la plupart du temps de démarches pluridisciplinaires qui articulent autour d’un bilan offre-demande
(souvent à l’horizon 2050) de la ressource en eau. Celui-ci met en balance des projections de la ressource disponible (issues d’un couplage entre projections climatiques et modèle
hydrauliques) et les besoins anticipés pour différents usages (estimés à partir de prospectives d’évolution de facteurs démographiques et économiques intégrant notamment l’urbanisation,
l’activité agricole ou encore la production d’énergie). La plupart de ces projets montrent des tendances à la baisse de la ressource en eau et une sévérité accrue des étiages, sous l’effet
notamment d’une hausse de l’évapotranspiration liée à l’augmentation des températures. Ces bilans permettent d’alerter sur des tensions potentielles et donc des choix qu’il faudra faire. Ils
peuvent être un point de départ pour imaginer et mettre en discussion différentes mesures d’adaptation (stockage, économie, meilleure utilisation…). Le principal sujet de discussion
identifié est celui de la gouvernance de la ressource : comment priorise-t-on les usages ? Comment partage-t-on les efforts à consentir et l’eau disponible ? Certains des projets menés
présentent des innovations intéressantes. Le projet Garonne 2050 a par exemple utilisé des mises en récits pour expliciter les hypothèses et présenter les arbitrages entre différentes
options d’adaptation plus ou moins acceptables (économies, nouvelles infrastructures, changement de mode de gestion…). Le projet Hyccare Bourgogne a testé une méthode de design territorial
et de co-construction des actions d’adaptation avec les acteurs. Le projet Adapt’eau a mis l’accent sur le diagnostic sociétal, géohistorique, géochimique et faunistique pour mettre à
l’épreuve de solutions d’adaptation. Certains s’inscrivent dans la continuité des pratiques actuelles, d’autres n’hésitent pas à envisager des ruptures possibles (ex. comportements, modes de
gestion, solutions non conventionnelles).En 2012, un exercice du même type a été réalisé à l’échelle nationale. Cette étude intitulée Explore 2070 a donné une base de comparaison et nourri
différents exercices territoriaux de planification (Aurélie Carroget et al. 2017).