« pour lutter contre le grand banditisme, il faut qu’on nous donne les outils adaptés »: la grande bataille des logiciels d'écoutes judiciaires

feature-image

Play all audios:

Loading...

Pourquoi se priver d’un outil qui fonctionne ? Le ministère veut privilégier la Plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), un outil mis au point par Thales, pour centraliser


toutes les demandes d’écoutes et de géolocalisations. Les policiers et les magistrats s’y connectent pour mettre le numéro des suspects sur écoute ou localiser leur ligne. Elle leur donne


accès à toutes les métadonnées du téléphone, dont les flux IP issus du réseau internet. Des indications précieuses pour retrouver le propriétaire de la ligne, lorsque les trafiquants se


cachent sur des messageries chiffrées. Au total, 46 979 interceptions judiciaires ont été effectuées sur cette plate­forme l’an dernier, soit 11 % de plus qu’en 2023. Pour faire parler ces


données les enquêteurs font souvent appel aux logiciels de Chaps­Vision. Les solutions développées par Elektron et Deveryware, deux sociétés rachetées par Olivier Dellenbach en 2022, sont


utilisées dans presque 20 % des cas. Elles sont facturées à la journée. Les juges d’instruction et les policiers s’en servent surtout pour suivre le « _haut du spectre _» de la criminalité.


Pour traquer les « _lignes de guerre_ » des trafiquants, par exemple, ces lignes de téléphones à usage unique activées lors des go-fasts. _« Quand il y a des remontées de stups d’Espagne, il


faut aller le plus vite possible_, précise un flic de la PJ. _Deveryware permet d’activer des alertes quand un suspect entre ou sort d’une zone »._ Promise aux policiers, cette


fonctionnalité n’a jamais fonctionné sur la PNIJ. _« Il m’est arrivé de recevoir une alerte cinq heures plus tard_, peste un enquêteur d’une Division de la criminalité organisée et


spécialisée (DCOS). « _L’interface de Thales est obsolète_, explique-t-il. _La PNIJ fait remonter trop de points sur les cartes, c’est inexploitable_ ». Interrogé, un autre policier va dans


le même sens : « _Plus on zoome, moins on voit les rues_ ». La plateforme a accumulé un retard technique que l’entreprise tente de rattraper sur son concurrent ChapsVision. Un module appelé


« Hugin » a été ajouté récemment pour authentifier les contacts qui discutent sur WhatsApp. Coïncidence ? La fonctionnalité existe déjà sur Elektron. « _Globalement, la plateforme fonctionne


et la qualité des interceptions est meilleure qu’il y a quelques années_, nuance Benjamin Camboulives._ Mais elle ne suffit pas à faire tout le boulot_ ». _« Je veux bien qu’on lutte contre


le grand banditisme, mais il faut qu’on nous donne les outils adaptés », _s’indigne le directeur d’un service d’enquête spécialisé basé en région. Dirigée par le magistrat Jean-Julien


Xavier Rolai, l’agence nationale des techniques d’enquêtes numériques judiciaires, qui assure le lien avec les opérateurs téléphoniques (Bouygues, Orange, Free...), veille à ce que la


plateforme soit exclusivement utilisée. Le directeur, qui a déclaré la guerre à ChapsVision, écrit régulièrement aux magistrats, et aux services de police judiciaire, pour les inviter à ne


plus s'en servir. Cette croisade judiciaire se pare d’un prétexte économique. _« Les outils Elektron et Deveryware ne sont pas plus performants »,_ juge la Place Vendôme, qui rappelle


que les policiers doivent utiliser sa plateforme, _« sauf impossibilité technique ». _Entre 2010 et 2024, le fonctionnement de la plateforme a coûté 300 millions d’euros à l’Etat. Le coût de


la PNIJ a été déjà été pointé par un rapport de la Cour des comptes, qui a constaté des progrès en 2019. Il a invité l’Etat à trouver une solution pour que les grandes oreilles de la


justice ne reposent pas sur les serveurs de Thales à Elancourt, dans les Yvelines. Raté, pour l’instant. Le contrat n’a jamais été remis en concurrence. _« L’exécution du marché court


jusqu’à la fin de l’année »,_ répond, un peu embarrassé, le ministère de la Justice. Un dossier brûlant, donc, pour le cabinet de Gérald Darmanin.