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Il y a quelques mois, Paris Musées, établissement public en charge de la majorité des musées de la ville de Paris, annonçait un projet d’instauration de badgeuses visant à mieux contrôler le
temps de travail de ses agent·es. Si les premières annonces se sont faites dans le flou – aucune information concrète, pas de calendrier, encore moins d’éléments chiffrés sur le coût du
dispositif ou ses modalités d’application –, tout s’est précipité au mois de mars dernier, comme si l’opacité initiale n’avait jamais existé. Une stratégie du fait accompli à laquelle les
agent·es de Paris Musées ont répondu par une première journée de grève le 14 mars, suivie le 30 avril, d’un piquet de grève au musée Carnavalet où est né un comité de grève indépendant. UNE
GRÈVE CONTRE LA FLEXIBILISATION ET LA PRÉCARISATION DES AGENT·ES DE PARIS MUSÉES La direction de l’établissement public présente la badgeuse dans son plan de réorganisation du temps de
travail comme un outil de gestion conçu pour simplifier la vie des agent·es. Pour Paris Musées, la badgeuse garantirait rien de moins qu’_« équité, transparence et respect [de leurs] droits
»_ et épargnerait aux encadrant·es un traitement manuel des données potentiellement source d’erreurs. Cette réforme marque pourtant un tournant de la part de la direction qui impose _in
fine_ l’instauration d’horaires variables, au prétexte qu’il serait illusoire que tout·es puissent pointer strictement à la même heure. Un réaménagement des temps de travail auquel
s’opposent les agent·es des différents sites. Car, derrière les promesses d’optimisation, c’est une logique de flexibilisation contrainte qui se dessine. Le projet prévoit 4 badgeages par
jour : un mode de fonctionnement dans lequel chaque minute compte pour réaliser des économies sur le dos des agent·es. _« Ce projet de badgeuse, il est là pour faire des petites économies de
RTT. La direction s’est appuyée sur l’exemple d’un agent fictif : il n’arrive jamais trop en retard, ne part jamais trop en avance, mais prend des pauses déj plus petites. Du coup, il
travaille 1h20 de moins sur un mois_, dénonce Jacques (le prénom a été modifié), l’un des grévistes de Paris Musées, _sauf que, sur une année, ça fait 2 jours de RTT en moins. Ça permet à la
direction d’avoir moins de congés à payer, moins d’absences à combler. Ce sont de petites économies qui servent à justifier de ne pas embaucher plus de monde »_. Par ailleurs, même si la
direction met en avant la « souplesse » du dispositif, l’automatisation de la gestion du temps de travail ne tient aucun compte des problèmes quotidiens et des réalités matérielles des
agent·es. _« Dans leur projet, pour la pause déjeuner, par exemple, ils ne comptent que le temps de déambulation interne au musée, pas le temps de déambulation total. Déjà aujourd’hui,
certains collègues ont à peine le temps d’aller à la cantine sans courir, parce qu’il est nécessaire de quitter la salle, passer au vestiaire, prendre le métro ou marcher pour aller jusqu’à
la cantine, avoir un temps décent pour manger, puis, finalement revenir »_, regrette Jacques. Il redoute également que les pauses déjeuner soient réduites de 1h10 à 45 minutes à cause des
horaires variables. _« Dans son discours, la direction nous explique que nos encadrants n’auront pas le droit de nous imposer une pause déjeuner inférieure à 45 minutes, mais depuis quand
sont-ils autorisés à instaurer des pauses de moins d’1h10 ? »_, complète le gréviste. La mobilisation – initialement portée par la CGT et les agent·es de surveillance des Catacombes –
s’avère d’autant plus importante que la direction a choisi d’échelonner l’entrée en vigueur de cette mesure, en s’attaquant d’abord aux plus précaires : _« Leur calendrier, c’est de passer
les agent·es de billetterie à la badgeuse en juillet, puis les agent·es de surveillance en janvier. Ce n’est pas du tout anodin parce que les agent·es de billetterie sont majoritairement
contractuel·les. Ça fait des années qu’il n’y a pas eu d’ouverture de concours. Ce sont donc des personnes qui sont dans une situation moins pérenne, qui ne veulent pas forcément rester et
qui ne seront pas forcément les plus motivées à l’idée de faire grève. Et comme les caissier·ères sont beaucoup moins nombreux·ses et plus éparpillé·es sur les sites, il y a une possibilité
beaucoup plus réduite qu’ils et elles s’allient entre eux »._ En ciblant d’abord le secteur le plus précaire et le plus éclaté, la direction prépare le terrain pour les autres postes, tout
en limitant les risques d’opposition massive et coordonnée UNE MOBILISATION QUI S’ORGANISE PAR LA BASE Pour éviter cette fragmentation voulue par la direction et construire une réponse
collective, les agent·es de Paris Musées, à l’appel de la CGT, se sont mis·es en grève le 30 avril dernier, date de la présentation officielle du projet de badgeuse au siège. Ce jour-là, les
Catacombes ont gardé leurs portes closes, de même que les collections permanentes du musée Carnavalet, où la quarantaine d’agent·es grévistes tenaient leur piquet. Un coût financier
important pour Paris Musées, notamment avec le site des Catacombes qui représente environ 2 000 entrées par jour à des tarifs élevés (12 € pour les enfants, 31 € pour un plein tarif). _« Le
but, c’est de montrer qu’on n’est pas là pour négocier. C’est fermement non »_, explique Jacques. Un comité de grève indépendant est né le même jour, à l’initiative d’une dizaine de
grévistes décidé·es à ne pas lâcher, qu’ils soient caissier·ères ou agent·es de surveillance, issu·es des Catacombes, du musée Carnavalet, du Palais Galliera, ainsi que des musées Zadkine et
Bourdelle. _« On est pas mal de personnes non syndiquées, mais qui participent à la vie politique du lieu et qui s’organisent. On avait déjà évoqué le fait de créer un comité de grève pour
maintenir le mouvement, et là, ça s’est fait »_, précise Jacques. L’une des forces de cette grève est de se construire en accord avec les syndicats, mais sans s’aligner sur ces derniers,
dont les travailleur·ses attendent au contraire qu’ils les suivent. _« Si on ne met pas forcément en avant la CGT, c’est parce qu’il y a un côté rassurant dans le fait de voir d’autres gens
se mobiliser. Nous voulons un mouvement qui vient du bas, où nous sommes ceux qui l’organisons, choisissons les dates et lançons les grèves »_, explique le travailleur. L’objectif du comité
de grève est de prendre la main sur les suites de la mobilisation et de construire un rapport de force durable en allant chercher les agent·es un·e par un·e, sur chaque site et dans chaque
musée, pour discuter, répondre à leurs doutes et les convaincre de rejoindre le mouvement. Car, si une grande majorité s’oppose à l’instauration de la badgeuse et à la fragilisation
progressive des travailleur·ses, le spectre du défaitisme est aussi important dans les rangs des agent·es. Le mouvement s’appuie cependant sur une alliance précieuse entre des agent·es
expérimenté·es, qui pour certain·es ont participé à la grève victorieuse de 2018 (plus d’un mois et demi de fermeture des Catacombes permettant la revalorisation de leurs primes de
pénibilité) et une nouvelle génération qui fait ses premières armes dans la lutte. _« C’est le meilleur des deux mondes »_, indique Jacques. FACE À L’ÉCONOMIE DE GUERRE, UNE CULTURE DE LUTTE
DE CLASSE Au-delà de la question de la badgeuse, la mobilisation des agent·es de Paris Musées révèle une lassitude bien plus ancienne et une colère beaucoup plus profonde dans un
établissement pétri par la recherche de profit, au détriment des conditions de travail. _« Ils privatisent le Petit Palais et Galliera pour la Fashion Week. Nous, on rapporte une
fréquentation constante, on est tout le temps complets. Mais on est là à se battre pour avoir des paires de chaussures de sécu de la bonne taille pour tout le monde »_, souligne Jacques.
Salaires trop bas, pénibilité, problèmes de recrutement : face aux conséquences de cette politique de gestion, les revendications s’accumulent. Au sujet des salaires, Jacques résume : _« On
est agent·es de la Ville de Paris et on n’a même pas un salaire qui nous permet de vivre à Paris dans plus de 10 m² »_. Une réalité qui apparaît d’autant plus scandaleuse que l’inflation
galopante n’a été compensée par aucune revalorisation du point d’indice. De même, le sous-effectif est un problème chronique que les mesures prises par la direction ne font qu’aggraver. Aux
Catacombes, qui vont bientôt fermer pour travaux, les contractuel·les risquent d’être remercié·es à la veille de la fermeture et plutôt que de renforcer les équipes, comme le demandent les
agent·es, la direction projette à la place d’installer plus de caméras de surveillance. Ces difficultés, les agent·es de Paris Musées les partagent avec de nombreux travailleur·ses
aujourd’hui. _« Il y a une dégradation des services publics de manière générale. Là, on investit dans le militaire au détriment d’autres services »_, reprend Jacques. Qu’il s’agisse de la
culture, l’éducation ou la santé, le gouvernement justifie l’austérité par une rhétorique d’effort de guerre, et annonce une augmentation de 3 milliards d’euros pour l’armée au nom de la
défense des intérêts nationaux. Face à ces coupes austéritaires, les agent·es de Paris Musées se tiennent aux côtés des agent·es d’accueil du musée Gustave Moreau ou encore des vacataires de
la BNF, également en lutte contre les sous-effectifs et la dégradation de leurs conditions de travail. Ailleurs, comme à Toulouse, les travailleur·ses des bibliothèques et de la culture –
mobilisé·es depuis plusieurs mois – sont rejoint·es par d’autres milieux, du social et de l’associatif, dans une coordination interprofessionnelle contre l’austérité et la militarisation.
Dans un secteur où l’on entend souvent qu’il faudrait avant tout « sauver la culture », les travailleur·ses de Paris Musées remettent les pendules à l’heure : la culture qu’il s’agit de
défendre, ce n’est pas celle qui se fait sur le dos des travailleur·ses, mais celle qui se tient de leur côté ainsi que du côté des opprimé·es. Pour soutenir leur lutte, participez à la
caisse de grève des agent·es de Paris Musées : https://www.cotizup.com/caissedegrevepm