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L’annonce le 23 avril dernier par ArcelorMittal de la suppression de 636 emplois sur sept sites dans le Nord, dont 177 à Dunkerque, a été un coup de massue. Après la confirmation en février
de la fermeture des sites de Reims et de Denain avec la suppression de 135 emplois, ce nouveau plan social massif pourrait être le prélude d’une longue série. Après la fermeture du site de
Gandrange en 2008, puis de Florange en 2013, le démantèlement des quatre derniers hauts-fourneaux en France, deux à Fos-sur-Mer et deux à Dunkerque, tous propriétés d’ArcelorMittal, pourrait
se préparer. RADICALISATION PATRONALE À L’AUNE DE LA GUERRE COMMERCIALE Ce nouveau massacre de l’emploi vient alimenter la vague de licenciements qui a débutée à l’automne 2024 et ouvert
une nouvelle conjoncture économique et sociale autour de l’emploi. Depuis, l’ouverture de la guerre commerciale par Trump a aiguisé la crise économique avec la perspective d’un
ralentissement de la croissance mondiale et une récession qui semble inéluctable aux Etats-Unis. Cette situation pèse sur les projections de croissance des grands groupes comme ArcelorMittal
mais constitue également une opportunité. Le géant sidérurgique, qui a vu son résultat opérationnel 2024 atteindre les 3,31 milliards de dollars, compte profiter de l’occasion pour
accélérer ses plans de restructuration en Europe, avec de nouvelles fermetures de sites et les licenciements qui vont avec. L’offensive qui se prépare s’inscrit dans un marché mondial de
l’acier qui connait une crise de surproduction centrée sur la Chine. Si ArcelorMittal ne cesse d’utiliser la concurrence chinoise comme un prétexte pour délocaliser ses usines européennes
jugées non suffisamment rentables, la réalité est qu’ArcelorMittal joue sur tous les tableaux. D’un côté, le sidérurgiste produit lui-même en Chine avec des aciéristes locaux, de l’autre, il
profite des prix cassés pour commercialiser l’acier chinois en Europe moyennant une plus-value, comme l’a révélé France3 Région. Dans le même temps, alors que le groupe reçoit chaque année
295 millions d’euros d’argent public, il remplit le vaste cimetière de l’emploi. En 2008, l’entreprise comptait 28 000 salariés en France, en 2025, il n’en reste plus que la moitié.
ARCELORMITTAL ET LE RETOUR DE LA QUESTION DE LA NATIONALISATION La radicalisation du géant de l’acier, qui déclarait que « _tous les sites en Europe […] sont à risque_ » de fermeture, a
ouvert une crise au niveau national. Perçue comme une menace sur le terrain social, industriel ou même militaire, celle-ci a remis la question de l’intervention de l’État en soutien à
Arcelor et de la nationalisation au premier plan. Du côté de la gauche institutionnelle, le Parti Socialiste propose ainsi « _une loi d’urgence_ » visant à « _mettre sous tutelle de l’État
le site d’ArcelorMittal de Dunkerque_ ». Selon le PS, cette loi obligerait « _l’entreprise à y poursuivre l’activité et à préserver l’emploi, y compris à perte, pendant une période donnée_
», pour « _trouver un repreneur_ », des « _investisseurs_ » ou « _mettre en œuvre une nationalisation partielle_ ». Dans le même temps, un communiqué commun signé en vue du 1er mai par
Olivier Faure (PS), Marine Tondelier (EELV), Fabien Roussel (PCF) et Francois Ruffin appelle à « _des protections douanières_ » ainsi qu’à « _l’entrée de l’Etat au capital d’ArcelorMittal_
». Du côté de LFI et de la CGT, le ton se veut plus vindicatif. L’organisation de Jean-Luc Mélenchon a appelé lors de son meeting du 1er mai à la nationalisation immédiate d’ArcelorMittal.
Le communiqué publié par LFI appelle à accompagner cette politique « _de mesures permettant aux travailleurs d’ArcelorMittal de peser dans la prise de décision_ ». De son côté, la Fédération
des Travailleurs de la Métallurgie CGT ainsi que Sophie Binet portent également l’idée d’une nationalisation, prenant modèle sur la « loi d’urgence » votée au Royaume-Uni qui « _ouvre la
voie à une nationalisation complète_ » du secteur. En réponse, le gouvernement tente de couper court. Macron a rejeté clairement cette solution lors de son grand oral mardi 13 mai, tandis
que le ministre chargé de l’industrie, Marc Ferracci, propose en lieu et place des « _solutions industrielles_ » en dialogue avec ArcelorMittal. Après 850 millions d’euros engagés pour
décarboner l’usine de Dunkerque, le gouvernement est prêt à augmenter la mise, assurant au groupe « _une électricité à des prix défiant toute concurrence, 40 ou 42 euros le mégawattheure
(MWh)_ ». En clair, poursuivre la politique de l’offre. Circulez, il n’y a rien à voir. NATIONALISER LES PERTES ET PRIVATISER LES PROFITS Pour obtenir la nationalisation d’ArcelorMittal, la
gauche politique et syndicale appelle ainsi à s’inspirer du cas britannique de British Steel. Après l’annonce de la fermeture des deux derniers hauts-fourneaux du pays et la suppression de 2
700 emplois, le Parlement a adopté le 11 avril une loi visant à contraindre les entreprises sidérurgiques à maintenir leurs sites ouverts sous peine de poursuites. Si cette loi a pour
l’heure conduit le propriétaire chinois Jingye à reculer sur son plan de licenciements, l’avenir du site de Scunthorpe reste incertain. Le gouvernement serait à la recherche active d’un
repreneur tout en laissant ouverte l’hypothèse d’une nationalisation. Si cette politique constitue une inflexion pour une bourgeoisie britannique adepte du néo-libéralisme le plus débridé,
la loi soutenue jusqu’à l’extrême-droite ne constitue pas encore une nationalisation _stricto sensu_. La propriété de British Steel revient toujours à Jingye, comme l’a précisé M. Reynolds.
De plus, les profits du géant chinois de l’acier sont sous bonne garde puisque l’Etat couvrira les 230 millions de pertes annuelles du groupe. Pour cela, il compte piocher dans un fonds de
2,8 milliards d’euros créé pour soutenir le secteur. En clair, le gouvernement Starmer cherche une issue à la crise aux frais du contribuable, c’est-à-dire sur les impôts des travailleurs. A
un stade plus avancé, un processus analogue a eu lieu en Italie avec l’ancienne Ilva, l’aciérie la plus grande et la plus polluante d’Europe. L’histoire a commencé en 2015 avec le placement
sous le contrôle d’un administrateur public de l’entreprise en grande difficulté, avant sa revente en 2018 à … ArcelorMittal. Après avoir évité la faillite en 2023, le gouvernement décide
en février 2024 de mettre sous tutelle l’entreprise temporairement, avant de céder l’aciérie en mars 2025 au groupe azéri Baku Steel. Si les négociations sont en cours, le nouveau
propriétaire compte monnayer son rachat au prix fort sur le plan social : Bakou pourrait ainsi procéder à une suppression d’environ deux mille emplois. Des exemples qui montrent que les
nationalisations ne sont généralement qu’une étape de la « restructuration » de l’entreprise avant de trouver un repreneur privé. Entre temps, l’Etat se charge aux frais du contribuable du
retour à la rentabilité moyennant la casse sociale. Le discours autour de la nationalisation par l’État constitue ainsi une profonde impasse. D’abord, parce qu’il promeut l’idée que l’Etat
pourrait protéger les travailleurs. Or, le bilan de la nationalisation de la sidérurgie sous François Mitterrand en 1981 a été, du point de vue de l’emploi, un véritable carnage. Dès le mois
de juin 1982, le « plan acier » qui prévoyait le « redressement » de la filière a conduit à la suppression de 12 000 emplois. Deux ans plus tard, un nouveau venait détruire 21 000 emplois
et signait la fermeture de mort des trois bassins sidérurgiques de Longwy, Denain et de Neuves-Maisons. Ensuite, car la nationalisation promue par l’Etat est en réalité une excellente
opération pour les capitalistes. Comme le relate un article de _Lutte de classe_, en 1982, elle a permis l’effacement des dettes de la famille De Wendel qui possédait nombre d’aciéries. Dans
le même temps, l’Etat prenait à sa charge la fermeture des usines et apportait 21 milliards de francs pour moderniser les usines restantes. Même opération en 1984 : alors que des sites
fermaient, l’Etat apportait 30 milliards de francs pour moderniser les installations évaluées au sein de l’entité Usinor-Sacilor. Or, dix ans plus tard, au moment où la sidérurgie renoue
avec les bénéfices, le gouvernement de droite engagea la reprivatisation d’Usinor-Sacilor, bradée à dix milliards bien qu’évaluée au double. Un cycle caractéristique de la façon dont les
gouvernements tentent de répondre aux crises économiques : nationaliser les pertes et privatiser les profits. Lorsque la faillite est trop coûteuse politiquement, l’Etat utilise ses
importants moyens économiques et juridiques non pour sauver les emplois mais en tant qu’outil de contention de la crise sociale. S’il intervient dans l’économie, c’est pour restaurer la
confiance des patrons et toujours dans les limites de la propriété privée. DÉFENDRE LA NATIONALISATION SANS INDEMNITÉS NI RACHAT, SOUS CONTRÔLE OUVRIER Dans une situation marquée par
l’aiguisement des tensions inter-impérialistes, l’enjeu stratégique de la nationalisation est renforcé pour les Etats. Étant donné le lien croissant entre capacité industrielle et «
souveraineté », les gouvernements doivent prendre en compte les enjeux de la militarisation, tout en garantissant la soutenabilité de telles nationalisations dans le cadre de la crise des
finances publiques. Le Royaume-Uni a ainsi penché vers la « prise de contrôle » car l’arrêt des derniers hauts-fourneaux du pays mettait en péril la capacité du pays à produire son propre
acier brut. La France refuse pour l’heure une telle issue en raison de la gravité de la situation des finances publiques. Dans les deux cas, ce sont les intérêts de l’Etat et du patronat qui
sont pris en compte et non ceux des travailleurs qui paient de leurs emplois. Or, face à l’offensive patronale, la réponse des directions syndicales est pour l’heure timorée. La montée
nationale appelée par la CGT du groupe le 13 mai a certes permis d’initier la mobilisation sur la base correcte du refus de tout licenciement, mais la démonstration reste limitée au regard
de la détermination d’ArcelorMittal qui a prévu un calendrier extrêmement serré. Face à l’attaque éclair, il n’y a pour l’heure pas l’ombre d’un plan de mobilisation générale du mouvement
ouvrier dans les semaines à venir. Au plan revendicatif, le mot d’ordre d’un « moratoire sur les licenciements », dont nous avons pointé à de nombreuses reprises les limites, reste le
leitmotiv mou de Sophie Binet qu’elle développe également dans un programme de 16 mesures. De plus, la nationalisation réclamée par la dirigeante s’inscrit dans une logique d’interpellation
de l’Etat : « _nous sommes ici pour dire que le courage c’est de faire comme les Britanniques qui nationalisent British Steel. Nous ne sommes plus seuls à porter cet objectif de
nationalisation, même Bruno Le Maire le dit_ », appuie-t-elle, pointant l’ex-ministre de l’Économie comme un allié. Un positionnement opportuniste qui va jusqu’à faire l’éloge de la «
nationalisation temporaire » de « _STX, les chantiers de Saint-Nazaire, qui avaient été nationalisés, et qui derrière ont pu être revendus_ », expliquant que « _l’Etat a fait une très bonne
affaire_ », ou encore de revendiquer le cas italien, affirmant à Macron « _il y a un repreneur qui reprend Ilva_ »... sans mentionner les 2 000 licenciements à la clé. Cette revendication de
la nationalisation met l’Etat au centre, au détriment d’une politique ouvrière indépendante. Elle s’inscrit dans une logique qui se refuse à toute réelle incursion dans la propriété privée
et ne constitue en rien une perspective progressiste pour les travailleurs. A rebours de ces mécanos institutionnels, combattre sérieusement l’offensive patronale implique de défendre la
nationalisation sous contrôle ouvrier, dans les entreprises qui préparent les fermetures et licencient. Ce mot d’ordre était d’ailleurs repris récemment par Jean-Paul Delescaut, secrétaire
général de l’union départementale CGT du Nord, lors du rassemblement devant le siège d’ArcelorMittal « _On doit envoyer des messages clairs : il n’y aura pas de PSE. Et pourquoi ? On demande
la mobilisation intégrale de la sidérurgie ! On veut la nationalisation, mais la nationalisation sous le contrôle des travailleurs et de leurs délégués !_ ». Un discours qui a l’intérêt de
souligner que la nationalisation ne suffit pas, et que la seule manière d’éviter qu’elle ne prépare de nouvelles attaques est d’exiger que la production soit dirigée et gérée
démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes. Par ailleurs, pour éviter que cette nationalisation permette aux capitalistes de s’engraisser et alors qu’ArcelorMittal s’est gavé d’argent
public, il ne peut être question d’un rachat. Si l’entreprise menace de fermer, elle doit être expropriée sans aucune indemnité. Alors qu’ils nous exploitent quotidiennement, il faut
combattre la logique qui viserait à donner une compensation aux capitalistes et défendre nos intérêts de classe. Évidemment, pour arracher un tel programme, il faut s’organiser et lutter sur
les lieux de travail à ArcelorMittal et plus largement, en exigeant des directions syndicales qu’elles passent de la parole aux actes. Cela implique d’imposer à nos directions de rompre
avec l’illusion que Macron et l’Etat pourraient être des alliés. Face aux patrons voyous, ils sont complices ! Il faudra également rompre avec le dialogue social qui accompagne l’austérité
et construire une lutte d’envergure nationale qui cherche à coordonner les travailleurs des entreprises et usines menacées par les fermetures et défendre l’interdiction des licenciements.
Face à la crise sociale, il n’y aura pas de raccourci. C’est par la mobilisation à la base des travailleurs, en construisant une réponse d’ensemble à dimension nationale, qu’il sera possible
d’inverser la vapeur et mettre un frein aux offensives patronales.