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Ou des mille façons d’embrouiller les saisines judiciaires pour enliser l’affaire Woerth.
La truffa processuale est une très ancienne notion de droit romain, il s’agit soit de rendre volontairement un acte nul (ou de le commettre nul) dans une procédure pour que celle ci soit
annulée, soit d’utiliser une procédure inadaptée, soit encore un peu des deux. Par exemple, oublier sciemment de signer un Procès Verbal, faire sciemment une perquisition nulle, utiliser une
procédure totalement inadaptée comme par exemple utiliser pendant de longues semaines une procédure préliminaire alors qu’il s’agit d’une procédure de flagrance et que l’on doit ouvrir une
information etc.
En ce domaine, j’ai découvert ces stratagèmes dans leurs perspectives historiques quand j’étais sur les bancs de la fac avec mon professeur de droit romain, un certain Georges Frêche...
Le droit italien contemporain reprend cette notion en sanctionnant « les artifices et astuces qui sont mis en place par une partie à la procédure devant l’autorité judiciaire et sont
destinés à tromper le juge » sous le terme générique de fraude à la procédure. En France, pour lutter contre ces détournements de procédures et manoeuvres, la Cour de Cassation a forgé la
notion d’escroquerie au jugement basée sur l’analyse extensive de la notion d’escroquerie, il s’agit du fait de tromper sciemment un juge pour en obtenir une décision favorable à ses
prétentions, soit par la production de faux documents, soit à l’aide de faux témoignages.
Cette infraction réprime ces pratiques quand elles sont découvertes dans un contentieux civil : affaires familiales, droit des contrats, usage de faux à l’occasion d’une affaire de tutelle,
etc. Mais la notion de détournement de procédure pénale n’existe pas, car un principe préexiste en France : la loyauté du policier ou du magistrat conforme à la recherche de la vérité, la
loyauté dans la recherche des preuves et le respect des procédures qui peut être sanctionnée par des nullités de procédure.
Le fait de manipuler une procédure en y créant volontairement une nullité pour contrecarrer la recherche de la vérité n’est pas sanctionnée en soit pénalement. Il existe certes
l’incrimination pour un juge de se prononcer sur une affaire dans laquelle ses intérêts propres sont engagés et qui se nomme forfaiture. Mais la définition donnée par l’article 173 du code
pénal ne colle pas vraiment avec l’actualité judiciaire de ce moment : « Tout juge, administrateur, fonctionnaire ou officier public qui aura détruit, supprimé, soustrait ou détourné les
actes et titres dont il était dépositaire en cette qualité, ou qui lui auront été remis ou communiqués à raison de ses fonctions, sera puni de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt
ans. » Il s’agit d’une procédure criminelle, donc difficile a mettre en oeuvre et d’un comportement heureusement jamais rencontré dans les prétoires et les tribunaux.
La palette est large, ceci d’autant plus que si une nullité doit être soulevée, elle pourra l’être beaucoup plus tard, soit devant la juridiction de jugement soit devant la chambre de
l’instruction, en appel. Rappelons-nous des destins d’affaires comme l’affaire Elf, ou d’autres en cours comme celle du juge Borrel, ou plus localement en Languedoc Roussillon celle de la «
bulle de Fleury » pour faire dans le provincialisme et le mitterandisme ( un aperçu : http://www.ladepeche.fr/article/200...).
Cette situation quand elle devient caricaturale appelle effectivement la mise en oeuvre de contrôles internes, soit pour sanctionner une faute disciplinaire, soit pour prévenir la
reproduction de ces agissements. En France, le ministère de la justice s’est dotée d’une inspection générale, tout comme les grands corps de l’Etat, sorte de « boeufs carottes » de la
justice. Il est souvent mis à contribution mais toujours sur demande du Garde des Sceaux. Cela peut aboutir à une sanction disciplinaire décidée par le Conseil Supérieur de la Magistrature :
avertissement, déplacement d’office, radiation du corps judiciaire, etc. Ce rôle de contrôle interne peut aussi être instrumentalisé, bien sûr, par le pouvoir exécutif qui utilise alors son
pouvoir de saisine de l’inspection pour destabiliser un magistrat trop curieux. Le syndicat de la magistrature a expérimenté ce type de détournement.
Parce qu’ un regard introspectif de ce qui se passe à Nanterre laisse perplexe sur l’état de la Justice en France. Tout le petit monde mediatico-politique s’extasie devant la saisine d’un
juge d’instruction sur ordre du Procureur Général pour mieux ensuite dessaisir ce juge d’instruction pour « dépayser » la procédure, et finalement renvoyer à encore plus loin les
investigations, faisant dépérir les preuves ne serait ce que par l’usure du temps....
Au passage le juge du siège indépendant agissant sur complément d’information du tribunal correctionnel sera lui aussi dessaisi, après que le Président de ce même tribunal soit intervenu
publiquement pour le désavouer. L’on assiste à un enchevêtrement de procédures qui ne pourront mécaniquement que multiplier les nullités diverses au détriment de la sécurité juridique et de
la recherche de la vérité.
Par ailleurs la crédibilité de l’institution justice disparaît totalement : l’on assiste à des investigations par le parquet concernant la vie privée d’un juge saisi d’un complément
d’information ( fadettes de portable). Tout cela devant les cameras du vingt heures, et en pourchassant les journalistes d’investigation, aux dires du Canard enchaîné.
N’y a t-il pas nature à inspection judiciaire ? Aurait-on toléré ce comportement de magistrats moins proches du pouvoir agissant pour une autre écurie présidentielle ? Il est vrai qu’ils
n’exerceraient pas dans les Hauts-de-Seine de tels postes de responsabilité - un département qui est une sorte de chasse privée présidentielle.
Décadence sécuritaire était l’un de mes derniers livres, il stigmatisait la décadence de l’Etat de droit et de la démocratie par l’abus d’une pénalisation excessive. Après avoir rongé le
coeur de la démocratie citoyenne, ce mal ronge les institutions, cela est peut-être logique. Mais, à ce rythme, que restera-t-il de la République dans quelques années ?
Ecouter aussi : Quelle est la différence entre un Etat de droit et un Etat de police ? http://www.reporterre.net/spip.php?...