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_"On est peu de chose face à la nature.C’est elle qui commande."_ De ses trente années de pilotage, rythmées par quelque 7.000 heures de vol dans les milieux les plus périlleux,
Frédéric Dumont a retiré deux enseignements: humilité et vigilance. Deux fondamentaux pour devenir "un vieux pilote", comme il dit, en faisant tout pour éviter le gros pépin. Cet
été, il vous est probablement arrivé de lever le nez en l’air à son passage.Frédéric, 53ans, vit à Bordeaux.Mais voilà vingt-deux étés que ce Limousin d’origine survole nos massifs.D’abord
dans le Var, puis les Alpes-Maritimes depuis 2004.Il est l’un de ces pilotes d’Hélicoptère bombardier d’eau (HBE) qui exécute des manœuvres spectaculaires au-dessus des incendies. Du 11
juillet au 23 septembre, trois HBEsont positionnés à la base de Sophia Antipolis, derrière le centre d’incendie et de secours. Affrétés par la société varoise HéliProtection, ils sont loués
par le Service départemental d’incendie et de secours (Sdis) 06. Cinq pilotes y opèrent: le chef de détachement Lilian Robert, son adjoint Frédéric Dumont, Gilles Bocard, Vittorio Masetti et
Stéphane Luchini. La plupart ont reçu une formation militaire. À l’image de Frédéric, ancien adjudant. Rarement ces soldats des airs auront eu à mener un combat aussi intense qu’en cet été
brûlant. Frédéric a été de toutes les interventions, de Castagniers à Lucéram, où il a encore largué vendredi soir.Retour d’expérience hors norme. AVIEZ-VOUS DÉJÀ CONNU UN ÉTÉ AUSSI «CHAUD»
SUR LA CÔTE D’AZUR? On se rapproche déjà de 2007, où il y avait eu trois gros "chantiers" à Utelle, Bairols et Ilonse. Là, à mi-saison, on a déjà fait quasiment autant d’heures de
vol qu’en 2007! Pour arriver à un tel niveau, il faudrait remonter à 2003… Cet été, chaque pilote compte déjà une soixantaine d’heures de vol, soit 30 ou 40 sorties. Les trois machines
cumulent au moins 200 heures de vol.En tout, on est proche des mille largages. NOTAMMENT À LUCÉRAM, DERNIER GROS «CHANTIER» EN DATE, QUI A PARCOURU LA PLUS GRANDE SURFACE? Il a été virulent,
comme ceux de Castagniers ou Carros. Il y a eu la combinaison du vent et de l’effet Venturi, un effet « entonnoir » qui accélère la vitesse du feu. Castagniers, Carros, Saint-Vallier,
Saint-Cézaire, Rigaud, Lucéram… Tous ces feux d’intensité assez proche, qui ont brûlé chacun 50 à 150 hectares, ont en commun des départs assez violents, liés au vent, à la géographie
physique et à une végétation très, très sèche. À QUOI RESSEMBLE UNE JOURNÉE TYPE CES TEMPS-CI? Trois pilotes prennent leur alerte à midi ou, à la demande du Codis, plus tôt – ce qui est
arrivé souvent. La mission se termine à 20 h, ou plus, comme à Lucéram vendredi.Au coucher de soleil, on clôt les opérations; il nous reste alors trente minutes pour rentrer avant le coucher
de soleil aéronautique. EN THÉORIE, VOUS POURRIEZ INTERVENIR DE NUIT AUSSI? Certains d’entre nous sont en effet qualifiés pour les vols de nuit. Cela se fait aux États-Unis, par
exemple.Mais cela requiert des procédures particulières et un équipement supplémentaire, tel le dispositif de vision nocturne. On interviendrait alors sur des feux déjà fixés. En revanche,
de nuit, on voit très bien ce qui se passe au sol…Et cela a tendance à faciliter le travail. CET ÉTÉ, QUEL A ÉTÉ LE FEU LE PLUS COMPLIQUÉ À TRAITER? ça a commencé très fort, car le feu à
Castagniers a commencé sous des lignes haute tension.Comme mise en bouche, c’était pas mal! La formation militaire nous a appris à passer sous les lignes.Mais on n’y va pas comme ça. Pour
s’affranchir des obstacles, il a fallu beaucoup travailler les trajectoires, présentations, phases de largage, remises des gaz… IL FAUT S’ADAPTER EN PERMANENCE? C’est exactement ça. Il faut
toujours rester vigilant. Chaque chantier est nouveau, ce ne sont jamais les mêmes conditions. À CARROS, LA PROXIMITÉ IMMÉDIATE DES HABITATIONS RENDAIT VOTRE INTERVENTION TRÈS DÉLICATE? Oui,
car les largages sont soumis à l’autorisation du Commandant des opérations de secours (COS) et de la nôtre.Si on voit du monde en dessous, on ne largue pas…Sauf pour les "largages de
sécurité": on passe alors plus vite et plus haut pour brumiser. Ainsi, vous recevez une bonne douche, mais vous ne chutez pas! Ceci dit, on a une précision à 3-4 mètres près. AVEZ-VOUS
AUSSI ÉTÉ SOLLICITÉS SUR LE RÉCENT FEU D’OLIVETTA, À LA FRONTIÈRE FRANCO-ITALIENNE? Nous sommes intervenus à Breil car une partie du feu était en train de basculer en France.On a préféré
anticiper.On a opéré avec les Italiens, puis on les a laissés travailler, l’activité étant bien plus importante de leur côté. OÙ VOUS RAVITAILLEZ-VOUS SI LE LIT DES COURS D’EAU EST AU PLUS
BAS? Dans les petits «carrefours» de cours d’eau, il y a des profondeurs suffisantes pour mettre la pompe. Il nous suffit d’un rien pour pomper.Le fleuve Var nous a aidés à Carros et
Castagniers, heureusement! Si les délais de rotation avaient été plus importants à Carros, où l’on protégeait des habitations, les conséquences auraient été plus dramatiques… ET QUAND IL N’Y
A PAS DE COURS D’EAU À PROXIMITÉ? On se ravitaille dans les citernes, comme à Lucéram: on pose l’hélicoptère à côté, on ouvre la trappe et "le bar est ouvert"… Les agents de Force
06 ont aussi des camions-citernes de 10.000 litres, avec des trappes sur le dessus qu’ils peuvent nous ouvrir. COMMENT VOTRE ACTION EST-ELLE COORDONNÉE AVEC LES AUTRES? C’est le COSqui nous
désigne les objectifs, les flancs à traiter, et qui nous informe de l’arrivée des Canadair ou Tracker.Pour des raisons de sécurité, on évacue alors la zone.On en profite pour pomper ou
faire une reconnaissance sur des sautes de feu. Une personne assure en outre la régulation des moyens aériens: c’est «l’aéro». VOUS AVEZ PLUS DE SOUPLESSE, MAIS BEAUCOUP MOINS DE CONTENANCE
QU’UN DASH OU UN CANADAIR.TOUT CECI EST AU FINAL COMPLÉMENTAIRE? L’hélico intervient sur les départs de feu, puis les sautes de feu.Mais il n’éteindra jamais un feu qui a pris de l’ampleur.
En gros, un Tracker c’est 3.400 litres, un Canadair 6100 et un Dash, 10.000. L’hélico éteint 95% des feux… et les 5% restants brûlent 95% des surfaces! COMBIEN DE TEMPS VOUS FAUT-IL POUR
ÊTRE SUR ZONE APRÈS L’ALERTE? Les sapeurs-pompiers dans le préfabriqué à côté du nôtre font retentir une sonnerie. Cinq minutes après, les machines sont déjà en l’air.À Lucéram, nous étions
sur le site treize minutes après. LES POMPIERS AU SOL NE PEUVENT RIEN SANS VOUS, ET VICE-VERSA? C’est clair!Dans tous les cas, il faut qu’ils viennent avec du matériel de forestage assurer
l’extinction du feu. Le travail au sol est vraiment prépondérant. C’est comme à la guerre: les 300 derniers mètres, ça dépend des fantassins. Et ils sont plus exposés aux risques que nous.
ÉPROUVEZ-VOUS DU STRESS, DE LA PRESSION EN INTERVENTION? On est humains…Mais quand on voit des maisons brûler ou la panique s’installer, il faut rester pro et ne pas se laisser envahir. Y
A-T-IL EU DES MOMENTS TENDUS, CETTE SAISON OU LES PRÉCÉDENTES? Non.C’est comme pour un pilote automobile: vous travaillez vos trajectoires.Quand vous intervenez, vous avez préparé votre
esquive, formaté votre attaque… Il n’y a pas d’improvisation. Mais on reste vigilant.Quand une fumée blanche devient noire, soit on largue dans la seconde, soit on dégage.Car là, ça va
prendre feu dans les trois-quatre secondes…et ça peut monter à trente, quarante mètres.Dans ce cas, il ne faut pas y être! PAS DE VICTIME, PEU D’HABITATIONS TOUCHÉES… AU VU DE LA VIRULENCE
DES FEUX, ESTIMEZ-VOUS AVOIR LIMITÉ LES DÉGÂTS JUSQU’ICI? Oui, vraiment.On a eu beaucoup de chance.10 ou 20 nœuds [18,5 et 37 km/h, respectivement, Ndlr] de vent en plus, ç’aurait été
catastrophique pour le département. TROIS HÉLICOS POSITIONNÉS TOUTE LA SAISON, C’EST IMPÉRATIF À VOS YEUX? C’est la configuration minimale. Par rapport à la taille et la configuration du
département, il ne faut pas descendre en dessous. Même surle plan financier :si on en avait moins, il faudrait déployer davantage de moyens au sol, et les dégâts causés par le feu seraient
plus importants ; au final, cela coûterait plus cher. AVEZ-VOUS UN MESSAGE DE PRÉVENTION À FAIRE PASSER? Respecter le code couleur à l’entrée des massifs et faire preuve de bon sens:
attention aux outils, à la cigarette, proscrire le barbecue… Quand aux actes criminels, là, ça relève de la psychiatrie.