« The Agency » : fallait-il vraiment adapter « Le Bureau des légendes » avec Michael Fassbender et Richard Gere ?

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« THE AGENCY » : FALLAIT-IL VRAIMENT ADAPTER « LE BUREAU DES LÉGENDES » ?


Jusqu'où les Américains iront-ils pour adapter ce qu'ils ne comprennent pas ? Il fallait oser faire un remake de la série culte _Le Bureau des légendes_, chef-d'œuvre


d'espionnage feutré classé troisième meilleure série de la décennie par le _New York Times_. Canal+ l'a fait – ou plutôt a laissé faire. _The Agency_, produite par Jez et


John-Henry Butterworth (scénaristes de _Spectre_ et d'_Edge of Tomorrow_) et sortie aux États-Unis en novembre 2024 sur Paramount+, débarque en France sur Canal+, dans un étrange jeu de


duplication.


Même trame, même intrigue, même vertige existentiel que la série originale. Mais l'élégance à la française a été troquée contre l'efficacité lourde de l'industrie américaine.


Le plus ironique ? C'est qu'on ne peut pas s'arrêter de regarder.


Fini le boulevard Mortier, site d'accueil de la DGSE, ses bureaux bas de plafond et son éclairage blafard. Place à une CIA installée dans une tour de verre à Londres, mi-sarcophage


high-tech, mi-vitrine sécuritaire. Dans les cartons depuis 2017, _The Agency_ a pris son temps pour exfiltrer _Le Bureau des légendes. _Elle en a profité pour peaufiner son profilage :


Michael Fassbender joue Martian (Martien en anglais), double bodybuildé de Malotru (Mathieu Kassovitz), agent de la CIA au regard bleu acier et à la mâchoire serrée. Il revient à Londres


après une mission de six ans en Éthiopie, où il est tombé amoureux d'une universitaire soudanaise. [embedded content] Un rôle sur mesure pour un acteur en quête de rédemption. Star


adulée au début des années 2010, nommé deux fois aux Oscars (pour _Shame_ et _12 Years A Slave)_, Michael Fassbender avait enchaîné les grands rôles – avant de disparaître du radar, rattrapé


par quelques échecs (_Assassin's Creed_, Le Bonhomme de neige) et des accusations de violences conjugales. Comme si une trappe s'était ouverte sous ses pieds. Et aussi


discrètement qu'il s'en est échappé, Michael Fassbender est, ces derniers temps, de retour à l'écran. _The Killer, _de David Fincher en 2023, puis _The Insider,_ de Steven


Soderbergh en mars dernier, où il incarne la moitié d'un couple d'espions aux côtés de Cate Blanchett.


_The Agency _signe plus que jamais son grand retour. « Je suis heureux de reprendre le métier d'acteur, car je réalise que c'est la seule chose que je sais faire », a-t-il confié à


IndieWire. Autour de lui gravitent Richard Gere, en patron cérébral de la CIA européenne, Jeffrey Wright, pour dupliquer Jean-Pierre Darroussin, et Jodie Turner-Smith en intellectuelle


amoureuse.


ÉRIC ROCHANT ABSENT DU REMAKE AMÉRICAIN DU _BUREAU DES LÉGENDES_


Tout colle (presque) fidèlement à la première saison de son modèle : un agent disparu, une nouvelle recrue chargée de s'infiltrer en Iran, la difficulté de Martian à abandonner sa


fausse identité… Certaines intrigues ont été déplacées, ou remodelées : le personnage central opère non plus au Moyen-Orient, mais au Soudan, et la Russie devient un terrain de jeu plus


explicite, actualisant la tension géopolitique.


« Dès le début, mon rôle était d'être l'interface avec les Américains pour préserver l'ADN du_ Bureau _et l'écriture d'Éric Rochant, explique Alex Berger, détenteur


des droits de la série française. Cela n'empêche pas _The Agency_ de dévier de son modèle, avec une géopolitique plus actuelle, certaines arches narratives un peu différentes, des


scènes d'action plus fortes et des moyens plus amples. »


Le hic ? La série ne profite pas du changement de pays pour insuffler de nouvelles approches, qui auraient pourtant permis aux fans du _Bureau des légendes_ de découvrir des différences dans


le fonctionnement des agences de renseignement. Et ce qui, chez Éric Rochant, se distillait avec pudeur et acuité devient ici mécanique, voire démonstratif. Car _Le Bureau des légendes_


cultivait la discrétion, et les silences lourds de sens. _The Agency_ préfère les répliques martelées et une bonne dose de scènes d'action – des fusillades chorégraphiées aux


hélicoptères qui explosent… On est passé de Jean-Pierre Melville à Jason Bourne !


Le problème est peut-être là. Éric Rochant n'a pas participé au remake. Ni au scénario, ni à la production, ni à la réalisation. Il n'est même pas crédité au générique. Ce sont


Alex Berger et Pascal Breton qui ont accompagné les Américains. Résultat, on a beau repeindre le décor, copier les arcs narratifs, traduire les dialogues et disposer de moyens à faire passer


la DGSE pour une PME, l'âme n'y est pas.


UN REMAKE ADDICTIF, MAIS INUTILE, AVANT DE VOIR LA SUITE DU _BUREAU_


Soyons honnêtes : alors que nous sommes affalés dans le canapé le dimanche soir, _The Agency_ se regarde avec un certain plaisir. Le rythme est bon, la tension bien posée. C'est


accrocheur, calibré, soigné. Mais, pour qui a aimé _Le Bureau des légendes_, l'expérience évoque une visite guidée au musée Grévin, dans un décor familier où les personnages auraient


été échangés par de pâles copies. On s'amuse à reconnaître les silhouettes, les situations, les enjeux. Mais la finesse a disparu.


Et surtout, elle manque cruellement de pertinence pour le spectateur français. _The Agency _est disponible sur Canal+, le même qui a diffusé _Le Bureau_. De quoi frôler l'absurde :


pourquoi proposer une copie – même bien faite – à ceux qui ont déjà dégusté l'original ? À moins de supposer que la mémoire collective n'excède pas cinq ans ou que les abonnés de


Canal+ ont changé depuis 2020. Et ironie du calendrier : début novembre, Alex Berger a révélé que _Le Bureau des légendes _aurait une suite, centrée sur les relations avec l'Afrique.


Alors, quelle utilité ? _The Agency_ plaira aux Américains accrochés à leurs téléviseurs qui n'ont jamais vu _Le Bureau_. Soit. Pour eux, cela sera sans doute un choc. Mais, pour nous,


Français, il s'agit d'une opération marketing doublée d'un non-sens éditorial. En France, on passe.