Les streameuses condamnées à affronter seules le cyberharcèlement qu’elles subissent lors d’événements

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Après avoir percuté samedi la voiture d’un autre participant du GP Explorer 2, la vidéaste Manon Lanza se fait cyberharceler. Un lynchage bien connu des streameuses, qui se sentent


cantonnées à un rôle d’éducation autour du harcèlement en ligne. Publicité «_Femme au volant, accident au tournant_», «_Manon elle a tué la course de Maxime, elle peut crever_» ou encore


«_T’as pas honte Manon?! Pourquoi on invite des femmes à ces événements ? Ne l’invitez plus jamais_»... Depuis samedi 9 septembre, le prénom «_Manon_», de la youtubeuse Manon Lanza, a fait


partie des mots-clés les plus mentionnés de X (anciennement Twitter) tout le week-end. Sur le réseau social, les internautes sont des milliers à appeler au viol, voire au meurtre de la jeune


femme. Les mêmes messages violents se multiplient dans les commentaires de la page Instagram de la streameuse et sous les vidéos de sa chaîne YouTube. À l’origine de cette violence, le GP


Explorer 2, la course auto organisée par le youtubeur Squeezie et diffusé en direct sur la plateforme de streaming Twitch. Lors de l’événement, qui s’est déroulé au Circuit Bugatti du Mans,


la vidéaste Manon Lanza a percuté la voiture du très populaire streamer Maxime Biaggi. À la suite de l’incident, les deux participants ont été éliminés de la course. La jeune femme a fini à


l’hôpital et se remet actuellement d’un choc thoracique et d’une hernie aux cervicales. Mais elle doit aussi affronter le déferlement de haine de la part d’une partie de la communauté du


streamer, qui la juge responsable de son élimination. « _Je suis choquée d’atterrir en top tendances sur X devant un tremblement de terre meurtrier au Maroc_»_,_ a-t-elle réagi lundi dans


les colonnes du Parisien_. _« _Ils se servent de moi pour remettre une couche de sexisme_». Du côté de l’organisation du GP Explorer, c’est seulement le lendemain de la course, le dimanche


10 septembre, qu’un message de soutien officiel à Manon Lanza a été publié. Et, à l’heure actuelle, Squeezie, le principal instigateur de cette course de F4, n’a pas communiqué sur le


cyberharcèlement que subit la youtubeuse. >  Le streamer Maxime Biaggi, percuté dans sa course par Manon Lanza, s’est fendu d’un simple_ «Force à Manon»_ dans une story éphémère sur


Instagram. Sur son compte X, il n’a pas appelé sa communauté à soutenir la jeune femme ou à éviter toute forme de harcèlement à son encontre. «_ Comment est-ce possible que les organisateurs


et les 24 participants dans leur ensemble n’aient pas condamné de façon commune ce cyberharcèlement?_», s’interrogent plusieurs internautes. DES ORGANISATEURS QUI VEULENT ÉVITER D’ÊTRE


CLIVANT «_ C’est un problème que l’on voit depuis le Zevent, l’événement caritatif organisé sur la plateforme Twitch par le streamer Zerator_»_, _explique la streameuse Nat’ali, fondatrice


de l’association Furax qui lève des fonds contre les violences faites aux femmes. «_Ces événements, comme celui-ci, sont essentiellement organisés pour les hommes et par les hommes. Les


femmes sont peu nombreuses et, en amont, il n’y a aucun dispositif pour éviter le cyberharcèlement des invitées_». Lors de l’édition du Zevent organisé en 2021, la streameuse Ultia, invitée


à l’événement, avait dénoncé en direct le comportement sexiste du youtubeur Inoxtag envers une autre influenceuse. Pour la jeune femme, cette prise de parole de quelques minutes a entraîné


un cyberharcèlement immédiat. Il dure depuis près de trois ans. En octobre dernier, Ultia a même décidé de porter plainte après une énième vague de menace de viols et de mort sur les réseaux


sociaux. Mais du côté du Zevent en 2021, aucun message de soutien de la part de l’organisation, ne serait-ce que pour condamner les dangers du cyberharcèlement, n’a été publié avant


plusieurs heures. «_ Les vidéastes qui organisent ces événements sont d’abord concentrés sur le fait de faire des vues et de poursuivre le storytelling autour de leur réussite personnelle_»,


poursuit Nat’ali. UN MANQUE DE PRÉVENTION EN AMONT L’association Nous Toutes a publié ce week-end un communiqué pour appeler les organisateurs d’événements en ligne à prendre leur


responsabilité. «_ Cela passe par une tolérance 0 face au harcèlement : si un internaute harcèle une participante, il doit être banni des chaînes. Il faut des rappels avant, pendant et après


l’événement ainsi qu’une mise en avant des femmes souvent reléguées au second plan_», détaille ledit communiqué. >  «_Il ne faut pas oublier que la plupart de ces youtubeurs ou streamers


populaires sont jeunes. Ils sont vus comme des génies par leur communauté et ils n'ont jamais eu à subir une telle violence sociale_», reprend la streameuse Nat’ali. Une starification


qui pousse les influenceurs en question à éviter les sujets clivants, synonymes de perte d'abonnés et d'argent. Et donc à ne pas faire la prévention jugée nécessaire par la plupart


des streameuses et des associations comme Nous Toutes. «_ Être clivant en dénonçant le cyberharcèlement de leurs collègues féminines ça n'est pas une option, donc généralement les


organisateurs mettent un _“_pansement_”, note la streameuse. _En somme ils communiquent après l'événement, de façon maladroite et individuelle_». LES FEMMES ABSENTES DES GRANDS


ÉVÉNEMENTS Plutôt de travailler à une véritable prévention, certains streamers préfèrent même éviter d’inviter leurs collègues féminines. En novembre 2022, le streamer Amine a organisé un


match de foot, le Eleven All Stars, entre des streamers français et espagnols. La rencontre a réuni plus d’un million de spectateurs sur le direct diffusé sur Twitch et battu un record


d’audience sur la plateforme. Mais aucune femme ne faisait partie de l’événement. Ce dernier avouera dans un direct ne pas vouloir «_qu’elles se fassent harceler_», en participant à ce


match. Pour sensibiliser, il lancera avec son ami et streamer Billy un projet intitulé «_Place de la paix_», qui vise à aider les chaînes Twitch à signaler les messages jugés déplacés envers


les streameuses. >  En juin dernier, s'est tenu le show «_Zen au Zénith_». Un événement qui tient son nom de l’émission «_Zen_», coanimée par les streamers Maxime Biaggi et Grim,


diffusée sur Twitch. Pour la dernière de la saison, les deux partenaires ont organisé une émission en direct, depuis le Zénith à Paris et réuni dans la salle plus de 5000 personnes.


Seulement, sur la myriade d'invités, une seule femme était conviée : la youtubeuse Léna Situations. > Les femmes actives sur Twitch sont mises en lumière uniquement dans > les 


pires situations qu'elles peuvent subir. Au détriment de nos > projets et du travail que l'on fournit en amont. > La streameuse Nat’ali, fondatrice de l’association Furax, 


qui > récolte des fonds contre les violences faites aux femmes. Une absence qui a des conséquences. «_ Notre présence reste tellement rare dans ces événements qu'elle paraît


exceptionnelle. De fait, lorsque nous sommes enfin présentes, nous sommes interrogées uniquement là-dessus,_ rétorque Nat’ali. _Par exemple lors_ _du GP Explorer_ _de ce week-end, les


journalistes ont demandé aux streameuses Horty et Baghera ce que cela faisait d'être dans une écurie 100% féminine; c'est dommage de réduire leur participation à cela_». LES


STREAMEUSES CANTONNÉES À UN RÔLE D’ÉDUCATION SUR LE CYBERHARCÈLEMENT À défaut d’avoir des collègues masculins suffisamment informés sur la question du cyberharcèlement, les streameuses sont


contraintes de constamment communiquer sur le sujet. Et ce, dès que cette situation se présente pour elle-même ou l’une de leurs collègues. Ainsi, en octobre 2022, la streameuse Maghla a


écrit tout un fil sur X, pour raconter le harcèlement fréquent qu’elle subit et les conséquences pour sa santé mentale. «_ Nous sommes seules à nous exprimer là-dessus et, du coup, lorsqu’il


se passe une situation comme celle que subit actuellement Manon, les médias n’interrogent que nous _», décrit Nat’ali. En somme, les femmes actives sur Twitch sont mises en lumière


uniquement dans les pires situations qu’elles peuvent affronter. «_Au détriment de nos projets et du travail que l’on fournit en amont_», souligne la streameuse. «_ Par moments, on perd


espoir, on se dit que même si un jour une streameuse met fin à ses jours après avoir subi du cyberharcèlement, personne ne réagira_», assure la vidéaste. «_Après tout, Manon était déjà à


l’hôpital lorsqu’une partie des internautes ont commencé à la harceler et vouloir sa mort_», conclut-elle, amère.