La chronique du temps présent d'astrid eliard ou comment réapprendre la désobéissance

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Parmi les tous premiers mots, avant même « mam-mam » – qui n’est pas vraiment un mot, plutôt un borborygme, mélange probable de « manger » et « maman » – se détache le plus capital d’entre


tous : « NON ». Si les bébés l’emploient si vite, c’est que « Non » est plus rentable que son opposé « Oui ». « Non » peut imposer un choix, décider d’une direction. Je ne pense pas avoir


été une exception, et j’imagine que moi aussi, j’ai beaucoup pratiqué le « non » à un âge où mon vocabulaire se comptait sur les doigts d’une main, un âge où je n’avais pas encore perdu la


désobéissance.  MES PREMIÈRES INDOCILITÉS Parce que voilà mon point : j’ai essayé de me souvenir de mes premières indocilités, et franchement, à part la fois où j’ai soustrait de la valise


la belle robe repassée de frais que j’étais censée porter pour la communion de ma cousine, je ne vois pas trop... On m’a même souvent complimentée, plus tard, pour la façon dont je m’étais


accommodée – si bien ! et toujours avec le sourire – des barreaux de parcs pour bébé, des chaises hautes, des portes fermées, des signes de l’index pour interdire l’accès. Oh, je crois que


je pourrais en écrire un rayon, sur l’obéissance.  Ce qui m’intéresse, c’est de savoir d’où elle vient, et j’ai pensé tout récemment qu’elle n’était peut-être pas seulement le fruit de mon


éducation, mais qu’elle résultait aussi de ma place dans l’histoire du XXe siècle. Oui, c’est un peu pompeux dit comme ça, mais je crois que je tiens une piste. Je suis une fille de la chute


du mur de Berlin, une contemporaine de la Fin de l’histoire de Fukuyama. C’est ainsi qu’on nous montrait l’Histoire, alors, comme une sorte de règle graduée traversant les âges, de la


barbarie à la paix entre les peuples.  LIRE LE RÉPERTOIRE DES SUBVERSIONS Aujourd’hui, alors que l’homme le plus puissant de la planète ressemble au méchant dans James Bond, je me suis dit


que j’allais devoir renouer avec le « non » des prémices. J’ai commencé par acheter le Répertoire des subversions, de Martin Le Chevallier (éditions Zone). Allez-y, vous aussi, vous y


apprendrez comment un certain Henri Muratet usurpait le port de l’étoile jaune sous l’Occupation (la sienne portait l’inscription « Auvergnat ») ou comment le collectif des « Panthères roses


», dégoûtées par l’exploitation consumériste de la Saint-Valentin, est allé vomir dans les restaurants de Montréal, le 14 février 2004. Je me demande comment tout cela va se terminer. Les


chroniques du temps présent s'inscrivent dans la tradition créée par Alexandre Vialatte.