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ENTRETIEN AVEC ALAIN BENSOUSSAN Alain Bensoussan est avocat à la Cour d’appel de Paris. Spécialiste du droit de l’informatique, il milite en faveur des droits de l’homme numérique et d’un
droit des robots. Il revient sur le tsunami Pokemon Go et décrypte les questions de droit liées à la réalité augmentée. propos recueillis par Alexandre Foatelli Publié le 08 décembre 2016
Plusieurs projets de jeux en réalité augmentée vont arriver ou le sont déjà avec Microsoft, Apple, Ubisoft. Cet été avec Pokemon Go, plusieurs faits marquants ont été recensés, que ce soit
des rassemblements massifs, des attroupements autour du domicile de certains particuliers, ou encore la présence de joueurs dans des tribunaux, des commissariats ou des lycées. Est-ce que
tous ces faits, inhérents à la réalité augmentée, remettent en question « l’espace public » ? Alain Bensoussan : En fait cela remet plutôt en question tous les espaces.Il existe deux mondes,
le monde physique et le monde virtuel. Le jeu Pokemon Go a fait comprendre aux gens ce qu’est le monde virtuel. Les gens disent : « Il y a des Pokemon chez moi ». Mais en réalité ils ne
sont pas chez eux… Que veut dire « chez eux » ? On voit bien que le monde virtuel apparaît en fait comme un plug-in sur le monde réel. Mais il n’y a rien chez eux. Il n’y a donc pas de
réelle remise en cause de l’espace physique, dans le sens où, s’ils arrêtent le jeu, il n’y a plus rien. Le jeu projette une situation, que je qualifierais d’« émergente » sur leur
smartphone. Dans ce cas de figure, ce n’est pas la notion « d’espace », mais la notion de « localisation » qui est l’élément crucial. Ce n’est pas, à mes yeux, le droit des espaces qui est
remis en cause, c’est le droit de la géolocalisation, et le fait de projeter sur cette localisation différentes informations – en l’occurrence une réalité - sur un smartphone. Existe-t-il un
droit de la « géolocalisation » ? Alain Bensoussan : Oui, le droit de la géolocalisation existe. Mais il n’existe pas s’agissant de l’environnement Pokemon Go. Le droit de la
géolocalisation existe au plan de l’ordre public : la géolocalisation constitue effectivement un élément pouvant porter atteinte à la vie privée des personnes et qui est, à ce titre, soumis
au contrôle du juge, notamment lorsque l’on géolocalise de manière occultequelqu’un pour suivre ses déplacements, via son smartphone, ou par exemple pour placer un émetteur dans sa voiture.
Le deuxième cas, c’est la géolocalisation que je qualifierais de « géolocalisation informatique et libertés » : géolocaliser une personne, c’est obtenir, à condition de connaître son nom et
son prénom, ses références et dans ce cas, c’est tout le droit de la protection des données à caractère personnel qui s’applique. Il y a enfin un troisième grand volet de la géolocalisation
: ce sont les déplacements des personnes identifiées sur l’espace public par des moyens publicitaires. Et dans ce cas, il faut une autorisation de la CNIL. Dans le cadre du jeu Pokemon Go,
cela ne s’applique pas ? Alain Bensoussan : Non, car ce sont les joueurs qui projettent une réalité sur leur smartphone. Ici, la réalité virtuelle est intéressante parce qu’on se trouve dans
la même situation que si on envoyait aux joueurs un film qui se modifie en fonction de leur géolocalisation. S’agissant de _Pokemon Go_, c’est vous qui lancez un jeu. Et le jeuest
géolocalisé. Mais le Pokemonn’est pas dans mon bureau. Il n’y a que mon petit-fils de quatre ans qui peut penser qu’un Pokemon peut se trouver dans mon bureau. Parce qu’il croit encore au
Père Noël ! En fait, il n’y a pas de remise en cause de l’espace public ? Alain Bensoussan : > Tout l’intérêt de la réalité virtuelle, c’est qu’on a > créé une réalité qui n’existe pas
! Non parce qu’on ne touche pas à cela. Par contre il y a des points de géolocalisation quand même, parce que si je mets un Pokemon dans le jeu qui est en train d’être géolocalisé, il
apparaît effectivement dans le lycée, mais c’est parce que le smartphone est dans le lycée, pas le Pokemon ! Il y a une dérive de perception, et c’est tout l’intérêt de la réalité virtuelle,
c’est qu’on a créé une réalité qui n’existe pas ! Dans les cas où les gens s’introduisent dans des tribunaux, des commissariats ou des lycées, le jeu peut-il être tenu pour responsable ?
Alain Bensoussan : Certains points de géolocalisation peuvent poser problème. D’une certaine façon, les Pokemon se trouvent bel et bien dans le lycée, le tribunal ou le commissariat. Mais
pour les attraper, encore faut-il s’y trouver. Il y a donc bien une emprise sur l’espace réel. Mais celui-ci n’est pas remis en cause par le virtuel, il l’est par la personne qui savait
qu’elle pénétrait dans l’enceinte d’un tribunal par exemple. Le fait de s’introduire, dans le cadre du jeu, dans certains lieux comme les tribunaux doit-il être proscrit par la loi ? Alain
Bensoussan : > Il y a incontestablement un déficit de réglementation Cela l’est déjà ! Il existe tout un arsenal juridique. Aujourd'hui, les textes qui régulent l'interdiction
d'entrer dans des lieux privés ne sont pas modifiés par le jeu. Si vous venez chercher un Pokémon dans mon bureau, cela risque de vous coûter cher ! Nul n’est besoin de créer un nouveau
texte, vous n'avez pas le droit d'entrer chez moi pour chercher un Pokemon ! Ce droit s’applique-t-il également pour les tribunaux, les commissariats ou les lycées par exemple ?
Alain Bensoussan : À tous ces endroits, de la même façon que pour une centrale nucléaire. La question qu’on peut se poser, c’est celle de la responsabilité de l’éditeur qui « place » sur des
points de géolocalisation, des éléments de jeux qui vont entraîner une incitation, pour des enfants par exemple. Faut-il adopter une réglementation spécifique sur ce point ? Ma réponse est
oui ! Il y a incontestablement un déficit de réglementation. Mais encore une fois, ce n’est pas le problème des espaces, c’est le problème de l’éditeur. Dans le cas de rassemblements pouvant
survenir à cause du jeu, quelles sont les limites légales qui s’imposent ? Alain Bensoussan : Il existe une réglementation sur les manifestations. Si par exemple quelqu’un organise une
réunion sur l’espace public,il faut qu’il définisse les raisons de cette demande et qu’il obtienne l’autorisation, de la part de la préfecture. Il y a violation de domicile si des joueurs
s’introduisent chez autrui. Mais peut-on s’opposer légalement à ce que son domicile fasse partie du jeu ? Alain Bensoussan : En théorie, le Pokemon qui se trouve à cet endroit ne peut pas
être attrapé, c’est tout. Il est neutralisé par l’accès, et par la conscience qu’a la personne de ne pas violer un domicile. On se situe exactement dans la même situation qu’une course aux
œufs de Pâques, et que vous mettez des œufs dans ma propriété pour que vos enfants aillent les chercher. En l’état, est-il possible de décréter : « Chez moi je ne veux pas qu’il y ait des
Pokemons » ? Alain Bensoussan : À mon avis non, je ne crois pas. Sauf à interdire cela à l’éditeur, parce qu’il y a, malgré l’interdit, des comportements qui posent problème. Et c’est la
raison pour laquelle il faut que ceux qui organisent une réalité virtuelle adoptent des règles. La première règle devrait consister précisément à respecter le monde physique. Que devrait
contenir cette réglementation que vous appelez de vos vœux et quelles seraient ses dispositions principales? Alain Bensoussan : Nous avons une commission « réalité virtuelle » au sein de
l’Association du droit des robots que je préside, et j’attends les conclusions de cette commission sur ce point. Je pense toutefois qu’on devrait réguler cette question. Sinon, on risque
d’assister aux mêmes désordres que l’on rencontre avec les drones. Dès que les technologies de la réalité virtuelle vont se démocratiser et seront utilisables très facilement, il y a de gros
risques à cause de ce problème de compréhension. La réalité virtuelle « violente » la réalité physique.