Noëlle herrenschmidt : une vie d’« aquarelliste reporter », en cinq dessins

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_« Ce dessin représente typiquement ce que je pense être mon rôle : prendre le lecteur par la main et l’emmener dans une salle d’audience », _explique Noëlle Herrenschmidt dans son atelier à


Sceaux, en région parisienne.  © Crédits photo : Florine Amenta Pour retranscrire une ambiance, une émotion et laisser une trace, les dessinateurs d’audience ont un rôle majeur auprès des


journaux. Rencontre avec l'une d'entre eux. Florine Amenta Publié le 20 novembre 2023 Le rendez-vous se fait à _« la maison du bonheur »_, où vit Noëlle Herrenschmidt, à Sceaux,


dans les Hauts-de-Seine. Nul besoin de décrire ce lieu, il est exactement comme on imaginerait une demeure familiale de banlieue parisienne avec son jardin verdoyant, le calme de sa rue et


son architecture pavillonnaire. Cheveux blancs et courts bien coiffés, l’aquarelliste m’accueille avec un grand sourire. Veste en cuir sur le dos et léger foulard blanc noué autour du cou,


Noëlle Herrenschmidt m’emmène au fond du jardin, dans un atelier ajouté à la maison achetée il y a soixante ans. Un petit salon où elle entrepose ses archives et son matériel mais dans


lequel elle ne dessine jamais._ « Je ne suis pas une artiste enfermée dans mon monde. Mon monde intérieur, c’est les autres. » _Noëlle Herrenschmidt n’a d’ailleurs pas aimé dessiner son chez


elle pendant le confinement. > _« L’avantage du dessin, c’est de saisir des choses > insaisissables »_ Elle commence par travailler comme dessinatrice de presse jeunesse pour _Pomme


d'Api_, _Astrapi_, _Okapi_ et d'autres titres du groupe Bayard. Puis, à 47 ans, Noëlle Herrenschmidt cherche une autre voie. Elle se rend alors dans une salle d’audience pour


assister à un procès d’assises. Carte de presse en poche, elle s’assoit au banc des journalistes. Le procès débute. C’est un _« éblouissement »_. _« Je me suis dit : ma vieille, tu es faite


pour ça. »_ Travaillant déjà dans les locaux de la rue Bayard, elle n’a qu’à monter à l’étage pour toquer à la porte de _La Croix_. Un mois plus tard, la voilà en train de couvrir le procès


de Klaus Barbie. Suivront les procès Papon, Clearstream, ceux du 13-Novembre, et tant d’autres. Là où les appareils photos sont interdits, elle utilise ses pinceaux. Elle nous raconte. KLAUS


BARBIE (1987) Fille d’une aquarelliste, elle n’apprend que très tard que son père, décédé lorsqu’elle était jeune, était avocat. _« Ce n’est sûrement pas un hasard que je sois si intéressée


par le milieu judiciaire. » _À Lyon pour suivre le procès de Klaus Barbie — ancien chef de la Gestapo de Lyon, jugé pour crimes contre l’humanité — Noëlle Herrenschmidt vit une première


expérience hors du commun : _« C’était un procès absolument terrible. » _Elle ne connaît alors rien à la justice. Là-bas, elle fait la connaissance de Pierre Truche, procureur général, _« 


une personne exceptionnelle »_. Il la prend sous son aile. _« Il m’a donné toutes les bases pour comprendre comment se construit un procès. »_ > _« Où est la couleur ? »_ Plume en main et


assise tout près de l’accusé, Noëlle Herrenschmidt réalise des portraits de Klaus Barbie à l’encre de Chine pour _La Croix_. _« À L’ÉPOQUE DU PROCÈS DE KLAUS BARBIE, JE NE M’INTÉRESSAIS PAS


AUX DÉCORS, MAIS UNIQUEMENT AUX PERSONNAGES. » _ILLUSTRATION NOËLLE HERRENSCHMIDT _« J’ai voulu montrer ses deux visages. Celui du début, terrifiant, avec un visage implacable, puis le


changement, l’espace d’un instant, lorsque le procureur lui parle de sa famille et de ses enfants. » _L’avantage du dessin dans cette situation : _« pouvoir représenter ce qui dure trois


secondes, saisir des choses insaisissables. »_ Mais avec ces portraits, on l’interroge : _« Où est la couleur ? »_ Finis, les dessins à l’encre noire, Noëlle Herrenschmidt ressort sa boîte


d’aquarelle, cadeau de ses 18 ans. La cinquantaine presque atteinte, la voici devenue_ « aquarelliste reporter »_,_ « du jour au lendemain. » _Pourquoi _« reporter » _? Parce qu’en plus de


ses dessins d’audience, elle parcourt le monde avec ses pinceaux, de Calcutta auprès de Mère Teresa, au Vietnam avec les boat people, en passant par le Vatican. Au tribunal ou en reportage,


la dessinatrice peint de la main droite et écrit de la gauche. Être gauchère :_ « La chance de ma vie »_. Mais dans les années 1950, _« c’était la mauvaise main, hors de question d’écrire


avec. On m’a appris à travailler avec la droite. » _Ambidextre, elle peut prendre des notes et ajouter des commentaires sans stopper sa progression sur l’aquarelle. _« Je n’ai pas les yeux


rivés sur mon dessin, lorsque je peins, c’est automatique. »_ MAURICE PAPON (1997) _« J’ÉTAIS DEVANT UN HOMME QUI LISAIT SON JOURNAL DANS SON PETIT SALON, IL ALLAIT ENTRER DANS SON PROCÈS.


IL AVAIT LA CERTITUDE D’AVOIR FAIT CE QU’IL FALLAIT, IL N’A JAMAIS DOUTÉ. » _ILLUSTRATION NOËLLE HERRENSCHMIDT En 1997, pour _Le Monde, _elle se retrouve avec Maurice Papon au tribunal de


Bordeaux, dans un petit cabinet accolé à la pièce principale. Il est alors accusé de complicité de crimes contre l’humanité pour sa participation à la déportation de juifs entre 1942 et


1944. À quelques minutes de l’entrée de Papon dans la salle d’audience, elle lui demande l’autorisation de le dessiner. Il lui accorde. Il tient à ce moment-là le journal _Le Monde _du jour,


qui lui consacrait sa Une. _« Et nous avons discuté de la couleur de sa chemise. “Ce n’est pas rose, c’est cyclamen”, m’a-t-il lancé. » _En dix minutes, elle lui peint le portrait. À cette


époque, un homme à vélo venait récupérer les grandes feuilles de l’aquarelliste aux portes du palais de justice. Le dessin partait direction Paris par le train. _« Mon mari allait le


récupérer à la gare le lendemain pour le déposer à la première réunion de travail, vers 7 heures, au_ Monde_. »_ Le suivi de ce procès donnera lieu à quasiment un dessin par jour publié sur


quatre colonnes pendant sept mois. Jamais aucune consigne n’est donnée à la dessinatrice, _« on me faisait une confiance totale. »_ DES ACCÈS EXCLUSIFS (1997) Noëlle Herrenschmidt peut se


déplacer partout dans l’enceinte judiciaire. Là où les dessinateurs ont normalement des places attitrées, elle peut s’installer pratiquement où elle le souhaite. Son secret ? _« Mon âge,


mais pas que ! Il y a aussi de l’expérience, je sais m’y prendre. »_ Pour avoir des accès exclusifs, l’aquarelliste s’est toujours fondue dans le décor. Montrer qu’on ne fait pas de remous


est primordial. Habillée en noir, sans prendre plus de place que la largeur de ses épaules sur les bancs, elle porte toujours un gilet à 18 poches. Carnets, pinceaux, taille-crayon… Il


contient tout ce dont elle a besoin. Parfait pour qu’elle ait toujours ce qu’il lui faut sur elle. Elle peut ainsi se faire discrète. _« Le maître mot : ne pas déranger. C’est vital ! »_


Seule fantaisie : ses boucles d’oreilles pendantes souvent colorées. > _« Là où les appareils photos ne sont pas les bienvenus, le > dessin est accepté »_ En publiant en 1995, avec le


magistrat Antoine Garapon, _Les Carnets du palais_ (éditions LexisNexis) — un livre montrant, via l’aquarelle, l’envers du décor du monde judiciaire — Noëlle Herrenschmidt se fait un nom


dans le milieu. _« SUR CETTE TABLE DES DÉLIBÉRATIONS, ON VOIT L’URNE DANS LAQUELLE SE TROUVAIENT LES BULLETINS DÉPOSÉS PAR LES JURÉS. » _ILLUSTRATION NOËLLE HERRENSCHMIDT À la fin du procès


Papon, alors qu’elle assiste à une session d’assises au palais de justice de Paris, aux côtés du dessinateur Riss, le président lui conseille de se rendre dans le lieu le plus important :


celui où se trouve la table des délibérations. _« Face à cette table, c’était un moment inouï. Il y avait encore les canettes, les stylos, les papiers de la délibération. Rien n’avait bougé.


Personne n’avait jamais pu dessiner cela avant. »_ Pour l’aquarelliste, c’est aussi ça, la beauté du dessin de procès. Là où les appareils photos ne sont pas les bienvenus — _« c’est


beaucoup trop intime » —_, le dessin est accepté. CLEARSTREAM (2009) _« AVEC LE PREMIER DESSIN À 17 H 45, JE NE M’ATTENDS PAS À AVOIR CE RÉSULTAT. CE QUI SE PASSE APRÈS, C’EST SURPRENANT. IL


N’Y A PAS DE CERTITUDE DANS LA JUSTICE. » _ILLUSTRATION NOËLLE HERRENSCHMIDT Pour ne jamais être limitée par la taille de son support, l’aquarelliste dessine sur un format A3. Lors du


procès de l’affaire Clearstream, suivi pour _Le Monde__ _en 2009, elle prend le parti de représenter chacun des concernés, les uns après les autres. En commençant par le général Philippe


Rondot dans le coin gauche de sa feuille, elle ne pense pas encore à illustrer chaque personnage de l’affaire, chronologiquement. Mais elle repère rapidement une contradiction dans leurs


discours et décide de l’illustrer. _« Chacun a sa vérité et c’est à l’image totale de la justice et du procès. J’adore ! » _Elle précise d’ailleurs à l’écrit (et rédigé de la main gauche) :


_« confrontations entre le général Rondot et les prévenus. »_ > _« Je n’ai pas vraiment la notion du beau dessin »_ Attentive aux expressions et à ce que chacun dit, Noëlle Herrenschmidt


n’a pas le temps de trop réfléchir. _« L’aquarelle est ma complice directe. Si ça fait une tache ou ça dérape, très bien, on va laisser déraper ! » _Dans cette création du 7 octobre 2009,


elle fait le choix de costumes blancs, _« pour mettre en valeur les visages. » _Et si elle n’est pas satisfaite du résultat, elle préfère recommencer. _« Je n’ai pas vraiment la notion du


beau dessin. S’il ne me convient pas parce qu’il n’est pas conforme à ce que je veux, j’en fais un autre. » _Pour se rendre compte du résultat une fois la peinture sèche, elle attend les


interruptions d’audience pour dégainer son sèche-cheveux de poche. _« DANS MON SAC, J’AI TOUJOURS LA MÊME BOÎTE D’AQUARELLE, AVEC LES MÊMES COULEURS QUE CELLE DE MES 18 ANS, ET MON PETIT


SÉCHOIR QUI EST FORMIDABLE. » _PHOTO FLORINE AMENTA ATTENTATS DU 13-NOVEMBRE (2021) Après avoir collaboré à _La Croix_, au _Monde_, au _Figaro_ ou encore à _Marie-Claire_, Noëlle


Herrenschmidt vend ses dessins du procès des attentats du 13-Novembre 2015 à plusieurs titres dont _Le 1_ et _L’Obs_. Mais elle décide surtout d’en faire un livre (_Juger le 13-Novembre_, La


Martinière, 2022) pour avoir une _« liberté totale ». _À l’instar des procès Barbie, Touvier ou encore Papon, celui de _« V13 »_, a été enregistré pour l’histoire. L’aquarelliste, alors


âgée de 82 ans, décide de se glisser là où l’enregistrement se fait. _« EN ÉTANT DANS CETTE PIÈCE, ON POUVAIT DISCUTER ET BOIRE DU CAFÉ EN AYANT PLEIN DE POINTS DE VUE DIFFÉRENTS. J’AI DÛ


DESSINER DEBOUT. ASSISE, JE NE VOYAIS PAS BIEN. » _ILLUSTRATION NOËLLE HERRENSCHMIDT Carnet posé sur une grande poubelle, deux jours durant, elle peint debout en alternant les plans de la


salle d’audience en contrebas et ceux de l’équipe technique derrière les écrans. De septembre 2021 à juin 2022, la dessinatrice doit relever un nouveau défi : celui de capter les émotions et


les expressions de chacun derrière les masques chirurgicaux. Seuls les yeux des personnes permettent d’en rendre compte. _« C’est un excellent exercice, c’est perturbant et ça l’est encore


plus lorsqu’ils retirent le masque. »_ Ce procès est aussi celui durant lequel la dessinatrice met le plus en avant les décors, une vraie progression qu’elle constate en comparant avec ses


premières illustrations. _« Mais_ V13 _était probablement mon dernier procès. »_ > _« La télé ne remplacera jamais la vitesse d’un > dessinateur »_ Ne lui parlez pas du futur de son


métier de dessinatrice d’audience, elle en est certaine, _« la relève est faite ! »_ Et ce n’est pas le décret d’avril 2022 autorisant l’enregistrement des audiences qui va l’inquiéter : _« 


La télé ne remplacera jamais la vitesse d’un dessinateur. Nous pouvons faire des gros plans, alors que les caméras filment en grand-angle ; ce qui est intéressant, ce sont les plans


rapprochés. »_ Pleine d’énergie, à 83 ans, Noëlle Herrenschmidt ne compte en fait jamais vraiment s’arrêter. Malgré quelques pertes d’équilibre, elle enchaîne d’ailleurs les allers-retours


dans son petit atelier de Sceaux. Au mur, une idée de sa future activité : _« des dessins de maisons, quelque chose de lucratif, ça me changera ! J’ai dessiné tout ce qui était dessinable.


Maintenant, je n’ai plus qu’à m’amuser. »_ LA JUSTICE SOUS L'ŒIL DES MÉDIAS - ÉPISODE 4/7 Qu’est-ce qu’un grand procès ? Qui décide comment sont archivés ces moments historiques de la


justice ? Comment avoir accès par la suite aux documents ? Tant de questions auxquelles nous allons répondre dans cet article.