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Vincent Chabault décrit et analyse le commerce de la librairie dont les mutations récentes sont notamment liées à l’essor du numérique. Louis Wiart Publié le 04 mars 2019 La question de
l’obsolescence des librairies et de leur disparition éventuelle est aujourd’hui débattue. Les difficultés récurrentes de la Fnac, la faillite des réseaux de magasins Virgin et Chapitre en
2013, la fermeture de telle ou telle librairie de quartier, le recul des clubs de livres comme France Loisirs, alimentent un discours pessimiste relayé dans la sphère médiatique. Partant de
ce constat, le sociologue Vincent Chabault rappelle que les positions défaitistes sur le commerce de la librairie ne datent pas d’hier. Dès la fin du 19e siècle, l’apparition de rayons
livres au sein des grands magasins a été largement critiquée. Cinquante ans plus tard, il en a été de même lorsque les supermarchés se sont lancés dans cette activité commerciale, suivis
dans les années 1970 par les grandes surfaces culturelles. Pour maintenir un réseau dense de librairies indépendantes, des réponses ont été apportées par les pouvoirs publics, comme la loi
de 1981 sur le prix unique1. Toutefois, les années 2000 ont marqué le développement inexorable des cybermarchands et le retour en force des préoccupations sur l’avenir de la filière. Dans ce
contexte, l’objectif du dernier ouvrage de Vincent Chabault est de « dresser un état des lieux des circuits de vente au détail » afin de « comprendre les évolutions des conditions d’achat
du livre ». L’éclairage porté sur les innovations technologiques en cours souligne la fragilisation des commerces traditionnels et la nécessité d’adapter leurs activités. LES LIBRAIRIES
INDÉPENDANTES EN DIFFICULTÉ En 2013, 22 % du marché de la vente de livres au détail est détenu par les librairies indépendantes dont la place reste primordiale. Cependant, le maintien de la
majeure partie du réseau ne doit pas occulter l’existence de disparités importantes selon les points de vente. Depuis 2005, les résultats des petites et moyennes librairies tendent à
diminuer, tandis que les grandes structures indépendantes enregistrent une croissance de 6 % jusqu’en 2011, avant de légèrement reculer. Il convient de noter que la rentrée 2013 a été
marquée par une contraction particulièrement forte de l’activité en librairie, avec une régression des ventes de livres de 4,5 % en euros courants par rapport au mois de septembre de l’année
précédente2. À cela s’ajoute la baisse significative du taux de rentabilité de ces entreprises, compris en 2012 entre 0,4 % et 1,1 % du chiffre d’affaires en fonction des établissements, ce
qui réduit considérablement leur capacité d’investissement et leur trésorerie. Le constat s’impose : la librairie indépendante est actuellement mise à mal. Au-delà du recul de la
consommation, Vincent Chabault revient sur les principales sources de difficultés pour ces entreprises : l’augmentation des loyers dans les grandes villes, les relations compliquées
entretenues avec les distributeurs, le développement du commerce électronique et l’effritement progressif du lectorat, en particulier du côté des gros lecteurs. Pour faire face à ces enjeux
économiques, les librairies indépendantes bénéficient de soutiens publics diversifiés, tels que les aides du CNL3, le label LIR4, les soutiens régionaux5 ou encore le « plan _Librairie _»
adopté en juin 20136. Par ailleurs, il semble que leur préservation passe aujourd’hui par un renforcement de leur rôle de médiation culturelle (accueil, conseils, évènements, rencontres) et
par la mise en place de services et d’outils de communication en ligne pour prolonger les liens qu’elles tissent avec leur clientèle. LA PLACE DES GRANDES SURFACES REMISE EN CAUSE Avec 22 %
des achats de livres en 2013, les grandes surfaces culturelles constituent un canal de vente aussi important que les librairies indépendantes. En se lançant dans le commerce du livre en
1974, la Fnac a instauré un modèle concurrent de celui de la librairie traditionnelle, caractérisé par le « libre service assisté à la demande », c’est-à-dire par la mise à disposition d’une
offre large en libre-service à laquelle s’ajoutent des dispositifs pour orienter le client (panneaux, affichage, classements, etc.) et des vendeurs pour le conseiller et opérer des
commandes. Selon Vincent Chabault, l’influence de la Fnac sur l’industrie du livre a été considérable, non seulement parce que l’entreprise a largement contribué à redéfinir les modes de
commercialisation des biens culturels, mais aussi parce que la politique de rabais qu’elle pratiquait a donné lieu à de nombreux débats dont l’issue a conduit à l’adoption de la loi Lang en
1981. Dans le sillage de la Fnac, d’autres chaînes culturelles se sont lancées sur le marché. Toutefois, il est possible d’observer une déstabilisation de ces commerces dont certains ont
récemment fait l’objet d’une liquidation (Chapitre, Virgin). Comment analyser le déclin de ces acteurs ? Vincent Chabault explique que la concurrence des cybermarchands n’est pas le seul
facteur en cause, mais qu’une succession de choix stratégiques discutables sont également à l’origine de leur perte de vitesse. L’uniformisation de l’offre et la dégradation du rôle de
conseil des vendeurs témoignent de l’affaiblissement des services proposés par ces magasins, confrontés « aux exigences d’actionnaires difficilement compatibles avec les principes de
l’économie de la culture ». LE NUMÉRIQUE REDISTRIBUE LES CARTES Depuis quinze ans, le commerce de la librairie se développe sur Internet, si bien qu’aujourd’hui les plateformes en ligne
représentent 18 % des achats de livres. Déjà analysée dans le précédent ouvrage de Vincent Chabault, la montée en puissance des librairies en ligne s’effectue surtout au profit d’Amazon et
de la Fnac qui détiennent à elles deux 90 % du marché. En dehors de ces acteurs dominants, un bon nombre de librairies indépendantes sont également engagées dans le commerce électronique, à
travers l’animation de leur propre site, l’adhésion à un portail collectif7ou à une place de marché8. Aujourd’hui, deux innovations en voie d’émergence présentent des opportunités
intéressantes pour le commerce de la librairie. D’une part, l’apparition de machines d’impression à la demande capables d’imprimer et de relier des livres en quelques minutes, comme
l’_Espresso Book Machine_. D’autre part, le développement du marché du livre numérique sur lequel des opérateurs de poids, déjà positionnés (Amazon, Apple, Google, Kobo, etc.), devraient
capter l’essentiel des revenus. Dans les deux cas, l’habitude qu’ont pris les consommateurs de passer par les plateformes de ces opérateurs en ligne et les coûts d’équipements nécessaires
laissent peu de marge de manœuvre aux librairies indépendantes. C’est sans doute la raison pour laquelle Vincent Chabault conclut son essai en insistant sur la nécessité de soutenir
davantage ces acteurs dans leur fonction de médiation culturelle, notamment par l’encadrement et la valorisation de l’emploi qualifié en librairie. * 1Selon cette loi (dite « loi Lang »), il
revient à l’éditeur de fixer le prix des livres qu’il publie. Les points de vente doivent s’y conformer mais peuvent accorder jusqu’à 5 % de réduction. En empêchant la concurrence par les
prix, un tel dispositif vise à préserver la diversité éditoriale et le réseau des détaillants indépendants. En 2011, un autre texte est adopté pour encadrer le prix du livre numérique. *
2Livres hebdo, 1er novembre 2013. * 3Subventions, prêts à taux zéro. * 4Lancé en 2008, le label Librairie Indépendante de Référence est délivré pour une période de trois ans par le ministère
de la Culture et de la Communication. Il permet notamment de bénéficier d’une exonération de la contribution économique territoriale et de conditions commerciales plus favorables auprès de
certains fournisseurs. * 5Par l’intermédiaire des Conseils régionaux et des structures régionales pour le livre. * 6Ce plan national en faveur des librairies indépendantes prévoit la
création d’un médiateur du livre chargé d’assurer le respect des réglementations et de plusieurs fonds de soutien. * 7Il s’agit de plateformes qui mettent en valeur l’offre de plusieurs
librairies adhérentes (lalibrairie.com, placedeslibraires.fr, librest.com, leslibraires.fr, parislibrairies.fr). * 8L’adhésion à une place de marché (ou marketplace) permet à une librairie
de proposer la vente de livres sur la plateforme d’un opérateur comme Amazon ou la Fnac. Vincent Chabault estime que « cet accès indispensable à la vente en ligne pour les librairies peut
générer un chiffre d’affaires équivalent à 15% de leur résultat global ».