« rien à foutre qu’on me traite de complotiste, je sais ce que je vaux »

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Le film « Hold-up, retour sur un chaos », réalisé par Pierre Barnérias, prétend raconter l’histoire secrète de l’épidémie de Covid-19. © Crédits photo : Illustration : Margot de Balasy On


peut lire assidument la presse et apprécier _Hold-up, retour sur un chaos. _C’est le cas de Delphine et Serge. Nous les avons rencontrés sur Facebook, occupés à défendre le film contre « les


attaques des médias ». Mathieu Deslandes Publié le 18 novembre 2020 Delphine est une passionnée de journalisme. Elle a fait une licence Information-Communication et, trois décennies plus


tard, parle encore avec chaleur de ce qu’elle y a appris. À 25 ans, elle est partie réaliser son rêve au Mexique : tourner un documentaire. Elle n’a pas pu le terminer et _« la vie »_ l’a


conduite dans la communication culturelle puis, pendant onze ans, dans l’enseignement. Prof dans un lycée privé, elle assurait en experte les modules d’éducation aux médias. Au chômage


depuis quelques mois, elle réalise _« un travail d’information à [son] niveau »_ en relayant sur Facebook des articles _« qui amènent à réfléchir »_. Elle vit dans une ville moyenne du sud


de la France. Elle a 49 ans. Serge, lui, a _« failli être astrophysicien »_. Finalement, il a intégré une école de commerce. Il a occupé des fonctions dirigeantes dans de grands groupes. Il


fait désormais du conseil, à son compte. Il a _« adoré »_ le _JDD_, il a été abonné au _Monde_, il a beaucoup lu _Les Échos._ Depuis 2016, son forfait SFR lui donne accès à _« un maximum


d’informations »_ sur le kiosque numérique de l’opérateur. Il lit la presse sur sa tablette, c’est plus pratique. _« Attentif à ce qui se passe »_, il _« aime apprendre et comprendre »_. Il


vit en banlieue parisienne. Il a 59 ans. « IL Y A PLÉTHORE DE SOURCES SUR INTERNET » Comme des centaines de milliers de personnes, Delphine et Serge ont regardé _Hold-up, retour sur un


chaos_. Serge, qui l’avait _« écouté trois fois »_ quarante-huit heures après sa mise en ligne, trouve que c’est _« un excellent documentaire »_. Delphine regrette des maladresses formelles,


mais les comprend : _« La forme classique d’un documentaire aurait fait fuir les spectateurs. Les infos doivent être accessibles pour le quidam de base. » _Sur le fond, elle n’envisagerait


_« pas une demi-seconde »_ d’émettre des réserves : _« J’avais balancé pas mal de bombes sur Facebook ces dernières semaines. J’étais arrivée aux mêmes conclusions que le film. »_ Delphine


s’est mise _« en alerte » _quand le recours à l’hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19 a été interdit par le ministère de la Santé. _« Ça m’a fait tiquer. De quel droit un État se


permet-il d’interdire une pharmacopée, à moins de vouloir amener tout un pays à la faillite et une part importante de la population à la mort ? » _Alors, _« dix heures par jour »_, pendant


des semaines, elle a lu tout ce qu’elle a trouvé sur le sujet. _« Il y a pléthore de sources sur Internet. Des encyclopédies en ligne, des sites universitaires, de boîtes d’édition… On a


tous les moyens de vérifier une information. »_ « SOLDATS DE L'OLIGARCHIE » Serge, lui, a trouvé fantaisistes les prévisions des morts du Covid et les discours sur le _« rebond »_ de


l’épidémie. Il prévient : _« Quand il y a anguille sous roche, moi, je gratte. »_ Pour se documenter, il a acheté les livres de Michel Onfray, de Bernard-Henri Lévy, du professeur Raoult, de


Philippe Douste-Blazy et du professeur Perronne. Serge a pris l’habitude de _« gratter » _ainsi en 2017. _« Pendant la campagne présidentielle, le _JDD_ parlait de Macron comme d’un petit


génie. Je me suis rendu compte que c’était aussi le cas du _Figaro_, du _Monde_, de _Libération_. La pluralité idéologique avait disparu. Pendant ce temps-là, les autres candidats se


faisaient tailler des costards trois pièces. »_ Sa conviction fut bientôt faite : _« Il a été décidé que l’oligarchie devait prendre le pouvoir. D’où la fabrication de Macron, au détriment


de Juppé, pour dessouder le Code du Travail. Biden et Macron sont des soldats de l’oligarchie. C’est un fait. »_ « JE NE SUIS PAS QUELQU’UN DE CRÉDULE » Pour Delphine, le tournant est plus


récent. Témoin d’événements graves dans son milieu professionnel, elle a multiplié les dénonciations. En vain. _« Après une série de coïncidences qui n’en sont pas, _raconte-t-elle,_ j’ai


commencé à me renseigner sur la franc-maçonnerie… »_ De proche en proche, elle s’est intéressée à _« la question de l’idéologie kabbaliste ». _ Elle dit : _« Je ne suis pas quelqu’un de


crédule, je suis quelqu’un qui cherche… On m’a appris en Info-Com à ne négliger aucun support d’info, à regarder différents canards, à repérer les points de divergence… Dans mon réseau, je


relaye des journaux de tous bords. C’est comme en politique, il y a des choses intéressantes partout. »_ Elle se voit en éveilleuse de consciences. Dans son entourage, _« les trois quarts


des gens ont regardé _Hold-up_ »_. Sidération générale. _« Après deux ans de _« gilets jaunes »_, les gens avaient déjà compris que quelque chose n’allait pas. Faut pas avoir fait Saint-Cyr


pour se rendre compte que les gens crèvent la bouche ouverte. Mais maintenant, ils comprennent pourquoi. »_ « CES MECS N’ONT AUCUNE CULTURE » Serge s’est inscrit récemment sur Facebook, pour


retrouver des amis. Il y passe pas mal de temps et ne mégote pas sur les points d’exclamation. Certains jours, la bêtise de ses contemporains l’effraie. Les platistes, par exemple. _« Ces


mecs n’ont aucune culture. Ils sont complètement cons. » _ Serge, lui, revendique _« une culture politique, historique, économique, financière »_. Sa conversation est labyrinthique. Dès


qu’un raisonnement s’approche d’une impasse, il tente l’intimidation intellectuelle : _« Vous savez ce que disait McLuhan ? », « Vous connaissez le fonctionnement du cerveau reptilien ? Et


celui du limbique ? », « C’est la loi binomiale, vous comprenez ? »_ Parfois, sur Facebook, il se fait taxer de complotiste. Il certifie que ça glisse sur lui_ « comme un pet sur une toile


cirée »_. Il précise : _« J’en ai rien à foutre qu’on me traite de complotiste, je sais ce que je vaux ! »_ « ON A UN CERVEAU, FAUT S’EN SERVIR » En ce moment, quand il veut se détendre,


Serge allume Cnews. Sinon, il regarde plutôt TF1 et _« un peu BFM TV»_. En presse écrite, il distingue _« les journaux des milliardaires »_ et _« les indépendants »_ : _Le Canard enchaîné_,


Mediapart, et _Front Populaire_, la revue de Michel Onfray. Delphine confie bien aimer Natacha Polony avant de se raviser :_ « Je n’ai pas d’organe de presse de préférence. »_ Tous deux


insistent sur leur capacité à penser par eux-mêmes et à s’autodéterminer : _« On n’est pas des moutons »_. Ils répètent aussi : _« On a un cerveau, faut s’en servir »._ Au cours des jours


qui ont suivi la mise en ligne de _Hold-up_, ils ont vu défiler sur Facebook les posts de médias faisant la promotion de leurs articles de _fact-checking_. Signal indubitable à leurs yeux


que le film touche juste. Cette _« levée de boucliers » _est la preuve que les journalistes sont _« au garde à vous devant leurs actionnaires »_, estime Serge. Delphine souligne que _« la


formulation des titres trahit les intentions des détracteurs »_. Elle soupire : _« Vous savez qui finance la presse… » _ « TRAVAIL DE SAPE » Tous deux s’interrogent : pourquoi les médias


dépensent-ils autant d’énergie à contredire un film s’il est si farfelu ? Certains de leurs amis s’étonnent que ces contenus soient gratuits _« alors qu’ils sont payants 99 % du temps »_.


D’autres exigent, pour équilibrer, une liste de _« ce qui est vrai »_ dans _Hold-up_. Tous se réjouissent de la publicité assurée au film par _« les journaleux »_. Parce qu’ils perçoivent ce


_fact-checking_ (eux jugent le terme de _« désinformation »_ plus adapté) comme _« une insulte à l’intelligence »_, leur premier réflexe a été d’aller _« dézinguer »_ ces publications dans


les commentaires. Delphine en parle comme d’un méthodique _« travail de sape des médias _mainstream_ »_. À force de lire ses commentaires, espère-t-elle, les journalistes, aujourd’hui _« 


obligés de fermer leur bouche »_, vont finir par _« se réveiller »_. « CET ARTICLE EST UN ACTE COMPLOTISTE ! » Ni l’un ni l’autre n’a lu les articles avant de commenter. Ni les vérifications


de _Sciences et Avenir_ (qui a relevé _« 4 fake news majeures »_), ni celles des Décodeurs du _Monde_ (qui ont sélectionné 7 exemples d’assertions _« approximatives, voire complètement


fausses »_), ni celles de l’équipe CheckNews de _Libération__ _(qui s’est attardée sur _« dix contre-vérités »_), ni celles de l’AFP (qui est revenue sur _« une trentaine de fausses


affirmations »_). Ils ne voient pas l’intérêt. Pour _la Revue des médias_, ils ont accepté d’en lire un. Serge a choisi celui du _Monde_. Après une première conversation téléphonique de 58


minutes, il a détaillé sa réaction dans une succession de 33 messages postés sur Messenger (avant de passer aux e-mails). Il en ressort qu’il pense qu’_« on »_ a demandé aux journalistes du


_Monde_ de produire un texte _« à charge »_. Il écrit : _« _Le Monde_ passe sous silence les éléments gênants sur lesquels il aurait dû réagir (notamment son financement) et en parallèle


grossit à souhait des dizaines de sujets en mentant de façon éhontée ! Cet article est un acte complotiste ! Il en a toutes les caractéristiques ! » _ « LES SBIRES DE MACRON » En colère,


Serge multiplie les insultes à transmettre, _« de la part du peuple français »_, aux rédacteurs du _Monde._ Puis, les jours suivants, il pratique l’esquive. Il affirme que l’analyse d’un


article revient à se contenter du_ « petit bout de la lorgnette » _or _« c’est l’analyse systémique qui importe »_. Il promet tout de même de _« faire le travail demandé »_. Plus tard, il


annonce avoir achevé son analyse _« dans un document Word »_. Mais faute de pouvoir réunir les garanties nécessaires pour _« protéger sa famille »_, il ne l’enverra jamais. Delphine, elle,


s’est attaquée à l’AFP et à _Libé_. De l’AFP, elle n’attend pas grand chose : _« Quand vous voyez tous les sbires de Macron qui sont au Conseil d’administration… L’info est nécessairement


orientée. » _Elle a malgré tout pris le temps de rédiger une note extrêmement détaillée pour répondre point par point à ces publications. Or — c’est vertigineux — les réfutations de Delphine


sont fondées sur… les arguments du film. On n’en sort pas. « COMME UNE AFFICHETTE DANS UN HALL » Déprimant ? Adrien Sénécat reste philosophe. Journaliste au _Monde_, il est l’un des auteurs


de l’article examiné par Serge. Il sait qu’une partie du public, _« déjà tellement polarisée »_, est _« imperméable »_ à ce que son journal peut publier. Mais il espère qu’auprès d’autres


personnes, l’information _« fera son chemin »_. Son travail, suggère-t-il, ne doit pas susciter des attentes irréalistes. _« Le fact-checking n’a pas pour but de faire changer d’opinion les


gens. On ne fait que poser des informations factuelles sur la table, dont on peut espérer ensuite qu’elles soient reprises dans des conversations, dans des débats télé, sur Wikipédia, sur


Twitter… »_ Il ajoute : _« C’est exactement comme quand on colle une affichette dans un hall d’immeuble. On sait que tout le monde ne la lira pas. On sait aussi que tout le monde ne


retiendra pas l’information. Mais elle est là. »_