
- Select a language for the TTS:
- French Female
- French Male
- French Canadian Female
- French Canadian Male
- Language selected: (auto detect) - FR
Play all audios:
Derrière chaque invité, on trouve une programmatrice (ou un programmateur). © Crédits photo : La Revue des médias. Illustration : Émilie Seto. Assurer la présence d’un ou plusieurs invités
dans une émission en pleine crise sanitaire, qui impose de reconstituer un réseau de personnalités expertes, est loin d’être aisé. C’est le rôle des programmateurs, attachés de production et
autres _producers_. Plongée dans le quotidien de celles et ceux dont le travail est aussi essentiel que méconnu. Justine Rodier Publié le 07 mai 2020 À la télévision, à la radio, dans les
émissions et sur les chaînes d’information en continu, les invités sont partout : pour faire des déclarations, témoigner, commenter ou analyser l’actualité. Leur présence en plateau tient au
travail de longue haleine des programmateurs et programmatrices — parfois appelés « attachés de production » en radio et _producer_ à la télévision —, aux statut et tâches variables d’un
média à l’autre. Parmi leurs nombreuses missions : se tenir continuellement informé, connaître sur le bout des doigts l’actualité des semaines à venir, suggérer des sujets et des angles en
conférence de rédaction, trouver de bons interlocuteurs, réaliser des pré-interviews. Parfois, ils sont aussi amenés à rédiger des fiches pour les présentateurs et présentatrices, ou
réaliser le montage final d’un reportage. « On ne s’arrête jamais », plaisante Lucas Briot, _producer_ principalement pour l’émission dominicale _BFM Politique_, présentée en direct et en
public par Apolline de Malherbe. Si ce métier demande une grande flexibilité et une solide capacité d’adaptation, la pandémie de Covid-19 met à rude épreuve cette exigence. « AVEC LE
COVID-19, NOUS AVONS PEU DE VISIBILITÉ » Alors que le nouveau coronavirus SARS-CoV-2 est le sujet central des médias depuis maintenant deux mois, le principal challenge des programmateurs et
programmatrices est de renouveler « les têtes » de leurs plateaux, rarement fréquentés par les infectiologues et autres urgentistes. « Nous n’invitons pas que des scientifiques, mais aussi
des historiens, géographes ou sociologues », relate Elisa Bondarenko, programmatrice pour l’émission _C Politique_ (France 5). Pour les médias, le rythme est intense : en moyenne « une
trentaine d’invités par jour » pour la radio France Info, comme l’expliquait le directeur adjoint de la rédaction, Richard Place, début mai au micro de la médiatrice de Radio France. Là où
auparavant les programmateurs pouvaient prévoir les invités quelques semaines à l’avance, le coronavirus contraint à moins de visibilité. « Il nous est impossible de penser les invités
au-delà de deux ou trois jours », commente Mathieu Sarda, responsable de la programmation de la matinale de France Inter, la plus écoutée de France. Avec une équipe de quatre personnes, il
coordonne aussi les programmations du Grand face à _face_ et de _Questions politiques_. « En ce moment, la personne à « avoir » est Jean-François Delfraissy », certifie Lucas Briot.
Mi-avril, le président du Conseil scientifique sur le Covid-19 était sur BFM TV. « J’ai insisté tous les jours pendant une semaine », confie le _producer_. Depuis le début de la crise du
Covid-19, il écrit quotidiennement à au moins un membre du conseil scientifique : la ténacité est une compétence cruciale du métier. Le 30 avril, la chaîne a reçu en exclusivité le docteur
controversé Didier Raoult : un « gros coup » dont les coulisses restent tenues secrètes. > Chez _C dans l’air_ (France 5), deux invités sont présents en > plateau, deux autres via
Skype Les chaînes assurent respecter les gestes barrières en plateau, et ont réduit le nombre d’invités présents, au profit d’appels vidéo. _C Politique_ se déroule entièrement par appels
vidéo, l’émission est plus courte et enregistrée le vendredi au lieu d’être diffusée en direct le dimanche. « Nous devons gérer de nouvelles contraintes : il ne s’agit plus de déplacement et
de disponibilité, mais de bonne connexion à Internet », explique Elisa Bondarenko. Chez _C dans l’air_ (France 5), deux invités sont présents en plateau, deux autres via Skype. « Cela
permet de recevoir des personnes en régions, en Suisse et même aux États-Unis », se réjouit une programmatrice, qui espère que les appels vidéo se poursuivront après le confinement pour
continuer à varier les profils. Chez BFM TV, « certains se déplacent pour davantage de visibilité, mais beaucoup ne veulent pas : nous ne forçons la main à personne », fait valoir Lucas
Briot. Le Covid-19 a également modifié la nature de ses relations avec les potentiels invités. « D’ordinaire, en cas d’indisponibilité, je relance et propose un autre créneau. Là, si je sens
qu’un soignant n’est pas motivé, je n’insiste pas. » Sur France Inter, _On n’arrête pas l’éco_ s’est interrompue durant le premier mois du confinement. Valentin Pérez, attaché de production
pour l’émission, a été déplacé pour prêter main forte au _Téléphone sonne_, de 18 h à 20 h. Depuis, l’hebdomadaire d’Alexandra Bensaïd a repris sous un format différent : deux heures
d’antenne au lieu de 45 minutes et quatre invités au lieu d’un. La rubrique concernant le droit du travail a été repensée et allongée. « Désormais, nous prenons des auditeurs durant 30
minutes. Je m’occupe de recevoir les appels, de leur poser quelques questions, puis de les envoyer à l’antenne », détaille Valentin Pérez. EN ÉDITION SPÉCIALE, « LA PARITÉ EN PREND UN COUP »
Au moment de monter les plateaux, programmateurs et programmatrices essaient de respecter certains critères. Imposée par les chaînes, la parité — ou plutôt mixité — est le premier d’entre
eux. « Actuellement, nous voyons que les chefs de services du monde médical sont presque tous des hommes. Il est plus difficile de trouver des femmes, mais nous devons faire cet effort »,
insiste Lucas Briot pour BFM TV. Le même problème est rencontré par Valentin Pérez, d’_On n’arrête pas l’éco_. Si la parité totale n’est pas toujours atteinte, les personnes interrogées
affirment qu’elles ne proposent jamais de plateau 100 % masculin. Pourtant, « la crise [du Covid-19] a exacerbé de façon dramatique le sexisme des médias », déplore le Haut conseil à
l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans un communiqué publié en ligne le 6 mai, il dénonce une « parole quasi exclusivement masculine » alors que « 80% du personnel soignant des
hôpitaux sont des femmes ». Pour pallier cela, l’autorité recommande notamment « sans délai » au CSA de rendre « obligatoire, pendant la période de crise […], le décompte spécifique des
femmes et des hommes par les chaines de radio et de télévision pour [les programmes d’information, de débats ou de savoir] et le recours à 40% d’expertes sur ces plateaux . En édition
spéciale, « la parité en prend un coup », constate avec amertume Charlotte Mattout, journaliste à Washington après avoir été chargée de programme à la radio France Info pendant près de dix
ans. « Nous avons moins de numéros d’expertes que d’experts : dans l’urgence, il est plus facile de caler un homme qu’une femme, même en faisant le maximum », déplore-t-elle. D’ordinaire, le
temps de parole des hommes et des femmes dans les médias audiovisuels est aussi déséquilibré : de l’ordre de un tiers / deux tiers à la radio comme à la TV, selon une étude publiée en mars
2019 par_La Revue des médias_. Sur les chaînes de télévision privées, les femmes parlent moins aux heures de forte audience, est-il aussi révélé. Côté France Info, « il n’y a presque que des
programmatrices : nous avons été attentives à la parité avant qu’elle ne soit institutionnalisée », relate Charlotte Mattout. « À la matinale, nous abordons tous les sujets, ce qui facilite
la parité », défend Mathieu Sarda pour France Inter. Pourtant, la part de femmes parmi les invités des matinales de radio n’est passé que de 19,8 % à 22,3 % entre les saisons 2006-2007 et
2016-2017, d’après une autre étude de _La Revue des médias_ publiée en juin 2019. _SUR LA DÉCENNIE ÉTUDIÉE PAR LA REVUE DES MÉDIAS EN JUIN, LES HOMMES CONSTITUENT EN MOYENNE PRÈS DE 80 % DES
INVITÉS, ET CE QUEL QUE SOIT LE MOMENT DE LA SEMAINE (WEEK-END COMPRIS) OU LA PÉRIODE DE L’ANNÉE (LA GRILLE D’ÉTÉ NE FAIT PAS FIGURE D’EXCEPTION). CES RÉSULTATS SONT À INTERPRÉTER COMME DES
INDICATEURS DE TENDANCES._ En presque quinze ans de métier, Mathieu Sarda a vu la parité gagner du terrain sur les plateaux radio et télé. L’étude parue dans _La Revue des médias_ pointait
en effet une augmentation du temps de parole des femmes à la radio (+ 9,3 points entre 2001 et 2018) et à la télévision (+ 4,7 points entre 2010 et 2018). Après avoir constaté la défiance
des « gilets jaunes » dans les médias, France Inter essaie également de laisser plus de place aux témoignages des Français et Françaises, confie-t-il. > _« Nous sommes le sas avant le
plateau »_ > — Lucas Briot, programmateur chez BFM TV Les personnes interrogées dans le cadre de cet article affirment aussi proposer de nouveaux invités, non habitués des médias. « Chez
_C dans l’air_, nous essayons de faire 50-50. Nos téléspectateurs sont rassurés en retrouvant des visages familiers et cela permet de faire monter des paroles nouvelles », commente une
programmatrice. Chez BFM TV, « les habitués sont par définition des « bons clients », mais nous essayons de ne pas tomber dans la facilité », indique Lucas Briot. Pour _On n’arrête pas
l’éco_, sur France Inter, « l’idée est [au contraire] d’avoir un invité un peu connu, car c’est le personnage central de l’émission, la tête d’affiche », défend Valentin Pérez.
Automatiquement, programmateurs et programmatrices réalisent des « pré-interviews » pour se renseigner sur ce que leurs potentiels invités auraient à dire sur le sujet. « Leurs retours nous
aident à construire les émissions », souligne Elisa Bondarenko. Pour les personnes novices, il faut prendre le temps de discuter pour s’assurer que leur propos est clair, pédagogue et que
l’invité n’essaie pas d’imposer sa vision des choses. « Nous sommes le sas avant le plateau », plaisante Lucas Briot en soulignant la responsabilité des programmateurs. « Il arrive parfois
que le trac saisisse les invités et que le propos soit moins fluide, cela fait partie des aléas. » « ATTRAPER LE GROS POISSON » Pour les chaînes d’information en continu comme pour les
magazines, suivre l’actualité est primordial. La course est effrénée pour « attraper le gros poisson » et « dénicher la pépite » : une « partie de chasse », disent-ils. « Si le Goncourt
vient de tomber, le « gros poisson » est la personne qui vient de recevoir le prix », illustre Charlotte Mattout. La réactivité est une compétence clé du métier : « On peut changer le
plateau à 16 heures alors que l’émission commence à 17 h 30 », appuie une programmatrice de _C dans l’air_. Coup de fil sur coup de fil, il faut fouiller parmi des milliers de contacts
scrupuleusement rangés par thématiques pour joindre le plus vite possible, et idéalement en premier, la personne souhaitée. « Un bon programmateur a un carnet d’adresse fourni. Pour la
matinale, on doit pouvoir contacter n’importe qui en moins d’une heure », affirme Mathieu Sarda. Une fois l’invité au bout du fil, il faut dégainer ses meilleurs arguments : grosse audience,
prestige du service public, absence de polémique garantie, temps d’antenne consacré, prise de hauteur, notoriété des journalistes en plateau… « Nous mettons toute notre force pour
convaincre ! », lance Charlotte Mattout. > _ « Si un évènement survient à 23 heures, on sollicite > immédiatement des invités »_ > — Mathieu Sarda, responsable de la programmation,
France Inter Pour une actualité importante, les intervenants phares « font » plusieurs médias. « Le jeu est de l’avoir en premier, ou le plus longtemps », explique Lucas Briot. Cette rude
bataille ne leur permet que rarement de décrocher. « Si un évènement survient à 23 heures, l’équipe de programmation sollicite immédiatement des invités, sinon les plus pertinents seront
[déjà] pris », insiste Mathieu Sarda. En dehors des « rares moments sans actualité brûlante », fait remarquer Charlotte Mattout, , les invités sont « pré-calés » dans la mesure du possible.
En conférence de rédaction, chacun et chacune des programmateurs, présentateurs et directeurs de l’information s’entendent quotidiennement pour planifier les sujets à venir. Les dates des
prévisions (sorties littéraires, cinématographiques, examen d’un projet de loi ou sommets internationaux) sont soigneusement annotées. Pour ne pas se faire doubler par un concurrent, il est
capital de lancer les invitations en premier. « Nous contactons les potentiels intervenants sans rien fixer définitivement. Nous avançons sur plusieurs plateaux en attendant de savoir lequel
sera retenu », expose Elisa Bondarenko. Programmateurs et programmatrices s’adaptent aux différents rythmes : un invité « culture » peut être calé plusieurs semaines ou mois à l’avance, une
personnalité politique, seulement quelques jours. « Quoique nous calions en amont, nous questionnons toujours la pertinence de nos invités du lendemain au regard de l’actualité », assure
Mathieu Sarda. En cas de changement de programme, il faut décommander poliment l’invité initialement prévu. « C’est important de prendre le temps d’expliquer. L’annulation peut même finir
par créer une complicité avec la personne, que l’on pourra réinviter », glisse Elisa Bondarenko. Parfois, cela se fait d’un commun accord. Le 19 mars 2012 au matin, Martine Aubry est
programmée dans la matinale de France Inter quand Mohamed Merah ouvre le feu sur une école juive de Toulouse. « Nous nous sommes appelés, il était évident qu’elle n’allait pas venir, ce
n’était plus du tout approprié », se souvient Mathieu Sarda. À la place, France Inter lance une édition spéciale. « UN TRAVAIL DE FOURMI » AUX CONDITIONS DIFFICILES Chez France Inter, les
derniers passages notables sont, entre autres, ceux de l’ancienne ministre de la Justice, Christiane Taubira ou de l’avocat et écrivain François Sureau, fruits d’un long travail au corps,
s’enorgueillit Mathieu Sarda. En septembre 2019, la matinale avait reçu, à distance, le lanceur d’alerte Edward Snowden, à l’occasion de la parution en France de son autobiographie (_Mémoire
vive_, Seuil). Une première qui restera dans l’histoire de la chaîne. [embedded content] Pour persuader, il « faut être régulièrement présent dans la tête de l’invité convoité, cela montre
qu’on le veut vraiment. C’est un travail de fourmi, mais qui peut être payant », soutient Lucas Briot. En politique ou en culture par exemple, « les personnalités attendent le moment
opportun pour faire une apparition médiatique, il faut être patient.». Appeler, discuter, inviter, relancer, aller à des conférences, inaugurations ou avant-premières pour se croiser et
essayer de convaincre en quelques secondes. « Même en vacances, je reste proche de mon téléphone, il faut garder le lien », admet-il. [embedded content] Malgré l’énergie constamment
déployée, ces travailleurs et travailleuses de l’ombre déplorent leur conditions de travail : peu de jours de congés, des contrats à renouveler régulièrement… En dix ans de carrière, Lucas
Briot a travaillé pour Europe 1, RTL avant d’atterrir chez BFM TV. Il assure totaliser plus d’une vingtaine de contrats sur cette période. « Nous ne faisons cela ni pour la reconnaissance ni
pour l’argent », sourit-il. Chez Radio France, les attachés de production et programmateurs ne sont pas considérés comme des journalistes, malgré leur combat. En janvier 2018, une grève
s’est soldée par une modification du statut de certains « attachés de production » en « chargés de programmes », une évolution que Charlotte Matout juge insuffisante. « Notre travail est de
proposer des angles, « caster » et dénicher de bons intervenants d’un point de vue éditorial et sur la forme, effectuer les pré-interviews qui servent de base au présentateur, avoir une
capacité de réaction et d’autonomie pendant les émissions spéciales… Bref d’être journaliste ! », défend-elle. Dans le cœur de leur travail, comme dans les conditions de son exercice,
programmatrices et programmateurs doivent s’adapter : une habitude pour celles et ceux dont le métier est « hybride », et qui se comparent parfois à des « couteaux-suisses ».