Le film "reprise en main" fait mouche dans l'industrie savoyarde


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Et maintenant, l’attente des premiers décomptes d’entrées en salle… Stressant, pour le réalisateur de la comédie sociale _Reprise en main_, sur les écrans ce 19 octobre. Même si, pour sa


première fiction, le documentariste Gilles Perret a déjà connu plusieurs baptêmes du feu: il a sillonné quelques festivals dès l’été (dont celui de Montreuil, où son film a décroché le prix


du public) et démultiplié les avant-premières, d’Alès à Rouen. Avec un but: “J’espère que _Reprise en main_ va contribuer à redonner une bonne image de l’industrie et des métiers industriels


et surtout à redonner de la fierté au travail”. En septembre, _Challenges_ avait emboité le pas au réalisateur pour un autre type de présentation: celle sur le lieu même du tournage, au


coeur de la très industrielle vallée de l'Arve. Une présentation haute en émotion. Christophe Bontaz ne partage clairement pas les opinions politiques du réalisateur, qui a réalisé


plusieurs documentaires en compagnie de François Ruffin, député La France Insoumise. Le dirigeant du groupe Bontaz, qui usine des pièces mécaniques pour l’industrie auto, a eu l’occasion de


constater ces divergences, une fois de plus, à la lecture du scénario de _Reprise en main. _L’histoire de cette comédie sociale et fable industrielle? Une société de décolletage (un procédé


d'usinage par enlèvement de la matière) de la vallée de l’Arve (Haute-Savoie) - comme Bontaz - est sur le point d’être cédée à un fonds d’investissement peu sympathique ; mais Cédric,


l’un des salariés du groupe (incarné par Pierre Deladonchamps), va s’ingénier avec deux copains du cru à retourner contre la haute finance ses propres armes, en montant un audacieux LBO. Les


banquiers genevois en prennent pour leur grade. Tout comme la paresseuse héritière industrielle, qui pour un peu laisserait le groupe se faire dépecer sans ciller. Lire aussi Pas vraiment


une vision patronale de l’économie, donc. Pourtant, lorsque Gilles Perret, qui habite lui-même dans un bourg à flanc de montagne, a demandé à tourner dans les ateliers du groupe Bontaz, en


contrebas, son dirigeant a donné son feu vert. Il a même été jusqu’à mettre à disposition des acteurs les T-Shirts de la société, estampillés d'un B sur la poitrine: “Cela permettait de


faire quelques économies pour le tournage”, explique Christophe Bontaz. Cette solidarité au sein de la solide communauté savoyarde la vallée de l’Arve, quand il s’agit de se retrouver


autour de la sauvegarde de sa précieuse industrie, est à la fois le sujet du film et le solide ressort de son tournage. Gilles Perret a donc pu compter sur son copain du lycée de Cluses,


Christophe Bontaz – d’autant qu’il avait déjà fait du père, Yves Bontaz, le personnage central de son documentaire _Ma mondialisation_. “J’aime plutôt bien ces petits patrons bosseurs et


malins qui font tourner les usines d’ici”, confie d’ailleurs Gilles Perret. PATRON DE BUVETTE, LBO ET GROUPE DE ROCK Autre coup de main: des ouvriers de l’usine se sont mobilisés pour jouer


leur propre rôle, tout comme le patron de la buvette d’altitude où le spectateur aura le droit à un petit cours en plein air sur les mécanismes du Leverage buy-out (LBO). Le groupe de rock


_Les Marmottes_, dont l’accordéoniste est lui-même ouvrier décolleteur, a livré quelques morceaux à la bande originale du film. Quant au maire de Scionzier, petit village de la vallée, il a


ouvert tout grand les portes de la maison commune: c’est dans la salle du conseil municipal, par exemple, qu’a été tournée la scène décisive de la vente de l’entreprise. Dans cette vallée,


Gilles Perret est chez lui. Il suffit pour en être convaincu de le suivre dans ces heures qui précédent l’avant-première à Cluses, ce 9 septembre. Il s’invite sans formalité dans le bureau


du maire à l’heure de l’apéro ; déboule dans le bureau de Christophe Bontaz pour une brève discussion sur la situation du décolletage ; puis rentre dans une usine par une porte dérobée, y


serre quelques mains pleines d’huile, n’oublie pas de faire la promotion de la séance du soir…   Il s’arrête aussi face aux machines-outils pour observer leurs mouvements, décrire leur


travail au centième de millimètre, palper une pièce de moteur en s’extasiant devant une découpe en biseau. “Je m’en suis rendu compte une fois encore pendant le tournage: je me sens plus à


l’aise devant ces machines que dans les milieux du cinéma parisien”, confie le réalisateur. Un retour aux origines alors que son père, syndicaliste, travaillait à la construction de telles


machines-outils. Gilles Perret lui-même a d’ailleurs en poche un diplôme d’ingénieur en électronique. SPECTATEURS ENGAGÉS Les spectateurs de Cluses, qui se sont pressés en nombre à


l’avant-première, ce soir-là, ont clairement été captivés et touchés par ce jeu de miroirs avec leur quotidien. Thierry, l’un des ouvriers, avoue qu’il aura besoin d’un second visionnage


pour juger le film: il était, pour cette fois, trop occupé à reconnaître ses machines portées à l’écran. “C’est étonnant d’entendre parler, dans un film, le langage de la vallée, celui qui


rythme nos journées”, complète Denis, qui a son propre petit atelier de décolletage et a inspiré le personnage homonyme du film. “On y voit notre vallée, nos montagnes, notre travail, nos


usines… C’est important cette reconnaissance, alors que l’on est ignoré, comme trop souvent l’industrie”, commente Bernadette. “C’est nous, c’est notre histoire, explique pour sa part


Corine. Ma propre entreprise de décolletage a été rachetée par un fonds. Et on a bien vu la différence entre notre patron, qui tenait la boîte de son propre père, et celui qui nous a été


imposé ensuite.” Car ces spectateurs immergés de s’y sont pas trompés: _Reprise en main_ est un film drôle, un film de potes, où les répliquent fusent ; mais son sujet, au fond, est grave.


Il décrit les inquiétudes d’une région face à un avenir industriel incertain, dans un après-Covid bousculé par la hausse des matières première, la fin de l’auto thermique et la mise au ban


de l’aviation – ses deux principaux débouchés. Comme les spectateurs, les habitants de la vallée de l’Arve, patrons comme ouvriers, espèrent un _happy end_. Quant à Gilles Perret, il assume


son message politique, à l’heure où la question de la relocalisation se fait de plus en plus pressante en France, avec ce film qu’il a souhaité à la fois “léger et profond”. “ Je n’en peux


plus d’entendre une armée de responsables qui nous rebattent les oreilles sur l’économie de services, qui serait le seul avenir possible du pays. Ils ont tout laissé partir, les usines et


les emplois. Le film doit contribuer à redonner une visibilité à ces activités industrielles et manuelles ”. Signe que Gilles Perret a visé juste, au cœur de l’actualité économique: fin


septembre le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire s’est rendu au sein même des usines du groupe Bontaz pour mettre en avant “l’excellence du savoir-faire français que nous devons


protéger”. Le réalisateur a saisi l’occasion au vol pour convier le ministre à visionner le film en avant-première. Une invitation qui a été ignorée par Bercy.