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INTRODUCTION Réuni du 6 au 8 décembre 2022, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe s’est prononcé sur la situation des prisons françaises. Il a fait part de sa préoccupation à
l’égard de l’aggravation du phénomène de la surpopulation carcérale, et a appelé à la promotion des alternatives à l’incarcération, ainsi qu’à l’instauration de mesures contraignantes pour
instaurer une régulation carcérale. Ce constat est formulé par les différents organismes de contrôle : le comité de prévention de la torture consacre ainsi un chapitre de son rapport annuel
au titre de l’année 2021 à la question de la surpopulation carcérale. Il souligne que ce fléau touche de nombreux pays européens, notamment dans les établissements accueillant les personnes
prévenues, et déplore que les mesures prises à l’occasion de la pandémie de la Covid 19 n’aient eu qu’un effet éphémère. Il insiste en outre sur les effets de la surpopulation sur le
bien-être, la santé et les conditions de détention de la population pénale[1]. De même, dans le cadre de la présentation de son rapport d’activité de l’année 2022, le 11 mai 2023, la
Contrôleure générale des lieux de privation de liberté abonde dans ce sens : rappelant les injonctions du Conseil de l’Europe, elle dénonce l’ampleur du phénomène de la surpopulation
carcérale et exprime son « sentiment d’un abandon de l’Etat » qui ne manquera pas, selon elle, de conduire à de nouvelles condamnations européennes[2]. Face au nombre record de personnes
détenues se pose en effet la question de la résorption de la surpopulation carcérale. Au 1er mars 2023, on comptait 72 351 personnes incarcérées, pour une capacité opérationnelle de 60 949
places, soit un taux d’occupation de 118,7%[3]. Ce chiffre masque en réalité de grandes différences selon les établissements : l’administration pénitentiaire étant seule décisionnaire des
affectations en établissements pour peine, ces derniers sont moins touchés par la surpopulation carcérale. Ce sont les maisons d’arrêt[4], hébergeant les personnes détenues en détention
provisoire ou condamnées à de courtes peines, qui subissent l’inflation carcérale, avec un taux d’occupation moyen supérieur à 140%. Certains établissements importants, tels que les centres
pénitentiaires de Bordeaux-Gradignan ou de Perpignan, affichent même un taux d’occupation supérieur à 200%. Or, la surpopulation est source de détérioration des conditions de détention des
personnes détenues comme des conditions de travail des personnels. La surpopulation empêche _de facto_ l’encellulement individuel et conduit à un phénomène de promiscuité dans les cellules.
L’ajout de lits supplémentaires n’est pas toujours possible. Ainsi, au 1er avril 2023, 2151 personnes détenues dormaient sur des matelas au sol[5]. Le lien entre surpopulation et
détérioration des conditions de détention est d’ailleurs reconnu par le juge européen des droits de l’Homme, qui assume dans sa jurisprudence que le surencombrement des prisons constitue un
facteur dans les traitements inhumains et dégradants qu’une personne détenue est susceptible de subir. La CEDH le confirme dans plusieurs arrêts, tels que les décisions _Torreggiani c.
Italie_ le 8 janvier 2013 et _Varga c. Hongrie_ le 10 mars 2015. La France est également visée : la CEDH la condamne au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de
l’Homme, en retenant que la surpopulation est un traitement inhumain et dégradant, dans l’arrêt _Canali c/France_ en 2013[6]. En 2020, dans l’arrêt _JMB c/France[7]_ la Cour européenne des
droits de l’Homme invoque de nouveau le surencombrement des prisons pour condamner la France. Le juge français en tire partiellement les conclusions : le 8 juillet 2020, la Cour de Cassation
enjoint les pouvoirs publics français à permettre aux personnes prévenues de formuler un recours pour condition indigne de détention auprès du juge judiciaire. Ce droit est finalement
reconnu pour toute personne détenue, condamnée ou prévenue, par la loi du 8 avril 2021. La surpopulation se révèle en outre facteur de violences[8] : la promiscuité attise le mal-être de la
population pénale, et les conflits entre personnes détenues qui partagent l’espace exigu de la cellule. Les maisons d’arrêt les plus surpeuplées sont souvent celles les plus touchées par les
agressions physiques perpétrées par la population carcérale. Face à l’ampleur de ce phénomène, l’administration pénitentiaire a décliné à compter du premier semestre 2023 un plan national
de lutte contre les violences en détention. Au-delà de l’essentielle question de la dignité des personnes détenues, le phénomène de la surpopulation pose la problématique de la réinsertion
des personnes placées sous main de justice, après leur détention. En effet, les schémas d’emplois des différents intervenants de la détention sont conçus en fonction de la capacité théorique
des établissements, et non du nombre réel de personnes détenues hébergées. La surpopulation entraine donc une baisse du taux d’encadrement des personnes détenues, et explique leur accès
limité aux activités en détention, et une réduction du temps alloué à chacune d’entre elle pour la préparation à la sortie. Premières victimes de la surpopulation carcérale, les personnes
détenues n’en sont pas les seules. Le surencombrement des établissements pénitentiaires occasionne une dégradation des conditions de travail des personnels. Ce phénomène conduit à une
augmentation du nombre d’arrêts maladie ou du taux d’absentéisme, notamment dans les établissements les plus surpeuplés. Or, cette baisse des effectifs disponibles rend d’autant plus
difficile le travail des personnels en exercice, engendrant ainsi un cercle vicieux. Plusieurs rapports du Contrôleur général des lieux de privation de liberté font ainsi état du double
impact de la surpopulation carcérale sur la dégradation des conditions de détention des personnes placées sous main de justice et des conditions de travail des personnels pénitentiaires, ces
deux phénomènes s’alimentant mutuellement[9]. La surpopulation carcérale n’est pourtant pas une fatalité. En 2020, la crise sanitaire et ses conséquences potentielles en détention avaient
conduit le gouvernement à adopter une politique volontariste de déflation carcérale. Au-delà de la baisse de la délinquance induite par le confinement et du ralentissement de l’activité
judiciaire, ce sont les réductions de peine exceptionnelles octroyées et le développement des aménagements de peine qui ont permis une baisse rapide et drastique du nombre de personnes
détenues. Ainsi, la population pénale était passée de 70 651 personnes détenues hébergées au 1er janvier 2020 à 58 621 au 1er juillet 2021, soit une baisse de 12 000 personnes en six
mois[10]. Grâce à cette évolution historique, le taux d’occupation total était repassé sous la barre des 100%.[11] Cette dynamique encourageante n’a toutefois pas perduré. Se pose ainsi,
bien plus que la question de la faisabilité de la fin de la surpopulation, celle de sa pérennité. Face à la persistance de la problématique de la surpopulation carcérale, il convient de
s’interroger quant à la mise en place d’outils pérennes pour prévenir la sur-occupation des établissements. La présente note démontrera que la surpopulation découle notamment d’un nombre
excessif de personnes détenues (I) ; elle rappellera ensuite les mesures mises en œuvre pour freiner ce phénomène, et en soulignera les limites (II) ; enfin, elle proposera des mesures
visant à lutter durablement et efficacement contre le surencombrement des prisons (III). 1. UN NOMBRE EXCESSIF DE PERSONNES INCARCÉRÉES. La France présente actuellement une population pénale
record, avec près de 73 000 personnes détenues incarcérées. 1.1. UNE ÉVOLUTION CARCÉRALE DUE À LA CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE FRANÇAISE ? Une première explication de l’augmentation du nombre
de personnes détenues pourrait être la croissance démographique de la population française qui, mécaniquement, entrainerait une progression du nombre de personnes incarcérées. L’évolution
croissante du taux d’incarcération, qui rapporte le nombre de personnes en détention au nombre d’habitants global, démontre que ce facteur n’est pas explicatif à lui seul. Une analyse
synchronique des systèmes pénitentiaires européens invite à constater que la France incarcère davantage que ses voisins européens. Si le développement de la crise sanitaire à l’hiver de
l’année 2020 ne permet pas d’obtenir des données représentatives au cours des trois dernières années, les chiffres disponibles pour la décennie 2010–2020 démontrent que le taux
d’incarcération est plus important en France, et observe de surcroit une tendance haussière. TAUX D’INCARCÉRATION AU SEIN DES PAYS EUROPÉENS, SUR LA DÉCENNIE 2010–2020 [12] Pays Nombre de
personnes détenues (pour 100 000 habitants) en 2010 Nombre de personnes détenues (pour 100 000 habitants) en 2020 Evolution sur la décennie 2010–2020 en pourcentage France 103.5 105.3 1,7%
Allemagne 87,6 76,2 –12,9% Italie 115,5 101,2 –12,4% Espagne 163,2 123,3 –24,4% Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles) 153,3 138,0 –9,9% Pays Bas 70,8 58,5 –17,4% Danemark 71,3 71,1
–0,2% Le taux d’incarcération français est légèrement supérieur au taux médian des pays membres du Conseil de l’Europe (105,3 personnes détenues pour 100 000 habitants, contre un taux médian
de 103,2 pour 100 000 habitants). S’il est inférieur au taux moyen (124,0 pour 100 000 habitants), celui-ci ne saurait être considéré comme une donnée significative, car il se trouve
artificiellement gonflé par les taux atypiques de deux pays autoritaires : la Russie (356,1 pour 100 000) et la Turquie (357,2 pour 100 000). Le taux d’incarcération français est plus élevé
que pour bon nombre de ses voisins. Il est d’environ 50% supérieur à plusieurs pays d’Europe du Nord, tels que les Pays Bas ou le Danemark. Si ces pays disposent de dispositifs de prévention
sociale importants, pouvant expliquer l’ampleur de cet écart, on peut également comparer le taux français à celui de ses proches voisins, à l’organisation judiciaire comparable. On note
ainsi qu’il est supérieur aux taux italien et surtout allemand. Surtout, la France est l’un des seuls pays du Conseil de l’Europe à présenter une tendance haussière. En effet, si quelques
pays frontaliers présentent un taux d’incarcération supérieur à la France, leur tendance est largement déflationniste : en Espagne, le taux d’incarcération a diminué d’un quart en 10 ans, et
de 10% au Royaume Uni. La progression du taux d’incarcération français démontre ainsi que l’augmentation du nombre de personnes détenues ne découle pas uniquement de l’évolution
démographique globale de la France. 1.2. UNE INFLATION CARCÉRALE DUE À UNE PROGRESSION DE LA DÉLINQUANCE ? Face à une augmentation du nombre de personnes détenues, indépendante de
l’évolution démographique globale, il semble tentant d’invoquer une progression de la délinquance qui justifierait une répression pénale accrue. Or, les chiffres de la délinquance semblent
au contraire attester d’une remarquable stabilité des faits infractionnels au cours des dernières années et décennies, voire d’une tendance baissière pour certains types d’infractions,
notamment les plus graves. Ainsi, l’Observatoire scientifique du crime et de la Justice (OSCJ) souligne une baisse continue du nombre d’homicides commis au cours des dernières décennies,
avec un taux n’excédant pas, selon les sources, entre 0,4 et 1,3 homicides pour 100 000 habitants[13]. Plusieurs infractions, telles que les agressions physiques ou les vols et cambriolages,
font en revanche l’objet d’une comptabilisation croissante par les services de police et de gendarmerie. Toutefois, la hausse des faits répertoriés par les forces de l’ordre ne saurait être
considérée comme nécessairement révélatrice d’une hausse de la délinquance : elle traduit avant tout une propension plus forte des victimes à déposer plainte, et le recours à de meilleurs
outils de comptabilisation par les administrations de sécurité. En effet, les enquêtes de victimation, qui s’appuient sur les déclarations des victimes d’infractions, attestent de la baisse
de la commission des faits les plus graves. La principale d’entre elles, l’enquête Cadre de vie et Sécurité (CVS), menée annuellement, entre 2007 et 2021, par l’INSEE, invite à constater que
le niveau de la délinquance est stable ou en déclin, et ce tout au long des dernières années. Ainsi, on estime le nombre de victimes de violences physiques hors ménage à 672 000 en 2018,
contre 716 000 en 2006 ; le nombre de victimes de vols avec violence de 166 000 en 2018, contre 361 000 en 2006[14]. Le nombre de personnes détenues ne semble donc ni corrélée à l’évolution
démographique française, ni à celle de la délinquance. 1.3. UNE SÉVÉRITÉ PÉNALE ACCRUE L’augmentation du nombre de personnes détenues découle résolument d’une sévérité accrue de la politique
pénale française : toujours plus répressive, celle-ci est la source de l’inflation carcérale et, par conséquent, de la surpopulation. Plusieurs évolutions pénales paraissent contribuer au
gonflement de la population pénale : * Un fort recours à la détention provisoire, pour les personnes mises en cause dans l’attente d’un jugement. Le pourcentage de personnes détenues en
détention provisoire avait pourtant baissé depuis le milieu des années 1980, passant ainsi de 52%, soit plus de la moitié de la population carcérale en 1984, à 30% en 2001, puis 23% en
2010[15]. Cette tendance s’est toutefois inversée depuis plusieurs années. L’autorité judiciaire, désireuse de prévenir tout passage à l’acte, et dans un contexte d’aversion croissante au
risque, privilégie la détention provisoire à d’autres formes de contrainte pénale, telles que le contrôle judiciaire. La part de personnes détenues en attente de jugement est ainsi repartie
à la hausse, et constitue 28,5% de la population carcérale, contre une médiane européenne de 23,7%[16] ; * Un recours toujours plus important à la comparution immédiate comme modalité de
jugement. La loi Perben II de 2002, qui a élargi le champ d’application de cette procédure, explique notamment ce plus large recours. Désormais, on compte près de 60 000 comparutions
immédiates par an, pour moins de 140 000 convocations par OPJ[17]. La comparution immédiate constitue désormais 18% des jugements pénaux, contre 12% en 2012[18]. Or, la célérité de cette
procédure ne permet pas à l’autorité judiciaire d’apprécier l’environnement familial et social de la personne mise en cause, et de s’interroger sur l’opportunité d’une alternative à
l’incarcération. La comparution immédiate est donc, logiquement, particulièrement pourvoyeuse en mandats de dépôt. * La pénalisation accrue de certains types d’infractions. Au cours des
vingt dernières années, certaines infractions contraventionnelles sont devenues délictuelles, faisant encourir à leurs auteurs une peine d’emprisonnement. A cet égard, le cas de la
délinquance routière est particulièrement éclairant : la loi dite Perben II du 09 mars 2004 fait ainsi du défaut de permis de conduire un délit passible d’un an d’emprisonnement alors qu’il
s’agissait préalablement d’une simple contravention[19] ; * Un allongement progressif de la durée moyenne sous écrou, qui découle d’un allongement des peines prononcées. Ainsi, en 2019,
année dont les chiffres ne sont pas biaisés pas la crise sanitaire, la durée moyenne sous écrou était de 9,7 mois, contre 8,1 mois en 1999[20] ; * Une pénalisation accrue des infractions
commises par les personnes détenues en proie à des troubles psychiatriques. On observe ainsi, au cours des dernière décennies, une forte baisse du taux d’irresponsabilité pénale. Ce
mouvement découle de plusieurs facteurs : une pression de l’opinion publique invitant à une sévérité accrue malgré la maladie psychiatrique des auteurs, une réduction du champ
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental aux troubles psychotiques[21], mais aussi une volonté de l’autorité judiciaire d’accompagner au mieux les problématiques sanitaires de
la personne mise en cause. En effet, au regard de la baisse du nombre de lits en psychiatrie, le développement de la prise en charge du trouble mental en détention, avec la création des SMPR
(soins médico-psychiatriques régionaux) en 1986, puis des UHSA (unités hospitalières spécialement aménagée) en 2010, a pu constituer une invitation paradoxale à l’incarcération des auteurs
d’infractions rencontrant des problématiques psychiatriques. L’augmentation du nombre de personnes détenues, et par conséquent le phénomène de la surpopulation carcérale, est ainsi à titre
principal la conséquence d’une réponse pénale française de plus en plus répressive. Sous l’impulsion des différents gouvernements, le législateur a construit un arsenal judiciaire d’une
sévérité accrue, dont l’action juridictionnelle n’a pas su limiter les conséquences carcérales. Cette sévérité pénale accrue a d’ailleurs conduit à une augmentation du nombre global de
personnes placées sous-main de justice, y compris en milieu ouvert. On en comptait en effet un peu plus de 71 000 en 1980, contre plus de 175 000 aujourd’hui[22]. Si notre propos ne porte
pas sur l’évolution de la peine de probation, il convient toutefois de constater que les courbes du milieu fermé et du milieu ouvert observent un mouvement similaire, et que l’augmentation
du nombre d’un des deux types de suivi n’a pas entraîné une baisse de l’autre. 2. UNE ACTION SANS EFFICACITÉ PÉRENNE SUR LA RÉSORPTION DE LA SURPOPULATION Face aux conséquences néfastes du
phénomène de la surpopulation carcérale, deux instruments sont utilisés par les pouvoirs publics : d’une part, l’augmentation du nombre de places de détention ; d’autre part, la baisse du
nombre de personnes détenues. 2.1. L’AUGMENTATION DU NOMBRE DE PLACES EN DÉTENTION Depuis le milieu des années 1980, au regard de l’écart important entre le nombre de places disponibles et
le nombre de personnes détenues, le pouvoir exécutif, de gauche comme de droite, met en œuvre des programmes immobiliers ambitieux. Les différents plans de construction conçus, qui portent
parfois le nom du garde des Sceaux qui les a portés, prévoient la construction de nouveaux établissements, mais également la fermeture de certaines prisons, considérées comme trop vétustes.
Ils tentent ainsi de répondre à un double objectif : l’amélioration des conditions de détention des personnes placées sous main de justice et la résorption de la surpopulation. Le Livre
blanc sur l’immobilier pénitentiaire, remis en avril 2017, rappelle ces deux ambitions que doit porter un programme immobilier pénitentiaire. Ses préconisations inspirent d’ailleurs le plan
15 000 places lancé par le président Macron. Il suggère notamment d’adapter les structures pénitentiaires aux publics vulnérables, de développer les espaces collectifs au sein des
établissements, et de donner la priorité à la construction de quartiers de préparation à la sortie (actuellement qualifiés de « SAS » : structures d’accompagnement vers la sortie)[23].
PROGRAMMES IMMOBILIERS PÉNITENTIAIRES 1987 : Plan Chalandon, qui prévoit la construction de 15000 places de prison (en 1988, il est amendé par le plan Arpaillange, qui n’ambitionne plus que
la construction de 13 000 places). 1994 : Plan Méhaignerie de 4000 places. 2002 : loi d’orientation et de programmation pour la Justice, qui prévoit 13 200 nouvelles places. 2018 : lancement
du programme « 15 000 places » par le président Macron, dont la déclinaison doit s’étendre sur deux quinquennats. Le premier objectif est en grande partie rempli : en permettant la
fermeture des établissements les plus délabrés (prison Saint Michel à Toulouse, en deux temps, en 2003 et 2009 ; prisons Saint Paul et Saint Joseph à Lyon en 2009), les programmes
pénitentiaires ont permis aux personnes détenues d’investir des établissements modernes, leur octroyant des conditions de détention plus favorables. Dans les établissements construits au
début des années 2000, les cellules sont plus spacieuses, et adaptées à l’ensemble de la population pénale ; des cellules pour personnes à mobilité réduite (PMR) sont ainsi créées. Des
infrastructures collectives, sportives notamment, sont aménagées. Ces politiques de grands travaux ne sont toutefois pas parvenues à freiner durablement le phénomène de la surpopulation,
comme en atteste le taux d’occupation actuel. De fait, la surpopulation découlant principalement d’un accroissement de la sévérité de la réponse pénale aux infractions, elle ne saurait être
résorbée par la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. Cette politique, au mieux, ne peut que limiter les effets de la surpopulation ; au pire, elle est de nature à
l’encourager et à la légitimer. 2.2. LES MESURES VISANT À DIMINUER LE NOMBRE DE PERSONNES DÉTENUES Conscient de l’impact de l’inflation carcérale sur la dégradation des conditions de
détention, le législateur promeut des mesures visant à limiter les effectifs des établissements pénitentiaires. Les récentes dispositions visant à diminuer le nombre de personnes détenues
font essentiellement appel à trois leviers : favoriser les alternatives à l’incarcération, développer les aménagements de peine des personnes déjà incarcérées et réduire la durée passée en
détention. Le législateur entend permettre d’éviter davantage l’incarcération avec la loi du 23 mars 2019, de programmation 2018–2022 et de réforme pour la justice (loi LPJ). Les nouvelles
dispositions instituent une peine autonome, la DDSE (détention à domicile sous surveillance électronique), qui peut être prononcée _ab initio_, au stade du jugement. La LPJ instaure en outre
le sursis probatoire, fusion du sursis avec mise à l’épreuve, du travail d’intérêt général et de la contrainte pénale, qui avait été créée par la loi Taubira du 15 août 2014. Enfin, elle
supprime les peines inférieures à un mois. La loi a toutefois des effets ambivalents. Elle revient ainsi sur la possibilité d’aménager _ab initio_ les peines de plus d’un an : la loi du 24
novembre 2009 le permettait pourtant pour les peines de moins de deux ans. Les pouvoirs publics ont également tenté de juguler l’inflation carcérale par la promotion des aménagements de
peine, pour les personnes détenues pour lesquelles une alternative _ab initio_ à l’incarcération est impossible. La loi Taubira du 15 août 2014 permet une nouvelle modalité d’aménagement :
la libération sous contrainte (LSC). Aux deux tiers de sa peine, la situation d’une personne détenue est automatiquement étudiée en commission de l’application des peines, sans nécessité de
la présentation d’un projet de sortie. La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 entend renforcer les effets de ces dispositions, en instituant la LSC dite «
automatique » : la libération contrainte est désormais de droit, lorsqu’une personne détenue a été condamnée à une peine inférieure à deux ans, et que son reliquat n’excède pas trois mois
d’emprisonnement. Si l’impact de cette dernière disposition ne saurait être déjà évaluée, les bénéfices de la LSC apparaissent d’ores et déjà limités : étudiée en commission d’application
des peines, sans la présence de la personne détenue, elle ne permet pas à cette dernière de convaincre l’autorité judiciaire de sa volonté de réinsertion. Par ailleurs, la faiblesse du
reliquat de peine ne permet pas toujours la mise en œuvre de la libération sous contrainte, qui nécessite la mobilisation de relais institutionnels en milieu ouvert, et qui ne saurait
revêtir un sens pour quelques semaines. Enfin, le législateur a tenté par plusieurs dispositifs, au cours des vingt dernières années, de réduire la durée de la peine effectuée par la
personne détenue. En 2004, la loi Perben II instaure les crédits de réduction de peine automatiques (CRP) : ces crédits sont amputés de la peine à effectuer par la personne détenue dès sa
mise sous écrou. Ils sont de trois mois par an pour la première année, puis de deux mois par an. Ils ne sont annulés qu’en cas de faute disciplinaire, sur décision du juge de l’application
des peines. Les réductions de peine supplémentaires (RPS), quant à elles, ne sont pas octroyées d’office : elles ne sont délivrées en commission d’application des peines qu’après preuve
faite par la personne détenue de son investissement en détention, à hauteur de trois mois par an au maximum. La loi du 22 décembre 2021, précédemment évoquée, met fin à ce système dual, et
propose un système de réduction de peine unique, qui s’appuie sur le comportement comme sur l’investissement de la personne détenue. L’autorité judiciaire pourra désormais octroyer jusqu’à
six mois de réductions de peine par an. De prime abord, la réforme semble favoriser la réduction de la durée de la peine : si la loi Perben prévoyait une réduction totale de cinq mois (deux
mois de CRP et trois mois de RPS) par an, la personne détenue peut désormais espérer le retrait d’un mois de plus. Toutefois, les effets de cette réforme apparaissent ambivalents : à
l’automaticité des CRP au titre du comportement, succède une appréciation globale, _a posteriori_, au titre du comportement et de l’investissement personnel. Ainsi, il est loin d’être acquis
que la personne détenue bénéficie d’une générosité de l’autorité judiciaire à la hauteur de l’automaticité instaurée par les dispositions Perben. A cet égard, l’étude d’impact de la loi
n’est pas dupe : tandis qu’en 2019, 45% des RPS octroyables ont été délivrées à la population pénale, elle estime qu’il faudra que le taux d’octroi des réductions de peine soit désormais
supérieur à 68% pour permettre une baisse du nombre de personnes détenues[24]. Ces dispositions législatives récentes, si elles témoignent d’un désir sincère du pouvoir exécutif et du
législateur de lutter contre l’inflation carcérale, ne sauraient donc être considérées comme un remède assuré contre la surpopulation carcérale. 3. METTRE EN ŒUVRE DES MESURES EFFICACES POUR
RÉDUIRE LE NOMBRE DE PERSONNES HÉBERGÉES EN DÉTENTION Afin de lutter avec efficacité et de manière pérenne contre la surpopulation carcérale, nous formulons sept propositions, qui
interrogent l’efficacité des programmes immobiliers et invitent à privilégier la baisse du nombre de personnes détenues. Nous préconisons en outre la mise en œuvre d’un mécanisme de
régulation carcéral contraignant, sous la forme d’un _numerus clausus_ pour chaque établissement pénitentiaire. Enfin, pour accompagner cette déflation carcérale, nous suggérons une
réallocation des moyens budgétaires de l’administration pénitentiaire au bénéfice du milieu ouvert. PROPOSITION 1 : EVALUER L’IMPACT DES CRÉATIONS DE PLACES DE PRISON SUR L’INFLATION
CARCÉRALE. Si la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, corollaire de la fermeture des plus vétustes, permet une nette amélioration des conditions de détention de la
population pénale, il a été rappelé précédemment qu’elle n’empêchait pas la surpopulation carcérale. Il est permis de formuler une interrogation, au-delà de ce constat : les programmes
immobiliers, qui ne résolvent pas la problématique de la surpopulation, l’aggraveraient-ils ? Les nouveaux établissements ne constitueraient-ils pas autant « d’appels d’air » pour les
magistrats, qui incarcéreraient davantage ? Tel est le discours de plusieurs associations, mais aussi du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Les rares études invitent à
relativiser cette hypothèse, et à noter que les nouvelles prisons ne constituent pas une incitation à l’incarcération[25]. La littérature scientifique demeure toutefois peu étoffée à ce
sujet. La question de l’impact réel de la construction de nouveaux établissements sur la politique pénale des juridictions voisines est pourtant cruciale, pour déterminer le rôle des
programmes immobiliers dans la prévention de la surpopulation carcérale. Ainsi, il semble nécessaire de réaliser une évaluation rigoureuse de cette politique publique coûteuse et ambitieuse
qu’est le plan 15 000 en cours, au milieu de son exécution. Au sein de la direction de l’administration pénitentiaire, le laboratoire de recherche et d’innovation et le bureau de la donnée,
entités de la nouvelle sous-direction de l’expertise, créée en 2019, pourraient lancer un appel à projet de recherche sur ce sujet, en lien avec des universitaires partenaires. PROPOSITION 2
: RÉVISER LE RÉGIME DE LA DÉTENTION PROVISOIRE Les prisons françaises accueillent un nombre trop important de personnes en attente d’un jugement. Constituant 28,5% de la population pénale,
une partie des personnes prévenues pourraient faire l’objet d’un contrôle de l’autorité judiciaire, en dehors des établissements pénitentiaires. Le législateur a conçu des mesures
alternatives à la détention pour les personnes mises en cause devant faire l’objet d’un jugement. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 prévoit la possibilité pour le magistrat de
prononcer une assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE). Plus contraignante qu’un simple contrôle judiciaire, cette mesure constitue un équilibre intéressant entre
surveillance de la personne mise en cause et régulation carcérale. L’ARSE demeure toutefois un dispositif sous-utilisé : on compte en effet moins de 500 mesures de ce type actuellement mises
en œuvre[26]. La promotion des alternatives à l’incarcération au stade pré-sentenciel ne peut donc être suivie d’effets que si le recours à la détention provisoire lui-même fait l’objet
d’un encadrement plus strict. Plusieurs axes de limitation peuvent être empruntés. Le seuil de la peine encourue pour le prononcé de la détention provisoire pourrait être rehaussé :
actuellement, la détention provisoire peut être prononcée à l’égard de toute personne mise en cause pour une infraction passible d’au moins trois ans d’emprisonnement. La détention
provisoire pourrait désormais exclusivement concerner les personnes mises en examen pour des infractions dont la peine encourue est égale ou supérieure à cinq ans d’emprisonnement.
L’encadrement de la détention provisoire doit en outre se traduire par sa limitation dans le temps. Pour la plupart des délits, la détention provisoire est d’une durée de quatre mois,
renouvelables deux fois. Nous proposons de limiter la détention à huit mois : la personne mise en examen ne pourrait voire sa détention provisoire prolongée qu’une seule fois, et ferait
ensuite à l’objet d’un contrôle judiciaire ou d’une ARSE. Pour les crimes, la détention provisoire est d’une durée d’un an. Si le crime est passible de moins de 20 ans de réclusion, deux
renouvellements de 6 mois peuvent être prononcés. S’il est passible de plus de 20 ans de réclusion, quatre renouvellements sont possibles, faisant ainsi passer la durée de la détention
provisoire à 3 ans[27]. Nous proposons là encore de limiter le renouvellement à une fois pour la première catégorie, et à deux fois pour la seconde, limitant respectivement la détention
provisoire à 18 mois et à 2 ans. Au-delà de ces délais respectifs, la personne mise en cause pourra être soumise à des mesures de contrainte alternatives, telles que le CJ ou l’ASSE. SI
l’incarcération de la personne concernée apparaît préférable, il revient à l’autorité judiciaire de permettre la tenue rapide d’un procès en assises, afin de ne pas interrompre sa période de
détention. Enfin, il convient d’interroger la pertinence des motifs pouvant motiver le recours à la détention provisoire. Le rapport de Bruno Cotte et Julia Minkowski de 2017[28] soulignait
notamment le caractère vague du sixième motif prévu par l’article 144 du Code de procédure pénale, autorisant un retour extensif à la détention provisoire : mettre fin à l’infraction ou
prévenir son renouvellement. Ce dernier critère pourrait être supprimé. PROPOSITION 3 : FAIRE PASSER AU STATUT CONTRAVENTIONNEL LES DÉLITS LES MOINS GRAVES La sévérité accrue de la justice
pénale française se traduit notamment par le traitement délictuel de nombreuses infractions, pourtant d’une gravité modérée. Dès lors, les faits commis sont passibles d’une peine
d’emprisonnement. Parfois prononcée, celle-ci contribue au phénomène de surencombrement des établissements pénitentiaires. Elle ne sert pas l’objectif de réinsertion de la sanction pénale,
ni celui de prévention de la récidive. La pénalisation accrue de la délinquance routière a ainsi augmenté le nombre de personnes détenues condamnées pour ce type d’infractions. On en compte
actuellement plus de 2500 dans les établissements pénitentiaires français[29]. Il convient de contraventionnaliser les délits routiers, tels que le défaut de permis de conduire[30]. Le vol à
l’étalage, sanctionné en droit pénal français sous la qualification délictuelle du vol simple, pourrait faire l’objet d’une qualification autonome, de nature contraventionnelle. Il
s’agissait d’ailleurs là d’une promesse du candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017. De même, l’infraction d’usage de stupéfiant pourrait faire l’objet d’une
nouvelle réforme. Depuis la loi du 23 mars 2019, l’usage de stupéfiants peut faire l’objet d’une amende forfaitaire. Cette sanction pénale est mise en œuvre sur décision des forces de
l’ordre et suppose que plusieurs conditions soient réunies : les produits stupéfiants retrouvés doivent être en petite quantité et ne pas appartenir à des drogues dites « dures » ; par
ailleurs, la personne mise en cause doit présenter son identité, consentir à payer l’amende et être en mesure de le faire. La réponse forfaitaire ne constitue ainsi qu’une option et coexiste
avec la sanction pénale délictuelle. Il semble logique, dès lors, de systématiser le passage au statut contraventionnel de l’usage de stupéfiants. Une évolution plus ambitieuse serait la
dépénalisation de l’usage du cannabis, qui permettrait d’alléger la charge de travail que nécessite sa répression pour les juridictions mais aussi, avec l’amende forfaitaire, pour les forces
de sécurité intérieure. Elle permettrait en outre de contribuer à l’assèchement des trafics dans de nombreux quartiers[31]. PROPOSITION 4 : RÉTABLIR L’AUTOMATICITÉ PARTIELLE DES RÉDUCTIONS
DE PEINE La réforme du système de réductions de peine prévue par la loi pour la confiance en l’institution judiciaire de décembre 2021, qui supprime l’automaticité des crédits de réduction
de peine, présente plusieurs inconvénients majeurs. Elle risque de conduire à une baisse de l’octroi des réductions de peine, entraînant ainsi une hausse du nombre de personnes détenues.
Elle suppose en outre une charge d’examen supplémentaire conséquente en commission de l’application des peines, pouvant aboutir à un sur-engorgement de cette instance. Enfin, elle prive
l’administration pénitentiaire d’un outil de gestion de la détention : en effet, les personnes détenues qui faisaient l’objet d’une décision de retrait de crédit de réduction de peine par un
juge de l’application des peines, constataient l’impact visible de leur comportement sur la durée de leur peine. La suppression de l’automaticité des CRP s’accompagne d’un manque de
lisibilité, pour une personne détenue, du lien entre la faute commise et le taux d’octroi des réductions de peine. Les réductions de peine ne sont donc plus un outil dissuasif, au service du
personnel pénitentiaire et de l’autorité judiciaire. La présente note propose un retour au système dual initié par la loi Perben II en 2004 : les crédits de réduction de peine seraient
octroyés _ab initio_, avec un retrait potentiel _a posteriori _en cas de faute disciplinaire, et les réductions de peine supplémentaires viendraient récompenser l’investissement démontré par
la personne détenue, en commission d’application des peines. Les CRP seraient d’un montant de trois mois, pour la première année de détention mais aussi au titre des années suivantes :
ainsi, le maximum de réduction de peine serait de six mois par année, comme l’institue la loi de décembre 2021. PROPOSITION 5 : RÉFORMER LES MODALITÉS DE RECOURS À LA COMPARUTION IMMÉDIATE
Au regard de l’impact de la procédure de comparution immédiate sur l’augmentation du nombre de personnes détenues, la réforme de cette modalité de jugement semble essentielle à la prévention
de la surpopulation carcérale. La révision de la comparution immédiate pourrait revêtir deux aspects. D’une part, le champ d’application de cette modalité de jugement particulièrement
sévère pourrait être restreint : ainsi, nous proposons de limiter la possibilité pour le parquet de recourir à la comparution immédiate aux infractions passibles de deux ans (ou dès un an en
cas de flagrant délit) à sept ans d’emprisonnement, contre deux ans (ou dès six mois en cas de flagrant délit) à dix ans actuellement. Il s’agirait ainsi d’un retour à la situation
antérieure à la loi d’orientation et de programmation pour la Justice du 09 septembre 2022. D’autre part, l’organisation du jugement pourrait être réformé, afin de laisser le temps à
l’autorité judicaire d’apprécier la situation de la personne mise en cause, et l’opportunité de l’exécution d’une peine hors établissement pénitentiaire. La comparution immédiate pourrait
ainsi être régie par le système de la césure, tel qu’il est conçu pour la justice des mineurs : une première audience se prononcerait sur la culpabilité de la personne mise en cause ; dans
un second temps, au moins un mois après, la même formation de jugement se prononcerait sur la nature de la peine et son quantum. La personne reconnue coupable disposerait ainsi du temps
nécessaire pour démontrer des gages d’insertion en milieu ouvert, voyant de ce fait augmenter ses chances de bénéficier d’une mesure alternative à l’incarcération. PROPOSITION 6 : PROPOSER
UN _NUMERUS CLAUSUS_ DANS LES MAISONS D’ARRÊT Les affectations en établissement pour peine sont décidées par l’administration pénitentiaire, qui s’assure que le taux d’occupation ne dépasse
pas 100%. En revanche, les incarcérations en maisons d’arrêt découlent bien souvent de dépôts décidés par l’autorité judiciaire, ce qui explique un taux de surpopulation supérieur à 140%.
Les autorités judiciaires et pénitentiaires ont développé, au cours des dernières années, leur partenariat pour une meilleure prévention de la surpopulation, notamment par une
sensibilisation mutuelle et la communication plus régulière aux juridictions des taux d’occupation de chaque établissement. Le rapport du Comité des Etats généraux de la Justice, remis en
juillet 2022, s’inscrit dans la même dynamique, en préconisant un seuil de criticité pour chaque structure, dont le dépassement entrainerait obligatoirement la réunion des différents
acteurs[32]. Toutefois, ce type de dispositifs, déjà expérimentés dans plusieurs juridictions, n’a pas eu les effets escomptés. L’absence de mesure contraignante ne permet pas une réduction
effective du nombre de personnes détenues. La présente note propose donc de fixer un _numerus clausus _pour les maisons d’arrêt, sous la forme d’un taux d’occupation à ne pas dépasser. Cette
mesure ambitieuse, qui a pu être déployée dans plusieurs pays européens, tels que la Finlande ou le Pays Bas, a déjà été défendue en France sous la forme d’une proposition de loi en 2010
par le député Dominique Raimbourg, puis en 2014 par Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Deux modalités de _numerus clausus_ peuvent être envisagées. Selon
un premier scénario, l’autorité judiciaire, constatant le dépassement du taux d’incarcération sur la maison d’arrêt de son ressort, serait dans l’incapacité légale d’affecter une personne
détenue. Un tel dispositif paraît toutefois rigide : il empêche l’incarcération d’une personne mise en cause, pour qui une alternative à la détention paraît inadaptée. Le dispositif
favoriserait ainsi l’inexécution des décisions de justice. Une autre modalité du dispositif, plus souple, est à privilégier : en cas de dépassement du taux d’occupation fixé, l’incarcération
d’une personne sous la forme d’une détention provisoire, ou à la suite d’une condamnation, demeurerait possible, mais devrait conduire automatiquement à la libération de la personne détenue
de l’établissement concerné dont la fin de peine est la plus proche. Cette libération serait mise en œuvre sous la forme d’un aménagement de peine, ou, à titre subsidiaire, à la faveur
d’une réduction de peine exceptionnelle. Le taux d’occupation maximal, pour tenir compte des disparités locales, serait différencié en fonction des établissements. Il serait fixé en
concertation avec les partenaires judiciaires et pénitentiaires. Un maximum national serait toutefois établi, et progressivement abaissé, pour accompagner l’évolution des politiques pénales
: ainsi, le taux national maximal pourrait être établi à 130% en 2024, 120% en 2025, 110% en 2026 et enfin 100% en 2027. Dans chaque cour d’appel, une cellule de veille serait constituée
pour veiller en temps réel à la régulation carcérale des maisons d’arrêt du ressort ; cette cellule réunirait les magistrats, des représentants de l’administration pénitentiaire, et des
avocats représentant les barreaux locaux. Pour faciliter la mise en œuvre de ce dispositif, une baisse mécanique et rapide de la population carcérale apparaît opportune. Ainsi, une
introduction aisée du principe du _numerus clausus_ pourrait s’appuyer sur le vote d’une loi d’amnistie, possibilité prévue par l’article 133–9 du Code pénal. Si le Parlement a renoncé à
cette pratique depuis 2002, une telle loi favoriserait une déflation carcérale rapide, pour instaurer un dispositif de régulation carcérale pérenne. Le législateur pourrait ainsi viser les
peines prononcées il y a plus de deux ans, et celles d’une durée d’emprisonnement inférieure à un an, pour certaines qualifications pénales. PROPOSITION 7 : DÉVELOPPER LES MOYENS DE
L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE EN MILIEU OUVERT Une déflation carcérale entrainerait mécaniquement une hausse du nombre de personnes placées sous main de justice en milieu ouvert, qui sont
actuellement plus de 170 000. Il convient donc de proposer une prise en charge adaptée, assurant un suivi de qualité des personnes concernées. Le renforcement de ce suivi suppose notamment
une amélioration du taux d’encadrement des personnes placées sous main de justice, et donc un renforcement des effectifs dédiés à ces missions. Depuis 2018, les effectifs des services
pénitentiaires d’insertion et de probation ont augmenté de plus de 20%, passant de 5576 ETP à 6736 en 2022. Cet accroissement des effectifs s’est accompagné d’une augmentation du budget
alloué aux activités de réinsertion, de 69 millions d’euros en 2016 à 122,6 millions d’euros pour le budget de 2023[33]. Il convient de conforter cette évolution, en engageant sur
le quinquennat le recrutement de 1000 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation complémentaires. De même, les effectifs de surveillants officiant en SPIP, pour la pose de
bracelets électroniques, doivent être étoffés. Cette évolution doit permettre une amélioration du suivi des personnes placées sous main de justice en post sentenciel, mais aussi en
pré-sentenciel : la mise en œuvre d’enquêtes de personnalité, l’accompagnement des auteurs présumés et la pose de bracelets seront favorisés en amont du jugement. Une telle ambition ne
saurait être freinée par des considérations budgétaires : en effet, la loi de finances de 2023 a conduit à une augmentation de 7% des moyens dévolus à l’administration pénitentiaire.
Celle-ci, financée par le programme 107, voit ses crédits de paiement évoluer de moins de 4,6 milliards l’année précédente à plus de 4,9 milliards d’euros[34]. 417 millions d’euros doivent
être alloués à la poursuite du programme immobilier « 15 000 », et près de 500 emplois des 800 créations prévues par la loi de finances de 2023 doivent permettre de doter les nouveaux
établissements de ressources humaines suffisantes. Ainsi, le recrutement de nouveaux effectifs en SPIP ne suppose pas une augmentation du budget accordé à l’administration pénitentiaire,
mais plutôt une réallocation des ressources en faveur du milieu ouvert, que doit permettre la baisse du nombre de personnes incarcérées. Le développement des moyens déployés en milieu ouvert
doit également concerner l’ATIGIP (Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnel), créée par la loi de programmation et de réforme pour la Justice de mars 2019. Cette
structure est en effet nécessaire au développement du travail d’intérêt général, peine alternative à l’incarcération trop peu exploitée. Enfin, cet étoffement des moyens humains et
budgétaires de l’administration pénitentiaire en milieu ouvert n’exclut pas une sollicitation des acteurs privés. Les organisations philanthropiques notamment, telles que la Fondation de
France, qui a créé un programme dans ce secteur en 2013, ont tout leur rôle à jouer dans la valorisation du suivi judiciaire en milieu ouvert. CONCLUSION Promotion des alternatives à
l’incarcération, mise en place d’un _numerus clausus_ et recrutement de professionnels en milieu ouvert constituent les vecteurs indispensables d’une prévention efficace et durable de la
surpopulation carcérale. L’exemple récent de la déflation carcérale de 2020, lors de la crise sanitaire, doit nous rappeler qu’il s’agit là d’un objectif exigeant mais réalisable, qui
suppose des outils pérennes. Plusieurs pays européens, tels que les Pays-Bas, tentent de trouver une nouvelle utilité à leurs prisons devenues vides. Souhaitons à la France de partager cette
préoccupation, à un horizon -relativement- proche. ------------------------- [1] Rapport annuel du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou
dégradants, 2021 [2] Dossier de presse relatif au rapport d’activité 2022, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté [3] _Statistiques mensuelles_ du Ministère de la Justice
[4] On distingue deux grands types d’établissements pénitentiaires : les maisons d’arrêt accueillent les personnes détenues en détention provisoire, ou condamnées avec un reliquat de peine
inférieur à deux ans. Les établissements pour peine hébergent des personnes détenues condamnées à de plus longues peines. Au sein de ces structures, on distingue les centres de détention,
qui proposent une prise en charge orientée vers la réinsertion, et les maisons centrales, pour une prise en charge plus sécuritaire. Enfin, les centres pénitentiaires rassemblent différents
types de secteur (quartier maison d’arrêt, quartier centre de détention, quartier maison centrale, quartier de semi-liberté…). [5] Idem [6] CEDH, _arrêt Canali c/France_, 25 avril 2013 [7]
CEDH, arrêt _JMB c/France_, 30 janvier 2020 [8] Dossier de presse relatif au rapport d’activité 2022, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté [9] Voir, à titre d’exemple
éclairant, les recommandations en urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 30 juin 2022 relatives au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan [10] _Statistiques
trimestrielles du Ministère de la Justice_, année 2020 [11] Il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude isolant ce facteur spécifique de la libération anticipée sur l’évolution de la
délinquance dans la période qui a immédiatement suivi. La baisse observée des infractions en 2020 est sans doute pour l’essentiel attribuable aux confinements. [12] _Statistiques pénales
annuelles_ du Conseil de l’Europe, 2021 [13] https://oscj2.cesdip.fr/wp-content/uploads/2023/01/Lhomicide-est-rare.pdf [14] _Rapport d’enquête « Cadre de vie et sécurité 2019 »_, Service
statistique ministériel de sécurité intérieure, décembre 2019 [15] « Dix ans d’évolution du nombre de personnes écrouées de 2000 à 2010 », _Cahiers d’études pénitentiaires et
criminologiques_, Direction de l’administration pénitentiaire, 2010 [16] _Statistiques pénales annuelles_ du Conseil de l’Europe, 2021 [17] _Les chiffres clés de la Justice édition 2022_,
Services statistiques du ministère de la Justice, 2022 [18] _Rapport du Comité des Etats généraux de la Justice_, Juillet 2022 [19] La peine encourue est actuellement précisée dans l’article
L 221–2 du Code de la route [20] _Séries statistiques des personnes placées sous main de justice_, 1980–2022, Ministère de la Justice, 2022 [21] C. Protais, « La restriction du champ de
l’irresponsabilité pour cause de trouble mental depuis 1950 », _Les cahiers de la Justice_, 2017. [22] Statistiques trimestrielles de milieu ouvert, Ministère de la Justice, 31 décembre 2022
[23] J-R Lecerf, _ Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire_, 4 avril 2017. [24] _Etude d’impact pour le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire_, 13 avril 2021 [25]
Voir notamment A. Philippe, _ La fabrique des jugements_, Editions La Découverte, 2022 [26] _Les chiffres clés de la Justice édition 2022_, Services statistiques du ministère de la Justice,
2022 [27] Pour les délits comme pour les crimes, des renouvellements exceptionnels sont en outre prévus si les faits sont commis à l’étranger, et pour certains types d’infraction, comme le
terrorisme et la criminalité organisée [28] B. Cotte et J. Minkowski, _Sens et efficacité des peines_, Chantiers de la Justice, 2017. [29] Statistiques trimestrielles du milieu fermé,
Ministère de la Justice, 31 mars 2023 [30] Le rapport de la commission de modernisation de l’action publique, rendu en 2013 au garde des Sceaux par Jean-Louis Nadal, procureur général
honoraire près la Cour de cassation, constatant que les succès de la politique de lutte contre l’insécurité routière ne sont « pas directement corrélés au traitement pénal du contentieux
routier », proposait de transformer en contraventions les délits suivants : 1– le délit de défaut de permis de conduire / 2– le délit de défaut d’assurance / 3– le délit de conduite d’un
véhicule malgré injonction de restituer le permis de conduire résultant du retrait de la totalité des points / 4– le délit de conduite sans permis / 5– le délit de conduite d’un véhicule
sous l’emprise d’un état alcoolique caractérisé par la présence dans l’air expiré d’un taux d’alcool supérieur à 0,40 milligramme et inférieur à 0,80 milligramme. Ces cinq délits
représentaient environ 210 000 infractions (en 2011) et entre 30 et 40% de l’activité pénale des juridictions. De telles modifications ne signifieraient pas une contraventionnalisation de
l’ensemble de la délinquance routière. Ainsi, les homicides involontaires commis dans de telles circonstances, à titre d’exemple, seraient toujours passibles d’emprisonnement. [31] Voir la
note de Mathieu Zagrodzki « Cannabis : pour une autre stratégie policière et pénale », Terra Nova, 2020. [32] _Rapport du Comité des Etats généraux de la Justice_, Juillet 2022 [33] M.
Mercier et L. Harribey, _Le SPIP : la lutte contre la récidive mise à l’épreuve_, Rapport d’information du Sénat, 2023 [34] Loi n°2022–1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023