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L’Union européenne peut-elle surmonter ses divisions en matière d’asile ? Alors que les dirigeants européens se sont retrouvés mercredi 17 octobre à Bruxelles pour un conseil européen,
l’Institut Montaigne et le think tank Terra Nova plaident, dans un rapport conjoint pour une refonte totale de la politique européenne en matière d’asile. Ce droit encadré par la convention
de Genève est aujourd’hui menacé en Europe, alertent les auteurs du rapport. Parce que des mouvements populistes en remettent en cause la légitimité, expliquent-ils. Et parce que les Etats,
parfois débordés ou impuissants à faire face aux flux migratoires, n’arrivent pas à dépasser « leurs égoïsmes nationaux ». L’étude a été pilotée depuis dix mois par par Thierry Pech, le
directeur général de Terra Nova, think tank classé à gauche, et Jean-Paul Tran Thiet, membre de l’institut Montaigne, centre d’études classé à droite. Pour « sauver le droit d’asile » – le
titre de leur rapport –, les auteurs ont formulé une quinzaine de propositions radicales avec l’idée de marier étroitement humanité et réalisme. Des propositions qui ont peu de chances
d’aboutir au vu des récentes prises de position de dirigeants européens, comme l’Italien Matteo Salvini et le Hongrois Viktor Orban. Mais qui ont le mérite d’exister et de montrer une voie.
"C’est un système cible. On sait qu’on ne va pas y arriver en six mois, l’important c’est la direction", défend Thierry Pech. « DUBLIN EST UNE FAILLITE » Les deux instituts
pointent d’abord les faiblesses et incohérences du système actuel. Thierry Pech dénonce : « L’application du droit d’asile a pris la forme d’une vaste loterie administrative. Il y a une
convention de Genève mais de très nombreuses manières de l’appliquer. La chance de se voir octroyé l’asile varie de 1 à 4 selon la période et le pays. Cela démontre qu’il y a des décisions
non de droit, mais de nature politique ou électoralistes. » Les auteurs appellent ensuite à en finir avec le règlement de Dublin. Dans le détail, ils proposent de supprimer la clause dudit
règlement qui oblige les demandeurs d’asile à s’enregistrer dans le pays par lequel ils sont entrés en Europe. « Le système de Dublin a dysfonctionné et attisé les tensions en faisant porter
toute la charge sur les pays de première entrée », poursuit Pech. En supprimant ce texte en vigueur, il s’agirait de permettre à chaque demandeur d’asile de déposer un dossier dans le pays
de son choix – les demandes multiples restant interdites. Pour coordonner ces autorités indépendantes et harmoniser leurs critères, un Office du droit d’asile en Europe serait créé et
financé par le budget de l’Union européenne. Dans le cas où le nombre de réfugiés accueillis par un pays serait supérieur à sa capacité d’accueil, c’est cet office qui serait chargé de
procéder à une répartition des réfugiés entre les autres Etats membres en fonction de leur population, du PIB par habitant et du taux de chômage. « Les Allemands ont une clé de répartition
de leurs réfugiés par Länder. Si la Bavière est 'full’, c’est la Hesse qui accueille. Ce que les Allemands arrivent à faire, l’Europe peut y parvenir aussi. Avec cette clé, on demande
le moins d’abandon de souveraineté nationale possible. C’est plus juste moralement et plus efficace que le bordel généralisé auquel on assiste », argumente le directeur général de Terra
Nova. Autre proposition du rapport : "européaniser", via l’agence Frontex (la police européenne des frontières), les procédures de renvoi des déboutés. L’idée serait de confier à
l’UE le soin de négocier les accords de réadmission avec les pays d’origine. « Une diplomatie migratoire », expose Jean-Paul Tran Thiet, qui verrait l’Union peser davantage qu’un Etat membre
dans ses négociations avec les pays d’origine. Pour gérer l’urgence humanitaire, Terra Nova et l’institut Montaigne proposent la création de Centres européens d’accueil et de traitement
(CEAT) dans les pays disposant d’une façade méditerranéenne. « Nous n’avons pas de statistiques, mais il y a encore des milliers de noyés dans la Méditerranée », assure Jean-Paul Tran Thiet.
Dans ces centres, les demandes des personnes secourues en mer seraient traitées en moins d’un mois. « Les CEAT peuvent être mis en musique rapidement dans trois ou quatre Etats, ça demande
peu de maçonnerie institutionnelle », observe Thierry Pech. La majeure partie des coûts découlant de la politique du droit d’asile serait supportée par le budget européen. Les Etats qui
refuseraient de participer aux mécanismes de répartition des réfugiés seraient pénalisés financièrement. « On dirait à la Hongrie : 'vous ne voulez pas accueillir, vous devez payer
tant’. C’est la loi SRU à l’échelle de l’UE », explique Jean-Paul Tran Thiet. Une référence à la loi imposant des seuils de logements sociaux par commune. Voici la liste des 16 propositions
formulées en conclusion de ce rapport : Réformer en profondeur les procédures du droit d’asile en Europe Proposition n° 1 : Au sein de chaque Etat membre, transformer en agence
indépendante l’autorité nationale en charge des demandes d’asile (comme l’OFPRA en France) de manière à empêcher toute interférence politique. Proposition n° 2 : Supprimer la clause du pays
de première entrée du règlement de Dublin et permettre à chaque demandeur d’asile de solliciter la protection de l’Etat membre de son choix, tout en continuant à interdire les demandes
multiples. Proposition n° 3 Créer un Office du droit d’asile en Europe (ODAE) chargé de coordonner les agences nationales indépendantes et d’harmoniser progressivement leur pratique
décisionnelle. Créer une solidarité effective entre les Etats membres Proposition n° 4 : Permettre à l’ODAE, assisté d’un comité des représentants des autorités nationales indépendantes, de
réallouer des dossiers à instruire, en cas de surcharge manifeste dans un État membre. Proposition n° 5 : Lorsque le nombre de réfugiés accueillis par un pays excède significativement la
part d’effort qui lui revient, charger l’ODAE, sur demande de l’autorité nationale concernée, de procéder à une répartition entre les autres Etats membres, à la lumière de critères tenant
compte de leur population, du PIB par habitant et de leur taux de chômage. Confier à l’Union européenne un rôle plus important dans la gestion des relations avec les pays d’origine et de
transit Proposition n° 6 : Européaniser les procédures de renvoi des déboutés en mobilisant les moyens de Frontex, et confier à l’UE le soin de négocier, avec les Etats membres, les accords
de réadmission avec les pays d’origine. Proposition n° 7 : S’agissant des pays de transit, conclure des accords de partenariat pour faciliter un accueil des migrants respectueux de la
dignité humaine, mettre en place des actions de formation et d’orientation, et sécuriser le parcours des demandeurs d’asile vers l’Europe (procédure de réinstallation avec le HCR). Créer un
socle commun européen de droits pour les réfugiés et les demandeurs d’asile Proposition n° 8 : Permettre au demandeur d’asile d’accéder à l’emploi au plus tard trois mois après le dépôt de
sa demande. Proposition n° 9 : Faciliter l’insertion des réfugiés en coordonnant plus efficacement l’action des travailleurs sociaux, des bénévoles et des administrations(hébergement, cours
de langues, conseils techniques et juridiques, etc.). Proposition n° 10 : Accorder aux réfugiés un droit de séjour et d’établissement dans tout Etat membre, sans transfert du bénéfice des
régimes sociaux spécifiques attachés au territoire qui a accordé la protection. Mobiliser le budget de l’Union européenne et surmonter les blocages politiques Proposition n° 11 : Faire
supporter par le budget européen l’essentiel des coûts de la politique du droit d’asile en Europe, en particulier la mise en place de centres d’accueil et de traitement d’urgence des
personnes secourues en mer (voir infra, propositions n° 14 et suivantes), ainsi que les retours des déboutés. Proposition n° 12 : Pénaliser financièrement les Etats membres qui refusent de
participer aux mécanismes de réallocation des dossiers à examiner ou de répartition des réfugiés. Proposition n° 13 : Si nécessaire, agir par la voie de coopérations renforcées ou de
conventions ad hoc entre les Etats membres les plus volontaires. Adopter des mesures d’urgence pour faire face à la crise humanitaire en Méditerranée Proposition n° 14 : Créer, dans les pays
de l’Union ayant une façade méditerranéenne, des Centres européens d’accueil et de traitement (CEAT) où les demandes d’asile des secourus en mer seront traitées en moins d’un mois.
Proposition n° 15 : En attendant l’abrogation définitive de la clause du « pays de première entrée », prévoir que les personnes accueillies dans les CEAT pourront solliciter l’asile dans
l’Etat membre de leur choix, sous réserve d’éventuelles péréquations (voir supra, propositions 4 et 5). Proposition n° 16 : Ouvrir dans chaque CEAT des bureaux des différentes autorités
nationales, afin d’instruire les demandes d’asile des personnes présentes et d’assurer le transfert des bénéficiaires de protection vers le pays de l’Union qui la leur aura accordée. Rémy
Dodet