
- Select a language for the TTS:
- French Female
- French Male
- French Canadian Female
- French Canadian Male
- Language selected: (auto detect) - FR
Play all audios:
Source : Agence Bio Cette production a connu deux fortes accélérations : dans les années 2008–2011 puis à partir de 2014. En moins de dix ans, les surfaces et le nombre de fermes engagées
ont plus que doublé. Pour apprécier le rythme de cette progression, il faut tenir compte de la durée des processus de conversion visible sur ce graphique (différence entre surfaces en
conversion et surfaces certifiées). En effet, en fonction des productions, il faut compter deux à trois ans pour que les produits issus d’une ferme en bio puissent être certifiés comme tels.
À partir du début de la deuxième année de conversion, et pour des produits bruts, on peut valoriser le caractère « en conversion » avec un prix souvent intermédiaire entre le conventionnel
et le bio. Cette photographie à fin 2018 est toutefois insuffisante, car il faut pouvoir se projeter dans les cinq à dix ans à venir pour imaginer la suite de cette dynamique. Les États
généraux de l’alimentation qui ont eu lieu au cours du deuxième semestre 2017 ont abouti au programme « Ambition Bio 2022 », qui prévoit notamment de passer de 6,5 % à 15 % la part de la
surface agricole utile (SAU) française cultivée en bio. La question fondamentale est celle de la capacité à atteindre cet objectif de 15 % et du modèle de développement de l’agriculture
biologique française qui le permettra (i.e. avec des pratiques agro-écologiques ou industrielles). Mais la demande est bel et bien là. L’industrie agroalimentaire a d’ailleurs pris
conscience de sa croissance et elle s’y intéresse sérieusement. Tout récemment, la marque Hénaff a ainsi lancé son pâté bio, alors même que le territoire breton et la production de porc ont
historiquement adopté un modèle d’élevage très intensif, plus difficilement convertible en bio. De même, des enseignes comme Carrefour ou Leclerc ont lancé des partenariats avec des
agriculteurs en cours de conversion pour les encourager et pour sécuriser l’approvisionnement de leurs magasins. Et l’on pourrait multiplier les exemples allant dans le même sens. Quand
consommer bio n’est pas possible en raison d’une offre insuffisante, une étape intermédiaire consiste à adopter une consommation locavore, c’est-à-dire de saison et régionale. Ce choix est
même parfois préférable à celui qui consiste à consommer des fruits et légumes bio importés, lorsque ceux-ci ont été produits sous serre de manière quasi industrielle, dans des conditions de
travail peu exemplaires et avec une empreinte environnementale importante . Quant aux fruits et légumes bio produits en France hors saison, il faut avoir conscience qu’ils ont été souvent,
eux aussi, cultivés sous serre chauffée et hors sol, entraînant d’importantes émissions de GES . La tendance à l’industrialisation du bio, entretenue par de grandes enseignes qui veulent
pouvoir disposer de grandes quantités et casser les prix, comporte un réel risque de dévoiement des visées et principes originels de l’agriculture biologique. La vigilance doit donc rester
de mise sur les pratiques adoptées lors de ce passage à l’échelle du bio, afin que ce label reste fiable, crédible et source de progrès environnementaux. Le temps qu’une production bio
suffise à satisfaire la demande domestique, consommer local, de saison et des produits issus de filières de qualité (label rouge, élevage en plein air, AOC, etc.) permet également
d’enclencher une transition alimentaire. De même, concernant la viande, des filières qualité semblent se développer (label rouge), en particulier pour les volailles (fermières, élevage en
plein air, etc.). Quoi qu’il en soit, dans le cas de la restauration scolaire, le mouvement de transition va devoir s’accélérer. L’article 24 de la loi Egalim prévoit, on l’a vu, que les
structures publiques chargées de la restauration collective atteignent 50 % de leurs achats en alimentation durable, principalement bio et sous signes de qualité, au 1 er janvier 2022. Cet
objectif n’est pas inaccessible. Quand le sujet est pris avec énergie et conviction, des solutions existent d’ores et déjà. Mais il faut accompagner et former le personnel , les élèves et
leurs parents, acheter des produits de saison, supprimer les achats à la portion, etc. Des exemples comme celui de la commune de Mouans-Sartoux montrent que l’on peut même atteindre 100 % de
repas bio en maîtrisant les coûts grâce à une réduction drastique du gaspillage (qui a en l’occurrence été divisé par cinq, voir encadré ci-après). MANGER 100 % BIO, MAJORITAIREMENT LOCAL,
ET AU MÊME PRIX ; LE PARI RÉUSSI DE MOUANS-SARTOUX La commune de Mouans-Sartoux dans les Alpes-Maritimes compte 10 500 habitants. Après la crise dite de la « vache folle » en 1999, ses élus
ont fait le choix de prendre en main la restauration scolaire (sous forme de régie municipale) et décidé d’introduire des produits bio dans les trois cantines de la commune (1 100 repas par
jour, 143 500 par an).Aujourd’hui, Gilles Pérole, adjoint au maire en charge de l’éducation indique que 100 % des repas sont bio, que le gaspillage par repas servi est passé de 147 grammes à
30 grammes (une réduction d’un facteur 5), qu’il n’y a pas de plastique dans sa cantine, que les enfants consomment essentiellement des produits de saison, que pas un fruit n’est gaspillé
et que les élèves sont globalement satisfaits de leur alimentation ; le tout sans contestation confessionnelle.Dans le même temps, les coûts ont été tenus. Le prix du repas en 2017 revient à
8,39 € TTC (y compris les coûts de personnel, d’administration, de culture, d’énergie, etc.) hors frais d’animation. Et il est facturé aux familles entre 2 € et 6,80 €, selon le quotient
familial.Pour parvenir à ces résultats, il a fallu aux élus de fortes convictions et beaucoup de volontarisme :– création d’une régie agricole sur 6 hectares de terrain communal, avec
l’installation de trois « agriculteurs communaux » ;– création d’une unité de conservation/congélation des fruits et légumes ;– création de 3 cuisines intégrées aux 3 groupes scolaires ;–
engagement de 21 agents travaillant au service restauration (un animateur pour 10 enfants en maternelle).Au final, 85 % des familles auraient modifié leurs pratiques alimentaires , et les
enfants sont éduqués autour des aliments qui proviennent de leur territoire. Plus récemment, une Maison d’éducation à l’alimentation durable (Mead) a été créée pour approfondir le projet en
créant un lieu d’éducation, de recherche et de partage, afin d’essaimer le projet dans d’autres territoires. Il reste cependant que, pour se diffuser plus largement, plusieurs difficultés
doivent être surmontées, à commencer par celles auxquelles se heurtent les agriculteurs désireux de se convertir au bio. 2.2. CONVERSION AU BIO : ENGOUEMENT ET DIFFICULTÉS 2.2.1. Engouement
: entre raisons économiques, environnementales et sanitaires La demande pour une baisse de la chimie dans les modes de production agricoles s’affirme, y compris chez un nombre croissant
d’agriculteurs et d’éleveurs. Et si on baisse les apports chimiques, pourquoi s’arrêter en si bon chemin et ne pas sauter le pas en passant en bio ? Car, sur nombre de cultures ou d’élevages
intensifs, la demi-mesure risque d’être trop pénalisante pour les rendements et pour les revenus… Sur les grandes cultures, par exemple, il est nécessaire de passer en polyculture pour
compenser la baisse de rendements induite par le passage en bio. C’est donc tout le système d’une exploitation qu’il faut revoir de manière globale pour retrouver un équilibre économique. En
tout cas, l’engouement est là. Et il va croître notamment sous la pression des jeunes agriculteurs qui s’installent ou des néoruraux . Ceux-ci font de plus en plus le choix d’exploitations
en bio, attirés par les vertus environnementales de ce mode de production et les moindres risques qu’il fait courir à la santé des producteurs eux-mêmes. En lien très probable avec
l’utilisation de produits phytosanitaires, on note en effet une prévalence supérieure de la maladie de Parkinson et de certains cancers chez les professionnels du monde agricole : cancers
du système lymphatique, de la peau, de la prostate, des lèvres et des ovaires, de la thyroïde, etc. Les jeunes agriculteurs sont aussi attirés par un prix de revente supérieur à celui des
produits de l’agriculture conventionnelle, ce qui leur assure un revenu plus décent pour une surface d’exploitation égale. Les motivations pour se convertir au bio sont donc multiples. Elles
oscillent entre convictions environnementales, volonté d’être plus autonome , opportunités économiques ou encore événement biographique (par exemple, le décès ou la maladie d’un agriculteur
voisin ou d’un membre de la famille, pour des raisons liées ou non à l’utilisation de produits phytosanitaires). Ces facteurs se combinent souvent, et la conversion au bio intervient
majoritairement à l’issue d’un long cheminement personnel et professionnel . L’aspect économique (les aides reçues et le prix de vente plus intéressant) est ce qui rend la conversion
possible. Quelles que soient les motivations, il est donc nécessaire que le prix de vente en bio reste incitatif. Pour cela, plusieurs facteurs doivent se conjuguer. Les agricultrices et les
agriculteurs doivent tout d’abord maintenir leur position sur le segment « qualité » du marché. Du côté des consommateurs, il faut ensuite encourager l’intérêt croissant pour des achats
plus « responsables » d’un point de vue sanitaire et environnemental. Les produits bio, ou à haute valeur environnementale, contiennent plusieurs promesses (y compris sociales), qui
correspondent à des valeurs de plus en plus partagées et qui devraient continuer à se diffuser. C’est à ces conditions que l’agriculture bio pourra rester attractive et consolider sa place
sur le marché, face au modèle conventionnel. 2.2.2. Difficultés (structurelles, techniques, psychologiques) Les difficultés sont cependant nombreuses. Elles sont à la fois structurelles,
techniques et psychologiques. A) STRUCTURELLES : UN SYSTÈME AGRICOLE INTÉGRÉ ET VERROUILLÉ Les difficultés sont d’abord structurelles et concernent le verrouillage du modèle agricole, dû
notamment à une hyperspécialisation des systèmes de production sur de grandes surfaces, ce qui rend difficile l’émergence d’un modèle alternatif. En effet, cette spécialisation a été autant
poussée par les marchés que par les politiques publiques (subventions européennes liées à la taille des exploitations, en particulier) et a induit un modèle de commercialisation de masse de
produits standardisés issus de l’agriculture conventionnelle, habituant le consommateur à des prix toujours plus bas . Cette commercialisation de masse a permis de réaliser des économies
d’échelle et de réduire les coûts logistiques et de transformation. Progressivement, les aides de la Politique agricole commune (PAC) – proportionnelles à la quantité produite puis à la
surface cultivée – et la grande distribution ont poussé les agriculteurs à produire le plus possible et le moins cher possible, au détriment de la qualité des produits et de leur impact
environnemental. Le développement d’une agriculture productiviste s’est articulé autour de la coopération – qui a organisé les débouchés –, du syndicalisme – qui a défendu ses intérêts –,
des banques – qui ont aidé au financement –, de certaines mutuelles et assurances, d’instituts de recherche, des chambres d’agriculture – qui représentent les agriculteurs et participent aux
actions de développement, de vulgarisation et de formation –, des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) – qui ont aidé aux remembrements du foncier et à
l’agrandissement des exploitations. Ainsi, les mêmes agriculteurs sont souvent administrateurs à la fois de la coopérative, du syndicat majoritaire, du Crédit agricole, de la Safer… Cette
organisation a accompagné le développement d’une agriculture intensive, d’un système coopératif extrêmement puissant et d’un syndicalisme fort et très unitaire. C’est le modèle de
l’agriculture intégrée. La prescription agricole régionale ou nationale (journaux, coopératives, conseils) est très uniforme et pousse les agriculteurs à l’intensification, à la monoculture,
qui elle-même alimente la coopération. Peu de place donc pour la vente directe ou pour la diversification. À mesure que ce modèle agricole se construisait, il a créé des freins à
l’émergence d’une alternative, que ce soit en amont (en termes de semences disponibles), pendant la production agricole (en termes de techniques et de pratiques agricoles) et en aval (dans
la collecte, le stockage et la commercialisation des produits). En particulier, la diversification et la rotation des cultures, qui sont deux des principales pratiques utilisées par les
agriculteurs bio aujourd’hui, induisent des cultures de plus petite taille qui peinent à trouver des débouchés pour des produits non standardisés et en plus petites quantités. Pour lever ces
freins, deux voies sont en train d’émerger : une coordination des acteurs de la filière autour de groupements de producteurs et de coopératives de produits bio, et un développement des
circuits courts (type Amap) permettant de créer des débouchés pour des cultures diversifiées, et donc pour des petites quantités de produits non standardisés. Mais les initiatives de vente
directe de la part d’exploitations familiales en maraîchage ou en élevage sont très récentes et le plus souvent le fruit d’initiatives individuelles. La restauration collective, qui permet
souvent de faire le « pont » entre les mondes professionnels conventionnels et alternatifs ainsi qu’entre les agriculteurs et les autres habitants du territoire, peut servir de levier de
structuration au niveau territorial pour un modèle agricole plus durable. La transformation à grande échelle du modèle agricole nécessite cependant une impulsion nationale et européenne, en
avalisant le fait que les enjeux sont aujourd’hui très différents de ceux qui ont présidé à l’élaboration de la PAC en 1962. Les États généraux de l’alimentation étaient une première
occasion de changer la position française sur la PAC et d’utiliser la marge de manœuvre existante au niveau national. Mais ils n’ont pas été suffisamment structurés en ce sens. En effet y
était d’abord discuté le rapport de force entre agriculteurs et grande distribution concernant le partage de la valeur ajoutée. C’est seulement ensuite qu’ont été débattues les questions
relatives à la qualité de l’offre, la création de cette valeur ajoutée et son modèle. Il aurait pourtant d’abord fallu se concerter sur le modèle alimentaire aujourd’hui souhaité, avant de
réfléchir au partage de sa valeur ajoutée. Car ces débats conditionnent en grande partie la levée des obstacles existants au développement de l’agriculture bio, qui sont surtout structurels
et se déclinent ensuite en difficultés techniques et psychologiques. B) TECHNIQUES L’agriculture biologique est plus technique que l’agriculture conventionnelle. Là où l’agriculture
conventionnelle a le plus souvent recours à des engrais ou des pesticides de synthèse pour augmenter la fertilité des sols et lutter contre les maladies et ravageurs, l’agriculture
biologique nécessite de réfléchir globalement à son système agricole, d’avoir un grand sens de l’observation pour anticiper les aléas, de faire de la polyculture et d’utiliser les
complémentarités qui existent naturellement dans le monde végétal et animal. L’agriculture biologique n’est surtout pas un retour au passé ; c’est la redécouverte et la mise en œuvre de
techniques oubliées avec les moyens d’aujourd’hui. Les moyens modernes sont essentiellement mécaniques (matériel de binage, de semis direct, herse étrille, utilisation du GPS…), voire
génétiques (semences résistantes ou tolérantes à des maladies, plus rustiques, moins vulnérables à la sécheresse…). Ils concernent aussi des connaissances agro-écologiques (rotation et
complémentarité des cultures, infrastructures agro-écologiques, couvert végétal, introduction de légumineuses, etc.) qui permettent en partie de compenser la perte de rendement par rapport
au modèle conventionnel. Les difficultés des agriculteurs qui se convertissent viennent souvent de leur manque de compétences techniques, de la trop forte attente qu’ils avaient à l’égard
des « aides financières bio » (dont les grands retards de paiement fragilisent les exploitations), des espoirs excessifs qu’ils placent dans un positionnement prix élevé, que le
consommateur/acheteur refuse parfois et qui devrait s’atténuer avec le développement de l’offre bio. Pour passer de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture bio, il faut une forte
motivation, une bonne technicité, ne pas « courir derrière les primes », s’efforcer de rester compétitifs en termes de prix (et/ou s’inscrire dans un autre modèle de distribution, par
exemple en vente directe). Il faut accepter d’être raisonnable (ne pas « pousser » les cultures, les élevages et les sols au-delà de leurs limites, tenir compte du climat local…) et avoir
recours à des pratiques agro-écologiques : rotation des cultures, mélange de céréales (méteil), développement des légumineuses et des protéagineux (afin de remplacer progressivement le soja
importé), combinaison polyculture-élevage, valorisation du fumier, etc. C) PSYCHOLOGIQUES Il existe aussi une difficulté psychologique à ne pas négliger dans le monde rural. L’agriculteur
converti au bio est encore souvent considéré comme un marginal, voire comme un « soixante-huitard », et mis à l’index par son environnement dans les territoires les plus conservateurs. Ce
type d’agriculture y est en effet souvent regardé comme un retour en arrière, à des pratiques jugées archaïques et contraires aux progrès scientifiques appliqués par les entreprises
agrochimiques. D’où l’obligation de considérer l’agriculture biologique comme issue d’un progrès en termes de connaissances et de pratiques, et non comme un retour au passé. L’agro-écologie
est en effet une sous-discipline de l’agronomie, qui ne cesse de se développer, et sa généralisation est recommandée par un nombre croissant d’institutions (FAO, AFD, Cirad, Iddri, etc.).
S’ajoute à cela le fait que les pratiques agricoles de la communauté des agriculteurs bio sont une remise en cause de celles de l’agriculture conventionnelle. Cette remise en cause, assumée
par les agriculteurs bio ou fantasmée par leurs collègues en conventionnel, crée des tensions entre les membres de la communauté. 2.2.3. Formation et accompagnement des agriculteurs Parce
que le passage à l’agriculture biologique est un choix technique difficile, des formations spécifiques et un accompagnement suivi sont souvent souhaitables, voire nécessaires ; ce qui n’est
pas suffisamment le cas aujourd’hui. Comme la vente directe à partir d’exploitations familiales de moins de 10 hectares n’était pas prévue dans l’organisation du modèle agricole français mis
en place dans la seconde moitié du XX e siècle, les formations correspondantes sont restées confidentielles, voire longtemps inexistantes, mises à part quelques initiatives locales isolées.
Les producteurs locaux sont donc insuffisamment formés aux questions agronomiques, mais aussi « aux questions de logistique, d’achats publics, de prix et de négociations commerciales »
induites par une insertion dans des circuits courts ou par la commande publique. Longtemps, la formation des agriculteurs (maisons familiales, enseignement agricole, Centre de formation
professionnelle et de promotion agricoles/CFPPA…) a participé ainsi à la perpétuation d’un système agricole intégré et verrouillé en ignorant les organisations alternatives. Des progrès ont
néanmoins été réalisés depuis 2008, année à partir de laquelle il est devenu obligatoire d’aborder le mode de production « Agriculture biologique » dans toutes les formations de
l’enseignement agricole technique. Six ans plus tard, en 2014, un plan « Enseigner à produire autrement » a été lancé pour rénover les référentiels pédagogiques afin d’intégrer
l’agro-écologie, de mobiliser les exploitations et ateliers des lycées professionnels, de renforcer la gouvernance régionale et de former le personnel éducatif pour lui donner les ressources
nécessaires. CAP, bac pro, brevet et BTSA ont ainsi été réformés pour intégrer des modules sur l’agro-écologie ou l’agriculture bio. Le réseau d’établissements Formabio, créé en 1985, s’est
renforcé, et des ressources pédagogiques ont été créées . Désormais, la part des terres des exploitations agricoles de l’enseignement agricole public (19 000 ha) atteint 19 % en 2018, soit
trois fois la proportion nationale. 125 exploitations (sur 190) de l’enseignement agricole public ont au moins un atelier bio (et une trentaine sont entièrement en bio) . Les enseignements
dans les lycées agricoles évoluent donc depuis quelques années pour intégrer des modules en agriculture bio ou en agro-écologie. Mais le « socle de base de formation AB » n’est pas homogène
dans tous les établissements, les modules sont souvent optionnels ou insuffisamment abordés par manque de temps . Par ailleurs, le message d’ensemble que véhicule le système de formation ne
s’en trouve pas radicalement modifié. L’agriculture bio est souvent enseignée comme une technique agricole parmi d’autres, ce qui réduit ainsi son potentiel critique, et donc sa capacité à
remettre en cause l’organisation globale de l’agriculture conventionnelle . Il en résulte que peu d’agriculteurs sortant du système de formation se tournent effectivement vers le bio, à la
fois parce que cette solution n’est pas considérée comme économiquement viable, et parce que les histoires familiales et l’ambiance dans les campagnes enferment encore souvent l’agriculture
dans une vision hyper productive. Enfin, si la formation initiale a bien intégré les enjeux de l’agriculture biologique, l’accompagnement de ceux qui veulent se convertir, des accédants à
l’agriculture « hors cadre familial » et des professeurs eux-mêmes (qui se sentent insuffisamment formés pour enseigner ces nouveaux modules) reste un réel enjeu, notamment parce que les
outils de formation professionnelle et continue sont encore assez peu développés et/ou peu connus. Pour remédier à cette situation, davantage de plateformes d’échange pourraient être montées
entre acteurs de la communauté éducative, car elles sont un vrai lieu d’apprentissage entre pairs. De même, les chambres d’agriculture pourraient jouer un rôle moteur, et l’enseignement
agricole pourrait aider et former les jeunes agriculteurs à la fois à des pratiques de production respectueuses de l’environnement et aux enjeux et pratiques des nouveaux modes de
commercialisation connus sous le nom de « circuits courts ». L’appui des Centre de gestion et d’économie rurale (CER), dont la présence se renforce et dont la compétence est reconnue,
pourrait également aider les agriculteurs à la gestion à la fois de ces nouvelles exploitations et de ces nouveaux circuits de distribution, et leur apporter un appui juridique. 2.3. ORDRE
SUR LE MARCHÉ : PREMIERS ET DERNIERS SERVIS 2.3.1. Positionnement de la grande distribution La demande forte des Français pour les produits bio se traduit depuis plusieurs années par une
croissance à deux chiffres du marché chaque année. Fin 2018, le marché des produits bio en France s’élevait à 9,3 milliards d’euros avec une croissance de 15 % par rapport à l’année
précédente. Cette croissance est pour la deuxième année consécutive plus forte en grandes et moyennes surfaces qu’en magasins spécialisés bio (22 % _ vs_ 9 %). On pourrait donc imaginer que
cet appel d’air préempte tous les produits bio disponibles au détriment de la restauration collective, d’autant plus que les distributeurs cherchent aussi des produits locaux (ou du moins
français) car la demande des consommateurs est bien celle-ci en magasin également. Cette croissance de la demande se traduit en effet par une forte tension sur l’offre bio. La grande
distribution fait son maximum pour capter la production des agriculteurs passant en bio ; certaines enseignes incitent même les agriculteurs conventionnels à se convertir. Elles utilisent,
pour ce faire, deux méthodes : le paiement aux agriculteurs d’un prix intermédiaire entre le prix conventionnel et le prix bio pour les exploitations en conversion, d’une part, et l’aide
directe à la conversion, d’autre part. Pour autant, la restauration collective ne part pas forcément perdante vis-à-vis des grandes enseignes. Elle peut utiliser les mêmes outils à condition
de s’organiser pour le sourcing en ayant une connaissance plus précise des producteurs installés sur son territoire. Par ailleurs, la restauration collective a aussi l’avantage de pouvoir
acheter des produits qui ne sont pas forcément recherchés par la grande distribution comme des fruits de petit calibre ou des produits en grand conditionnement. La grande distribution
rencontre en effet des difficultés à mettre sur le marché certains fruits et légumes bio car ces produits sont moins homogènes et souvent plus fragiles. Inversement, elle a plus de facilité
à commercialiser des produits bio transformés. Il n’y a donc pas forcément de concurrence directe sur tous les segments entre grandes surfaces et cantines scolaires. 2.3.2. Intérêt des
circuits courts pour la restauration scolaire Il ne faut pas négliger par ailleurs l’intérêt du marché de la restauration collective pour des producteurs ou des transformateurs locaux. Elle
est en effet susceptible de leur assurer des débouchés complémentaires et de les libérer d’une dépendance trop étroite à la grande distribution. Elle peut également s’inscrire dans le cadre
des « circuits courts » qui tendent à se développer ces dernières années et qui répondent à une attente forte des consommateurs : vente directe à la ferme, marché, Amap, Ruche qui dit Oui,
boucheries partagées entre plusieurs éleveurs… Outre qu’ils permettent de limiter le nombre des intermédiaires, ces circuits valorisent le plus souvent les produits locaux et de saison. En
approvisionnant les cantines scolaires en bio ou en produits locaux et de saison, les producteurs maraîchers, éleveurs de volaille plein air, producteurs de fruits et de fromages pourraient
former des groupements de producteurs bio et ainsi trouver un débouché rémunérateur, relativement stable et souvent complémentaire des autres circuits courts. Pour assurer une continuité de
la demande pendant les vacances scolaires d’été (juillet-août), il faut bien sûr une structure de transformation et imaginer que les producteurs puissent livrer d’autres restaurants
collectifs se substituant alors aux écoles primaires pendant ces périodes. Une cuisine centrale desservant non seulement le restaurant scolaire, mais aussi le restaurant du personnel,
l’Ehpad ou encore l’hôpital local peut être une solution pour garantir un marché constant aux agriculteurs. Les prix ne devraient pas impliquer un trop gros effort puisque
l’approvisionnement ne passera pas par la centrale d’achat d’un groupement ou d’un industriel. Il ne représente par ailleurs qu’un petit tiers du coût d’un repas ; cela peut donc rester
maîtrisable. D’autant plus que la plupart des collectivités qui ont introduit une part importante de produits frais locaux et de saison ont également réussi à réduire fortement le gaspillage
alimentaire. Il est communément admis que, pour inciter à la transformation du modèle agricole en faveur de l’agriculture biologique, il faut construire des relations commerciales durables
avec les agriculteurs. C’est pourquoi les modèles de contractualisation longue doivent être privilégiés, c’est-à-dire des contrats d’une durée de minimum trois à six ans. L’objectif est à la
fois de couvrir la période de transition (appelée période de conversion en agriculture biologique) mais aussi de permettre à l’agriculteur (et aussi aux transformateurs) de gérer les
changements économiques (augmentation du coût de la main-d’œuvre et changement de clientèle, par exemple). Comme l’ont mis en exergue les États généraux de l’alimentation en 2017, il est
également important, d’une part, de prendre en compte l’ensemble des coûts de production réels qui pèsent sur les agriculteurs, et d’autre part, d’assurer la valorisation économique de la
diversité des productions dans un modèle plus vertueux d’un point de vue environnemental. Le premier point est traité dans la première partie de la loi Egalim votée fin octobre 2018. Le
second est moins connu. Il consiste à prendre en compte la diversité et les aléas de production dans un système reposant sur les principes de l’agro-écologie. En clair, il faut établir des
contrats longs et intégrant une souplesse cohérente avec les spécificités de l’agriculture (aléas climatiques, diversification des cultures, etc.). La restauration collective n’a pas
forcément l’habitude de mettre en œuvre ce type de contrat, mais des collectivités ont déjà réussi à tenir compte de ces aspects dans leurs marchés ; elles peuvent donc servir d’exemple.
PILOTER LA TRANSITION ALIMENTAIRE GRÂCE AUX PROJETS ALIMENTAIRES TERRITORIAUX (PAT) Un nombre croissant de territoires commencent à se poser la question de leur résilience en cas de crise.
Sur le plan alimentaire, cela se traduit souvent par une volonté de relocaliser l’agriculture. Aujourd’hui, 80 % de la population vit dans des villes dont l’autonomie alimentaire n’excède
pas en moyenne un à trois jours. S’il n’est pas possible d’atteindre une autonomie alimentaire complète dans la majorité des cas, de plus en plus de villes s’emparent néanmoins de cette
problématique en élaborant leurs politiques alimentaires . Cette tendance répond également à une aspiration grandissante des Français à une alimentation issue d’une agriculture durable et de
proximité.Pour répondre à ces défis, la France a créé en 2014 un dispositif juridique et politique permettant de piloter la transition alimentaire à l’échelle territoriale. L’article 39 de
la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (Laaf) de 2014 prévoit la mise en place de Projets alimentaires territoriaux (PAT). Ceux-ci doivent être « élaborés de manière
concertée avec l’ensemble des acteurs d’un territoire et répondent à l’objectif de structuration de l’économie agricole et de mise en œuvre d’un système alimentaire territorial. Ils
participent à la consolidation de filières territorialisées et au développement de la consommation de produits issus de circuits courts, en particulier relevant de la production biologique
». Les parties prenantes doivent pour cela s’accorder sur « un diagnostic partagé de l’agriculture et de l’alimentation sur le territoire et [sur] la définition d’actions opérationnelles
visant la réalisation du projet ». Cela implique un état des lieux de la production agricole locale et des besoins alimentaires exprimés (consommation individuelle et/ou de restauration
collective). Ce projet vise à renforcer l’agriculture locale, le dynamisme des terroirs, la cohésion sociale et la santé des populations.La mise en œuvre d’un PAT se fait le plus souvent
sous l’impulsion d’une collectivité territoriale qui s’entoure d’acteurs pertinents du territoire (groupements d’agriculteurs et de producteurs, acteurs de l’économie sociale et solidaire,
de la distribution et de la commercialisation, organismes de développement et de recherche, etc). Ce plan alimentaire permet de structurer des Systèmes alimentaires territorialisés durables
(SATD), élaborés à la fois par les acteurs du développement agricole, par des représentants de la société civile et des citoyens. Cette gouvernance partagée permet de mettre en adéquation
l’offre et la demande alimentaires. Afin d’aider l’offre agricole à se structurer en filières (en bio notamment), il peut être nécessaire d’aider les agriculteurs à s’installer, de se
concerter sur la nécessité de construire des lieux de transformation et de coordonner les différents maillons de la chaîne agroalimentaire à l’échelle locale. Un PAT permet également de
coordonner des initiatives qui existent déjà mais qui sont souvent éparpillées.La restauration collective, en particulier publique et scolaire, constitue un débouché naturel pour ces projets
. Elle permet de sécuriser les débouchés d’agriculteurs installés ou accompagnés dans le cadre d’un PAT et ainsi d’inciter à la conversion en bio. La dimension éducative des PAT permet
également aux usagers des cantines d’entrer en contact avec les producteurs via des visites à la ferme, l’installation de maraîchers à proximité des écoles, etc. Construire un PAT est
particulièrement pertinent pour répondre aux difficultés de l’approvisionnement bio et local des cantines car celui-ci permet de coordonner différents acteurs afin de répondre aux
contraintes de la restauration collective (menus élaborés strictement, régularité dans la livraison et volumes exigés).L’état des lieux requis par un PAT peut permettre d’identifier des
cuisines sous-utilisées, des légumeries à réinvestir ou encore différents lieux de restauration collective qui représentent des débouchés complémentaires (par exemple des centres de vacances
qui peuvent être approvisionnés pendant l’été à la place des cantines scolaires).De la même manière, la question du foncier agricole constitue souvent une grande difficulté pour une mairie
qui voudrait aider des agriculteurs à s’installer en bio pour approvisionner ses cantines scolaires. On a vu que, à Mouans-Sartoux, le maire avait dû préempter 6 hectares de terres pour
répondre à cette difficulté. C’est le cas dans une grande partie des villes qui cherchent à maîtriser davantage les flux alimentaires de leur territoire. La gestion du foncier se révèle
décisive pour que des agriculteurs puissent s’installer en bio, et cette question est plus facile à résoudre dans le cadre d’un PAT. D’abord parce que sa rédaction et sa mise en œuvre
nécessitent de se pencher sur les questions d’aménagement territorial et d’urbanisme. Il est en effet nécessaire de se baser sur des documents de planification existants (SCO, PLU),
notamment pour identifier des friches qui pourraient devenir des terres agricoles et pour savoir si des mesures de protection des espaces agricoles sont prévues ou pourraient l’être . Dans
cette optique, la lutte contre l’artificialisation des terres devient une priorité pour reterritorialiser l’agriculture. Ensuite, parce que les décisions prises en matière de foncier ne sont
pas toujours consensuelles ; le cadre d’un PAT peut alors apaiser les débats puisque des concertations préalables auront été organisées et rendront plus légitimes les décisions politiques
ultérieures. Des exemples locaux montrent qu’on peut utiliser le statut de ZAD (Zone d’aménagement différé) qui permet à une collectivité locale de disposer pendant six ans d’un droit de
préemption sur toutes les ventes de biens immobiliers. Enfin, il existe des communautés de communes qui achètent du foncier puis font une convention avec la Safer (Société d’aménagement
foncier et d’établissement rural) pour installer des maraîchers qui pourront ensuite racheter quelques années plus tard les terres à la commune, ce qui lui permettra d’acheter d’autres
terres pour y installer d’autres maraîchers, etc. Cela permet d’installer de jeunes agriculteurs, en bio notamment, tout en maîtrisant les dépenses des communes en achat de foncier. Les
communes peuvent également prendre contact avec l’association Terres de lien qui peut former les élus, apporter du conseil sur la maîtrise foncière, voire même faire des acquisitions
conjointes .Les PAT permettent donc de penser ensemble des secteurs souvent traités séparément (le développement agricole et économique, la santé, l’éducation, l’environnement, l’aménagement
territorial, etc.), qui constituent chacun les facteurs clés d’une transition alimentaire. Enfin, élaborer un PAT permet de couvrir différentes dimensions territoriales de l’alimentation.
Une dimension économique d’abord : un PAT fournit des outils pour la relocalisation et la structuration des filières alimentaires, pour l’accompagnement des agriculteurs, pour la mise en
place d’une réflexion sur l’économie circulaire agricole, et pour la création d’emplois non délocalisables (l’agriculture biologique est plus intensive en main-d’œuvre que l’agriculture
conventionnelle ). Une dimension environnementale ensuite, puisque l’idée est de créer une dynamique pour le développement d’une production et d’une consommation de produits locaux et
biologiques, et puisque la multiplication d’activités agricoles en bio peut faire revenir de la biodiversité près des villes et améliorer la qualité de l’eau. Une dimension sociale enfin,
puisque cela permet de recréer du lien ville-campagne, de construire des activités pédagogiques pour les enfants comme pour les adultes, d’insérer des personnes sur le marché du travail via
des activités de maraîchage et d’offrir une alimentation de qualité à tous les enfants via l’approvisionnement des cantines scolaires. À ce titre, si l’agriculture urbaine ne peut
naturellement pas suffire à assurer l’autonomie alimentaire d’une ville, son développement est particulièrement intéressant d’un point de vue social et environnemental .Pour financer un PAT
, différents appels à projets existent, auxquels il faut candidater : appels à projets nationaux (ministère de l’Agriculture, de la Santé, de la Ville, de l’Environnement), régionaux (Ademe,
Feader) et européens (Feder, FSE, EuSEF). Des fonds privés (mécénat, appels à projet de fondations, financement participatif, etc.) peuvent également être mobilisés. 2.4. CIRCUITS COURTS ET
LOCAUX : LES CONTRAINTES JURIDIQUES Faire le lien entre restauration scolaire et producteurs locaux présente donc a priori de nombreux avantages. Toutefois, les acteurs locaux ne sont pas
toujours bien armés pour faire face à la complexité des règles présidant à l’organisation des marchés publics. C’est vrai des agriculteurs qui peinent parfois à surmonter la lourdeur et les
contraintes juridiques des appels d’offres des collectivités : il est parfois plus facile de livrer 7 000 quintaux de blé tendre à une coopérative que 100 kg de tomates à une cantine ! Mais
c’est vrai aussi de nombreuses collectivités à qui le code des marchés publics interdit de formuler une préférence géographique… En effet, pour les achats de denrées alimentaires, comme pour
tout achat direct, les structures publiques, et donc les collectivités, sont soumises à des procédures spécifiques, encadrées par le code des marchés publics. Pour assurer l’efficacité de
la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics, tout marché public doit respecter trois principes : liberté d’accès à la commande publique, égalité de traitement des
candidats et transparence des procédures . Le respect de ces principes doit permettre aux structures publiques de mettre en concurrence sur un pied d’égalité les prestataires et fournisseurs
potentiels afin d’obtenir le meilleur prix et de favoriser ainsi une bonne allocation des ressources publiques. En ce sens, l’attribution d’un marché public sur la base d’un critère de
préférence locale, que ce soit sur l’origine des produits ou sur l’implantation des entreprises, est a priori _ _ contraire aux principes de liberté d’accès à la commande publique et
d’égalité de traitement des candidats. Selon une enquête menée par l’Agence Bio, comme nous l’avons déjà signalé, le surcoût matière annoncé par les structures publiques qui ont commencé à
introduire des produits bio dans leur offre de restauration collective est d’environ 18 %. Si ces structures cherchent en outre à s’approvisionner localement pour limiter l’impact
environnemental des transports, pour épouser la saisonnalité des produits et pour stimuler le tissu productif régional de qualité, elles sont amenées à resserrer le périmètre de la mise en
concurrence imposée par le code des marchés publics et, du même coup, elles s’exposent à des prix plus élevés. En effet, selon ces règles, l’expression d’une préférence géographique
concernant le coût matière en denrées alimentaires pourrait s’apparenter à du favoritisme au détriment d’autres candidats potentiels ainsi qu’à une mauvaise allocation des finances
publiques. En outre, le fait de favoriser des fournisseurs et prestataires locaux pourrait cacher des ententes, voire diverses formes de clientélisme. Ces règles de procédure complexes
nécessitent donc de l’expérience pour être bien comprises, alors que les acheteurs publics manquent souvent de connaissance pour adapter le marché public à une réponse locale. De même, pour
les candidats souhaitant répondre à un appel d’offres, un dossier complet avec plusieurs pièces justificatives doit être fourni afin que l’acheteur public puisse procéder à la notation et au
classement des offres en fonction des critères de sélection préalablement définis (ex. : prix, qualité de l’offre, approvisionnement, développement durable, etc.). Le prix est souvent le
critère déterminant dans le choix de l’offre qui sera retenue, faute d’une réflexion et d’une stratégie d’élaboration du cahier des charges. D’autres critères peuvent entrer en compte,
notamment qualitatifs, ou en termes de création d’emplois. La formulation complexe des appels d’offres est un facteur vraiment dissuasif pour les petits producteurs qui ne sont pas
suffisamment structurés. En effet, répondre à un appel d’offres demande du temps et des connaissances, en particulier parce que la concurrence y est forte et que le producteur s’expose à des
pénalités en cas de dysfonctionnement. Néanmoins, la volonté de développer l’offre bio en restauration collective étant une démarche favorisant l’achat responsable, le ministère de
l’Agriculture et de l’Alimentation a mis en place des outils pour la soutenir sans pour autant contourner le code des marchés publics. C’est notamment le cas de Localim . Les fiches
méthodologiques proposées dans cette boîte à outils prennent soin de rappeler la règle aux décideurs publics territoriaux : « Les spécifications techniques ne pouvant faire mention d’une
provenance ou origine déterminée des produits, vous ne pouvez pas exiger dans votre cahier des charges que le lieu d’implantation d’un fournisseur soit situé dans une zone géographique
identifiée. » Les textes relatifs aux marchés publics précisent toutefois qu’« une telle mention […] est possible si elle est justifiée par l’objet du marché public ou, à titre exceptionnel,
dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché public n’est pas possible sans elle et à la condition qu’elle soit accompagnée des termes “ou
équivalent” » (article 8 du décret n° 2016–360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics). De même, la plateforme Agrilocal , d’abord mise en place dans un département puis rapidement
adoptée par la moitié des départements français, permet aux acheteurs de trouver une liste de producteurs (qui se sont préalablement inscrits) correspondant à leurs critères et d’entrer en
contact avec eux, tout en respectant le code des marchés publics et de manière totalement gratuite. Il existe ainsi quelques marges de manœuvre raisonnables pour promouvoir les productions
locales sans pour autant tomber dans l’arbitraire du favoritisme et biaiser excessivement les principes de la concurrence. On peut ainsi, en respectant le code des marchés publics, faire le
lien entre une offre réelle du territoire et la demande de la collectivité pour l’approvisionnement de son service de restauration collective. Mais il faut pour cela avoir une bonne
connaissance des ressources disponibles sur le territoire et être en mesure de décrire et de justifier précisément la qualité de ce que l’on recherche. Cela peut en particulier s’appuyer sur
les Projets alimentaires territoriaux (PAT) définis dans la Loi d’avenir de l’agriculture de l’alimentation et la forêt de 2014 ( _ cf._ _ supra_ encadré). En amont, ou même sans PAT, on
peut également recourir à des stratégies plus indirectes. Ainsi, pour contrer l’impossibilité de mettre une clause de provenance locale dans le cahier des charges en gestion directe, la
mairie d’une grande ville (Paris) a imposé le respect de la saison locale et régionale limitrophe pour 80 % des fruits et légumes. Dans le même esprit, la ville de Toulouse a organisé une
rencontre entre acheteurs de la restauration collective de la métropole et acteurs capables de fournir des produits bio et locaux. Avec une démarche de « marché inversé », la métropole s’est
mise à l’écoute des producteurs pour savoir ce qu’ils étaient en mesure d’offrir pour approvisionner les cantines scolaires. En parallèle, des acheteurs de la restauration collective ont
fait part à une association de producteurs bio de leurs expériences en tant qu’acheteurs. Ces échanges ont permis à chacune des parties prenantes de comprendre les attentes et difficultés de
l’autre partie, et de créer des partenariats de long terme, que ce soit pour adapter la rédaction d’appels d’offres appropriés pour des contrats de longue durée ou pour rédiger un PAT
approprié par rapport au contexte agricole local. Dans l’ensemble, on voit que le sourcing et l’allotissement des marchés sont les deux principaux leviers permettant de lancer des appels
d’offres cohérents avec l’offre de produits de qualité de la région. Le sourcing (recommandé par l’Union européenne) consiste à identifier ce dont on a besoin _ et_ ce qui est fait et
faisable sur son territoire, puis à ajuster sa demande et son cahier des charges en fonction. Il faut en somme passer des commandes réalistes par rapport à ce qui peut être produit sur son
territoire et être à la fois précis sur le type d’aliments (s’agit-il de viande ou de yaourt bio par exemple ?) et en même temps flexible (en demandant un type d’aliments, par exemple des «
fruits de saison », et non un fruit particulier). L’idée est d’associer le plus étroitement possible ce qui existe localement et ce qui est demandé par les convives ou recherché par la
collectivité pour faciliter l’appariement de l’offre et de la demande locales. Certaines des grandes collectivités ont, dans ce domaine, une expertise et une expérience qui ont fait leurs
preuves. On pense notamment à des métropoles comme Toulouse ou Paris. D’autres utilisent même des arguments auxquels ni les préfets ni les tribunaux administratifs n’ont jusqu’ici rien
trouvé à redire comme, par exemple, l’argument du bien-être animal pour justifier le choix d’élevages proches (de manière à faire faire les trajets les plus courts aux animaux).
L’allotissement, de son côté, consiste à fractionner un marché en plusieurs sous-ensembles appelés « lots », lesquels peuvent ensuite être attribués séparément et donner lieu, chaque fois, à
l’établissement d’un marché distinct. On peut ainsi faire valoir, pour chaque lot, des caractéristiques différentes. Ce fractionnement permet de mieux cibler une offre locale disponible
dans un domaine alors que, dans un autre domaine, l’offre locale peut être moins disponible ou moins satisfaisante. Pour les aider dans ces démarches qui peuvent être assez techniques et
générer des lourdes procédures administratives, les collectivités territoriales concernées peuvent recourir à différents outils : Localim, dont nous avons déjà parlé, qui est destiné aux
acheteurs publics de la restauration collective en gestion directe pour accompagner le développement de l’approvisionnement local, durable et de qualité ; les outils du CNFPT (cahier des
charges type marchés publics, logiciel EMApp) en libre accès en ligne sur l’e-communauté « Alimentation et restauration » (on y trouvera des outils d’aide sur marché public, gaspillage
alimentaire et formations pour une restauration scolaire durable) ; les Guides DAJ (guide « achat public : une réponse aux enjeux climatiques », guide pratique de l’achat public innovant) et
DAE (guide sur le sourcing opérationnel). Malgré ces outils, il est certain que de grandes inégalités règnent entre les collectivités concernées. Les plus grandes ont souvent les moyens,
pourvu qu’elles en aient la volonté, de développer une fine connaissance du tissu productif local, de formuler précisément leurs besoins et leurs attentes, et de déployer des stratégies
d’allotissement adaptées à une stratégie d’achat responsable. Les plus petites, inversement, peuvent se passer de ces stratégies car le niveau de leurs achats est tellement bas qu’elles
échappent aux règles des marchés publics. Mais, entre les deux, un grand nombre de communes modestes sont le plus souvent contraintes de renoncer à la gestion directe et de contracter avec
un prestataire privé pour tout ou partie de leur service de restauration collective. Dans ce cas, beaucoup dépend de leur capacité à établir un cahier des charges précis avec le prestataire
concerné et surtout à en suivre rigoureusement l’exécution… Si le prestataire privé agissant dans le cadre d’une délégation de service public (DSP) n’est pas formellement soumis lui-même au
code des marchés publics, c’est tout de même à lui qu’il reviendra d’utiliser les ressources du territoire et, pour cela, de les analyser, voire de les stimuler. 3. LES MARGES DE MANŒUVRE DU
DONNEUR D’ORDRE En dépit de sa vocation sociale et éducative, le service de restauration scolaire des écoles primaires constitue toujours, comme on l’a vu précédemment, un service public
facultatif. À la différence des dépenses liées au bâti scolaire ou au fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires qui sont obligatoires, les dépenses relatives à la restauration
scolaire ne sont pas une obligation pour les communes. Ce caractère non obligatoire n’offre aux usagers aucun droit d’en réclamer la création ou le maintien. L’organisation et la gestion de
ce service public sont également laissées à la libre initiative des communes. Ainsi, elles définissent les règles d’organisation de celui-ci et disposent d’une liberté d’appréciation pour
choisir le mode de gestion qui leur paraît le plus approprié. Elles peuvent soit assurer directement la gestion des cantines scolaires, soit déléguer la compétence à une personne ou une
entreprise, du moins pour la partie qui concerne la confection et la distribution des repas. Elles ne peuvent cependant pas déléguer la surveillance des élèves, cette tâche leur incombant en
propre. Le tiers à qui la confection et/ou la distribution des repas peuvent être déléguées n’est pas nécessairement un tiers de droit privé. Il peut également s’agir d’un établissement
public local qu’elles auront créé, à l’image des caisses des écoles, ou encore d’un transfert de compétence vers l’intercommunalité. LES CHIFFRES CLÉS DE LA RESTAURATION COLLECTIVE ▪ 1
restaurant collectif sur 3 est géré par une société de restauration collective dans le cadre d’une gestion concédée. Cela signifie que la préparation et le service des repas sont confiés à
une société de restauration collective.▪ 21 500 restaurants sont en gestion concédée dans toute la France.▪ 3,8 millions de repas sont servis en moyenne chaque jour par des sociétés de
restauration collective.▪ 94 000 collaborateurs travaillent dans la branche restauration collective concédée dont 75 000 collaborateurs dans les Sociétés de restauration collective (SRC) et
dont 93 % sont en CDI.▪ 500 000 heures de formation sont dispensées chaque année. 3.1. DISPARITÉS D’EXPERTISE ET DE MARGES DE MANŒUVRE ENTRE PETITES ET GRANDES COMMUNES Toutes les communes
ne disposent pas des moyens matériels, financiers et humains nécessaires à la prise en charge d’un service public aussi complexe que celui qui nous occupe. Sur l’emploi par exemple, en 2016
, 5 073 collectivités locales ne disposaient d’aucun agent, 18 389 disposaient de moins de 4 agents et 8 141 disposaient d’entre 5 et 9 agents. Au total, 31 603 collectivités locales sur les
47 306 recensées par l’Insee (soir 69 % d’entre elles) disposent de moins de 9 ETP pour assurer leurs missions. Dans ces conditions, l’organisation en propre par la collectivité du service
public de restauration est quasiment impossible pour de nombreuses communes. Si les élus locaux font le choix d’offrir ce service à leur administrés, l’unique solution reste de ne pas gérer
eux-mêmes celui-ci, soit en le transférant à l’intercommunalité, soit en déléguant la compétence à un organisme privé. La concession de ce service public n’exonère par ailleurs pas la
collectivité de ses obligations de surveillance et lui ajoute même une nouvelle charge : le suivi du contrat de délégation et du respect des clauses établies avec le prestataire ( _ cf.
infra_ ).