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Depuis quelques semaines, Nicolas Sarkozy semble avoir découvert le gâchis que représente l’incapacité persistante du Service Public de l’Emploi à assurer la formation des chômeurs. Il n’a
pas reconnu cependant que cette incapacité tient pour beaucoup à la brutalité des réformes mal maîtrisées – celle de Pôle Emploi mais aussi celles qui ont touché ces derniers mois l’AFPA[1]
et les OPCA[2]. Au contraire, il y a trouvé un point d’appui pour attaquer le paritarisme (les « corps intermédiaires » qui pratiqueraient « l’entre-soi »…) et les organisations syndicales,
soupçonnées de gabegie dans la gestion des fonds de la formation professionnelle. Il y a pourtant matière à réfléchir. Et lors du « sommet social », rebaptisé « sommet de crise », du 18
janvier dernier, Nicolas Sarkozy a confié une mission au sénateur Gérard Larcher, visant à proposer une nouvelle réforme de la formation, notamment pour orienter les fonds de la formation
vers les demandeurs d’emploi. Ce rapport devait être présenté aux journalistes de l’AJIS[3] le 5 avril. À la veille de ce rendez-vous et sans explications, cette communication a été annulée
par le rapporteur, qui s’est contenté de transmettre le rapport à l’Elysée[4], sans même qu’une rencontre avec Nicolas Sarkozy ne soit annoncée. Encore une priorité du jour qui s’efface
dans le zapping permanent du programme du candidat Sarkozy ? Toujours est-il qu’un vrai problème est posé alors qu’une mauvaise solution est proposée. Un fait bien établi : les
restructurations, puis le chômage et enfin le chômage de longue durée touchent en priorité les salariés les plus fragiles, les moins formés, les moins qualifiés. Les propositions du candidat
Sarkozy, qui souhaite redéployer une large part des investissements de formation des entreprises vers l’Etat, afin de mieux former les demandeurs d’emploi, risquent de pérenniser cette
situation. Bien entendu l’objectif proposé par le rapport Larcher—doubler le nombre de demandeurs d’emploi formés en deux ans – est tout à fait louable. La proportion de demandeurs
d’emploi formés est actuellement très faible, autour de 10 %. En 2010, ils étaient seulement 601 000 à être entrés en formation. Cet objectif, à dépense budgétaire constante, reste bien loin
de l’engagement affirmé par le candidat Sarkozy de proposer un « droit à la formation » pour tous les chômeurs. Mais surtout, il s’accompagne malheureusement d’un désengagement du rôle
essentiel des entreprises dans la formation permanente. Tout d’abord, il est paradoxal de prélever une large part des budgets formation des entreprises alors même que leur effort de
formation diminue de façon quasi constante depuis le milieu des années 1990, comme le montrent les enquêtes du ministère du Travail (DARES). Au même titre que ses investissements productifs
et ceux consacrés à la R&D, les investissements en formation professionnelle de la France ont décroché par rapport à ceux de ses concurrents, notamment l’Allemagne. Là réside le cœur du
problème de compétitivité de notre pays. Ce défi a été mis en évidence par un rapport du CESE[5], qui montre que « la France présente un taux de participation à la formation professionnelle
nettement inférieur à la moyenne européenne ». Le discours sur l’avènement supposé de l’économie de la connaissance ne s’est pas traduit par des actes. Il est d’ailleurs intéressant de
constater que les pays qui investissent le plus dans ce domaine sont la Suède, le Danemark, la Finlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas : la qualité souvent vantée des politiques de l’emploi
de ces pays, le fameux « modèle nordique », réside aussi dans la priorité accordée à la formation permanente. Compte tenu de cette situation défavorable de la France, la proposition émise
par le rapport de supprimer la contribution relative au plan formation (0,9 % de la masse salariale), sauf dans les très petites entreprises, apparaît comme particulièrement inadéquate.
Alors que beaucoup de DRH[6] se plaignent d’un prétendu manque d’appétence des salariés pour la formation, il est établi que l’insuffisance de formation en France a des conséquences
néfastes. Ainsi par exemple, « en moyenne 39 % des salariés des établissements de plus de 20 salariés déclarent se sentir gênés pour s’impliquer davantage dans leur travail par manque de
formation »[7]. Une enquête de la CEGOS[8] a montré que la France apparaît au dernier rang des pays européens étudiés pour la capacité des entreprises à « mettre en place tous les moyens
pour définir les besoins de formation et permettre l’accès à la formation ». Comment progresser si les salariés sont laissés seuls face à la problématique complexe de leur « employabilité »
? Certes, la formation professionnelle dispensée en entreprise bénéficie en priorité aux cadres et aux techniciens, déjà les mieux formés. Ceci impose des mesures visant à mieux répartir
l’effort de formation. Mais c’est aussi le cas de la formation des chômeurs, qui reproduit les inégalités héritées de la formation initiale, comme l’a montré une étude de la DARES[9]. Pour
sa part, l’INSEE a mis en évidence que le taux d’accès à la formation pour les chômeurs sans qualification est… trois fois inférieur à celui des chômeurs disposant d’un diplôme Bac + 5 et
plus[10]. Quelle est la solution ? Plutôt que de concentrer les moyens sur la formation des demandeurs d’emploi, il faut d’abord veiller à la formation des salariés… afin d’éviter le
chômage. La difficulté à surmonter est quantitative (contrecarrer le mouvement de diminution des investissements en « capital humain » signalé ci-dessus) mais surtout qualitative : les plans
de formation élaborés par les entreprises ne sont pas assez adaptés aux besoins de leurs salariés et à l’évolution future de leurs métiers. La formation doit mettre en cohérence la
stratégie de l’entreprise et sa politique RH. Comment faire ? La loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale[11] a instauré une obligation de négocier en matière de
GPEC[12]. Dans le cadre de cette négociation, les entreprises doivent prendre le temps de discuter et débattre de leur stratégie avec les représentants du personnel. De ce débat découle une
vision des métiers en tension, des métiers menacés (par la concurrence, les évolutions technologiques…), des dispositifs à mettre en œuvre pour accroître les compétences disponibles dans
l’entreprise. Le plan de formation doit être la conséquence naturelle de ces constats : il doit constituer un levier pour préserver et améliorer le capital humain. En cohérence avec la
démarche, il devrait faire l’objet d’une véritable négociation avec les syndicats représentatifs de l’entreprise (comme c’est le cas pour la GPEC, les salaires, etc.). Le rapport Larcher
propose des avancées positives sur ce plan. L’intérêt de cette démarche est double : en mobilisant les partenaires sociaux, elle accroît la motivation des salariés vis-à-vis de la
formation continue ; en mobilisant les DRH, elle exerce un effet de prévention sur la perte d’employabilité. En effet, les directions des ressources humaines connaissent beaucoup mieux leurs
salariés que ne le pourraient les services de Pôle Emploi[13] : la formation proposée sera plus adaptée et plus en cohérence avec les choix de parcours professionnel des salariés. C’est en
formant les salariés en emploi que l’on prévient le risque de perte d’emploi. Et même si celle-ci intervient, la durée de chômage est efficacement réduite. Une étude du Centre d’analyse
stratégique[14] l’a bien montré : « la formation professionnelle dispensée lors du dernier emploi permet un raccourcissement de la durée de chômage ». Après avoir dégagé les petites et
moyennes entreprises de leur obligation de reclassement de leurs salariés en cas de restructuration, obligation rejetée sur un Pôle emploi qui n’a pourtant plus les moyens d’assumer ses
missions, Nicolas Sarkozy veut maintenant poursuivre dans la même direction avec la formation professionnelle. Cette approche va à rebours de la responsabilité sociale des entreprises. [1]
Association nationale pour la formation professionnelle des adultes [2] Organismes collecteurs de la formation [3] Association des journalistes de l’information sociale [4] « La formation
professionnelle : clé pour l’emploi et la compétitivité », rapport disponible sur le site internet de l’Elysée : http://www.elysee.fr/president/root/bank_objects/Rapport_Larcher.pdf [5]
Conseil économique, social et environnemental, « Suivi de la situation de la France au regard des indicateurs de Lisbonne », avril 2009 :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics//074000202/0000.pdf [6] Directions des Ressources Humaines [7] DARES, mars 2008. [8] « Quelle formation professionnelle
aujourd’hui et pour demain ? », mars 2010 [9] « L’orientation des chômeurs vers la formation de 2002 à 2004 », juillet 2006 [10] Enquête Emploi, 2004 [11] Initiée justement par Gérard
Larcher [12] Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences [13] Bien que le rapport émette des propositions intéressantes sur la territorialisation de la gestion de la formation, il
est bien évident qu’à court et moyen terme, c’est sur le Service Public de l’Emploi que reposera l’essentiel de la démarche. [14] « L’exclusion professionnelle, quelle implication des
entreprises ? », 2008 :