Malgré la défaite, une victoire de l’angleterre nouvelle – l’analyse de matt browne | terra nova

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Je ne doute pas que tout le monde le sait déjà : c’est l’Italie qui a remporté la finale de l’Euro de foot 2021. Les Italiens ont battu l’Angleterre à Wembley, dans la maison même du


football. Il serait déplacé de ne pas féliciter la « squadra azzura » pour son magnifique parcours tout au long de la compétition et pour sa victoire finale. En chantant « Football’s Coming


Rome » dans les vestiaires après le match, les joueurs ont montré non seulement qu’ils étaient capables de battre l’équipe d’Angleterre mais aussi qu’ils pouvaient faire concurrence au sens


de l’humour britannique, à notre capacité à jouer avec les mots et, qui plus est, dans notre propre langue. Comme tout véritable fan de foot anglais, il me semble aussi nécessaire de


présenter des excuses pour les sifflets qui ont couvert l’hymne national italien et, à vrai dire, tous les hymnes nationaux, ainsi que pour les violences et les agressions subies par


certains supporters avant et après les matchs qui se sont déroulés à Londres. Trop souvent, une petite minorité malheureusement très bruyante de soi-disant fans ternit la réputation du


football anglais, et par conséquent de l’Angleterre elle-même. Ayant eu la chance de pouvoir assister au match dans le stade de Wembley dimanche soir, j’ai pu être moi-même témoin de belles


scènes d’amitié entre supporters anglais et italiens. Bien que ces moments ne fassent pas la Une des journaux, ils représentent pourtant la vraie nature du patriotisme et du fair play


anglais, de l’esprit de camaraderie que beaucoup d’entre nous ressentent pour nos voisins italiens et pour tous nos voisins européens. Mais je ne cherche pas d’excuses. La réputation des


hooligans anglais nous précède malheureusement et pas seulement en Italie. Tout comme le Brexit de Boris Johnson et le nationalisme borné qu’il a engendré. C’est pourquoi l’équipe italienne


pouvait à juste titre être soutenue et préférée par une majorité d’Européens. Malgré sa défaite dimanche soir, il me semble que l’Angleterre a tout de même gagné à cette occasion quelque


chose de précieux. Je me souviens assez bien des critiques adressées par la classe politique à l’encontre des footballeurs dans les années 1980 pour goûter l’ironie de l’actuel renversement


de situation : les footballeurs ne tenaient pas assez bien leur rôle de modèle pour les jeunes générations, disait-on à l’époque. Mais que dire des politiques aujourd’hui ! C’est pourquoi


j’étais en désaccord avec un ami italien qui affirmait qu’un esprit progressiste comme le mien ne pouvait que soutenir « les Bleus » de Draghi contre « l’équipe aux trois lions » de Johnson.


Précisément, les « Trois Lions » n’appartiennent pas à Boris Johnson, ils ne représentent pas du tout sa conception de l’Angleterre. Bien au contraire. Ils représentent tout autre chose.


C’est pourquoi, surmontant la déception que j’ai ressentie après la défaite, je me sens rempli d’optimisme pour l’avenir de notre pays quand je regarde les joueurs de cette équipe. L’équipe


d’Angleterre est un creuset où se formule une nouvelle vision de notre identité nationale. Elle est menée par un véritable gentleman, pas par un intrigant qui est parvenu à sa position par


les mérites de la reproduction sociale et des privilèges de classe dus à sa naissance. Les joueurs sont engagés pour la lutte contre les injustices liées aux origines, c’est pourquoi ils


mettent le genou à terre avant chaque match, et ils s’opposent à l’homophobie, c’est pourquoi le capitaine porte un brassard arc-en-ciel et les joueurs des lacets arc-en-ciel. Marcus


Rashford s’est engagé à lutter contre la pauvreté des enfants et a financé des repas pour des enfants qui se trouvaient privés de cantine scolaire pendant le confinement. Ils ont ainsi


attiré le soutien de personnes venant de tous horizons, indépendamment de leurs origines, de leur religion ou de leur territoire. Ils ont permis que ceux-là mêmes qui ont longtemps eu peur


de l’emblème de St Georges, un symbole du parti nationaliste et raciste British National Party, ressentent la fierté d’être anglais. Pour avoir permis cela, les joueurs méritent notre


gratitude. Pour moi, c’est plus précieux que n’importe quel trophée. Malgré l’attitude exemplaire des joueurs qui ont permis à l’Angleterre de progresser ces dernières semaines, les insultes


à caractère racial subies par Saka, Sancho et Rashford après leurs penalties manqués montrent que notre pays a encore des progrès à faire pour se tenir à la hauteur de leurs exemples. Le


Premier ministre condamne maintenant ces insultes alors qu’au début du tournoi, il avait refusé, et le ministre de l’Intérieur avec lui, de condamner les huées adressées aux joueurs quand


ils mettaient le genou à terre. Au contraire, ils avaient décidé d’ouvrir un nouveau front dans leur guerre culturelle en déclarant que ce geste était selon eux un acte politique « woke » et


marxiste. Leurs condamnations du racisme paraissent aujourd’hui aussi creuses que leur intérêt néophyte pour le football qui s’affirmait à mesure que l’équipe nationale réalisait un beau


parcours dans l’Euro. Cette compétition, de fait, a crument montré l’hypocrisie et le cynisme de ceux qui exercent actuellement le pouvoir en Angleterre. Elle a mis en évidence leur snobisme


et leur mépris. Mais surtout, elle montré, je l’espère, que leur tentative à courte vue de mobiliser une guerre culturelle pour diviser la population est vouée à l’échec. L’émotion générale


suscitée par le déchainement de racisme contre les joueurs montre que les leaders conservateurs se trompent d’époque. La diversité, la solidarité et l’altruisme des joueurs de cette équipe


représentent l’Angleterre de demain, l’Angleterre en gestation. Un pays plus urbain, ouvert à la diversité d’origine et aux diverses orientations sexuelles, plus engagé en faveur de la


solidarité sociale et dans la lutte contre la pauvreté, plus soucieux des autres et tolérant aux différences. L’équipe d’Angleterre représente l’avenir de notre pays, y compris pour ceux qui


sont trop jeunes pour voter, pour qui ils sont incontestablement des héros, malgré la défaite finale. C’est pourquoi, tout en félicitant mes amis italiens, tout en espérant qu’ils se


réjouissent et célèbrent cet instant, j’espère que mes amis progressistes de toute l’Europe se rendent compte qu’ils peuvent aussi avoir une pensée pour l’équipe anglaise. Surtout, j’espère


que nous pourrons retenir une leçon de cette équipe : montrer l’exemple et se lever tous les matins avec une intention toujours plus ferme de contribuer à un pays plus juste et plus


solidaire. Alors, les « trois lions » nous encourageront tous. J’espère donc tous vous retrouver lors de la coupe du monde 2022, avec une jeune équipe qui aura gagné en maturité.