Elections européennes de 2024 : quel impact des droites radicales sur la prochaine législature ? | terra nova

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Source : Institut Cattaneo : Élaboration de l’Institut Cattaneo sur la base des données du PE. La figure 1 rappelle l’évolution des rapports de force entre ces groupes au Parlement de la


première à la neuvième législature, en les reliant à leurs prédécesseurs (diversement nommés). Il convient d’y ajouter les groupes promus jusqu’en 1999 par les gaullistes français (EDA) et,


entre 2009 et 2019, par les partisans du Brexit (EDD, EFD), car ils ne se recoupent pas entièrement. Quel pourrait donc être l’impact d’une nouvelle croissance d’ECR et d’ID sur l’équilibre


politique au sein du PPE ? Comment, et dans quelle mesure, cette croissance pourrait-elle conduire à un changement des orientations fondamentales de la politique européenne et, plus


généralement, de la trajectoire à long terme du projet européen ? La tentative du président du groupe PPE, Manfred Weber, en juillet 2023, de bloquer la proposition de règlement sur la


_restauration de la nature _en accord avec ID, ECR et une partie des libéraux (RE) a été perçue comme la répétition générale d’une future stratégie de coalition en rupture avec la stratégie


historique. La tentative de Weber a finalement été rejetée (312 voix pour, 324 contre et 12 abstentions)[2] grâce également aux votes des eurodéputés du PPE. Mais si le même vote ou un vote


sur un sujet similaire devait avoir lieu après les élections de 2024, le résultat serait très probablement opposé. D’où la crainte récurrente qu’une croissance d’ECR et d’ID puisse créer la


tentation d’un rapprochement durable entre eux et le PPE. Sommes-nous à l’aube d’un changement politique majeur ? LA POLITIQUE DE COALITION TRÈS PARTICULIÈRE DES INSTITUTIONS DE L’UE Pour


répondre à notre question principale, il est important de prendre en compte la spécificité du PE – et en particulier de ses politiques de coalition qui sont beaucoup plus fluides, mais aussi


plus complexes que dans les systèmes parlementaires nationaux. La structure institutionnelle de l’UE et sa gouvernance à plusieurs niveaux créent un subtil réseau d’arrangements, avec des


majorités dont la composition et l’ampleur varient. Et des dynamiques qui diffèrent radicalement de celles des parlements nationaux. Au Conseil, où les gouvernements nationaux sont


représentés, les décisions sont généralement prises à la majorité qualifiée (55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population de l’UE), mais dans certains cas, l’unanimité


est requise. Au Parlement, la plupart des décisions sont prises à la majorité simple, bien que, dans certains cas, une majorité absolue et, à de rares occasions, une majorité des deux tiers


soient requises. Il existe des différences fondamentales entre les systèmes démocratiques européens et nationaux (qui sont tous, en Europe, essentiellement de nature parlementaire).  La


Commission est le seul organe autorisé à proposer des directives et des règlements, mais l’exécutif européen (la Commission), bien que choisi par les deux « chambres » (le Conseil et le


Parlement), est rarement soumis à des votes de défiance. Notamment parce qu’une majorité des deux tiers est requise pour récuser un commissaire. La majorité parlementaire qui approuve à


bulletin secret la proposition du Conseil européen pour la nomination de la Commission est normalement composée des trois groupes politiques traditionnels (PPE, S&D, RE) plus les autres


partis représentés au Conseil européen qui contribuent à la nomination. La Commission est donc la seule à proposer une législation, mais elle ne démissionne pas si ses propositions sont


rejetées.   Il n’y a donc pas besoin de pactes de coalition stables entre les groupes qui ont initialement voté en faveur de la nomination de la Commission. Ces groupes sont entièrement


libres d’approuver ou de rejeter les propositions de la Commission. Cela a des implications plus larges que la simple formation de majorités variables basées sur des questions spécifiques.


Dans les cadres (en général nationaux) où les partis sont contraints de former des accords de coalition stables, ceux-ci tendent à reproduire la même dynamique majorité-opposition dans


différents domaines de politique publique. Au sein des institutions européennes, comme nous le verrons, les distinctions entre la gauche et la droite persistent, mais elles sont plus fluides


et varient considérablement d’un domaine politique à l’autre — même si des motifs de comportement relativement prévisibles sont apparus au fil des années.  Il est important de tenir compte


de cette fluidité afin d’éviter d’appliquer le prisme des gouvernements nationaux à un ensemble de dynamiques très différentes. ECR ET ID : DES DIFFÉRENCES STRUCTURANTES D’autre part, il


s’agit de garder en tête les natures respectives des groupes ECR et ID.  Tout d’abord, ils ont des trajectoires différentes. ECR a été créé par les conservateurs britanniques sous la


direction pro-européenne de David Cameron, avec l’intention de se distancier partiellement du PPE, afin de repousser les accusations et la paranoïa des partisans du Brexit – tout en


maintenant la Grande-Bretagne au sein de l’UE. Cette tentative ayant échoué de façon spectaculaire, après le départ de la délégation britannique du Parlement européen, les ultraconservateurs


polonais du PiS sont devenus les membres majoritaires du groupe ECR ; en conséquence, Fratelli d’Italia (malgré leur infime représentation à l’époque) est devenu un partenaire clé en tant


que seul parti représentant l’un des grands pays fondateurs. ID, en revanche, est l’héritier de divers partis et groupes européens fondateurs, ouvertement anti-européens, obnubilés par les


questions de l’immigration, et qui sont aujourd’hui traversés par des sympathies pour le régime autoritaire russe. Deuxièmement, les partis _appartenant à _ECR et à ID partagent des traits


communs mais divergent à bien des égards. S’ils sont tous populistes et qu’ils ont tous attaqué l’UE comme étant   dans leurs une conspiration contre les « vrais intérêts du peuple », les


nouvelles tempêtes auxquelles l’Europe a dû faire face ont quelque peu changé la donne. La pandémie de Covid-19 et, surtout, l’agression russe en Ukraine ont rendu évidente la nécessité


d’une coopération plus étroite et d’une action commune au niveau européen. En conséquence, certains de ces partis, et c’est particulièrement le cas de Fratelli d’Italia (au cœur de ECR), ont


modéré leur rhétorique anti-establishment et adopté une position beaucoup moins polémique à l’égard de l’UE. Cette différence d’approches entre ECR et ID est allée en s’accentuant au fur et


à mesure des crises puisque, malgré leur souverainisme et leur rejet de certaines normes, certains partis tels que PiS et Fratelli d’Italia, promeuvent l’idée de changer l’UE _de


l’intérieur_, et de la refaçonner à leur image, plutôt que de la quitter. Enfin, les groupes ECR et ID sont intérieurement moins homogènes et cohérents que les groupes parlementaires PPE,


S&D, RE ou Verts. Les taux de cohésion des votes sont très élevés chez les Verts/EFA (91%), les S&D (87%), Renew (84%) et PPE (83%). En revanche, ils sont beaucoup plus faibles pour 


ECR (75%), et encore plus pour ID (60%)[3]. À plusieurs reprises, ceux-ci ont été incapables de définir une position commune et il est peu probable qu’ils y parviennent sans de grosses


difficultés à l’avenir. De plus, ils sont souvent dominés par les demandes d’une ou de quelques délégations nationales — ce qui rend leurs positions fluctuantes. ECR était à l’origine marqué


par les conservateurs britanniques, mais dans la législature actuelle il a été dominé par les Polonais du PiS – et dans la prochaine, il semble destiné à l’être par Fratelli d’Italia. À


l’inverse, ID, qui a vu la Ligue souverainiste de Matteo Salvini dominer la législature actuelle, pourrait passer entre les mains de Marine Le Pen (RN) et d’Alice Weidel (AfD). Ces


fluctuations rendent les alliances difficiles. En somme, ces caractéristiques suggèrent que si ces deux groupes – ECR et ID – peuvent bien coopérer sur certaines questions, il est très


improbable qu’ils coopèrent de manière plus générale et plus systématique – ce qui rend l’idée d’une alliance significative à long terme l’un avec l’autre, et avec le PPE, encore plus


improbable.  QUELS ENSEIGNEMENTS TIRER DES VOTES DES DÉPUTÉS EUROPÉENS ENTRE 2019–2024 ? Pour étudier les positions des différents groupes politiques au sein du PE, nous avons créé une base


de données à partir des votes exprimés par les députés européens individuels lors de tous les votes organisés selon la procédure de vote par appel nominal au cours de la 9e législature.[4]


Chaque vote individuel a été classé en fonction du domaine de politique publique auquel il se rapporte (principalement), identifié par la commission parlementaire compétente qui a procédé à


l’examen préliminaire du dossier[5] . Il s’agit d’un nombre considérable de votes (18 688), relatifs à toutes les séances du PE tenues en plénière du 18/7/2019 au 14/3/2024. Environ deux


tiers de ces votes (12 233) concernent l’un des principaux domaines de politique publique (nous avons exclu ceux qui se réfèrent à des domaines mineurs). Étant donné que tous les membres


d’un même groupe ne votent pas toujours de la même manière, la position de chaque groupe sur chaque vote individuel est mesurée par une valeur allant de –50 (lorsque tous les membres du


groupe votent contre) à +50 (lorsque tous les membres du groupe votent pour). Cette valeur est alors nulle lorsque tous les membres du groupe s’abstiennent ou lorsque les votes pour et


contre sont parfaitement équilibrés. A titre d’exemple, le tableau 1 montre les résultats du vote par lequel le PE a rejeté la motion soutenue par Manfred Weber, chef du groupe PPE, visant à


rejeter la proposition de la Commission relative à un éventuel « règlement sur la restauration de la nature ». Dans ce cas, plusieurs groupes sont complètement unis, mais d’autres, en


particulier le RE et le PPE, ne le sont pas. Notre indicateur tient compte de ces différenciations et mesure la position du groupe en faisant la moyenne des valeurs attribuées aux votes


contre (-50), abstention (0), pour (+50). Par conséquent, les positions des groupes peuvent être résumées comme dans le graphique de la figure 2. La première ligne du haut illustre les « 


positions » des groupes par rapport à la « proposition Weber » de rejeter le règlement élaboré par la Commission européenne. Les lignes suivantes (en dessous et jusqu’à la ligne 21) montrent


l’évolution des positions des groupes lors des votes ultérieurs sur le contenu du règlement (amendements et vote final) – les trois dernières lignes semblent renverser les positions


puisqu’il s’agissait d’un vote à propos d’une position contraire Dans presque tous les cas, les positions des Verts, de la Gauche et de S&D d’une part, et du PPE, d’ECR et d’ID d’autre


part, sont polarisées selon un schéma gauche/droite, les libéraux se répartissant en interne entre 27 pour, 7 abstentions et 64 contre. Mais cette configuration, avec une ligne de


démarcation gauche/droite aussi marquée, est jusqu’à présent assez inhabituelle au PE. La question est de savoir si la nouvelle composition du PE créera plus d’opportunités pour de telles


configurations. Différents modèles statistiques peuvent être appliqués pour illustrer les configurations de coalition au sein du PE au cours de la législature actuelle, dans les différents


domaines politiques. Le tableau 2 résume les coefficients de corrélation entre les positions de chaque groupe et celles de tous les autres. En pratique, ces valeurs indiquent dans quelle


mesure la position de chaque groupe correspond à celle de tous les autres pour chaque domaine politique. Ces valeurs vont de –1 à +1. Une valeur de coefficient de +1 indiquerait que les deux


groupes en question ont toujours voté dans le même sens, tandis que –1 signifierait qu’ils ont toujours voté dans le sens opposé (il s’agirait évidemment de deux cas extrêmes – théoriques –


qui ne se produisent jamais dans la réalité). Les valeurs négatives (positions contrastées) sont en rouge et les valeurs positives (positions plus ou moins alignées) en bleu. Cet indicateur


permet de constater que les positions d’ECR et d’ID sont proches et tendent à se différencier de celles des autres partis dans les domaines suivants : culture et éducation ; égalité entre


les sexes ; affaires juridiques et constitutionnelles ; libertés civiles, justice et affaires intérieures. Inversement, la Gauche (L) et les Verts (G) ont des positions proches et tendent à


contraster avec celles des autres partis sur la pêche et l’agriculture. D’autres aspects détaillés peuvent être explorés à travers une analyse des coefficients. TAB. 1 _Résultats du vote sur


le rejet de la proposition de la Commission concernant un éventuel « règlement relatif à la restauration de la nature » (12 juillet 2023). _