L’aide internationale peut-elle participer à l’ancrage de la recherche africaine ?

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Tout comme les pays développés, voire avec une urgence plus grande, les pays africains ont besoin de s’appuyer sur de l’expertise et de l’innovation développées localement pour répondre aux


défis économiques, technologiques, environnementaux et sociaux auxquels ils sont confrontés. Développer la recherche au niveau national, c’est aussi reprendre le contrôle sur les savoirs


locaux et inventer sa propre trajectoire de développement. Or l’aide internationale joue un rôle central tant dans l’identification que dans le financement et la mise en œuvre des recherches


africaines – un rôle qu’il convient d’interroger. UNE SITUATION ENCORE DIFFICILE POUR LA RECHERCHE AFRICAINE Construits en partie pendant la colonisation, développés pendant les


indépendances et partiellement déconstruits par les programmes d’ajustement structurel, les systèmes africains de recherche connaissent actuellement une phase de réinvestissement, dans une


dynamique conceptualisée sous le vocable de « ré-institutionnalisation ». De nombreuses institutions de recherche, encore actives aujourd’hui, ont vu le jour durant la colonisation et


peuvent donc être vues comme l’héritage continu de la science coloniale. Si des systèmes de recherche nationaux se sont progressivement mis en place à partir des indépendances, ils ont dû


faire face aux enjeux concomitants de massification de l’enseignement supérieur et de fuite des cerveaux, à la faiblesse des investissements nationaux, aux effets déstabilisateurs de


certains événements politiques et conflits et à la forte influence des agences internationales dans l’orientation des sciences africaines. Actuellement, la production scientifique africaine


ne représente qu’une part infime de la recherche mondiale. Si cette part a chuté à moins de 1 % dans les années 1990, elle a rattrapé une partie de son retard dans les années 2000 pour


dépasser 3 % en 2016. La part mondiale des dépenses intérieures brutes en R&D de l’Afrique étant de 1,3 % en 2013, on peut cependant souligner la capacité de la recherche africaine à


publier relativement beaucoup avec peu de moyens. Le panorama de la recherche africaine est contrasté. D’ailleurs, la « recherche africaine » ne constitue en rien une catégorie homogène :


les pays d’Afrique du Nord, de l’Est et du Sud sont, en effet, dans des situations plus favorables que les pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre qui s’avèrent, quant à eux, particulièrement


en retard. Les pays francophones sont ainsi largement distancés par les pays anglophones. En termes de genre, les disparités hommes/femmes restent fortes à l’échelle du continent, comme en


atteste la carte ci-dessous. En termes de disciplines, on note également un décrochage plus marqué pour les sciences sociales. Les financements nationaux de la recherche sont encore faibles


et la recherche africaine dépend beaucoup d’une aide internationale qui cible assez peu ce domaine, et qui laisse donc une place de plus en plus importante à la philanthropie.


------------------------- _ READ MORE: QUELLE EST L’INFLUENCE DES FONDATIONS AMÉRICAINES SUR LES UNIVERSITÉS EN AFRIQUE ? _ ------------------------- LE RÔLE AMBIGU DE L’AIDE INTERNATIONALE


DANS LA CONSTRUCTION DE LA RECHERCHE AFRICAINE Dans la plupart des pays africains, des capacités nationales de recherche existent tant en termes de personnel-chercheurs que d’espaces de


recherche et de production de connaissances. Ces capacités et travaux apparaissent peu valorisés aux niveaux national et international, y compris par les partenaires internationaux du


développement qui préfèrent généralement s’appuyer sur des structures de recherche des pays développés pour piloter les programmes de recherche. Lorsque les acteurs académiques africains


sont impliqués, c’est souvent en appui aux travaux commandités et pilotés de l’extérieur au gré des thématiques privilégiées au niveau international. Cette situation fragilise


considérablement les structures d’enseignement supérieur et recherche en affaiblissant leurs capacités, et les empêche de développer des programmes de recherche définis de manière endogène,


sur la base des priorités ou des compétences propres. Elle les empêche aussi de contribuer à la construction d’un agenda national de recherche sur le long terme connecté aux grands enjeux


nationaux du développement identifiés localement, et par conséquent au débat public. Par ailleurs, ces financements n’offrent que peu d’espace et de visibilité aux savoirs locaux, voire aux


modèles et méthodes de recherche développés localement ; ces derniers ne sont pas plus valorisés par les bailleurs que par les revues internationales. Le sous-financement de ce secteur et


l’absence de politique nationale entraînent souvent les chercheurs africains à exercer une activité de consultant ou à quitter les équipes locales pour partir dans des structures de


recherche des pays développés, ou encore à renoncer définitivement au métier de la recherche. Les bailleurs internationaux contribuent eux-mêmes, du moins en partie, à cette « fuite des


cerveaux »… Les structures de recherche africaines dépendent en grande partie de financements extérieurs issus d’une multitude d’acteurs. De ce fait, elles perdent énormément de temps et de


ressources en activités de coordination afin de garantir le respect d’une multitude d’exigences. Même si de bons exemples sont à souligner, comme ceux du CRDI ou du GDN, la construction de


capacités nationales de recherche relève très rarement d’une stratégie spécifique inscrite dans la durée par les organisations internationales qui appuient le domaine. Ces institutions


privilégient souvent leurs propres urgences opérationnelles voire leurs politiques de communication. En outre, peu de pays africains disposent de stratégies nationales de recherche et


celles-ci sont de toute façon assez peu respectées par les financeurs internationaux. Si le financement pur et simple d’activités de recherche peut donner lieu à des effets pervers (entrave


à la construction d’agendas de recherche endogènes et de long terme, affaiblissement des capacités…), il existe toutefois une multitude d’actions visant à accompagner et appuyer les


recherches africaines. Selon le type de bénéficiaire, la localisation et la nature du soutien, plusieurs de ces appuis peuvent coexister simultanément, sans généralement qu’on en évalue les


effets ou qu’on en interroge les contradictions. Parmi les grandes catégories d’actions, il faut citer les bourses (mobilité jeunes chercheurs, chercheurs invités, etc.), les programmes de


recherche, les rencontres scientifiques (séminaires, conférences, colloques, etc.) et autres activités de valorisation des recherches (publications académiques mais aussi grand public,


tribunes, etc.), le renforcement de capacités des ressources humaines (au niveau scientifique mais également administratif et gestionnaire), le renforcement matériel et pédagogique (achat de


matériel, équipements, bibliothèques, NTIC, etc.), le soutien à des structures de recherche multi-pays et à des réseaux de chercheurs (dispositifs de laboratoires mixtes internationaux,


etc.), les aides budgétaires (appui global aux politiques publiques de recherche et d’enseignement supérieur)… ------------------------- _ READ MORE: RENFORCER ET CONNECTER LA RECHERCHE EN


AFRIQUE, LA RÉPONSE DU BURKINA FASO SUR L’ÉDUCATION _ ------------------------- Si toutes ces actions devraient être utilisées en synergie et pensées comme un système intégré, voire


priorisées en fonction de besoins spécifiques, c’est encore très rarement le cas et un certain nombre de dilemmes apparaissent pour les acteurs de l’aide internationale qui appuient la


recherche africaine. À l’occasion d’un récent travail d’analyse sur la question, nous avons relevé les principales tensions auxquelles ils sont confrontés : appuyer des individus _vs._


appuyer des institutions ; cibler l’excellence _vs._ appuyer le système ; se concentrer sur des objectifs académiques _vs_ des objectifs de développement ; utiliser les langues


internationales _vs_ les langues locales ; privilégier l’agenda de recherche du bailleur _vs_ les priorités locales ; affirmer une volonté d’appui aux capacités administratives locales_ vs.


privilégier l’efficacité de court terme (en acceptant toutefois de contractualiser avec des structures _ad hoc_) ; inclure les objectifs d’enseignement par rapport aux objectifs de recherche


 ; se concentrer sur l’efficacité de court terme _vs_ sur le long terme. LA NÉCESSITÉ D’UN NOUVEAU PARADIGME DE L’AIDE INTERNATIONALE POUR LA RECHERCHE AFRICAINE Sur la base des entretiens


menés auprès des acteurs africains comme des pays développés, du travail d’analyse effectué, de la revue de littérature ainsi que des consultations, un certain nombre d’objectifs peuvent


être avancés pour agir simultanément auprès des différents acteurs. Le premier des objectifs est tout d’abord que les organisations internationales de développement soient davantage


sensibles voire actives collectivement dans le renforcement des capacités africaines de recherche ; ensuite, que les chercheurs africains puissent davantage se consacrer au développement de


leurs compétences, qu’ils soient mieux équipés et organisés en communautés scientifiques ; que les institutions de recherche soient ancrées dans leurs territoires, qu’elles se consolident et


soient mieux connectées à la recherche internationale ; que des écosystèmes nationaux de recherche soient organisés, avec une vision de long terme et connectée aux enjeux de développement ;


que des stratégies et des réseaux régionaux puissent davantage fédérer les initiatives locales et diffuser l’information ; enfin, que des recherches spécifiques sur la construction de


capacités nationales de recherche et l’efficacité des actions d’appuis puissent être menées. En travaillant à mieux comprendre les avantages et inconvénients des différents types d’actions


internationales visant à appuyer les recherches africaines, il est possible d’en améliorer l’efficacité dans une logique de construction des capacités nationales et d’amélioration des


politiques de développement.