« game of thrones » : les raisons d’un succès

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Ce qui fait d’abord le succès de _Game of Thrones_, c’est sa dimension épique, avec un niveau de spectaculaire qui était plutôt associé au cinéma et qui, depuis la série, est aussi associé à


la télévision. De plus en plus, depuis le tournant numérique, le cinéma et les séries TV utilisent les mêmes outils : des caméras numériques lors des tournages, des entreprises spécialisées


en effets spéciaux et en conception de génériques… et le fait qu’on regarde aussi nos séries sur des écrans de meilleure définition qu’il y a 15 ou 20 ans. C’est aussi lié à une esthétique


très soignée, qu’on qualifie souvent de « cinématographique », même si ce terme est sujet à débat parce qu’il peut instaurer une hiérarchie entre cinéma et télévision. Il n’en demeure pas


moins que c’est une série qui donne à voir des scènes qu’on avait l’habitude d’en voir plutôt au cinéma : des plans larges, des scènes avec des centaines de figurants, des effets spéciaux


particulièrement bien faits, des dragons qui crachent du feu sur des dizaines de navires sur l’océan. La meilleure définition de l’image permet aussi de jouer plus précisément sur la


profondeur de champ ou sur les nuances de lumière. On peut prendre l’exemple de la lumière dorée et chaude des scènes qui ont lieu à King’s Landing, qui contrastent avec les couleurs froides


des scènes qui ont lieu avec la Garde de Nuit et tout ce qui se passe dans le Nord. Au sein de la série, certaines scènes ressortent, notamment par ce choix porté à l’esthétique. La mise en


scène y permet notamment une très forte immersion du spectateur dans la fiction, par exemple dans la Bataille des bâtards (saison 6 épisode 9). Il y a d’abord des plans larges en surplomb


du champ de bataille pour qu’on comprenne la configuration, qui évoquent une technique récurrente dans les grands films de guerre, de _Ran_ au _Seigneur des Anneaux_. Ensuite, il y a un plan


séquence où la caméra reste très proche de Jon Snow qui se bat dans une atmosphère de parfait chaos qui rappelle la grande scène du débarquement dans le film de Spielberg _Il faut sauver le


soldat Ryan_, où l’on avait la même restriction du point de vue à hauteur d’homme, qui insistait sur la proximité de l’horreur et l’illisibilité désordonnée du conflit. À ce moment dans


_Game of Thrones_, grâce à ce plan-séquence, on est presque Jon Snow, tout au moins on est avec lui. L’immersion ressemble alors à celle du gamer plongé dans un jeu vidéo. De la même


manière, le personnage de Jon Snow se retrouve plus tard englouti sous une masse de cadavres, et l’écran devient noir pendant quelques minutes. On étouffe, dans cette obscurité, sous cette


couche de morts, à entendre les bruits étouffés de la bataille qui continue et le halètement de Jon qui manque d’oxygène et tente de s’extraire. Au final, il arrive à sortir la tête de cette


masse et le public reprend son souffle en même temps que lui : on arrive à respirer quand lui-même retrouve l’air libre. D’autres scènes de bataille sont filmées de façon à arrêter notre


regard. Les débats ont été vifs – notamment en ligne – autour de la bataille de l’épisode 3 de la saison 8, et ont essentiellement porté sur la lumière. La bataille se passe la nuit, et


certains spectateurs ont trouvé que c’était beaucoup trop sombre et qu’on n’y voyait rien. Le réalisateur de la série lui-même à répondu à ces débats sur Twitter pour expliquer : « Ça a été


filmé comme ça aurait dû l’être, simplement vous ne devriez pas regarder cela sur un téléphone portable ou un téléviseur mal réglé ! ». Certains sites ont aussi expliqué quels seraient les


réglages de l’image idéaux pour pouvoir visionner l’épisode dans les meilleures conditions. Donc, cette attention à l’image et au son, c’est ce qui fait sans aucun doute partie du plaisir


sensoriel qu’on a à regarder une série comme _Game of Thrones_. SA FORCE ? LA COMPLEXITÉ NARRATIVE Au fil des saisons, des huit années de diffusion, on connaît de mieux en mieux un très


grand nombre de personnages. Ils évoluent, changent physiquement, parfois ils meurent et ressuscitent. C’est cette complexité narrative, cette capacité qu’on acquiert au fil des saisons à


maîtriser les innombrables liens de ces groupes complexes, qui participe du plaisir qu’on a à regarder la série, comme cela participe au plaisir de regarder le dernier _Avengers_ car si on


est fan, on maîtrise les rouages d’un monde fictionnel extrêmement complexe. La complexité narrative permet par ailleurs d’aborder des thématiques très variées. Cette idée d’un monde en


suspens, menacé de toutes parts, résonne avec nos peurs climatiques, politiques, avec les mouvements de population, les tensions internationales… Ce sont des thématiques universelles,


rassemblées dans ce monde de fantasy qui associe des éléments de notre passé – médiéval, antique, etc. – des éléments de notre culture – avec d’innombrables références aux autres textes de


fantasy comme le _Seigneur des anneaux_ – et qui reflètent parfaitement les grands enjeux contemporains, politiques, sociaux, culturels de notre époque. UN MODE DE DIFFUSION « À L’ANCIENNE »


QUI MISE SUR L’ÉVÉNEMENT Le succès de _Game of Thrones_ réside aussi dans le type de relation que la série a réussi à instaurer avec ses fans, avec ses spectateurs. C’est une série qui


suscite les échanges, la discussion, les débats, parfois assez animés et tout cela est allié à son mode de visionnage. C’est une série « à l’ancienne », que l’on aime suivre au moment où


elle est diffusée à la télévision. Cela s’oppose aujourd’hui, avec l’ère Netflix, Amazon, Hulu, aux phénomènes de _binge watching_ où certaines séries sont mises à disposition des


spectateurs sous forme d’une saison entière de dix épisodes que l’on peut regarder quand on veut, en une seule fois même, si on le souhaite. Avec _Game of Thrones_, c’est différent : on la


suit sur le moment. Notamment parce qu’il y a de tels retournements de situation, de telles scènes clés choquantes qu’on ne veut pas se faire _spoiler_ l’intrigue. On a donc l’impression


qu’il faut absolument la voir en même temps que les autres. Ce phénomène est entretenu par les réseaux sociaux, par les discussions en ligne, par les productions de vidéos autour de la


série, qui entretiennent une conversation très vivace entre fans. On voit que c’est le cas dans la saison 8 mais c’était le cas bien plus tôt dès la saison 1 avec la mort d’un des


personnages essentiels. La série offre nombre de ces moments qu’on appelle en anglais des « Oh My God moment », des moments où ce qu’il se passe est tellement incroyable qu’on a envie d’en


parler avec les autres… ce qui nécessite d’en être au même stade ! C’est l’une des qualités de _Game of Thrones_ : la série fait événement. Ce type de série pourra-t-il encore exister avec


l’avènement du streaming, de la diffusion en continu, avec le fait que même les séries diffusées sur des chaînes traditionnelles ont tendance à être vues de plus en plus a posteriori sous la


forme de consommation un peu addictive ? Je suis sûre que ce n’est pas la dernière. Plusieurs modèles vont coexister : le modèle de la diffusion en continu et le modèle télévisé classique


où on partage un événement spécifique comme un match de foot. C’est la force de la télévision : elle sait nous rassembler devant un événement, qu’il soit réel ou fictionnel.