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Le président Macron a annoncé le 7 novembre 2022 lors de la C0P 27 à Charm el-Cheikh en Égypte une initiative visant à protéger les « réserves vitales de carbone et de biodiversité » de la
planète, comme les forêts anciennes, les tourbières ou les mangroves. Une proposition de « partenariats pour la conservation positive » est faite aux pays qui abritent de telles réserves,
s’appuyant sur des « contrats politiques et financiers » qui leur permettraient de garantir leur conservation. Pour cela, des « mécanismes financiers innovants » seront étudiés et il est
notamment prévu qu’un « groupe de haut niveau sera chargé de faire des recommandations sur la création d’un marché de crédits biodiversité ». Si l’univers des différents types de crédits
carbone est assez bien connu, la situation est plus floue en ce qui concerne les « crédits biodiversité ». Schématiquement, on peut distinguer deux cas : d’un côté, les systèmes,
réglementaires ou volontaires, de compensation biodiversité avec des _offsets_, autour du principe « pas de perte nette » associé à la séquence éviter-réduire-compenser (ERC). De l’autre,
des crédits non destinés à la compensation, calqués sur les crédits carbone volontaires, qui sont avant tout de véhicules de financement pour financer des actions en faveur de la
biodiversité. Alors que s’ouvre justement la COP15 consacrée à la biodiversité à Montréal, tentons d’y voir plus clair sur ces deux types de systèmes complémentaires, leurs avantages et
leurs limites. COMPENSER SI L’ON NE PEUT PAS ÉVITER ET RÉDUIRE Les politiques d’atténuation et de compensation visant des objectifs tels que l’absence de perte nette ou le gain net de
biodiversité sont déjà bien établis dans un certain nombre de pays de l’OCDE. Certains pays ont structuré la mise en œuvre de leur dispositif sous la forme d’unités d’échanges standardisées
: des « crédits », ou des « biodiversity offsets ». Voici quelques caractéristiques clés du fonctionnement de ces systèmes : généralement fondés sur les objectifs « d’absence de perte nette
» ou de « gain net », ils utilisent différents scénarii de ce qui adviendrait en situation _business-as-usual_. Les systèmes les plus avancés sont réglementés plutôt que volontaires,
c’est-à-dire que la loi exige une compensation écologique pour les impacts sur la biodiversité. [_Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux
comprendre les grands enjeux du monde_. Abonnez-vous aujourd’hui] Les aménageurs (publics comme privés) ayant des conséquences négatives sur la biodiversité doivent appliquer la hiérarchie
d’atténuation ERC. Si des impacts résiduels significatifs persistaient malgré cela, alors ils doivent faire l’objet d’une compensation. Celle-ci peut passer par la restauration ou la
protection d’autres sites – selon des règles d’équivalence à établir. L’aménageur peut la mener lui-même s’il a la maîtrise foncière des lieux concernés – sinon, des opérateurs de
compensation s’en chargent. DES BANQUES DE COMPENSATION Quand ces mesures sont mises en œuvre à l’avance, en anticipation de la demande des aménageurs, on parle de « compensation par l’offre
» : des « banques de compensation » jouent un rôle pivot en émettant différents types de crédits au fur et à mesure des compensations réalisées. Ce modèle permet de réunir celles de
plusieurs aménageurs en un même lieu, avec une continuité écologique possible entre les zones. Ce qui est échangé entre aménageurs et opérateurs de compensation, ce sont des « débits » (les
pertes de biodiversité causées par les aménageurs) et des « crédits » (les gains de biodiversité produits par les opérateurs) de biodiversité. Ceux-ci sont mis en équivalence écologique :
(espèce ; espèce ou habitat ; habitat) grâce à une unité de compte commune et des règles d’échange. Ces crédits sont spécifiques : chaque catégorie de crédit ne permet de compenser que les
pertes occasionnées sur un écosystème semblable (un crédit « forêt » ne peut pas servir à compenser une perte de zone humide, par exemple). La nature complexe de la biodiversité et les
exigences d’équivalence écologique signifient que les échanges ne sont en général autorisés qu’à une échelle locale. DES SYSTÈMES IMPARFAITS Les équivalences écologiques sont toutefois
difficiles à établir, notamment quand les milieux sont très spécifiques et les espèces abritées sont rares ou remarquables. Contrairement au carbone, il n’existe pas de véritable « métrique
» pour la biodiversité, et la question est de savoir si les équivalences doivent se fonder sur le nombre d’espèces, les habitats des espèces, les fonctionnalités d’un écosystème ou les
services écosystémiques. La séquence ERC ne remplit pas ses objectifs : les pressions pour la réalisation de routes, mines ou barrages, etc. sont multiples, et « l’évitement » est une option
peu souvent retenue. En France, la rédaction du texte de la « doctrine ERC » est révélatrice de cet embarras : > « Lorsque, en l’état des connaissances scientifiques et > techniques
disponibles, l’équivalence écologique ne peut être > obtenue […] le projet, en l’état, ne peut, EN PRINCIPE, être > autorisé. » Une grande partie des compensations passe par des achats
de terre, des servitudes de conservation ou des paiements pour services environnementaux (PSE), et est fondée sur des « destructions évitées », lesquelles sont censées être démontrées par
des scénarii de référence (contrefactuels) souvent invérifiables, ce qui renvoie au problème d’additionnalité bien connu avec les crédits carbone : si le scénario _business-as-usual_ prévoit
de fortes pertes de biodiversité sur la zone de compensation, une perte moindre sera présentée comme une compensation réussie, quand bien même il y a perte nette. CERTIFICATS D’IMPACT
POSITIF Les crédits biodiversité, quant à eux, sont calqués sur les crédits carbone. Ils n’ont pas l’ambition de compenser des pertes de biodiversité, mais d’être des instruments de
financement échangeables sur un marché secondaire, et généralement conçus dans une optique de « paiements basés sur les résultats ». Le think tank International Institute for Environment and
Development propose le terme de « biocrédits » pour distinguer ceux-ci des « biodiversity offsets » évoqués auparavant. Il serait plus clair de renoncer au terme de « crédits » pour parler
de « certificats d’impact positif ». Ils seraient acquis dans le cadre de politiques RSE d’entreprise ou de financements de la biodiversité par des Fondations ou autres institutions, sans
ouvrir droit à un « débit » : alors que le crédit carbone est un permis d’émission, un certificat d’impact n’ouvre pas de droit à détruire de la biodiversité. C’est une logique de
contribution à l’effort collectif et non de compensation. DES FORÊTS EN MALAISIE OU DES « RHINOS CREDITS » Des initiatives de ce type existent. On peut citer l’exemple de la _Malua Biobank_
au Sabah (Malaisie), lancée à la fin des années 2000 à l’initiative du service forestier, où un « Biodiversity Conservation Certificat » de restauration ou de protection est émis pour 100 m2
d’écosystème forestier restauré/protégé et vendu à un prix de 10 dollars. Les acheteurs étaient les entreprises de palmier à huile opérant au Sabah. Plus récemment, des « Rhinos credits »
ont été proposés en Afrique australe. Le principe est de solliciter des investisseurs à impact pour qu’ils achètent des crédits associés à la croissance de la population de rhinocéros. Si
les objectifs sont remplis, alors des bailleurs de fonds traditionnels repayent les investisseurs à impact pour les crédits acquis (ou une partie des coûts si les résultats ne sont pas
atteints). LES CERTIFICATS NE DOIVENT PAS REMPLACER L’ERC Plus généralement, ces certificats ont trois objectifs : constituer une expression monétisable de gains de biodiversité (ou de
baisses significatives de pertes) du fait d’une action ou d’un projet ; être, pour les initiateurs des projets, un véhicule d’apport de financement ; et servir de support à des actions de
financement et de preuves d’impact de la part d’investisseurs ou d’autres institutions désireuses de démontrer un engagement pour la biodiversité. Leur qualité dépendra de la cohérence des
actions menées par les entités émettrices de certificats. Une entreprise devrait d’abord appliquer rigoureusement la séquence ERC avant d’être autorisée à émettre des certificats. Les
activités permettant un « gain net » ou une réduction absolue des pertes de biodiversité devraient être priorisées par rapport à celles visant des « pertes évitées », souvent fondées sur des
scénarii invérifiables de pertes croissantes « en l’absence de projet ». Les certificats doivent contribuer à atteindre un état souhaité de la biodiversité sur un territoire, pas à financer
du _business-as-usual_ atténué. CRÉATION D’UN MARCHÉ SECONDAIRE ? Reste la question d’un marché secondaire, c’est-à-dire de l’ajout d’une dimension d’actif financier transférable aux
certificats d’impact. Un tel marché ne se justifie que s’il conduit à accroître les revenus de l’émetteur du certificat – le projet, l’institution ou l’entreprise – à l’occasion des
plus-values réalisées lors des reventes de certificats par différents intermédiaires. Avec la technologie blockchain, il est possible d’organiser un système de royalties permettant de
rétribuer l’émetteur initial lors de chaque transaction, comme cela se pratique avec les NFT (_non-fungible token_). Dans ce cas, un marché des certificats biodiversité contribuerait sans
doute à accroître significativement les revenus des opérateurs agissant en faveur de la biodiversité.