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Nina est un macaque japonais, une espèce de singe à la face rouge qu’on voit souvent au milieu de sources d’eau chaude au Japon. Nina vit en liberté dans la forêt, mais presque chaque jour,
elle se rend au centre des singes d’Awajishima afin de profiter de la nourriture distribuée aux singes par le personnel de l’endroit. Nina est née sans mains, chose qui n’est pas rare chez
ce groupe de macaques. Bien que personne ne sache exactement ce qui provoque cette malformation des membres et des doigts, de nombreux scientifiques ont émis l’hypothèse d’un lien avec des
pesticides ou d’autres contaminants présents dans l’environnement. Nina doit sa survie à une combinaison de facteurs : sa capacité à modifier son comportement pour compenser ses déficiences
physiques, les soins attentifs que lui a procurés sa mère quand elle était toute petite et le fait de vivre dans un groupe de singes qui la traitent de la même manière que ses congénères
sans handicap. Au fil des ans, nous avons passé de nombreuses heures à observer Nina et d’autres singes — handicapés ou non —, dans leurs activités de tous les jours, pendant qu’ils se
déplaçaient en forêt, qu’ils socialisaient entre eux ou qu’ils trouvaient des manières inédites d’adapter leur comportement pour compenser leurs déficiences physiques. Les handicaps font
partie de la vie pour les humains, puisqu’au moins 16 % de la population présente une forme ou une autre d’incapacité. Or, nous avons constaté, au cours de nos recherches à Awajishima, que
dans l’esprit de bien des gens, un animal handicapé a peu de chances de survie. Pourtant, Nina et les autres macaques handicapés de son groupe sont en mesure de survivre et de se reproduire,
et ils sont loin d’être les seuls primates à y parvenir sur la planète. HANDICAPS CHEZ LES PRIMATES Dans une revue de la littérature sur les primates non humains et les handicaps récemment
publiée dans l’_American Journal of Primatology_, nous avons relevé que les handicaps physiques sont plus fréquents chez les primates sauvages et vivant en liberté que la plupart des gens ne
le pensent. Nous avons trouvé 114 articles publiés au sujet des primates handicapés, sans compter toutes les observations occasionnelles et les notes de terrain qui n’ont pas été publiées
dans la documentation scientifique. Ces articles portaient sur 37 espèces de primates non humains (singes, grands singes et lémuriens) étudiés dans 70 sites différents, 38 de ceux-ci étant
l’habitat d’animaux sauvages vivant en liberté. À l’image de celui de Nina, environ 45 % des handicaps observés étaient présents à la naissance, alors que 24 % faisaient suite à des
blessures et qu’une proportion similaire résultait d’un problème de santé ou d’une maladie. La souplesse ou plasticité comportementale (soit la capacité à modifier ses activités et ses
gestes dans des circonstances précises), l’adoption de nouveaux comportements et les soins maternels supplémentaires ressortent des travaux étudiés. On dénombre 70 articles qui décrivent
comment les primates font preuve de souplesse comportementale et d’innovation pour pallier leurs déficiences physiques ou qui donnent des exemples de mères capables de répondre aux besoins
de leurs petits atteints de handicap. Il arrive également que des membres de la famille ou du groupe apportent leur soutien. Dans l’ensemble, on trouve peu de preuves de sélection sociale à
l’encontre des primates handicapés. En fait, il y a de nombreux exemples de traitement indifférencié de ces individus et quelques cas de soins prodigués en raison d’un handicap. CERTAINS DES
HANDICAPS DES PRIMATES TROUVENT LEUR ORIGINE CHEZ L’HUMAIN Ayant déjà étudié les singes handicapés, nous n’avons pas été surpris par la souplesse comportementale dont ces articles font
état. Nous avons toutefois été étonnés de lire qu’un grand nombre des handicaps découlaient d’activités humaines. De nombreuses activités humaines peuvent entraîner directement ou
indirectement des invalidités à long terme chez nos plus proches parents animaux. Sur l’ensemble des handicaps recensés chez les primates, 60 % sont liés à des causes anthropiques. Il s’agit
notamment de blessures causées par des collets ; d’accidents de la route ou d’électrocutions chez le babouin sud-africain et l’alouate d’Amérique du Sud ; et des effets des maladies
transmises entre les primates humains et non humains. PRESSION HUMAINE, MENACES CROISSANTES Alors que la majorité des primates non humains voient leur population décliner ou sont menacés
d’extinction, ce lien entre les activités humaines et les handicaps physiques de certains primates est un rappel tragique des conséquences des activités humaines sur les autres formes de vie
sur Terre. Partout où on les trouve sur la planète — sous les tropiques et jusqu’au nord du Japon —, les primates non humains sont confrontés à des menaces grandissantes résultant des
pressions exercées par l’humain. À mesure que les humains convertissent forêts et terres vierges en zones agricoles ou urbaines, la perte d’habitat pousse de nombreuses espèces de primates
vers l’extinction. Ces pressions sont accentuées par l’extraction des ressources (souvent afin de répondre à la demande de pays situés plus au nord), la chasse, le commerce d’animaux
exotiques et les maladies. Par ailleurs, les changements climatiques laissent eux aussi présager d’importants bouleversements. En fait, il y a lieu de se demander si même les individus et
les espèces qui font preuve du plus de souplesse, d’intelligence, de compassion et d’innovation seront en mesure de composer avec l’ampleur et la diversité de ces changements et pressions.
Les primates atteints de déficience physique ou de handicap trouvent souvent des moyens de modifier leur comportement pour pallier ces incapacités, survivre et se reproduire. En exposant un
aspect important du comportement des primates non humains, Nina et ses amis nous fournissent un modèle pour examiner la capacité des primates non humains à adapter leur comportement. Notre
recherche souligne également le rôle essentiel joué par les humains dans l’avenir de nos plus proches parents animaux.