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"_Il ne viendrait à personne l’idée de laisser un enfant de moins de six ans traverser seul la rue. Alors pourquoi l’exposer à un écran, alors que ceci compromet sa santé et son avenir
intellectuel_ ?" Les mots sont forts, même dramatiques, et le message semble clair : les écrans sont nocifs à toute dose et sous toutes ses formes pour les enfants de moins de 6 ans,
d'après un texte porté par la neurologue Servane Mouton, écrite à l'initiative du pédiatre au CHU de Saint-Etienne Hugues Patural et soutenu par cinq sociétés savantes, à savoir
les Sociétés Françaises de Pédiatrie, de Santé Publique, d'Ophtalmologie et de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, ainsi que la Société Francophone de Santé et Environnement.
Une véhémence qui fait largement polémique dans la communauté scientifique plus adepte des messages nuancés. En substance et malgré le ton alarmiste et parfois culpabilisant de cette lettre,
le fond du message que souhaite porter Servane Mouton n'est cependant pas si éloigné de celui des experts du domaine : avant 3 ans, pas d'écran, et entre 3 et 6 ans l'éviter
autant que possible. CHANGEMENT DE TON "_Le ton de cette lettre est très péremptoire par rapport aux conclusions de la Commission Ecran présidée pourtant par la même Servane
Mouton_", s'étonne auprès de _Sciences et Avenir_ Séverine Erhel, chercheuse en psychologie cognitive et ergonomie. En avril 2024, la commission recommandait ainsi d'éviter
totalement l'exposition aux écrans avant 3 ans, et de 3 à 6 ans de s'en tenir à un usage limité avec des contenus de qualité éducative et accompagné par un adulte. "_Dans ce
rapport, nous avions déjà écrit que les écrans étaient _déconseillés_ jusqu'à 6 ans. Malheureusement ce message n'avait pas du tout été repris_", précise Servane Mouton, qui
ne juge pas que le discours de la lettre diffère de celui de la commission. "_Amine Benyamina_ (addictologue et co président de la Commission Ecran avec Servane Mouton, ndlr) _soutient
d'ailleurs également le texte_", précise Servane Mouton. Pourtant, plusieurs chercheurs experts du sujet se sont indignés de ce qui est perçu comme une prise de position plus
radicale que le rapport, qui interdirait totalement tout usage des écrans avant 6 ans et diaboliserait l'outil au détriment des données scientifiques. Le texte évoque en effet des
conséquences "_avérées_" d’une "_exposition précoce et prolongée aux écrans_", qui "_ont déjà lourdement impacté une jeune génération sacrifiée sur l’autel de la
méconnaissance_". Il mentionne également que les écrans "_entravent et altèrent la construction du cerveau_" et "_affectent irrémédiablement le volume et la qualité des
interactions intra-familiales indispensables au développement du langage et des compétences sociorelationnelles_." LES EFFETS NOCIFS DÉMONTRÉS DES ÉCRANS SONT FAIBLES "_Le message
dans ce texte est plus nuancé qu'il n'y parait. Mais notre rapport qui était écrit de façon plus nuancée n'a eu aucun impact_", remarque Servane Mouton, qui assume cette
nouvelle tonalité de communication. "_La littérature est beaucoup moins alarmiste que ce qui est écrit dans ce communiqué_", commente Séverine Erhel, qui rappelle que les effets
démontrés des écrans sont faibles. Choisi pour frapper les esprits, le ton de la lettre pourrait desservir le fond. "_Le texte en lui-même est factuellement faux_", s'irrite
Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l'éducation et membre de la Commission Ecrans, dont il soutient la position d'origine.
"_Aucune donnée dans la littérature sérieuse ne suggère un effet néfaste de l’exposition aux écrans sur le développement cérébral des enfants, sauf des données sur de trop petits
échantillons. Dans les études bien faites il n’y a aucun effet_." Le développement cérébral faisant ici référence à la maturation physiologique du cerveau visible à l'IRM, là où le
développement cognitif réfère plus à des acquisitions telles que le langage. Sur le développement cognitif justement, les données montrent un effet faible des écrans à haute dose. "_Il
y a 2 cohortes françaises qui font autorité : EDEN et ELFE, qui trouvent des décalages faibles dans l’acquisition de compétences linguistiques et le développement cognitif_ ", énumère
Grégoire Borst. D’après une récente étude, le QI baisse de 0.7 point à 3 ans et de 0.5 point à 5 ans lorsque l’enfant visionne une heure d'écran supplémentaire chaque jour de l’année à
l’âge de 2 ans et 3 ans respectivement. Une association jugée de faible ampleur et qui suggère que l'environnement de l'enfant, notamment socioculturel, compte. Pour Séverine
Erhel, la surexposition aux écrans est d'ailleurs "_toujours un indicateur de problème_" allant de la santé mentale des parents ou enfants à une précarité interdisant tout
moyen de garde. "_Une mère dépressive ou un contexte socioéconomique défavorisé sont des facteurs qui jouent beaucoup plus que le temps d'écran sur le développement
cognitif_", détaille-t-elle. Servane Mouton ne le nie pas. "_Que le milieu socioculturel soit un déterminant du neurodéveloppement, c'est une évidence_." Pour Grégoire
Borst en revanche, "_appuyer sur les écrans, c'est oublier les vrais facteurs de risque_". Lire aussiEcrans chez les jeunes enfants : il n'y a pas que le temps
d'exposition qui compte LES ÉCRANS, FACTEUR DE RISQUE DE MYOPISATION Tout comme écrit dans le texte polémique, Servane Mouton pointe également la responsabilité des écrans dans la
myopisation des enfants et des troubles du sommeil. "_L'épidémie de myopie est probablement liée à l'utilisation des écrans_", confirme l'ophtalmologue Christophe
Orssaud, responsable de l'unité fonctionnelle à l'Hôpital européen Georges-Pompidou et président de l'Association Française d'Ophtalmo-Pédiatrie. Il est cependant plus
mesuré dans son message que le texte porté par Servane Mouton et ses co-signataires. "_Pas d'écran du tout avant 6 ans, ça me semble exagéré, mais c'est effectivement à
éviter_." Devant un écran, et surtout s'il est trop petit et trop près, l'enfant suraccomode sa vision sans discontinuer, favorisant la myopie. "_Un écran de télé et à
une distance de 3 mètres, c'est déjà bien mieux que d'être collé sur une tablette ou un smartphone_", précise l'ophtamologue. Si les médecins mettent autant
d'emphase sur les risques de myopie, c'est qu'elle ne se guérit pas, même lorsqu'elle est opérée. "_Dans la myopie, chaque dioptrie supplémentaire c’est 40% de
risque de complication rétinienne en plus, comme des décollements de rétine, des déchirures ou cataractes_", alerte l'ophtalmologue Stéphanie Zwillinger. Seule parade, ralentir son
développement, notamment par les activités en extérieur et l'exposition à la lumière naturelle. "_Une heure dehors c’est 2% de risque de myopie en moins_", révèle-t-elle. LA
LUMIÈRE BLEUE, UN DANGER POUR LA QUALITÉ DE SOMMEIL En outre, les écrans émettent plus de lumière bleue, principalement présente dans la lumière naturelle matinale. S'y exposer diminue
la sécrétion de la mélatonine, l'hormone du sommeil. Pour cette raison, il faut éviter toute exposition aux écrans une heure avant le coucher de la sieste et du soir. Quant à
l'altération de la rétine des jeunes enfants par la lumière bleue dont s'alarme la lettre polémique, elle repose sur la transparence de leur cristallin. En revanche, l'impact
de la lumière bleue sur la macula (zone de la rétine) et la nocivité de la lumière bleue en général n'est pour le moment soutenue que par des études _in vitro_ sur des cellules de
souris, rongeurs nocturnes. "_Cela ne permet pas de conclure à une association certaine entre lumière bleue et DMLA précoce _(maladie de la vision résultant d'une dégénérescence de
la macula, ndlr)_ par exemple_", pointe Stéphanie Zwillinger. Pour elle, le problème des écrans est plus global. "_Une myopie de -3 à -5 c’est de plus en plus habituel, justement
parce que les gens sont de plus en plus en intérieur. Ce ne sont pas que les écrans, c’est l’hygiène de vie, c’est le sport_", appuie-t-elle. Lire aussiLa lumière bleue des écrans
n'affecte pas le sommeil LES ÉCRANS NE DOIVENT PAS REMPLACER LES ACTIVITÉS DE PLEIN AIR ET LES INTERACTIONS Les écrans auraient même des effets bénéfiques potentiels – quoique légers –
sur le langage chez les 3-6 ans, lorsqu'un programme de qualité est visionné et discuté avec le parent. "_Certes, mais cet effet bénéfique reste moindre que celui de la lecture
d'un livre à voix haute par exemple_", argumente Servane Mouton. Là-dessus, tous les experts sont d'accord : le temps d'écran ne doit en aucun cas remplacer les autres
activités. Pour son bon développement, un enfant doit sortir une à deux heures par jour, faire de l'activité physique, interagir avec ses parents et ses pairs et avoir une bonne qualité
de sommeil. "_Bien sûr, si votre enfant regarde une demi-heure de dessins animés les jours de week-end et que par ailleurs il a tout ce qu'il lui faut, ce n'est pas un
drame_", tempère-t-elle. Voilà une nuance bienvenue pour les parents prompts à culpabiliser et sur laquelle toutes les personnes interrogées sont unanimes. EVITER LES ÉCRANS AVANT 6
ANS, MAIS PAS LES INTERDIRE La différence entre l'approche des auteurs de la lettre polémique et celle des chercheurs qu'elle a outrés tient finalement principalement dans le ton
de la communication et à la méthodologie qui emprunte moins à la science pure qu'au principe de précaution. "_L'enfant avant 6 ans n'a rien à perdre à ne pas être exposé
aux écrans, alors que si l'on considère l'ensemble des impacts suspectés ou avérés, les risques apparaissent justifier l'application de mesures de prévention fortes_",
résume-t-elle, jugeant que le temps de la science est trop long pour se permettre d'attendre des preuves formelles pour protéger les enfants des écrans. Quant à savoir si cette
communication alarmiste sera la prise de conscience attendue pour les parents comme pour les secteurs professionnels de l'enfance, les avis divergent. "_Plus on est en difficulté
et plus cette recommandation 'pas d'écran avant 6 ans' est hors de portée_" et pourrait donc créer un rejet en bloc de l'ensemble du message, craint Séverine Erhel.
"_Il faut des recommandations qui ne mettent pas instantanément les parents en situation d’échec_", abonde Grégoire Borst. "_L'avenir nous dira s'il y a plus à
gagner qu'à perdre en passant le message 'pas d'écran avant 6 ans'_", commente Servane Mouton, avouant son incertitude. "_De tout le texte, finalement la phrase
à retenir c'est son titre : "ne convient pas à l'enfant de moins de 6 ans_", conclut-elle.