À lyon, des bisbilles dans l'organisation de l'aide humanitaire à l'ukraine

feature-image

Play all audios:

Loading...

DES BISBILLES QUI SEMBLENT SE CRISTALLISER AUTOUR D’UN CLIVAGE POLITIQUE GAUCHE-DROITE, MAIS AUSSI DE VISIONS DIFFÉRENTES DE CE QUE DOIT ÊTRE LA GESTION D’UNE ASSOCIATION EN TEMPS DE CRISE.


Début mars 2022, Rue89Lyon s’interroge sur la manière de traiter au niveau local le sujet de la crise ukrainienne, et se penche alors sur les initiatives humanitaires lyonnaises. Plusieurs


projets existent mais un seul est soutenu par la plupart des associations ukrainiennes locales : il s’agit d’une plateforme web plutôt simple, hébergée par Linktree, qui tend à centraliser


toutes les aides de la région sur un seul site. À l’époque nommée « Solidarité Lyon Ukraine », la page se présente comme une enfilade de liens qui renvoient vers des questionnaires et des


fichiers textes. Il s’agit tantôt d’informations sur les lieux et dates de collecte à destination de l’Ukraine, tantôt de questionnaires à remplir pour accueillir des réfugiés ou aider


bénévolement. Au bas de la page figurent deux contacts : Maxime Le Moing et Katya Mozulenko, ainsi qu’un numéro de téléphone. Rue89Lyon joint donc le jeune couple franco-ukrainien dans le


but de réaliser une interview. L’occasion de mettre en avant les dispositifs d’aide auxquels peuvent participer les lyonnais, mais aussi d’écouter le ressenti d’une ukrainienne de Lyon, qui


s’inquiète pour sa famille et son pays. À LYON, « ON ÉTAIT SUBMERGÉ PAR LES DEMANDES POUR AIDER L’UKRAINE » La rencontre a lieu le 3 mars 2022, au lendemain de l’envoi des deux premiers


camions de dons en direction de l’Ukraine. Les relations se détériorent déjà entre l’association Lyon Ukraine et le créateur de la plateforme, Maxime Le Moing. Ce matin là, il déclare tout


de même : > « On a prévu de nommer des référents de pôles qui > accepteraient de donner un peu de temps bénévolement pour > l’Ukraine. Il y en aurait un pour les dons, un pour > 


l’hébergement… Chapeautés par l’association Lyon > Ukraine. » La collaboration semblait pourtant avoir bien commencé entre les deux entités. Durant le week-end du 26-27 février 2022 qui a


suivi l’invasion du territoire ukrainien, les associations ukrainiennes locales se sont réunies pour penser ensemble l’aide qu’ils pouvaient apporter au pays. Markiian Peretiatko, président


de Lyon Ukraine depuis 2016, se souvient : > « Je cherchais de l’aide partout, j’ai appelé Katya [fiancée > de Maxime Le Moing] car on était submergé par les demandes. On a > 


organisé une réunion Zoom à laquelle son fiancé a participé. > Alors qu’on se répartissait les rôles, il s’est proposé de > réaliser le site qui centraliserait les propositions d’aide 


pour > l’Ukraine. » Maxime Le Moing est un auto-entrepreneur mais aussi militant du parti Les Républicains (LR). Il figurait notamment sur la liste d’Etienne Blanc (candidat LR) dans le


7e arrondissement de Lyon aux élections locales de 2020. Avec ses compétences informatiques, il gère notamment une entreprise qui intervient pour aider les commerces locaux à monter leurs


sites web. En une semaine, le nombre de visites sur le site atteint les 35 000. Dès le mercredi suivant, deux camions partent de la ville de Mions pour acheminer des dons jusqu’en Ukraine,


plus précisément à Lviv et à Rivne. Les dons viennent de 20 points de collecte répartis dans la Métropole de Lyon : municipalités, collectivités, entreprises et même quelques églises. « ON


NE VEUT PAS CHOISIR ENTRE LE MILITANT LR ET L’ADJOINTE AU MAIRE EELV » Au lendemain de l’action, le ton monte entre Maxime Le Moing et une élue écologiste de la Ville de Lyon, Sonia


Zdorovtzoff, qui est adjointe au maire en charges des « relations, coopération et solidarité internationales ». En commentaire d’un post Facebook de Maxime Le Moing vantant l’action réalisée


la veille, elle lui reproche de n’avoir pas cité la participation de la Ville de Lyon et de la Métropole de Lyon. Pour Jean-François Bau, siégeant au conseil d’administration de


l’association Lyon Ukraine, cet oubli serait symptomatique de la façon de procéder de Maxime Le Moing : > « C’est un businessman. Il a vu l’opportunité de se faire > connaître et de se


 mettre en avant, il l’a saisie et a utilisé > le réseau de Lyon Ukraine à des fins personnelles et > politiques. » Il tacle : > « Dès qu’il voit des partis de gauche, il est 


mécontent, il > râle. On a fait une manifestation devant le consulat de Russie à > Gorge de Loup, il est devenu fou parce qu’il y avait des drapeaux > de partis politiques de 


gauche. » Pour Markiian Peretiatko, président de Lyon Ukraine, cette première escarmouche a mis le feu aux poudres entre l’auto-entrepreneur et l’association : > « C’était bien qu’il 


utilise son réseau politique pour les > collectes, mais par contre, on ne veut pas choisir entre lui et > l’adjointe au maire. On n’est pas là pour faire de la > politique. » « LA


VILLE SE CACHE DERRIÈRE NOS DISSENSIONS AVEC LYON UKRAINE POUR REFUSER DE TRAVAILLER AVEC NOUS » Pour Maxime Le Moing, c’est plutôt l’exécutif écologiste qui n’a eu de cesse d’essayer de se


mettre en avant : > « Je pense qu’il y avait une volonté de montrer que la Ville de > Lyon s’engageait mais parfois ça a plus été des bâtons dans > les roues. Ils ont partagé une 


liste des besoins, qui -selon nous- > n’était pas adaptée, par exemple. » Il ajoute : > « Il y a eu le problème des camions aussi. Normalement, le > mercredi 2 mars, seul un camion 


devait partir de Mions pour > l’Ukraine. La Ville ne s’est pas adaptée à la place qu’on > avait et a livré trop de palettes. Pour pouvoir tout emmener, les > bénévoles -qui sont en 


grande partie des ukrainiens- ont payé de > leur poche les 1200 euros de location d’un deuxième camion. » Maxime Le Moing déclare qu’au moment où il a senti les relations se tendre avec


la Ville de Lyon, il a perdu confiance en l’indépendance de l’association Lyon Ukraine : > « On a compris que l’association n’était pas autonome, > politiquement. Et ça s’est vérifié 


après d’ailleurs, car la > Ville se cache derrière nos dissensions avec Lyon Ukraine pour > refuser de travailler avec nous. » Maxime Le Moing fait ici référence à un échange de mails


que nous avons pu consulter. Dans un courrier, Maxime Le Moing demande à connaître les adresses des lieux mis à disposition par la Ville pour accueillir en urgence les réfugiés ukrainiens :


> « Il y a des personnes qui nous téléphonent dans des situations > vraiment difficiles, un monsieur par exemple, est arrivé sans > chaussures. Nous, on s’occupe de placer en 


hébergement long mais > pas de l’accueil dans l’urgence. » « ON NE VEUT PAS TRAVAILLER AVEC LUI, CE N’EST PAS COMME ÇA QU’ON FONCTIONNE » La Ville a répondu par mail à Maxime Le Moing :


> « La Ville de Lyon travaille en étroite collaboration avec les > associations Lyon Ukraine, le Comité Ukraine 33 et Lyon Lviv. > Certains de leurs membres nous ont alerté sur les 


pratiques de > votre association et mises en garde. Je crois même qu’une main > courante a été déposée contre Maxime Le Moing, co-fondateur de > votre structure. Afin de ne pas 


mettre la Ville de Lyon en > difficulté, nous ne souhaitons donc pas donner suite à votre > demande. » Sonia Zdorovtzoff maintient ces propos auprès de Rue89Lyon et insiste sur le fait


qu’il ne s’agit en aucun cas d’une opposition politique : > « On n’est pas là pour dicter aux associations avec qui elles > doivent travailler. Ce n’est pas que je ne veux pas 


travailler > avec Maxime Le Moing, c’est plutôt que des associations > sérieuses ont mis le holà et que je les écoute. » Elle ajoute : > « Je ne veux pas travailler avec des 


personnes qui tentent de > politiser les choses, je veux seulement travailler avec des > personnes qui ont pour seul objectif d’aider l’Ukraine. » « À L’ÉPOQUE, ÇA ME SEMBLAIT ÉVIDENT


QUE TOUT ÉTAIT FAIT POUR LE COLLECTIF » Interrogée au sujet de la liste de dons mise en ligne par la Ville, l’élue explique : > « La liste, nous l’avons arrêtée en accord avec la ville de


> Cracovie et Loutsk. Quant-à celle de monsieur Le Moing, elle > contient du matériel de guerre. » Au sujet du second camion affrété à la dernière minute pour le convoi du 2 mars


dernier, l’élue s’étonne : > « Les pompiers ont été missionnés pour s’occuper de la > logistique, et si il n’y avait plus de place dans le camion, ils > devaient rapporter les 


palettes de dons à Saint-Priest pour les > stocker afin de partir dans un autre convoi, ce n’était pas un > problème. » Dans son mail, l’élue fait notamment état d’une main courante


pour « détournement », qui a été déposée auprès de la police par l’un des membres de l’association Lyon Ukraine. Ils reprochent à Maxime Le Moing d’avoir récolté un grand nombre de données


au nom de Lyon Ukraine, pour finalement les garder pour lui. D’après Markiian Peretiatko, président de Lyon Ukraine, il n’avait pas été prévu que Maxime Le Moing puisse être le seul


détenteur des données sur les bénévoles et lieux d’hébergement : > « À l’époque, ça me semblait évident que c’était pour > nous, pour le collectif. C’est vrai que je n’ai pas > 


précisé. » Il poursuit : > « Ce qui m’embête surtout, c’est qu’on lui ait fait de la > publicité pendant une semaine et qu’il a tout gardé pour lui. Il > nous a proposé de nous 


communiquer les lieux d’hébergement au > cas par cas, pour qu’on puisse aussi aider. Mais nous, on ne veut > pas travailler pour lui, ce n’est pas comme ça qu’on > fonctionne. » À


LYON, « ON EST AVEC TOUS CEUX QUI SONT POUR LA DÉFENSE DE L’UKRAINE » Kostiantyn Achkasov est le vice-président de Lyon Ukraine. Il aurait proposé à Maxime Le Moing de faire un partenariat à


responsabilités égales entre lui et Lyon Ukraine, qu’il a refusé : > « Ce garçon qu’on ne connaît pas voulait parler en notre nom. > Si on voulait aider l’Ukraine il fallait qu’on 


s’inscrive > comme bénévoles sur sa plateforme et qu’on travaille pour lui et > son agenda politique, sans avoir aucun droit de regard sur quoi que > ce soit. C’est fort quand même.


 » Kostiantyn Achkasov insiste par ailleurs sur la non-appartenance de Lyon Ukraine à quelque courant politique que ce soit : > « On travaille avec absolument tout le monde, tous ceux qui


 veulent > travailler avec nous et qui n’aiment pas Vladimir Poutine. » Quand les deux parties ont réalisé qu’elles étaient irréconciliables, Markiian Peretietko a réalisé son propre site


pour centraliser les propositions et dispositifs d’aide : > « Ce n’est pas très difficile à faire. Il ne faut pas avoir > inventé la poudre pour écrire un questionnaire sur les 


dimensions > d’un logement, ou les horaires de disponibilité. » « IL N’Y A PAS DE MAUVAIS ET DE BON DANS CETTE HISTOIRE » Le nouveau site est soutenu par six autres associations


ukrainiennes lyonnaises. Il indique lui aussi des lieux de don ainsi que la possibilité de s’inscrire pour héberger une famille ukrainienne. Markiian Peretietko conclut : > « Je suis 


content de ce que Maxime fait pour les ukrainiens. > C’est la manière dont il le fait qui me déplaît, c’est pour > ça qu’il fallait qu’il se dissocie de nous. Aussi, c’est un > peu 


ennuyeux qu’il s’appelle Solidarité Ukraine Lyon et nous > Lyon Ukraine, les gens confondent. » Par ailleurs Lyon Ukraine essaye de valoriser son savoir-faire en matière d’organisation


d’événements culturels : > « Nous avons d’autres priorités. Il y a des professionnels de > l’humanitaire comme la Croix-Rouge qui sont plus utiles que nous. > Nous, on donne surtout


 un coup de main aux nouveaux arrivés, on les > accueille, on gère les hébergements. On réfléchit à faire > l’école en ukrainien le samedi pour que les enfants puissent > continuer 


d’apprendre dans leur langue natale par exemple. » Il conclut : > « Il n’y a pas de mauvais et de bon dans cette histoire. Il est > peut-être même plus efficace que nous, c’est juste 


qu’on > n’arrive pas à travailler ensemble. » « LES UKRAINIENS SE MOQUENT BIEN DES QUERELLES POLITIQUES » Un constat partagé par l’intéressé, Maxime Le Moing, qui déclare aussi se désoler


du tour qu’ont pris es échanges : > « On ne pense pas qu’on est meilleur que Lyon Ukraine, et > d’ailleurs les ukrainiens se moquent bien des querelles politiques > qui opposent 


les associations de soutien. Ce qui est sûr c’est > que ces histoires ont entravé nos avancées, les leurs comme les > nôtres. » Même si sa lecture des événements est évidemment


différente : > « Je voulais seulement mettre mon savoir-faire et mon réseau au > profit de la communauté. J’ai eu l’impression qu’on voulait > m’évincer du projet dans lequel je 


m’investissais énormément > depuis plus d’une semaine. Je n’étais pas d’accord avec > ça. » Maxime Le Moing a déclaré ce lundi la création de son association auprès de la préfecture :


> « Ça avance bien, on attend juste la validation et on pourra > encaisser un certain nombre de dons qui ont été faits sur le > compte de l’association. Depuis deux semaines, on a 


fait partir > trois semi-remorques de dons de la Ville de Mions. » Il déclare aussi avoir monté une équipe de plus de 80 bénévoles. Il ajoute : > « On travaille avec beaucoup de 


communes autour de Lyon. » La plupart des municipalités qui travaillent avec l’association de Maxime Le Moing sont encartées LR, comme Bron ou Mions par exemple, tandis que la Ville de Lyon,


dirigée par un exécutif écologiste et gauche (PC, PS…) ne répond plus à ses sollicitations.