Usines hybrides, canon caesar, blindés : knds, un marchand de mort en pleine croissance

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« _Nous sommes en forte croissance dans tous les domaines : le chiffre d’affaires augmente, nos effectifs également, les commandes progressent fortement. Le regroupement nous a donné une


taille critique plus importante, qui nous rend plus visibles et plus attractifs, avec des implantations industrielles dans le monde entier_ » expliquait Nicolas Chamussy, ancien d’Airbus et


actuel patron de KNDS France, dans un entretien donné en février 2025 à _Challenge_. Née de la fusion de Nexter, propriété de l’Etat, et de l’entreprise allemande Krauss-Maffei Wegmann


(KMW), l’entreprise, spécialisée dans la production de munitions, d’artillerie et de véhicules blindés, enregistre une croissance record. Le groupe, qui emploie 10 000 personnes et dispose


de dix sites de production en France, entend bien s’étendre et acquérir de nouvelles usines, jouant un rôle pionnier dans la militarisation des usines civiles et dans la construction d’un


nouveau modèle industriel, que ses dirigeants défendent auprès des classes dominantes françaises. LE MARCHÉ JUTEUX DES BLINDÉS ET DE L’ARTILLERIE Avec des ventes de 3,8 milliards d’euros en


2024, le groupe KNDS est fort d’un carnet de commandes de 23,5 milliards d’euros (+13% par rapport à 2023). En 2024, les prises de commande ont augmenté de 40% pour atteindre 11,2 milliards


d’euros. L’entreprise a en effet commencé l’année en fanfare en négociant avec le Qatar pour la création d’une ligne d’assemblage de son blindé VCBI MkII avant de signer un contrat de 770


millions d’euros avec la Bundeswehr, qui souhaite acquérir 143 PUMA. Sur le marché des chars, KNDS a reçu trois commandes de la Lituanie, de la Suède et des Pays-Bas pour produire trois


séries d’une quarantaine de chars chacune, pour un montant total de plus de 5 milliards d’euros [1]. L’année 2025 commence tout aussi bien. En mars, KNDS France lançait un partenariat


renforcé avec l’entreprise grecque _Metlen Energy & Metals_ pour la production locale de la structure soudée du VBCI MkII, un modèle généralement produit sur le site de Roanne dans la


Loire. Un rapprochement qui prépare la signature d’un contrat avec l’armée grecque, déjà évoquée en mars 2024, de plusieurs centaines de VBCI Philoctète, dans le cadre du plan de réarmement


de 25 milliards d’euros, entre 2025-2036, porté par le premier ministre Kyriákos Mitsotákis. Un mois plus tôt, le 17 février 2025, KNDS France avait annoncé que l’entreprise avait « 


_structuré un projet de modernisation des chars Leclerc_ » détenus par les Émirats Arabes Unis, pour les porter à « _un niveau de performance inégalé_ ». Fort d’un parc de quatre cents


chars, commandés en 1992, les Leclerc émiratis doivent être modernisés, notamment après leur engagement au Yémen, dans le cadre de la guerre réactionnaire conduite par l’Arabie Saoudite


contre les Houthis, un conflit où les équipements produits par KNDS et vendus par l’Etat français ont été massivement utilisés, comme le révélait _Disclose_. Un programme de modernisation


dont bénéficiera également le parc français de 200 chars Leclerc. La LPM prévoit notamment l’amélioration des chenilles, produites sur le site de Tulle, le renforcement des blindages pour


affronter la « haute intensité » et le développement des capacités de combats en réseau, avec le programme SCORPION notamment, dont les technologies sont élaborées sur le site de Toulouse,


et les systèmes de détection et d’optique produits sur le site de Saint-Etienne. Le plus gros marché de l’entreprise française est, de ce point de vue, celui de la défense nationale. La Loi


de programmation, financée par les cures d’austérité à répétition menées sous les deux quinquennats Macron, est en effet extrêmement généreuse avec KNDS. Outre la rénovation des Leclerc, la


loi augmente le volume des forces blindées de l’armée : les Jaguar passeront de 60 à 200, les Griffon de 575 à 1345 et les Serval de 189 à 1405 [2]. Au total, une dizaine de milliards


d’euros qui, loin de financer les services publics, passera dans les poches de KNDS. Quant au canon César, la LPM veut faire passer les réserves de l’armée de 58 à 109 unités. Le canon


Caesar est en effet le produit phare de l’entreprise, fabriqué dans son usine de Bourges dans le Cher [3], à côté de la douillerie du groupe à La Chapelle Saint-Ursin. En plus d’augmenter


ses propres stocks, la France avait tenté, en 2024, de booster les ventes de l’entreprise en lançant la « Coalition artillerie », destinée à financer la production de 78 canons pour


l’Ukraine [4]. Depuis les commandes ne cessent pas : l’Ukraine veut 12 canons supplémentaires, le Portugal demande 36 unités et la Bulgarie, une quarantaine. UN MODÈLE EXPANSIONNISTE ET


PIONNIER DANS LA RECONVERSION MILITAIRE DES USINES Avec un tel carnet de commande, KNDS veut grossir et tente de s’imposer sur le marché très fragmenté de la défense. Le 19 janvier 2025,


KNDS France affichait son intention de racheter l’entreprise Texelis, avec laquelle elle partage un site de production à Limoges. Spécialisée dans les ponts, les boites de vitesses et les


pièces mécaniques pour l’industrie ferroviaire et militaire, Texelis travaillait déjà avec KNDS sur le très juteux marché des blindés Serval qui a permis à l’entreprise de réaliser un


chiffre d’affaires de 110 millions d’euros en 2024. Comme l’expliquait alors le PDG de KNDS France, Nicolas Chamussy, l’acquisition de Texelis « _permettrait à KNDS de renforcer sa


croissance et de retrouver des compétences dans le domaine de la mobilité (les châssis de blindés)_ ». Outre-Rhin, KNDS Deutschland se lance de son côté dans la reconversion militaire d’une


usine ferroviaire du groupe ALSTOM. L’entreprise s’était en effet positionnée, début décembre, pour la reprise de l’usine de Görtlitz, en ex-Allemagne de l’Est, après l’annonce de sa


fermeture en mars 2026. Alors que la Bundeswehr a commandé des centaines de blindés à la branche allemande de KNDS, l’entreprise a signé un contrat avec Alstom le 5 avril 2024 pour reprendre


le site de production qui cessera de produire des caisses de véhicules ferroviaires pour se reconvertir dans la production de pièces de blindés légers. Une reprise présage du pire pour les


travailleurs alors « _que 350 à 400 des quelque 700 employés seront repris_ » et que la militarisation du site promet un durcissement redoutable des conditions de travail, de la surveillance


des travailleurs et de la réduction des droits syndicaux, au service d’un projet de mort. Cette politique expansive, qui s’inscrit dans la continuité des propositions de la Commission


Européenne, dans le cadre du plan avancé par Mario Draghi pour défragmenter le marché de la mort, se traduit également par la prise de capital dans plusieurs entreprises, comme l’entreprise


Renk dont l’usine située en Bavière produit des systèmes d’entraînement pour les chars d’assaut. KNDS qui possédait déjà 6,7% du capital de l’entreprise a activé, en février son option pour


monter à 25% [5]. Une expansion qui culmine dans l’entrée en bourse à venir de l’entreprise, comme le révélait _Reuters_, le 22 février, qui suscite la convoitise alors que KNDS est au cœur


des rivalités inter-impérialistes entre la France et l’Allemagne sur le marché de l’armement. KNDS AU CŒUR DES RIVALITÉS FRANCO-ALLEMANDES En effet, le géant de l’armement allemand,


Rheinmetall a d’ores et déjà annoncé qu’il souhaitait acheter des parts dans KNDS. Fort d’une capitalisation boursière de 55,7 milliards d’euros, Rheinmetall veut mettre la main sur


l’entreprise comme l’expliquait son PDG, Armin Papperger : « _Si KNDS entre en bourse et qu’une opportunité se présente pour faire quelque chose, alors nous la saisirons_ ». L’entreprise


allemande est en effet l’un des principaux rivaux de KNDS en Europe depuis qu’elle a remporté le marché ouvert par le renouvellement des blindés italiens après l’échec des négociations entre


Leonardo et KNDS cet été, l’armée italienne préférant le Panther K-51 au Leopard 2 A8. Dans le cadre de son ambition de « _transformer Rheinmetall en un champion mondial de l’armement_ »,


le PDG s’aligne sur le projet de l’Etat allemand de devenir le principal producteur d’équipements terrestres en Europe. Alors même que l’Allemagne tente de contester la suprématie de la BITD


française sur le domaine aéronautique, elle entend également prendre l’avantage sur le marché des blindés français, notamment pour accroître son poids sur la construction du MGCS (_Modern


Ground Combat System_), le projet franco-allemand du char du futur destiné à remplacer le Leclerc français et le Leopard 2 allemand. Si ce projet avait présidé à la formation du groupe KNDS,


partagé entre sa branche française (ex-Nexter) détenue par l’Etat et la branche allemande sous contrôle privé, la participation de Rheinmetall au capital de l’entreprise pourrait faire


pencher la balance du côté de l’Allemagne. En outre, les rivalités franco-allemandes s’expriment au sein même de l’entreprise, entre ses deux branches. En effet, KNDS Deutschland réalise des


profits records grâce aux exportations du Leopard 2 et prépare « une solution de pont », le Leopard 2 AX ou le Leopard 3, pour occuper le marché dans la décennie 2030 avant la


commercialisation du MGCS, à l’horizon 2040. Une solution transitionnelle sur laquelle se positionne également Rheinmetall avec le Panther K-51. De son côté, la branche française est en


retard sur le marché des chars et ne propose, pour l’instant, qu’une modernisation au standard XLR du Leclerc, mettant surtout en avant sa gamme de blindés légers. Depuis plusieurs mois, la


pression monte sur le gouvernement français pour investir, comme l’Allemagne, dans une nouvelle version du Leclerc, appelé « Evolution », qui disposerait d’un blindage renforcé et du nouveau


Canon ASCALON, de 120 ou de 140 mm. Lors du salon Eurosatory 2024, KNDS France a ainsi présenté un prototype de son char intermédiaire, destiné à permettre à la France de construire un


marché d’exportation concurrent, que la direction de KNDS caractérise cependant comme « _complémentaire_ » avec celui que vise l’Allemagne, pour ne pas froisser sa branche allemande [6]. LE


PROJET DU « LECLERC EVOLUTION » EN DISCUSSION L’état-major français jugeait jusqu’à présent que son modèle d’armée expéditionnaire a davantage besoin de véhicules légers et mobiles pour


triompher sur des fronts irréguliers, dans le cadre de ses opérations de pacification coloniale en Afrique, par exemple, que d’un char lourd, taillé pour des champs de bataille avec un taux


d’attrition très élevé. Toutefois, la position des armées est en train de changer, notamment depuis la guerre en Ukraine et l’importance croissante des « engagements de haute intensité »,


c’est-à-dire d’affrontements entre des adversaires de puissances égales, forts de capacités technologiques et militaires relativement similaires. Or, comme le note Fabrice Wolf, le Leclerc «


 _n’est plus adapté au combat de très haute intensité_ » [7]. L’idée fait donc son chemin au sein des élites politiques. « _L’annonce du partenariat récent entre Rheinmetall et Leonardo


démontre la volonté du groupe allemand de développer un système de transition, le char KF-51, qui pourra lui servir de levier pour imposer ses propres standards dans le cadre du programme


MGCS. La perspective d’un “beauty contest” entre Rheinmetall et KNDS France implique pour l’industrie terrestre française d’être en capacité de pouvoir proposer une offre compétitive_ »


notait ainsi le député François Comier-Bouligeon au moment des discussions autour du budget 2025 [8]. Si aucune décision n’a été prise par les dirigeants français, les prochains budgets


militaires pourraient accorder à KNDS les crédits nécessaires à la production de son produit de transition avant l’aboutissement du MGCS. Un projet à plusieurs dizaines de milliards d’euros


que le gouvernement ne manquera pas de financer en pillant les budgets des services publics au profit d’un des fleurons de la BITD française. LE PLAN DU PATRON DE KNDS POUR MILITARISER


L’INDUSTRIE Mais la direction de la branche française de KNDS veut aller plus loin et se positionne à l’avant-garde des débats au sujet de la politique industrielle française car elle est


bien consciente du changement d’époque à l’œuvre et des opportunités qu’elle offre. Dans son entretien avec _Challenge_, Nicolas Chamussy milite pour une stratégie de défense beaucoup plus


agressive et pour « _une adaptation structurelle de notre modèle industriel_ ». Ce nouveau modèle reposerait, d’une part, sur des « _sites industriels détenus par l’Etat, peu ou pas utilisés


en temps de paix, maintenus en condition opérationnelle par les industriels de la défense. Ces outils de production sont activables sous faible préavis en cas de conflit, pour répondre aux


besoins de défense. Ils sont alors opérés par les mêmes acteurs industriels qui en assurent le soutien_ ». Une manière d’importer en France le modèle d’« usine de guerre » développé en


Ukraine, par une filiale de KNDS créée en octobre 2024 afin de procéder à la maintenance des produits du fabricants utilisés par l’armée ukrainienne et de produire des munitions à proximité


du front. En plus de ces « _usines hybrides_ » qui emploieraient des « _réservistes industriels_ », l’Etat devrait miser, d’autre part, sur « _la mise en place d’infrastructures


industrielles à double usage, civil et militaire, dans des secteurs comme la fonderie, l’usinage ou le soudage par exemple, qui nécessitent de gros investissements_ ». Grâce à ces « outils


duaux », au sein desquels les travailleurs donneraient une partie de leur temps de travail à la production d’engins de mort, la réactivité de la BITD serait beaucoup plus importante. Une


stratégie intermédiaire, qui s’inspire des reconversions industrielles totales que soutient activement KNDS, qui permettrait au patronat de toucher des subventions publiques colossales tout


en _militarisant_ la production civile. De fait, les usines civiles bénéficieraient des restrictions des droits syndicaux, comme dans les usines dites « stratégiques », du simple fait


qu’elles consacrent une partie de leur production à l’industrie de défense. La militarisation partielle de certaines usines offrirait ainsi au patronat les moyens d’imposer des conditions de


travail beaucoup plus dures et d’augmenter le taux d’exploitation de la force de travail à moindre frais, en la justifiant par les impératifs de la sécurité nationale. GUERRE À LA GUERRE ET


AUX MARCHANDS DE MORT Quels que soient les projets de KNDS, l’entreprise franco-allemande ne connaît pas la crise. Alors que l’ordre international se délite sous les coups répétés de Donald


Trump, les puissances européennes se réarment pour défendre leurs intérêts. En effet, les Etats-Unis ont changé leur position au sujet de l’Ukraine et rompu la « division du travail »


impérialiste qui prévalait jusqu’alors pour accaparer les ressources du pays. Une situation difficilement acceptable pour l’impérialisme européen qui aspire, depuis plusieurs décennies, à


mettre la main sur les terres agricoles de l’Ukraine, à privatiser l’ensemble des industries d’Etat et qui lorgne, comme Trump, sur ses richesses minières. Une situation pleine


d’opportunités pour KNDS qui bénéficie de l’augmentation des budgets militaires sur tout le continent et participe au rayonnement technologique de l’impérialisme français. Prestataire des


armées françaises, l’entreprise continuera en outre de bénéficier de la vaste entreprise de pillage organisée par l’Etat pour réarmer les classes dominantes françaises. En l’espace de dix


ans, Macron n’a en effet eu cesse d’approfondir la casse des services publics et de la sécurité sociale, tout en renforçant l’armée, pilier de la Vème République, et en alimentant


l’industrie d’armement et ses profits pharamineux. Alors que le groupe défend une stratégie de militarisation de l’industrie civile, militant pour la création d’usines de réserve, il


s’appuie sur la peur des pertes d’emploi et la crise de plusieurs secteurs pour proposer des plans de reprise agressifs. Les travailleurs ne doivent pas se laisser bercer d’illusions : la


militarisation des entreprises s’accompagnera d’un durcissement significatif des conditions de travail et ne peut que servir de levier pour accélérer la répression et l’offensive contre les


droits syndicaux. Face à l’offensive de ces marchands de morts, il faut opposer un programme qui articule le refus du militarisme impérialiste à la lutte pour pour le maintien de tous les


emplois. S’ils refusent de répondre à nos exigences, nous devons remettre au premier plan la question de qui devrait contrôler la production et mettre les usines sous contrôle ouvrier, en


imposant l’expropriation sans indemnités ni rachats des entreprises. Alors que l’ordre néolibéral se délite et que la situation internationale est de plus en plus instable, le


protectionnisme n’offre aucune issue. Au contraire, une telle stratégie nationaliste nous laisse pieds et mains liés derrière le grand patronat et le gouvernement qui compte bien défendre


des intérêts qui ne sont pas les nôtres face à la crise. Face à une situation qui est encore loin d’être consolidée, il y a urgence à ce que le mouvement ouvrier se saisisse de la crise et


cherche à construire un mouvement d’ensemble qui s’oppose clairement à l’offensive militariste et refuse le chantage à l’emploi en imposant l’interdiction des licenciements. C’est seulement,


en toute indépendance de classe, par nos propres méthodes, la rue et la grève, que l’on pourra faire reculer l’Etat et les marchands de morts qui sont à son service. Pas un euro, pas une


vie pour leurs guerres !