Forte percée de l'extrême droite en roumanie : la conséquence de 30 ans de néolibéralisme triomphant

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LA FAILLITE DES PARTIS TRADITIONNELS Alors que le premier tour des élections présidentielles en Roumanie s’est déjà tenu en novembre dernier, la victoire surprise du candidat indépendant


Călin Georgescu et les soupçons de financements russes qui tournent autour de sa campagne électorale, a permis au Conseil constitutionnel roumain de décider de façon totalement


antidémocratique d’annuler le résultat du premier tour. En tout, le scrutin de 2024 a réuni plus de 14 candidats investis par les partis traditionnels du paysage politique roumain, mais


également pléthore de candidats indépendants à l’instar de Călin Georgescu. Le résultat de ces élections a démontré la défiance des Roumains face aux partis traditionnels comme le démontre


le score ridicule (9%) du candidat du PNL (Parti national libéral) Nicolae Ciucă, issu du même parti que le président sortant, Klaus Iohannis, au pouvoir depuis 10 ans. Le Parti


social-démocrate (PSD) représenté par Marcel Ciolacu, l’actuel premier ministre, n’a pas non plus réussi pour la première fois de son histoire, à se qualifier pour le second tour alors que


celui-ci était pourtant donné en tête du scrutin par les sondages. Cette chute des partis traditionnels s’explique par les nombreux scandales de corruption et de clientélisme qui accablent


ces deux partis qui se partagent le pouvoir depuis plus de 30 ans. À la fin du régime du dictateur Ceaușescu, la restauration bourgeoise s’est accompagnée en Roumanie, comme dans tous les


autres pays de l’ex-bloc de l’Est, d’attaques néolibérales extrêmement violentes pour les classes populaires dont le PSD et le PNL en sont les artisans. En parallèle de la montée des partis


d’extrême droite, on observe également l’émergence du parti Uniunea Salvați România (Union Sauvez la Roumanie, abrégé en USR) fondé par l’actuel maire de Bucarest Nicușor Dan. L’USR est une


coalition de plusieurs petits partis qui ont comme dénominateur commun la lutte contre la corruption, mais sans aucune homogénéité idéologique, et qui cherche à réformer le système en


luttant contre la corruption tout en défendant les intérêts des classes dominantes roumaines. Dans ce sens, le parti s’identifie beaucoup au macronisme, revendiqué par Dan Barna, le


président de l’USR. La candidate du parti, Elena Lasconi est arrivée en seconde position lors du scrutin de 2024 grâce à un phénomène de vote utile face à la menace de l’extrême droite et


poussée par la volonté de changement du système politique en Roumanie porté par une partie de la jeunesse urbaine. L’absence des partis de gauche pour le scrutin et leur quasi-inexistence en


Roumanie, a également renforcé le phénomène de vote utile en faveur d’abord de Lasconi en 2024, puis de Nicușor Dan en 2025. CĂLIN GEORGESCU ET GEORGE SIMION : LES CANDIDATS DE


L’INTERNATIONALE RÉACTIONNAIRE Mais qui est donc Călin Georgescu ? Ingénieur agronome de profession, Georgescu fait partie de la technocratie roumaine et est pleinement intégré dans le


système que celui-ci cherche soi-disant à faire tomber. D’abord membre du parti AUR (Alianța Pentru Unirea Românilor), parti d’extrême droite fondé par George Simion en 2019, celui-ci en est


exclu après ses propos faisant l’éloge du mouvement légionnaire et de leur chef Corneliu Zelea Codreanu, fondateur de ce mouvement fasciste des années 1930. Sa campagne s’est principalement


portée sur son opposition à l’aide de l’Union européenne accordée à l’Ukraine et sur le protectionnisme notamment en ce qui concerne les produits agricoles. La Roumanie étant un pays très


agricole, le discours de Georgescu contre l’exemption de droits de douanes de l’UE pour les produits ukrainiens qui apportent une concurrence déloyale aux producteurs roumains, a eu


énormément d’écho dans les classes populaires rurales de Roumanie. Georgescu est également un candidat ultra réactionnaire qui défend les valeurs familiales traditionnelles ainsi que la foi


chrétienne orthodoxe comme fondement de l’Etat roumain. Dans ce sens, Georgescu souhaite mener toute une politique répressive contre la communauté LGBT et contre les travailleurs immigrés


présents en Roumanie. Dans la base électorale de Georgescu, la diaspora roumaine occupe une place très importante. Les politiques du PSD et du PNL, totalement asservies aux intérêts de la


bourgeoisie nationale et internationale, ont fait grimper l’inflation à plus de 5% en 2024 alors que la moyenne européenne se situe aux alentours de 2,5%. Les prix des denrées alimentaires


dans les supermarchés roumains sont les mêmes qu’en France ou en Allemagne et la diaspora n’a plus vraiment intérêt à subir des conditions de travail très difficiles en Europe occidentale


pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles en Roumanie. Les masses roumaines sont déçus et en colère contre l’Union européenne qui a promis la prospérité à la Roumanie depuis son


intégration en 2007. Force est de constater que les politiques d’austérité et de militarisation croissante de l’UE n’ont en rien permis l’élévation du niveau de vie en Roumanie, au contraire


les conditions de vie se sont terriblement dégradées depuis la crise du COVID et la guerre en Ukraine. L’outsider bénéficie également du plein soutien de l’administration Trump aux


Etats-Unis. Lors de la conférence de Munich sur la sécurité le 14 février, James D. Vance, le vice-président américain, a critiqué l’annulation du premier tour en novembre dernier qui a été


annulé selon lui « _sur la base des faibles soupçons d’une agence de renseignement et de l’énorme pression des voisins continentaux_ ». En plus du vice-président américain, Georgescu a reçu


le soutien d’Elon Musk qui a déclaré sur X que « _la Roumanie mérite sa propre souveraineté_ ». Selon l’agence Bloomberg, l’administration Trump a même fait pression sur les institutions


roumaines pour qu’elles autorisent Georgescu à se représenter pour le scrutin du 4 mai, ce que l’on peut clairement qualifier d’ingérence de la part des Etats-Unis dans le scrutin alors même


que la presse bourgeoise occidentale ne parle que de supposées ingérences russes. Mais Georgescu n’est pas les seul à être soutenu par l’internationale réactionnaire, George Simion était


également invité à la Conférence d’action politique conservatrice où les figures de l’extrême droite du monde entier se sont réunis, de Javier Milei à Elon Musk en passant par Meloni ou


encore Bardella qui a finalement annulé sa visite après le salut nazi de Steve Bannon pendant sa prise de parole à la conférence. Après que Georgescu a été interdit de se présenter et malgré


les tentatives de recours infructueuses auprès de la Cour européenne des droits de l’Hommes, c’est finalement George Simion et le parti AUR qui ont été choisis pour représenter le camp des


« souverainistes » à l’élection présidentielle du 4 mai. Malgré l’unité de façade du camp réactionnaire, les rancœurs personnelles et le carriérisme tendent les relations entre les


politiciens d’extrême droite. Simion a affirmé que s’il est élu, il nommerait Georgescu premier ministre, mais rien ne dit qu’il tiendra sa promesse afin d’écarter la figure de Georgescu et


ainsi récupérer sa base électorale et consolider l’implantation de AUR, mais aussi de sa figure en tant que président. D’autant plus que la parti AUR est la deuxième force politique au


parlement roumain depuis les dernières élections législatives en 2024, Georgescu lui, n’a aucun parti derrière lui. Même si les « souverainistes » ont actuellement le vent en poupe, il est


important de rappeler qu’ils ne défendent en aucun cas les intérêts de la classe ouvrière. Lors d’une visite d’une usine textile près d’Alba Iulia , George Simion a rencontré les ouvrières


de cette usine et a déclaré qu’il allait réduire les taxes des patrons pour « soutenir les employeurs ». S’il est élu, George Simion continuera les politiques en faveur du patronat roumain,


il continuera la casse des services publics déjà bien entamée par le PSD et le PNL et il continuera les attaques austéritaires contre les travailleurs de Roumanie. LA ROUMANIE S’ENFONCE DANS


UNE VOIE ANTI-DÉMOCRATIQUE SOUTENUE PAR L’UE La percée inattendue de Călin Georgescu lors du scrutin du mois de novembre a été un véritable choc pour les classes dirigeantes roumaines qui


ont immédiatement soupçonné des irrégularités lors du scrutin. Tout d’abord la campagne électorale de Georgescu s’est concentrée quasi exclusivement sur les réseaux sociaux et surtout sur


TikTok et Youtube, où ses clips accumulent parfois plusieurs milliers de vues. Le 4 décembre, le président sortant Klaus Iohannis déclassifie des documents des services secrets roumains


évoquant une « ingérence étrangère » visant à favoriser la visibilité des clips de Georgescu sur les réseaux sociaux. Les documents affirment seulement que Georgescu a déboursé 380 000 euros


pour rémunérer environ 25 000 comptes Tik Tok dans le but d’augmenter sa visibilité sur le réseau alors que Marcel Ciolacu, le candidat du PSD, a déboursé 11 millions d’euros dans la


campagne électorale sans être inquiété par les services secrets. Suite aux révélations de ce document, la Cour constitutionnelle de Roumanie prend la décision d’annuler le premier tour de


l’élection présidentielle, la veille du second. Une décision à peine justifiée par l’institution et qui constitue une attaque grave à la démocratie, d’autant plus que cette décision est


unique en Europe et dans les pays dits « démocratiques ». La décision d’annuler le premier tour profite aux intérêts de l’Union Européenne, la Roumanie étant un pays stratégique non


seulement pour l’UE mais aussi pour l’OTAN qui y a installé sa plus grande base militaire à Constanța, sur la côte de la mer Noire. Bruxelles a non seulement approuvé l’annulation des


élections mais a également lancé une enquête à la demande des autorités roumaines sur les « amplifications algorithmiques » et leurs « potentiels risques sur la sécurité nationale ». L’Union


Européenne démontre donc une fois de plus son hypocrisie et ses « valeurs démocratiques » de façade en soutenant l’annulation d’une élection cruciale en Roumanie simplement car le résultat


ne convient pas aux intérêts des secteurs les plus concentrés du capital européen. Pour illustrer ce deux poids deux mesures, on peut évoquer les élections présidentielles en Moldavie qui se


sont déroulées en octobre 2024. La présidente moldave pro-européenne Maia Sandu a finalement remporté le scrutin avec une très courte avance alors que la campagne avait été marquée par une


ingérence du Kremlin apparente et mieux documentée. Cependant, comme le résultat convenait aux intérêts des classes dominantes moldaves et européennes, le scrutin n’a pas été annulé malgré


l’ingérence claire de Moscou démontrant une fois de plus l’hypocrisie de l’Union Européenne. Les dirigeants européens n’hésitent pas non plus à instrumentaliser la situation en Roumanie pour


agiter l’épouvantail de la « menace russe ». Lors de son allocution du 5 mars, Emmanuel Macron a affirmé : « _La Russie du Président Poutine [...] manipule les élections en Roumanie et en


Moldavie_ » pour justifier sa course militariste alors même qu’il n’y a aucune preuve concrète d’ingérence du Kremlin. Même s’il n’était pas présent au scrutin du 4 mai, l’ombre de Georgescu


planait sur la campagne électorale de 2025 qui a été particulièrement contrôlée par l’Etat roumain allant parfois jusqu’à la censure des contenus politiques sur les réseaux sociaux. La


Roumanie a opéré un tournant autoritaire qui, loin de contenir l’influence de l’extrême droite, participe à son narratif complotiste et lui donne de la matière pour son discours en direction


des classes populaires lassées de 30 ans de néolibéralisme triomphant. La Roumanie sert en quelque sorte pour l’Union européenne de « laboratoire » pour savoir jusqu’où elle est capable


d’aller dans les écarts aux principes de l’Etat de droit pour freiner l’avancée des réactionnaires qui menacent la stabilité de l’ordre néolibéral. On retrouve les mêmes méthodes utilisées


en Roumanie pour empêcher l’extrême droite de se présenter, en France par exemple avec la peine d’inéligibilité sont a écopé Marine Le Pen, ou encore en Allemagne où l’AfD a été jugée comme


un parti « anticonstitutionnel » et placée sous surveillance active des services de renseignements allemands. Les travailleurs, la jeunesse et l’ensemble des exploités et opprimés qui se


battent contre les organisations bourgeoises et l’extrême-droite ne doivent pas se tromper : les lois et jurisprudences que les dirigeants de « l’extrême-centre » utilisent aujourd’hui


contre l’extrême-droite seront utilisées demain pour empêcher et détruire toute forme d’organisation des exploités et des opprimés. Aucune avancée autoritaire et bonapartiste de la


bourgeoisie peut servir les forces révolutionnaires et ouvrières à lutter contre l’extrême-droite. LE PNL ET LE PSD PORTENT SEULS LA RESPONSABILITÉ DE LA MONTÉE DE L’EXTRÊME DROITE La crise


actuelle en Roumanie et le chaos qui en résulte a également permis au gouvernement du PSD et du PNL de faire passer des attaques austéritaires brutales. Le gouvernement a fait passer une


ordonnance appelée Trenuleț qui prévoit des coupes budgétaires de 120 milliards de lei (presque 25 milliards d’euros) sur presque tous les secteurs de la société, des étudiants aux


retraités. Quelques secteurs comme les personnels de l’administration et les professeurs se sont mis en grève pour protester contre cette offensive brutale, mais l’atonie des directions


syndicales qui servent de courroie de transmission à l’État n’a pas réussi à mobiliser massivement les travailleurs dans la rue. Cette ordonnance trenuleț, qui passe comme une lettre à la


poste, a renforcé la détestation des classes populaires envers les partis institutionnels et a inévitablement contribué à la montée des partis réactionnaires, faute d’organisations ouvrières


et révolutionnaires pour offrir une alternative progressiste. Après le passage en force de l’ordonnance trenuleț, le gouvernement se retrouve néanmoins affaibli au parlement. Les dernières


élections législatives du mois de décembre 2024 ont vu la majorité du PSD et du PNL se réduire avec l’entrée en force du parti AUR et de l’USR. La menace de la destitution du président Klaus


Iohannis l’a poussé à la démission, une première dans l’Histoire de la Roumanie. Après le résultat du premier tour ce 4 mai, c’est Marcel Ciolacu le premier ministre du PSD qui a également


démissionné face à la déroute du candidat de la coalition au pouvoir qui n’a pas réussi à se qualifier pour le second tour. L’affaiblissement des partis au sein du parlement et la pression


des urnes ont rendu le PNL et le PSD illégitimes pour gouverner, les poussant ainsi à démissionner des postes qu’ils occupaient. Le PNL est également responsable directement de la


surexposition de Călin Georgescu sur les réseaux sociaux. Une enquête publiée par le média d’investigation Snoop.ro affirme que la Russie n’est finalement pas derrière les financements de la


campagne Tik Tok de Georgescu mais que le PNL a payé une agence de communication pour leur propre campagne mais qui a aussi indirectement contribué à celle de Călin Georgescu. Face à la


croissance du parti AUR dans les sondages, le PNL a choisi de mettre en avant la campagne de Georgescu afin de diviser les voix de l’extrême droite et donc d’augmenter les chances du parti


d’arriver au second tour. Une stratégie qui s’est révélée à double tranchant car Georgescu a finalement accédé au second tour, tandis que Nicolae Ciucă a enregistré le pire score électoral


de l’histoire du PNL n’arrivant même pas à dépasser les 10%. Depuis la fin du régime de Ceaușescu et la restauration bourgeoise, les partis au pouvoir ont martelé une propagande


anticommuniste en criminalisant toute critique du capitalisme et toutes les références au marxisme en les associant au régime bureaucratique et autoritaire de celui que l’on surnommait le


“Génie des Carpates”. Dès le lycée, les élèves roumains ont un cours obligatoire sur “L’Histoire du communisme en Roumanie”, qui associe directement les crimes du régime de Ceaușescu au


marxisme et au socialisme. Il faut le dire, le régime « communiste » de Ceaușescu a été particulièrement violent pour les classes populaires de Roumanie marquées par la répression


systématique des opposants, la persécution des minorités ethniques comme les Rroms ou encore les politiques bureaucratiques désastreuses qui n’ont fait que garantir des privilèges obscènes à


la bureaucratie stalinienne et appauvrir les travailleurs roumains. Mais les politiques du PSD et du PNL n’ont fait que renforcer le sentiment anticommuniste de la population, ce qui a eu


pour effet de limiter le développement d’organisations marxistes mais aussi d’organisations politiques de gauche radicale et des organisations ouvrières comme les syndicats. C’est en


censurant les voix qui s’élevaient à gauche que l’Etat a pu laisser l’espace à l’extrême droite qui instrumentalise la colère sociale seulement dans le but de prendre le pouvoir. La


situation politique actuelle en Roumanie démontre bien la faillite du modèle néolibéral et comment les partis bourgeois pavent la voie à l’extrême droite. Elle démontre aussi à quel point


L’Union européenne est capable d’aller, quitte à bafouer « l’Etat de droit » et ses principes démocratiques, pour sécuriser ses intérêts dans un pays clé pour sa stratégie militariste. Face


à la crise, aucune confiance ne doit être accordée aux représentants de l’internationale réactionnaire qui défendent les intérêts de la bourgeoisie roumaine et qui annoncent déjà des


attaques contre les travailleurs, les minorités ethniques et les minorités de genre. Aucune confiance ne doit aussi être accordée aux vieux partis bourgeois, tout comme à l’USR qui, sous ses


airs de parti « anti-système » et indépendant, promet de continuer la casse du service public, d’attaquer les acquis sociaux et de continuer d’être fidèle à l’UE et à l’OTAN. Il est urgent


de montrer qu’une autre voie est possible avec la construction d’une organisation des travailleurs et de la jeunesse contre l’impérialisme, contre l’austérité et pour une société débarrassée


de toutes les oppressions et l’exploitation. La situation en Roumanie nous montre aussi qu’on ne peut pas faire reculer l’extrême droite durablement en l’empêchant de se présenter, mais que


c’est en s’organisant concrètement sur nos lieux de vie et nos lieux de travail qu’on la combat.