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Le Parti libéral du Canada (PLC) a emporté les élections fédérales ce lundi avec 169 sièges, permettant à Mark Carney de conserver le poste de Premier ministre. Les libéraux n’obtiennent pas
de majorité absolue, face à la montée du Parti conservateur qui emporte 144 sièges (soit 24 sièges de plus que dans la précédente législature), sur les 343 que compte la Chambre des
communes. L’élection avait été déclenchée de manière anticipée par Mark Carney en mars. Le banquier d’affaires, novice en politique, qui remplaçait Trudeau suite à sa démission en janvier,
souhaitait alors obtenir un « _mandat fort_ ». Les menaces expansionnistes et la guerre tarifaire déclenchée par Trump ont constitué le sujet central de la campagne, permettant à Carney de
se hisser comme l’homme fort pour défendre la souveraineté canadienne face au chef conservateur Pierre Poilievre. UNE CAMPAGNE SOUS LE SIGNE DU NATIONALISME Alors qu’il y a quatre mois
encore, les sondages donnaient les libéraux perdants, la centralité de la menace états-unienne dans la campagne a largement profité à Mark Carney, lui permettant de rattraper l’avance des
conservateurs en apparaissant comme le garant de la stabilité du régime face à Trump. Le Parti conservateur, mené par Pierre Poilievre, bénéficiait jusqu’alors de l’impopularité de Justin
Trudeau, face auquel il incarnait la principale opposition au Parlement, ainsi qu’une possibilité de changement après trois mandats libéraux. Menant campagne sur le thème du coût de la vie
et surfant sur le style politique de Trump, invectivant ses adversaires, usant d’une rhétorique populiste, réactionnaire et nationaliste au slogan de « _Canada First_ », cette proximité a
finalement desservi le candidat de droite extrême, souvent comparé à Trump dans la presse. ²À l’inverse, le Premier ministre sortant aura tiré profit de quelques mois au pouvoir et d’une
réputation de gestionnaire de crise, ayant dirigé la Banque d’Angleterre pendant le Brexit, après une carrière chez Goldman Sachs, puis à la Banque du Canada. Comme il le résumait pendant la
campagne, la question centrale de l’élection aura été « _de savoir qui est le mieux placé pour s’opposer au président Donald Trump_ ». Depuis les premières annonces de tarifs, un important
mouvement de boycott des produits états-uniens s’est mis en place, les appels à défendre la « _team Canada_ » et à faire preuve de « _fierté canadienne_ » étant largement suivis. Les
campagnes marketings mettant en avant le « _Made in Canada_ » sont légion, et le débat public est saturé par le thème de la défense des intérêts nationaux. La campagne de Carney s’est donc
déroulée autour du slogan « _Canada strong_ », le candidat n’hésitant pas à déclarer pendant la campagne : « _Ils veulent nos ressources, ils veulent notre eau. Les Américains veulent notre
pays._ ». Son dernier clip, intitulé « _Elbows Up_ » (pour « coudes en avant » : une posture défensive au hockey, utilisé comme slogan protectionniste) mobilise des affects patriotiques,
mettant en scène le candidat vêtu du maillot de l’équipe nationale de hockey floqué à son nom, aux côtés de l’acteur canadien Mike Myers, dans la même tenue, affichant dans son dos le numéro
51, et le mot « _NEVER_ ». Le matin même du scrutin, Trump fanfaronnait sur son réseau Truth Social, appelant les Canadiens à voter pour lui-même, pour faire du Canada « _le 51ᵉ État chéri
des États-Unis d’Amérique_ », après avoir qualifié la frontière de « _ligne artificiellement tracée_ ». Dans son discours de victoire, Carney a directement répondu à la « _trahison
américaine_ », assurant que l’ « _ancienne relation avec les États-Unis est terminée_ ». UNE VICTOIRE POUR LA DROITE Appelant à l’unité face aux « _difficiles mois à venir qui exigeront des
sacrifices_ », le Premier ministre nouvellement élu prépare les esprits à l’austérité, prévoyant pour le moment d’abaisser la hausse des dépenses du gouvernement fédéral de 9 % à 2 % et
d’augmenter le budget de l’armée – tout en promettant des économies dans les dépenses publiques. Si l’agenda anti-woke du Parti conservateur ne l’a pas emporté, suscitant un certain
soulagement à gauche, la victoire électorale des Libéraux et le bon score de l’opposition conservatrice marquent la domination de la droite sur la Chambre des communes. Alors que le Nouveau
Parti Démocratique (NPD), dirigé par Jarmeet Singh, disposait de 25 sièges, il n’en conserve plus que 7, tandis que le Parti Vert n’a plus qu’un seul siège. Après avoir obtenu des victoires
au Parlement, par une alliance temporaire avec le PLC (déjà minoritaire) contre la négociation de mesures concernant le remboursement des soins dentaires, le NPD avait retiré son soutien au
gouvernement en septembre 2024 pour passer dans l’opposition. Désormais, le PLC, qui doit se constituer une majorité, pourrait s’allier au Bloc Québécois (parti souverainiste québécois, de
droite), détenteur de 22 sièges et dirigé par Yves-François Blanchet, visé par des accusations d’agressions sexuelles, très peu médiatisées pendant la campagne. Les appels à voter pour le
moindre mal, pour mettre en défaite les conservateurs, ont profité aux libéraux. Une campagne « Vote Palestine », impulsée par une centaine d’organisations militantes, incitait les
électeur·ices à « _mettre la Palestine sur le bulletin de vote_ », en donnant sa voix à des candidat·es soutenant la plateforme, certain·es étant pourtant membres du PLC, complice du
génocide. Par ailleurs, comme le souligne le média québécois Pivot, les positions des libéraux et des conservateurs sont similaires en matière d’immigration : réduire le nombre de
résident·es temporaires, renforcer les contrôles aux frontières et les déportations. Lors du débat télévisé où s’affrontaient les chefs de partis peu avant l’élection, Carney avait ainsi
déclaré « _approprié_ » de renvoyer aux États-Unis les migrant·es demandant l’asile au Canada et menacé·es par la politique anti-migratoire de l’administration Trump. Alors que le Canada
connaît une importante crise du logement, dont le prix moyen a triplé au cours des deux dernières années, Carney avance la restriction de l’immigration comme solution à la pénurie de
logements, accusant dans son programme son prédécesseur d’avoir « _laissé les niveaux d’immigration augmenter à un rythme trop rapide et insoutenable_ ». C’est plus généralement une
politique pro-patronale qui se profile sous Carney, qui a annulé en avril la hausse de l’impôt sur les gains du capital, prévue par le précédent gouvernement : un cadeau aux capitalistes
visant à créer « _d’avantage d’emplois bien rémunérés_ », d’après l’ancien de Goldman Sachs. Dévoilant son programme financier neuf jours avant l’élection, il ne cachait pas que « _la
plupart des dépenses [prévues par le programme du PLC visent à] créer des actifs, surtout dans le secteur privé_ » afin d’impulser au Canada « _la croissance la plus forte du G7_ ». Comme
l’analyse l’économiste marxiste Michael Robert, la croissance du PIB canadien a longtemps été inférieure à celle des autres pays du G7, en raison de retards d’investissements productifs de
la part des capitalistes canadiens (hors du secteur de l’énergie, domaine où le Canada est indépendant grâce à d’importantes ressources naturelles sur son territoire), la croissance
économique du pays étant essentiellement le résultat de l’augmentation de la population. La guerre tarifaire enclenchée par Trump risque d’entraîner une récession, menaçant 200 000 emplois
d’après Oxford Economics, cité par Michael Roberts. Ce sont les classes populaires qui vont payer le prix fort de la crise, alors que le coût de la vie augmente fortement au Canada. Dans ce
contexte, l’élection de Carney laisse présager des politiques austéritaires qu’il n’annonce encore qu’à mots couverts, et traduit un renforcement de la droite libérale, mais aussi de la
droite conservatrice qui gagne des sièges, et le naufrage de la gauche parlementaire canadienne. L’élection a été marquée par ailleurs par la fermeture de bureaux de vote au Nunavik, où des
personnes autochtones ont été privées de leur droit de vote, un scandale qui avait déjà entaché l’élection de 2021.