Lutte contre l’A69 : les militants créent une nouvelle zad

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Un nouveau bastion de résistance à la construction de l’autoroute A69 voit le jour. À quelques encablures de la sous-préfecture du Tarn, entre Toulouse et Castres, la zad de la Cal’arbre


s’est installée le 20 février.


« Nous n’avons pas peur des ruines. » Les lèvres dissimulées sous un foulard en laine, Zoé avance au cœur de la prairie, jonchée de chênes centenaires. Splash, splash. Son pantalon est


constellé d’éclaboussures de boue.


« Tant que le béton n’aura pas coulé, nous serons là. » Elle s’interrompt, jette un coup d’œil en l’air comme pour consulter son esprit, et se corrige : « Même avec le béton, nous serons là


pour empêcher les zones commerciales d’apparaître et les voitures de rouler. »


Le 20 février, un nouveau bastion de résistance à l’avancée des pelleteuses est né, sur le front de l’autoroute A69. À quelques encablures de Castres, sous-préfecture du Tarn, une flopée de


maisonnettes de fortune, à même la terre ou dissimulées entre les branches, accueillent… « des milliers d’habitants », murmure un homme, rictus en coin. Ici, à la Cal’arbre, chaque chiffre


est une information confidentielle, à préserver coûte que coûte.


« Être militant est devenu un délit, alors on se méfie », ajoute l’anonyme. Multiplication des boucles Telegram pour échapper aux renseignements territoriaux. Communication au


bouche-à-oreille pour empêcher les Centaures [des blindés sophistiqués de la gendarmerie] d’enregistrer les conversations. Camouflage des visages dès qu’une voiture banalisée approche. Rien


n’est laissé au hasard : « Et ce, alors même qu’on n’a rien de hors-la-loi », déplore-t-il.


Il faut dire que l’État et grand nombre d’élus pilotent une diabolisation à marche forcée des militants. Le 29 février, le maire de Saïx, Jacques Armangaud qualifiait les zadistes de « secte


rétrograde et nomade » parasitant tous les sujets : « Les gourous font commerce du mensonge et de la vérité travestie », ajoutait-il devant son conseil municipal.


Pour combattre ces caricatures, les habitants de la Cal’arbre tentent de tisser des liens avec les villageois des alentours. Le 6 mars, une grande fête des voisins est organisée sur la


nouvelle zone à défendre. Au programme : des ateliers pour apprendre à grimper aux arbres, à peindre, à construire des cabanes… et même une balade écologiste à la découverte de la


biodiversité de la mare, où grouillent les batraciens. « Le concessionnaire prévoit de n’en détruire que la moitié, précise Mati. Un geste adorable pour que des demi-grenouilles puissent


continuer d’y vivre paisiblement. »


À observer les riverains déposer un peu de nourriture, quelques outils ou des vêtements, la dédiabolisation semble fonctionner : « Voilà trente ans que ces gens-là se battent en respectant


les codes et les procédures. Qu’ont-ils obtenu en échange ? Rien, déplore Mati. Ils sont à bout, épuisés d’être ignorés. Alors ça les soulage de savoir que d’autres prennent le relais, en


empruntant des outils de lutte différents. »


Un imbroglio de cordes accroché à la ceinture, Pol observe le vent caresser l’eau sombre de la mare. Autour de lui, un poste médical, une cantine, un grand dortoir, des toilettes sèches et


un « free shop », petite boutique de vêtements bannissant toute notion d’argent. « Cette zone à défendre est un lieu de pensées, de libertés, de partage des savoirs et des connaissances. »


Il avale une gorgée de soupe aux oignons, et poursuit : « Zadiste n’est pas un métier : il y a des artisans, des paysans, des personnes sans emplois, d’autres venant de l’autre bout de la


France, d’Allemagne ou d’Italie. Certaines sont là un jour, d’autres un mois. » Un seul crédo réunit cette mixité : combattre au mieux la progression d’un projet destructeur, pour laisser le


temps aux alternatives d’émerger.


Avant la Cal’arbre, bien d’autres lieux avaient été occupés par les militants anti-A69. À commencer par la Crémade, au beau milieu de l’automne 2023. Le 21 octobre, plus de 10 500 personnes


– 5 000 d’après le cabinet du préfet – participaient à la grande mobilisation Ramdam sur le macadam. Deux cortèges avaient alors concentré l’attention des forces de l’ordre, l’un en


déclenchant un incendie dans une cimenterie, l’autre feignant s’approcher du laboratoire Pierre Fabre.


Pendant ce temps-là, des dizaines de mains œuvraient à la création de la toute première zone à défendre de la lutte, la Crem’zad. Des éclats de rire, des poings dressés vers les cieux, et


quelques coups de pinceaux sur les murs avaient rendu son âme à l’imposante bâtisse, précédemment expropriée par le concessionnaire. Jusqu’à la nuit tombée, des centaines de militants


vadrouillaient dans le labyrinthe de couloirs… avant que l’orage ne tombe.


Lire aussi : « S’engager contre l’A69, c’est retrouver de la joie »


Le lendemain, à la mi-journée, un dispositif de gendarmerie avait toutefois évacué le corps de ferme, à grands renforts de gaz lacrymogènes et de grenades de désencerclement. En quelques


minutes, un mur antiémeute encerclait la zad naissante. Et deux jours plus tard, devant l’hémicycle de l’Assemblée nationale, Gérald Darmanin se félicitait : « Aucune zad ne sera constituée


tant que je serai ministre de l’Intérieur ». Promesse manquée.


Voyant les lieux-dit investis par les écureuils, à Sherwood, aux Crêtes, à la Prade et au Bourrelié tomber un à un aux mains des forces de l’ordre, des militants décidèrent d’occuper l’un


des ultimes bois menacés de disparition.


Mi-novembre, au cœur de la nuit, Mila fût la première à accrocher son hamac sur une branche haut perchée… du bosquet bien baptisé la Crem’arbre. À 600 mètres à vol d’oiseau des vestiges de


la Crem’zad, ce nouveau lieu s’est vite transformé en centre névralgique de la bataille.


Le 15 février, une fois encore, les camions de CRS et de gendarmes ont débarqué par dizaines pour encercler le site. Grenades lacrymogènes, assourdissantes et désencerclantes sont tirées.


Les maisonnettes bâties au sol sont détruites ou incendiées. Leurs habitants chassés ou interpellés.


« J’étais totalement impuissant, à observer des hommes en uniforme détruire le salon de thé que j’avais mis des heures à construire », témoigne aujourd’hui à Reporterre Tibo, ancien habitant


de la Crem’arbre. Le jour de l’évacuation, il était à l’autre bout de la France et suivait les péripéties sur un live Instagram.


Il sourit : « Après tout, c’est le jeu. Les zad sont résilientes. Eux détruisent, nous reconstruisons… en mieux. » En quelques mouvements, le voilà perché à vingt mètres de haut, dans les


branches tortueuses d’un chêne de la Cal’arbre. Cette nuit, le chant des chouettes l’aidera à s’endormir.


Pour l’heure, des écureuils résistent encore à la Crem’arbre, malgré les privations d’eau et de nourriture orchestrées par les forces de l’ordre. Les habitants de la Cal’arbre, eux, sont


pour l’instant à l’abri de toute évacuation, faute d’expropriation actée ou de dépôt de plainte du propriétaire du champ. Une mèche de cheveux sciant son regard, Zoé conclut : « Cette lutte


s’étend sur un ruban de 54 kilomètres. Alors nous n’avons pas le choix… Il faut multiplier les zones de résistance. »


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