Plus vieux détenu de france, auteur de trois meurtres dans le var, tommy recco veut être libéré: les secrets de 40 ans de procédure

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Est-il envisageable que le doyen de la prison de Borgo (Corse), Joseph-Thomas Recco, dit "Tommy Recco", âgé de 89 ans et auteur de sept meurtres entre 1960 et 1980, obtienne une


libération conditionnelle? Celui qui se dit "_100% innocent, comme le Christ_", avec ses yeux bleus perçants et sa longue chevelure, condamné deux fois à une peine de réclusion


criminelle à perpétuité, veut obtenir sa libération... en saisissant la Cour européenne des droits de l'Homme.  LE TUEUR EN SÉRIE SAISI LA JUSTICE EUROPÉENNE  Il a pris perpet'


pour le meurtre d'un garde maritime en 1960 à Propriano, avec libération conditionnelle le 7 novembre 1977. Perpét' encore devant la cour d'assises du Var, le 14 juin 1983,


pour l'assassinat de trois caissières le 22 décembre 1979 dans un magasin _Mammouth_ de Béziers, ainsi que le triple meurtre d'une fillette, de son père et d'un voisin à


Carqueiranne, dans le Var, le 18 janvier 1980.  Après vingt-deux demandes de libération conditionnelle refusées, le tueur en série saisi désormais la Cour européenne des droits de


l'Homme par intermédiaire de Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et de l'avocat marseillais Me Alain Lhote, son avocat, qui a également pris


perpet' auprès de Recco, dont il assure la défense depuis quarante-trois ans.  DU JOUR OÙ IL A ÉTÉ MIS EN EXAMEN À TOULON Dans son cabinet situé à quelques pas du palais de justice de


Marseille, Me Lhote est intarissable sur le parcours judiciaire de l'assassin qui a accompagné toute sa carrière d'avocat. Tommy Recco est l'un des dossiers précieusement


disposés sur une grande table basse. Toujours à portée de main malgré l'ancienneté des faits.  "_Je l'ai rencontré lors de son inculpation et sa mise en examen par le juge


d'instruction de Toulon dans le cadre du triple assassinat de Carqueiranne, avant de prendre en charge son implication dans le triple meurtre de Béziers. Je l'ai suivi aux assises


à Draguignan, où le procès fut épique, et lors ses incarcérations dans de multiples établissements pénitentiaires avant qu'il ne rejoigne le 6 avril 2012, la prison de Borgo, en Corse,


d'où il est originaire_".  IL LIT LA BIBLE ET NIE SES CRIMES  À 89 ans, l'ancien pêcheur de Propriano, Tommy Recco, est le patriarche de la maison d'arrêt.


"_C'est un homme diminué par les maladies liées à son âge, mais il est toujours vivace sur le plan intellectuel. Il écrit toujours beaucoup. Ses occupations sont limitées pour cet


homme qui fait partie des meubles. Il lit la Bible, regarde la télé, suit les affaires judiciaires et ses propres péripéties judiciaires". _ Depuis que son incarcération en Corse,


vingt-deux demandes de libération conditionnelle (suspensions de peine) ont été sollicitées et elles ont toutes étaient refusées. "_Les magistrats en charge d'examiner le dossier


estiment qu'il reste criminellement dangereux. Je suis dubitatif vu son âge...",_ précise l'avocat.  L'homme n'a pas de pathologies qui rendent incompatible son


séjour en prison, notent les nombreuses décisions de justice_. _ _"Et surtout, il est dans la négation des faits qui lui sont reprochés. Les juges de l'application des peines, la


chambre de l'application des peines opposent cet argument en disant qu'il n'a fait aucun travail sur lui-même, qu'il affiche une indifférence totale envers les


victimes"._ L'ÉPOUX D'UNE VICTIME N'A JAMAIS BAISSÉ LES BRAS Depuis 1980, Guy Maurel, l'époux d'une victime assassinée à Béziers, n'a jamais baissé les


bras. "_Il se fait représenter à chaque audience, où il vient. Il poursuit Recco d'une haine farouche. Sa voix porte", _commente l'avocat marseillais.   "_La


situation étant bloquée quant à une libération conditionnelle du plus ancien prisonnier de France, il restait la saisine de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), laquelle a


été réalisée en juin 2023 par mon confrère Alain Spinosi, un homme très rompu à ce genre d'exercice_".  "JE SUIS COMME LE CHRIST QUI PORTE TOUS LES PÉCHÉS DU MONDE" La


requête devant la CEDH a déjà passé le filtre de recevabilité. "_La suite, c'est l'argumentaire qui sera présenté par l'Etat français pour expliquer comment cet homme, à


l'âge qu'il a, ayant accompli plus de quarante ans de détention, est encore détenu_.  "S_i on est honnête intellectuellement, la peine infligée dans le Var est devenue de


facto une peine de perpétuité réelle. Cette procédure est celle d'un homme qui voudrait mourir dans son lit et peut-être, puisqu'il le revendique toujours ses croyances à


l'égard du Christ, de la Vierge et de tous les saints, se mettre en ordre avec sa conscience". _ Selon l'avocat marseillais, le criminel au grand âge tient la même posture


depuis plus de quatre décennies: _"Je suis innocent à 100%. Je suis comme le Christ qui porte tous les péchés du monde_".  S'est-il confessé un jour à un prêtre? "_Je ne


le sais pas. Dans les lettres qu'il m'adresse, il y a toujours des références bibliques, des images de saintes_. _Psychologiquement, est-ce qu'un homme qui a commis sept


assassinats quand il est seul avec lui-même peut l'accepter ou pas? Ils [les criminels] développent tous des systèmes de défense qui leur permettent de se tenir un peu debout",


_poursuit-il. L'ARME VA "PARLER" Dans son parcours sanglant, le 22 décembre 1979, marque un épisode particulièrement atroce. Tommy Recco s'introduit ce jour-là dans la


partie administrative du magasin Mammouth de Béziers (Hérault). Il est armé. Il braque trois caissières qui s'occupent de la recette de la journée.  Il exécute froidement avec un Smith


& Wesson de calibre 38 trois jeunes femmes: Sylvette Maurel, 27 ans, Renée Chamayou, 28 ans et Josette Alcaraz, 27 ans. Des balles tirées méthodiquement dans la nuque. Le montant du


braquage mortel est quant à lui estimé à 700.000 francs (soit l'équivalent de 370.520 € en 2022). "PAPA SE DISPUTE AVEC LE COUSIN DE NÉNÉ" Mais les pistes sont minces pour


identifier l'auteur du triple assassinat. _"Toutes les recherches dans le milieu biterrois échouent"_. Les prélèvements techniques sont rudimentaires et l'utilisation de


l'ADN sur une scène de crime n'existe pas encore. L'arme est l'élément le plus probant. Et c'est l'arme qui va parler. Qui a déjà tué quelques jours auparavant


à 300 km de Béziers, à Carqueiranne.  Le vendredi 18 janvier 1980, un drame survint dans le paisible village, qui compte alors 6.000 habitants. Trois corps sans vie sont retrouvés dans la


villa de la famille Le Goff. Il y a une fillette de 11 ans, Sandrine, son père, dont la dépouille gît dans le sous-sol, et leur voisin, M. Coutrix.  La piste s'oriente rapidement vers


Tommy Recco. Avant la tuerie, la petite fille tente de joindre sa mère, qui travaille à Hyères dans un foyer pour enfants. En vain. Madame Le Goff a déjà pris la direction de son foyer.


Sandrine dit à son interlocutrice au téléphone qu'il faut que sa mère vienne vite car son père se bat avec un homme, "_le cousin de Néné_". Les voisins des Le Goff sont


alertés. C'est ainsi que M. Coutrix arrive sur les lieux. La fillette, son père et leur voisin seront retrouvés sans vie. Tués par arme à feu.  EN LIBÉRATION CONDITIONNELLE DEPUIS 2 ANS


Le cousin de René ("Néné") n'est autre que Tommy Recco. L'homme, âgé de 45 ans, a un casier judiciaire déjà bien noirci. En 1959, à 25 ans, il est impliqué dans la


disparition de trois touristes allemandes, qu'il aurait promenées près des côtes d'Ajaccio. Faute de preuves, il bénéficie d'un non-lieu. L'année suivante, il tue son


parrain, garde maritime, alors qu'il pêche à la dynamite. C'est sa première condamnation. La peine de mort a été requise. C'est une peine de réclusion criminelle à perpétuité


qui tombe. Il purge 17 ans à la maison centrale de Clairvaux (établissement fermé en mai 2023); _"Où il devient le chef de chorale de la prison_, relève Me Lhote. _"Il prenait la


défense des gardiens de prison. Il s'est insurgé contre une mutinerie. Il n'a pas eu de mal à obtenir une libération conditionnelle_". Il est libéré le 7 novembre 1977.  Sur


les scènes de crime dans le Var et dans l'Hérault, les investigations se poursuivent. Les rapports balistiques sont formels: la même arme a été utilisée à Béziers et à Carqueiranne.


Recco est interpellé dans le cadre du dossier varois. Mis en cause, "inculpé" comme l'on disait à l'époque, il se retrouve derrière les barreaux de la prison des


Baumettes.    Sa photo fait la une des journaux et un témoin fréquentant le Mammouth de Béziers le reconnaît. Il l'a déjà vu livrer des tenues de plongée dans le magasin. Le


rapprochement entre les deux affaires est fait. Solide. Probant. Recco devient le suspect numéro 1 du drame de Béziers.  LA PREMIÈRE RENCONTRE AUX BAUMETTES "_J'étais un jeune


avocat à l'époque et quand je suis sollicité, notre premier contact se fait aux Baumettes, en QHS (quartier de haute sécurité). Une prison à l'intérieur de la prison, où tout est


scellé: bancs, bureau, chaises... Je vois arriver ce type, physiquement costaud, un regard particulier et extrêmement volubile. Il me tutoie très rapidement, alors que moi je prends toujours


mes distances_".  Le nom de Recco n'est pas inconnu pour l'avocat. "_Il est originaire d'une région qui est la mienne en Corse. Les Recco sont connus, à Propriano,


comme des pêcheurs. Je l'identifie comme le fils de Micheline Recco". _ "J'AI CHOISI D'ÊTRE INNOCENT", ÉCRIVAIT CAMUS En prenant connaissance des dossiers, Me


Lhote s'aperçoit que les charges sont sérieuses. "_Mais j'ai toujours rencontré les pires difficultés à aborder le fond avec lui. Il revenait rapidement sur le Christ, sur le


Pénitent de Sartène. Jamais il a avoué. Comme disait Albert Camus: 'J'ai choisi d'être innocent'. Cette posture n'a jamais varié_".  Il le décrit "_comme


un contrebandier qui ne peut pas laisser de témoins derrière lui et qui a toujours nié. Cela lui a porté préjudice toute sa vie. On connaît des gens qui ont commis des crimes atroces qui ont


retrouvé la liberté, comme l'assassin du petit Philippe Bertrand (7 ans), Patrick Henry, le faux docteur Romand qui a assassiné sa famille...Recco n'a accompli aucun travail sur


lui-même_".  "C'EST VERSAILLES ICI!" Dans le cadre de l'instruction des deux dossiers, Alain Lhote se remémore une audition surréaliste en Occitanie._ 


"J'ai le souvenir de Tommy Recco arrivant dans le palais de justice de Béziers, entrant dans le bureau splendide du juge d'instruction Chevalier avec des lambris,


s'adressant à ce dernier: 'Oh Monsieur le juge mais c'est Versailles ici!'"_. La suite de l'audition baigne dans une atmosphère christique... Recco se dit


"_innocent comme le Christ_". Le magistrat, qui ne manque pas de répondant, le reprend: "_Monsieur Recco, vous savez que le Christ a été jugé, qu'il a été condamné et


qu'il a été exécuté". _Cri d'effroi du mis en cause:_ "Vous voulez refaire le procès du Christ?_"  À Toulon, dans un premier temps, le criminel avoue les faits,


avant de se rétracter. "_Il va alors parler de violences policières. Une expertise judiciaire ne révélera absolument rien. Pour nous, en tant que défenseurs, l'objectif était de


gagner du temps. La peine capitale existait encore!_".  "J'AI ÉTÉ TÉMOIN DE SON MARIAGE EN PRISON" Mais pourquoi cet homme qui vient de purger dix-sept ans de prison


a-t-il récidivé? Hors les murs, Tommy Recco s'installe à Marseille et trouve un emploi de livreur pour un magasin d'accessoires de plongée, notamment, qui l'emmène à se rendre


dans des supermarchés. On le dit serviable, attentionné.  _"Il fait la connaissance de Chantal Malfatti, qui deviendra plus tard son épouse [récemment décédée] lors de son


incarcération. __J'ai d'ailleurs été leur témoin de mariage à la prison Saint-Roch [détruite, elle se situait derrière le palais de Justice de Toulon]. Il voulait absolument


épouser cette femme. Je suppose qu'il avait une idée derrière la tête...". _Qu'elle lui consente un alibi pour les faits de Béziers? "_Ce qu'elle s'est toujours


refusée à faire_", ajoute l'avocat.  L'avocat se souvient _"avoir vu débarquer Chantal en blanc, avec un camélia énorme à la boutonnière. Je suis alors le témoin de


cette union qui se résumait à l'échange des consentements". _ LES ASSISES À DRAGUIGNAN Le 6 juin 1983, le procès de Tommy Recco s'ouvre devant la cour d'assises du Var à


Draguignan pour les six meurtres commis en décembre 1979 et janvier 1980. Le 9 octobre 1981, la loi Badinter a aboli la peine de mort. _"Au grand malheur de l'avocat général M.


Bréjoux, qui avait commencé son réquisitoire en regrettant publiquement l'abolition du châtiment capital. Avec le recul, mon chemin aurait pu me conduire à l'accompagner au pied de


la guillotine. Aucun chef de l'Etat ne l'aurait gracié"_.  Pour Alain Lhote, les audiences dracénoises aux côtés du ténor du barreau marseillais, Paul Lombard, restent des


souvenirs gravés à jamais. _"J'ai vu arriver Tommy Recco, qui avait des cheveux courts avec de longs cheveux bruns. Toujours dans une posture qui faisait référence au Christ. Comme


le pénitent lors de la procession du catenacciu de Sartène. Celui qui tire sa chaîne". _ Pour le pénaliste, Tommy Recco est resté enkysté dans le déni. _"__Il mourra, pour lui,


innocent. Est-ce qu'il parle par rapport à lui, par rapport à la mama Recco qui est venu à Draguignan le soutenir contre vents et marées, contre des parties civiles très remontées.


__Quelle mère va accepter que son fils est un type qui a commis sept assassinats? Personne"_.  Il dit avoir déjà vécu _"__des procès gravissimes, mais avec une telle personnalité


aussi marquante, peu. Il y a aussi un arrière-fond de rumeur corse autour de la tortue maudite"_.  Le verdict tombe le 14 juin 1983: la réclusion criminelle à perpétuité, avec une


période de sûreté de 18 ans. LA MALÉDICTION DE LA TORTUE ET LE SORT FUNESTE DES RECCO Il se raconte sur l'île de Beauté que la famille Recco aurait été victime d'une malédiction.


Dans les années 1920, une tortue géante se serait échouée sur la plage de Propriano. Contrairement aux villageois qui voulaient la sauver, le père Recco l'aurait décapitée et


confectionné le berceau de ses onze enfants avec la carapace. Sur la fratrie, sept ont eu destin tragique: l'un est mort très jeune, deux sont décédés accidentellement, deux sont morts


tués par balles. Frère de sang, frère de crime, Antoine Recco a été condamné en juin 1986 à la réclusion criminelle à perpétuité pour le double meurtre de jeunes touristes. Il a été libéré


après vingt-huit ans de prison, pour des raisons médicales, en mai 2010.  Il y a moins de deux ans, la maison familiale, où la dévote mère du meurtrier priait devant des vierges, des croix


et des images pieuses, a subi un incendie volontaire. Un nouveau coup du sort a frappé.  Micheline Recco s'en est allée, lors d'un pèlerinage à Lourdes. Ainsi soit sa vie durement


cabossée d'événements tragiques. _"Tommy Recco a marqué toute ma carrière d'avocat. Il est très rare de garder un client autant d'années. On peut dire à ce sujet


qu'il sera resté fidèle_", termine Alain Lhote. Même si ce n'était pas pour le meilleur, mais pour le pire. LE DERNIER RECOURS En France, il existe une perpétuité réelle,


celle qui a été notamment infligée à Salah Abdeslam [un des terroristes des attentats du 13 novembre 2013 à Paris]. Recco échappe à cette sanction car elle n'a pas été prononcée mais,


en revanche, c'est de facto une perpétuité réelle, puisque toutes ces demandes de libérations sont refusées. _"Une requête devant la Cour européenne des droits de l'Homme


présente donc un intérêt pour cet homme âgé de 90 ans, qui a déjà passé 60 ans en prison". _Elle est défendue par Me Spinosi en se fondant sur l'article 3 de la Convention


européenne des droits de l'Homme qui énonce que "nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants". Le premier filtre a été passé,


et cette requête sera examinée en février 2024.