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Lila dégaine son smartphone. Ouvre sa messagerie Snapchat. Un plan de Nice se dessine. _"On peut voir où sont nos amis. Mais on peut décider avec qui on partage notre position."_
Sur l’écran, une cohue! Une foule d’avatars s’agglutinent sur le lycée qu’elle fréquente. Logique en pleine semaine. Pour l’adolescente de 16 ans, communiquer le lieu où elle se trouve en
temps réel ne la dérange pas. Avec sa famille aussi? _"Avec ma sœur qui est majeure, oui. Mais mes parents n’ont pas l’application." _Et s’ils voulaient obtenir le même niveau
d’information? Elle réfléchit. "_Vu que je les tiens toujours au courant d’où je vais, ils n’en ont jamais eu besoin. Mais j’ai une copine qui fait ça avec son père. Si elle est
d’accord, je ne vois pas de problème."_ LOCALISER SON ENFANT UNE PRATIQUE RENDUE POSSIBLE VIA APPLICATIONS POUR TÉLÉPHONES, MONTRES CONNECTÉES ET AUTRES TRACEURS GPS. Si pour les plus
jeunes le sujet ne semble pas tabou, certains adultes l’abordent avec une petite réticence quand d’autres préfèrent clarifier la démarche. _"Ce n’est pas du flicage, plutôt une
sécurité"_, reconsidère Philippe qui a vécu une quinzaine d’années près de la Méditerranée. Le père de famille de presque 60 ans a activé l’outil "localiser mon iPhone" sur le
téléphone de ses enfants - avec leur accord - lorsqu’ils ont dû se rendre à l’école tout seul: _"Ma grande a vingt ans désormais, on n’y a plus recours. Mais mon fils en a dix et doit
faire quinze à vingt minutes de vélo matin et soir. Au cas où il se passe quelque chose en chemin, on peut suivre son itinéraire."_ 32% DES PARENTS Y ONT RECOURS Et Philippe est loin
d’être un cas isolé. 32% DES PARENTS* DÉCLARENT AVOIR RECOURS À CE TYPE DE LOGICIELS. Ce n’est donc pas un hasard que certains produits se développent en ce sens. Et pourtant, rares sont les
commerçants - même en ligne - qui acceptent d’aborder la question. _"Nous continuons de vendre nos traceurs GPS pour enfants mais préférons ne plus prendre la parole publiquement. Ils
sont le plus souvent traités de manière anxiogène par les médias"_, glisse l’un d’entre eux qui loue les mérites de son produit comme _"une aide"_ à l’indépendance et non un
dispositif _"anti-enlèvement"._ Ce n’est pas non plus ce que propose CAROLINE LANDIÉ, DIRECTRICE COMMERCIALE, MARKETING ET COMMUNICATION DU RÉSEAU APA. La structure a notamment
créé BIP CONNECT. Une solution de téléassistance via des objets. Ici, le Smart Bip - qui ressemble à une télécommande de garage ou d’entrée d’immeuble - présente toutes les caractéristiques
pour être utilisé par les plus petits: _"Il y a dix ans, à son lancement, il était surtout question de répondre aux besoins des personnes âgées et du public en situation de handicap.
Mais au fil du temps j’entendais de plus en plus une demande concernant les enfants. Il y a une période entre la fin du primaire et le collège où ils ont envie d’autonomie mais n’ont pas
encore de téléphone."_ Comment ça marche? Au milieu du bip que l’on peut passer au cou, glisser dans un cartable ou attacher à un trousseau de clés: un bouton SOS. "_Si vous
appuyez dessus, cela envoie une alerte. Soit à la centrale d’appel, soit à deux numéros renseignés en amont - selon la formule d’abonnement choisie**. Dans le SMS vous avez les coordonnées
GPS de l’usager et vous pouvez l’appeler sur l’appareil sans qu’il ait besoin de décrocher. Il est possible de converser directement." _La société revendique 3.500 à 4.000 abonnés à ses
solutions de téléassistance, mais ne fait pas de distinguo quant aux clients mineurs _"qui ne représentent pas la majorité des ventes plutôt tournées vers un public fragile"._ PAS
INTERDIT PAR LA LOI La loi n’interdit pas l’utilisation d’un traceur GPS pour son enfant. Mais reste vigilante quant au respect de leur vie privée. À titre d’exemple, en 2018, le Défenseur
des droits s’est saisi de l’opposition de parents d’élèves concernant un établissement privé parisien qui obligeait les élèves à garder en permanence un porte-clés connecté. Après
intervention de la Cnil et rappel à la loi, le collège lycée a renoncé à ce dispositif. Bref, il existe donc des limites. Dans les familles, cela passe par le dialogue. _"Tout se fait
en transparence"_, indique Aurélie, maman d’un garçon de 12 ans, à Saint Isidore. _"Il possède un smartphone depuis la fin du CM2. Nous avons choisi d’installer Findmykids pour la
géolocalisation en temps réel. Cela nous a permis de lui accorder davantage d’autonomie, notamment en le laissant sortir seul au parc ou faire du vélo dans le quartier."_ Plutôt
_"utile"_ avant de _"prendre le bus seul et rentrer à la maison sans accompagnement"_ au collège. Mais cette appli possède une fonctionnalité supplémentaire:
_"Lorsqu’il ne répond pas au téléphone nous avons la possibilité d’activer le micro de son appareil pour écouter les sons environnants. Quand votre enfant est censé rentrer à 18 heures
et que vous n’avez pas de nouvelles, cette fonction peut vraiment rassurer. Bien entendu, mon fils en est tout à fait informé." _Pour elle, c’est un vrai plus:_ "Cela m’a aussi
aidé à être plus confiante. Il est fier de cette liberté grandissante et nous le sommes aussi."_ Un soutien à un changement de vie. Voilà comment Jérôme**, 39 ans, a introduit cet
échange avec sa fille. _"Quand nous nous sommes séparés avec sa mère, elle avait 10 ans. Je travaillais en horaires décalés et ne pouvais être présent le matin. Je lui envoyais des
textos pour savoir si elle avait bien pris le bus, était arrivée à l’école etc. Ça marchait bien. Mais en grandissant, elle oubliait de plus en plus de me répondre, elle le vivait moins
bien." _Alors, la géolocalisation s’est imposée comme une solution pour ce Varois qui se présente d’un naturel _"anxieux"_:_ "À bientôt 14 ans, elle y voit plus
d’avantages que d’inconvénients. Cela lui donne plus de libertés que ça ne lui en enlève. Elle peut aller faire du shopping avec une copine, se rendre à ses cours de sport, rentrer à la
maison ensuite: je peux voir qu’elle est bien arrivée."_ À VOIR AUSSI "JE SAIS QUE MES AMIS TROUVENT ÇA BIZARRE, MAIS J’AI GRANDI COMME ÇA" Une démarche que comprend
parfaitement Clara. À 22 ans, l’étudiante en événementiel à Nice n’a pas coupé la géolocalisation avec ses parents. Et ça va plus loin: chez elle, c’est tout le monde qui joue le jeu!
_"On la partage tous en famille: l’oncle, la mère, la grand-mère… Je peux savoir où chacun se trouve. Je n’ai rien à cacher. Depuis mes 13 ans ils savent où je suis. Je sais que mes
amis trouvent ça bizarre, mais j’ai grandi comme ça, pour moi c’est juste la normalité."_ Les filles de Nadège*** aussi ont connu la même adolescence. Âgées aujourd’hui de 16 et 18 ans,
elles divulguent toujours leur position. _"Mais ça ne l’empêche pas de nous demander quand même où on est"_, lâche sa plus grande en voulant faire passer un message. Si elle
reconnaît se sentir parfois_ "oppressée"_, elle ne s’en cache pas: _"Ça peut être utile. Il y a des fois où j’ai voulu sécher les cours. Comme je savais que ma mère pouvait
voir où j’étais… je suis restée en classe."_ "JE VEUX SAVOIR OÙ ELLES ÉTAIENT SI ON LES ENLÈVE…" Outre le plan école buissonnière avorté, c’est surtout au pire que sa mère
veut parer. _"Ce qui m’intéresse ce n’est pas de savoir si elles me mentent. Mais plutôt de savoir où elles se trouvaient si on les enlève, si elles viennent à disparaître." _La
Niçoise de 41 ans a bien conscience qu’il s’agit d’un filet de sécurité illusoire: _"Je suis angoissée depuis que je suis mère."_ Et le climat médiatique n’aide pas à calmer sa
tendance quand elle tombe sur des drames classés faits divers:_ "Ça a toujours existé des gens qui s’en prennent aux enfants. Mais il y avait moins de façons d’en discuter. Avec les
réseaux en plus on ne sait pas ce qui est vrai ou non. On nous montre tellement de trucs, on veut nous rendre inquiets…"_ Elle se projette: _"Les prédateurs savent bien qu’il faut
se débarrasser du téléphone ou de la montre connectée. Mais j’ai vu qu’il y avait des semelles avec un capteur GPS, on y pense moins!"_ Mais faut-il tout savoir, comme sur un baby phone
2.0? _"C’est à double tranchant. Je ne disais pas à ma mère ce que je faisais de mes soirées, elle ne savait pas à quelle heure je changeais de pub…"_ Lucide dans sa réflexion,
cette spécialiste de la petite enfance partage une anecdote: _"Mes filles attendaient le bus. Elles m’ont appelé au téléphone parce qu’un homme les emboucanait [sic]. Je peux vous dire
que je me suis sentie bien impuissante loin d’elles. Heureusement mon conjoint et un ami sont allés à leur rencontre. Mais entendre ses enfants vivre une telle situation sans pouvoir agir,
c’est terrible!"_ Au fil de la discussion, elle tempère: _"Je me rends bien compte que la géolocalisation n’empêche rien. Mais ça me rassure."_ *Selon l’étude 2024, Parents,
enfants & numérique : Ipsos pour Open Asso. **Prix d’achat 139 euros; abonnement entre 9,90 euros et 14,90 euros/mois hors crédit d’impôt. ***À leur demande, leur identité a été
modifiée. "LEUR APPRENDRE SANS CORDON OMBILICAL NUMÉRIQUE" Une réflexion qui fait écho au travail de Thomas Rohmer. À la tête d’Open Asso - Observatoire de la parentalité et de
l’éducation numérique -, le spécialiste constate une _"montée du phénomène": "De plus en plus de familles installent des logiciels espions, parfois à l’insu de
l’enfant."_ Il s’agit selon lui de la traduction d’une escalade _"assez inquiétante du niveau d’angoisse parentale ». Le terrain numérique comme révélateur du fond de l’air. « On
est en train de transmettre toutes nos angoisses à nos enfants_", indique-t-il en précisant la démarche:_ "On essaie de prendre de la hauteur sur ces questions. Non pas pour
critiquer, mais pour appeler à une vraie réflexion."_ À ses yeux, les politiques publiques de protection de l’enfance tapent à côté depuis vingt ans: _"L’évitement du risque ne
fonctionne pas. » Pour lui, ces postures n’empêchent rien. Pire, elles donneraient l’occasion de blouser la surveillance : « Beaucoup d’enfants achètent leur tranquillité en disant oui à
leurs parents mais développent des stratégies d’évitement. En laissant leur téléphone chez un copain ou en en utilisant un autre. On explique aux enfants ce qu’ils ne doivent pas faire
dessus plutôt que de leur dire comment faire."_ Pour illustrer son propos, Thomas Rohmer dresse un parallèle: _"Quand j’étais enfant, lorsque j’allais dans un jardin public et que
je tombais d’un toboggan d’un mètre vingt, c’était sur du béton, je me faisais mal - ce qui n’a jamais tué des milliers d’enfants. Aujourd’hui ils tombent sur du caoutchouc. En Allemagne ils
font machine arrière dans leurs aires de jeux et rebétonnent. Parce que les enfants prennent plus de risque. Pourquoi ne pas monter à deux mètres après ça?"_ Même si sa position est
clairement affirmée, il ne souhaite pas tomber dans le jugement: _"Les parents ont l’impression d’avoir fait le job en contrôlant de cette manière. Mais c’est à travers le dialogue et
la transmission de compétence que l’enfant peut adopter les bons réflexes. Comme connaître les numéros de téléphone importants par cœur ou savoir qu’il peut s’adresser à un commerçant ou à
un chauffeur de bus en cas de problème. On doit leur apprendre à gérer des situations problématiques - auxquelles ils seront nécessairement confrontés - sans avoir un cordon ombilical
numérique qui les relie à nous."_