Ces pêcheurs ont fait le pari de ne pas pêcher pour donner à la nature le temps de se régénérer

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Au bout du port d’Antibes, ce mercredi matin, le soleil tape déjà sur les remparts de la ville. Sur les étals des pêcheurs locaux, juste en face de la porte marine, le poisson brille, tout


frais pêché.  Jérôme Bottero et Julien Cepero discutent à voix haute, bottes et tabliers cintrés autour de la taille. Une solide amitié lie les deux hommes qui ont lancé, en 2020, le


cantonnement de pêche de 66 hectares qui longe le cap d’Antibes jusqu’aux îles de Lérins avec Stéphane Vitri, un troisième collègue. "_Ce cantonnement s’étend sur la zone dite de la


Pesquerolles, un nom où déjà on peut entendre le mot “pesca”, la pêche qui s’y tenait traditionnellement_", sourit Didier Laurent.  UNE ZONE RICHE AU NIVEAU MARIN Responsable du site


Natura 2000 créé en 2012, l’ingénieur, aujourd’hui néo-retraité, continue d’arpenter les flots aux côtés de Jérôme Bottero et ses collègues. > __ > L’objectif était de favoriser et 


restaurer le maintien de la > biodiversité", _Didier Laurent, responsable de la zone Natura 2000_ Pendant plus de 10 ans, il a géré les quelque 14 000 hectares de la zone qui


s’étendent de la baie d’Antibes aux îles de Lérins, réalisant un minutieux inventaire de l’écosystème qui les peuplent, faune et flore confondues. "_L’objectif était de favoriser et


restaurer le maintien de la biodiversité"_, explique le scientifique.  Car les fonds antibois sont riches en habitat divers. Herbiers de posidonie, coralligène, sorte de _rocher


vivant_, fonds sablonneux propices à la reproduction et la croissance de petits poissons, grottes marines. "_Le problème_, poursuit Didier Laurent, _c’est qu’une zone Natura 2000, si


elle permet aux différents acteurs locaux de se réunir autour des principes d’une gestion vertueuse, n’a pas le pouvoir d’interdire certaines pratiques_." INTERDICTION TOTALE DE PÊCHE


Contrairement au cantonnement, lui, qui interdit toute forme de pêche sur les 66 hectares qu’il couvre et est couvert par un arrêté ministériel. Un sacrifice pour les pêcheurs d’Antibes qui


n’ont pourtant pas hésité à se rapprocher de l’équipe Natura 2000 pour élaborer le dossier nécessaire à la mise en place du cantonnement. Céline Casamata, du Conseil départemental, a pris en


charge la partie paperasserie. Une aide plus que précieuse.  "_Il faut concilier les intérêts des communautés présentes. Par exemple, nous travaillons beaucoup avec les clubs de


plongée qui s'occupent souvent de nettoyer les fonds et qui peuvent également faire de la surveillance_." "_On prenait moins de poissons_, remarque encore Jérôme Bottero.


_Parallèlement, on suivait aussi avec attention le cantonnement mis en place au Cap Roux et ça nous a convaincus de faire de même_." Mis en place en 2003, ce dernier a eu un effet de


réserve dès 2005, soit deux ans après sa création. Poissons plus diversifiés qu’ailleurs et de meilleure taille, renouvellement d’espèces comme le mérou ou le corb, le succès est sans appel.


Les pêcheurs du cantonnement de la Pesquerolles, eux, ont réalisé leur premier recensement l’année dernière. Objectif : faire un premier état des lieux concernant la ressource halieutique.


Tailles et espèces ont été recensées et consignées deux fois dans l’année. En hiver et en été.  "_On verra dans 5 ans ce que ça donne car ça prend du temps_", poursuit Jérôme


Bottero.  PRESSIONS DIVERSES Plus grand port de plaisance d’Europe, Antibes doit faire face à un flux de vacanciers et de bateaux dès le mois de juin. Et avec eux, leur cortège de dérapages,


de la pêche de loisirs au rejet de déchets, à l’ancrage sur les herbiers de posidonie. La Pesquerolles est un lieu privilégié de pêche. > __ > 90% des petits fonds ont ainsi été 


urbanisés", _Didier Laurent_ "_On retrouvait beaucoup de lignes de pêche au fond de l’eau_," poursuit Didier Laurent. La zone, qui accueille des espèces aussi diverses que le


mérou, la dorade grise, le chapon, des homards, attire les pêcheurs en tout genre. Une zone qui subit diverses formes de pression, s’accordent à dire les observateurs locaux.  "_90% des


petits fonds ont ainsi été urbanisés_," continue Didier Laurent. BALISAGE ET CONTREVENANTS Autre problématique et pas des moindres : la délimitation effective du cantonnement.


"_L’été dernier, j’ai surpris un individu en train de pêcher dans le cantonnement, quand je suis allé le voir pour lui dire que c’était interdit, il m’a menacé de son harpon_." Une


autre fois, encore, c’est un retraité qui est pris la main dans le sac, des cages pleines de homards sur son bateau. "_Nous avons demandé la mise en place de balises_, explique Jérôme


Bottero. _Mais cela nous a été refusé au motif que cela gênait la navigation_."  Une claque pour la prud’homie et les défenseurs du cantonnement. > __ > On a essayé de créer un 


autre cantonnement du côté des îles de > Lérins [...]. Ça a été tellement compliqué que tout le monde a > fini par abandonner",_ Didier Laurent_ "_Sans compter que sa


création était couplée avec une interdiction de plongée_, raconte Céline Casamata. _Or, c'est un site exceptionnel et une fois de plus, les plongeurs ont eux aussi un rôle de


sentinelle. Il faut que les solutions mises en place tiennent compte de tous les acteurs locaux_." "_On a réalisé une contre-expertise prouvant que cela ne gênait en rien la


navigation mais notre courrier est resté sans réponse_," souligne Didier Laurent qui regrette la complexité administrative, souvent génératrice de frustrations.  "_On a essayé de


créer un autre cantonnement du côté des îles de Lérins, en lien avec la prud’homie de Cannes_, se souvient Didier Laurent. _Tout le monde était d’accord, la zone devait couvrir 300 hectares.


Ça a été tellement compliqué que tout le monde a fini par abandonner_." Si les balises ne sont toujours pas d’actualité, les pêcheurs ont néanmoins désormais une autorisation de


surveillance. Une décision prise en accord avec la collectivité locale.  "_Les pêcheurs auront des carnets de surveillance et pourront relever l’identité des contrevenants_,"


explique Didier Laurent. Des données qui pourront remonter aux affaires maritimes.  ECOSYSTÈME LOCAL "_Finalement, un cantonnement, c’est un sujet à la croisée des chemins_, poursuit


encore Didier Laurent. _Ça met en jeu de l’économie locale, de l’environnement, du tourisme._ _Tout le monde doit y trouver son compte."_ Pour convaincre les autres usagers de la mer,


les Prud’hommes et Didier Laurent ont dû faire preuve de beaucoup de pédagogie. L’ingénieur exhibe un flyer, distribué aux plaisanciers amarrés au port. "_On a pris rendez-vous avec des


syndicats de grande plaisance, on leur a montré les dégâts de la posidonie, on leur a expliqué que ça avait un rôle pour nettoyer l’eau et qu’ils avaient à y gagner à préserver la beauté du


site_." > __ > On espère que ça va porter ses fruits. Si ce n’est pas le cas, > au moins, on aura essayé", _Jérôme Bottero_ D’autres couacs ont eu lieu. "_Comme


quand la préfecture maritime a interdit aux clubs de plongée de venir, ça a créé de nombreuses tensions,_" raconte encore Jérôme Bottero. L’équilibre reste fragile même si aujourd’hui,


scientifiques, pêcheurs et collectivités travaillent main dans la main. "_Et ça c’est déjà une grande victoire_", sourit Didier Laurent. Jérôme Bottero, lui, reste optimiste,


malgré les déconvenues administratives.  _"On espère que ça va porter ses fruits. Si ce n’est pas le cas, au moins, on aura essayé_."