"c’est comme si fernandel n’avait jamais existé": le coup de gueule du petit-fils de l’acteur, vincent fernandel

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Né douze ans après la disparition de son grand-père, Vincent Fernandel voue une admiration sans borne à… Clint Eastwood. _"Mon premier choc cinéphilique, c’était_ L’Inspecteur Harry _à


la télévision, _rigole-t-il. _Mon père Franck m’a nourri au cinéma américain."_ Cela n’empêche pas le comédien, qui a gardé l’accent de son enfance marseillaise, de connaître ses


classiques tricolores sur le bout des doigts. Avec un mélange de chaleur humaine et de lucidité, il évoque la lignée d’artistes dont il est issu. Et s’indigne de l’indifférence manifestée


par sa ville natale à l’égard de son aïeul. AVEZ-VOUS ÉTÉ "BIBERONNÉ" AUX FILMS DE FERNANDEL? Oui, mais pas seulement! Je suis né en 1983, à l’époque où mon père venait de sortir


son plus grand succès discographique – _L’Amour interdit_. Il passait souvent à la télévision. Parallèlement, les films de mon grand-père étaient encore diffusés en _prime time_. La


normalité, pour l’enfant que j’étais, c’était de voir sa famille dans la petite lucarne_._ La seule nuance, c’était que Franck rentrait à la maison le soir, alors que Fernand, lui, ne venait


jamais. À 3 ans, je ne comprenais pas pourquoi… VOS COPAINS DE CLASSE SAVAIENT QUI ÉTAIT VOTRE GRAND-PÈRE? Évidemment. Mais ils n’étaient pas impressionnés du tout. _[Il rit] _Heureusement!


Ma chance, c’est que mon père et mon grand-père suscitaient des élans de sympathie. Et puis, Franck m’amenait en Twingo à l’école; je n’arrivais pas dans une Rolls avec chauffeur privé.


COMMENT FRANCK PARLAIT-IL DE SON PÈRE? Il admirait le professionnalisme de Fernandel. Vers le milieu des années soixante, ils ont fait une tournée ensemble au Canada. Comme mon père était


premier au hit-parade avec _Les Yeux d’un ange_, mon grand-père lui a cédé la place de vedette et a assuré sa première partie! Ça dit assez, je crois, le genre de relations qu’ils avaient.


Sachant que mon grand-père ne faisait pas de cadeau. Lorsque son fils était plus jeune, à la maison, Fernand lui disait: _"Ici, tu dors et tu manges. Pour le reste, tu vas voir


ailleurs. Si tu veux gagner ta vie, tu devras travailler."_ L'OMBRE DE FERNANDEL N'A JAMAIS ÉTÉ PESANTE POUR FRANCK? On veut toujours croire que les héritiers sont dans


l’ombre et qu’ils en souffrent. En ce qui concerne mon père, je ne pense pas que ça a été le cas. Certes, il était artiste, mais dans un genre très différent: les deux n’étaient pas en


concurrence. IL A CHOISI D’UTILISER LE NOM DE SCÈNE DE VOTRE GRAND-PÈRE… Professionnellement, Franck a été très attentif à ne pas donner l’impression de se servir de la notoriété de son


père. Après le décès de Fernand, il a attendu quinze ans avant d’enregistrer une chanson qui lui rende hommage. Pour faire un livre sur son père, il a patienté cinq années de plus! Il savait


que ça risquait de lui retomber sur la figure. D’un point de vue personnel, Franck a souffert toute sa vie de l’absence de son père. Mais il ne s’est jamais plaint qu’on lui en parle du


matin au soir. _[Silence] _Aux États-Unis, c’est différent. Lorsque les Américains évoquent Michael Douglas, ils pointent une _"filiation"_, un _"passage de flambeau"_.


Personne ne dit: _"C’est un héritier"_ avec une pointe de mépris au coin des lèvres. VOUS N'AVEZ JAMAIS SONGÉ À VOUS APPELER AUTREMENT QUE "VINCENT FERNANDEL"? La


question ne s’est même pas posée. D’abord, "Contandin" _[son vrai patronyme, ndlr]_, c’est difficile à prononcer. Si je n’avais pas repris le nom de scène familial, on m’aurait


titillé: _"Il n’assume pas, il se cache…"_ S’APPELER FERNANDEL, C’EST AUSSI UN MOYEN DE BÉNÉFICIER D’UNE CERTAINE EXPOSITION… Ça permet d’entrouvrir une lucarne, c’est vrai. Mais


derrière, si on veut durer, il faut bosser deux fois plus que les autres! _[Il sourit] _Porter un nom célèbre peut ne pas être facile. Moi, j’ai de la chance: ça n’a jamais été difficile. Je


ne suis dupe de rien, surtout pas des flagorneurs qui voudraient utiliser la renommée de mon grand-père. VOUS EN AVEZ RENCONTRÉ? Bien sûr. Quand j’avais 20 ans, on m’a proposé de participer


à _La Ferme célébrités_, une émission de téléréalité de TF1. On m’offrait une somme mirobolante! J’ai expliqué aux producteurs que, même s’ils me donnaient une villa à Beverly Hills, je


dirais non. QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR LES FILMS QUE FERNANDEL A TOURNÉS AVEC PAGNOL? Avant _Angèle_, leur premier film commun en 1934, mon grand-père faisait du comique troupier, des


comédies faciles. Marcel Pagnol a révélé au public – et peut-être à Fernand lui-même – ce qu’il pouvait offrir en tant que comédien. Comme Gabin a eu Renoir, Fernandel a eu Pagnol; c’est un


immense privilège! Tous les acteurs de talent n’ont pas la chance de rencontrer un auteur. QUID DE "CARNAVAL", CE FILM ÉCRIT PAR PAGNOL MAIS RÉALISÉ PAR HENRI VERNEUIL, QUI A


PROVOQUÉ VINGT ANS DE FÂCHERIE? Par la volonté de Fernand, Marcel a été dépossédé de la direction de son œuvre… et de l’un de ses acteurs fétiches! Je pense que la fâcherie vient d’abord


d’un trop-plein émotionnel. Disons les choses clairement: ces deux hommes avaient des ego surdimensionnés. C’étaient des fous furieux! _[Il rit] _Au lieu d’arrondir les angles, mon


grand-père n’a eu de cesse de jeter de l’huile sur le feu – notamment quand il a tourné avec Giono (1). LA CARRIÈRE DE FERNANDEL MARQUE LE PAS DANS LES ANNÉES SOIXANTE. QUE S’EST-IL PASSÉ?


Il avait une inimitié avérée pour la Nouvelle vague. Cette vision un peu rigide du cinéma l’a empêché de faire comme Bourvil, qui a tourné _La Cuisine au beurre _à ses côtés, mais qui a


également connu des réussites extraordinaires avec les films de Gérard Oury ou de Jean-Pierre Melville. S’il avait vécu plus longtemps, Fernand aurait pu s’assouplir, accepter des deuxièmes


et troisièmes rôles chez Corneau, Sautet ou Chabrol. Il aurait été fantastique! FERNANDEL, COMME PAGNOL, AVAIT LA RÉPUTATION D’ÊTRE "PRÈS DE SES SOUS". UNE LÉGENDE? Il était dur en


affaires, c’est vrai, parce qu’il connaissait le prix de son travail. Mais en parallèle, il donnait son temps et son argent pour des causes qu’il ne rendait pas publiques. FERNANDEL AURAIT


EU 120 ANS CETTE ANNÉE. CET ANNIVERSAIRE EST PASSÉ INAPERÇU, MÊME DANS SA VILLE NATALE À MARSEILLE. COMMENT L'EXPLIQUEZ-VOUS? Depuis une quarantaine d’années, Marseille est devenue la


ville de l’immobilisme. Elle tourne le dos à une tradition séculaire de mouvement, de commerce, de culture. Les éminences grises ont décidé de rabaisser la culture méridionale au rang de


folklore – en espérant qu’elle finisse par disparaître. Tout cela pour inventer une sorte de cité phocéenne 2.0. qui a fini en eau de bouillabaisse en boîte! Le résultat? Pour Marseille,


c’est comme si Fernandel n’avait jamais existé. Et on voit aujourd’hui que même Pagnol, le dernier bastion, est en train d’être jeté par-dessus bord. LES GRANDES CHAÎNES NE DIFFUSENT PLUS


SES FILMS QU'EN CATIMINI... En effet. Mais c’est aussi le cas des films de Sautet ou de Chabrol. On assiste à l’épuration d’un certain cinéma dont on pense qu’il n’intéresse plus


personne. PENSEZ-VOUS QUE CE PATRIMOINE VA SE PERDRE? Il faudrait des plateformes cinéphiliques, comme Netflix pour le grand public. Ou que le ministère de la Culture organise la sauvegarde


de ce patrimoine. Sinon, je ne sais pas ce qui restera du cinéma du XXe siècle. 1. _Crésus_ en 1960, écrit et réalisé par Jean Giono.