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DÉCOUVREZ NOTRE SÉLECTION DE PRIMEURS 2024 ET DE VINS EN BOUTEILLE 2022
«O_n a fini rincés. »_ Plusieurs fois entendue, cette toute petite phrase résume les longs discours sur la construction labyrinthique de ce millésime 2024. Souvenons-nous de cette météo
hivernale puis printanière qui rappelait les débuts du quinquennat de François Hollande : de la pluie, encore de la pluie, toujours de la pluie… À quand les beaux jours ? Ce rideau infernal
pesait sur le moral, sauf peut-être chez les marchands de parapluies ou d'essuie-glaces. Chez Madame la vigne, ce n'était pas la joie non plus.
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_« En 2024, c'est 1 300 mm, dont 630 de novembre au 31 mars »,_ résume Juliette Bécot, de Beau-Séjour Bécot, à Saint-Émilion. L'herbe qui poussait à plein, les tracteurs qui
s'embourbaient, les travaux manuels sous les cirés, la boue collée aux bottes… Et très tôt, plus tôt que jamais de mémoire de vigneron, un mildiou très agressif qui se développe dès
avril. D'abord une petite tache vaguement marron sur les feuilles et, très vite, si l'on n'intervient pas, tout le pied est envahi par ce champignon microscopique qui, non
content de corrompre les feuilles, s'attaque aux futures grappes. Une calamité apparue à la fin du XIXe siècle, en provenance des États-Unis.
RETROUVEZ NOTRE SÉLECTION DE PRIMEURS 2024 ET DE BOUTEILLES « LIVRABLES » 2022 GRÂCE À NOTRE MOTEUR DE RECHERCHE.
Longtemps, le seul remède connu fut le sulfate de cuivre, qui colorait joliment de vert les façades des maisons ornées d'une treille. C'est encore le seul autorisé en bio. Les
anciens allaient jusqu'à répandre 30 kilos à l'hectare ! Gonzague Lurton, à Durfort-Vivens (margaux), se plaint, lui, d'avoir dû en utiliser 7 kilos : _« Pour les quatre
prochaines années, on doit espérer qu'il n'y aura pas de mildiou… »_ Les bio sont en effet limités à 28 kilos « lissés » sur sept ans, et les trois dernières années ont déjà été
marquées par des attaques à répétition. Le capital de 28 kilos est donc largement entamé.
Il faut aussi parler du bilan carbone. _« On a dû passer 31 fois dans les vignes, avec de faibles doses… »_ Et il n'est pas le seul. Ceux qui ont renoncé aux produits de synthèse pour
rester labellisés bio sont à peu près tous dans le même cas. Un des problèmes du cuivre, en effet, c'est qu'il est vite lessivé par la pluie et qu'en 2024, sans vouloir nous
répéter, il a beaucoup plu. Il existe des produits naturels, issus par exemple des algues, qui permettent de le fixer un peu plus longtemps sur la feuille, mais cela reste pour le moins
aléatoire.
Le vrai souci, comme le souligne encore Gonzague Lurton, c'est qu'une fois l'efficacité du cuivre connue et démontrée, _« il n'y a pas eu d'études sérieuses sur le
mildiou et la façon de lutter contre depuis le XIX_e_ siècle »_. Sauf produits de synthèse, autrement méchamment appelés « pesticides ». Bien que ceux utilisés contre le mildiou ne montrent
pas de dangerosité particulière pour la vie des sols et pour les humains, le fait qu'ils ne soient pas naturels leur ferme la porte des labels. Après, on peut s'interroger sur ce
qui est préférable pour l'environnement et les sols : le recours à tel produit ou le passage plus de trente fois avec un engin à moteur thermique ?
Mais, au rayon désastres, le mildiou n'a pas le monopole. La météo malfaisante du calamiteux printemps a eu d'autres conséquences, notamment lors de la floraison. C'est une
étape capitale car, qui dit floraison rapide dit récolte homogène. Là, ce ne fut pas le cas, il y eut déjà de la « coulure » : des fleurs non fécondées, qui n'ont pas donné de fruit. Du
« filage » aussi… _« La vigne a froid et l'inflorescence se transforme en vrille, en organe qui n'est pas productif »,_ explique Hélène Génin, de Château Latour.
Mais ce n'est pas tout. Par beau temps, la floraison se déroule en quelques jours et le reste suit le même rythme : formation des grappes, véraison (changement de couleur des raisins),
maturation. Pierre-Olivier Clouet, patron technique de Cheval Blanc, l'explique bien mieux que nous : _« La clé, pour comprendre ce millésime, c'est la floraison. Cette année, elle
a duré six semaines, ce qui est énorme. Cela a étiré la véraison et la maturité sur la même durée. C'est une catastrophe, car cela crée une hétérogénéité difficile à gérer. Un pinot
noir en sous-maturité, par exemple, c'est floral. Un cabernet, c'est végétal. »_
Ensuite, deux possibilités. Soit on n'en tient pas compte et on ramasse des raisins verts et des rouges en même temps. Pas terrible. Soit on a les moyens… _« On a éclairci tout le
vignoble, décompacté sur les cabernets en supprimant les grappes vertes. On a enlevé les ailes des grappes de merlot touchées par le mildiou, effeuillé côté couchant dès le 20 août… Après,
on a fait des vendanges classiques car c'était propre »,_ commente Vincent Decup, directeur technique de Montrose. De très forts investissements en main-d'œuvre, avec parfois plus
de 100 personnes dans les vignes pour réaliser ces travaux. Puis, à l'heure de la récolte, de nombreux crus, comme Ausone, ont eu recours à un système de tri particulièrement efficace.
Ce fut le cas au Château Beauregard, à Pomerol : _« On a investi dans un tri densimétrique. C'est très simple : un bain d'eau qui circule et trie tout ce qui est irrégulier, comme
les raisins un peu secs, et ça lave les pellicules en même temps, _commente Vincent Priou, le directeur. _On a en plus un tri optique, et aussi du tri manuel pour affiner… »_
Et tout cela pour une récolte souvent faible et un vin qui sera proposé à un tarif nettement inférieur à celui d'un très bon millésime comme 2022, plus généreux en volume et plus aisé à
réaliser. Mais c'est le prix à payer pour tenter de relancer la « machine primeur », sérieusement ensablée. L'an passé, la mise en marché du 2023 s'est révélée calamiteuse,
malgré une baisse en demi-teinte. Pas assez pour donner aux négociants de la « place de Bordeaux » envie d'acheter.
Des négociants dont les entrepôts sont déjà pas loin de déborder, une crue de crus. Une bonne partie des 2020, 2021, 2022, et parfois des plus anciens, n'ont toujours pas trouvé
preneur, et les banques ne sont plus d'accord pour financer de nouveaux achats. La faute au climat international, au mirage des marchés exponentiels et à une déplorable guerre des prix
menée par certains qui voulaient toujours être plus chers que le voisin. Avec pour conséquence des prix trop élevés pour des millésimes moyens comme 2021.
À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre _« La Chine nous a aussi beaucoup perturbés. Tout était trop simple, les vins étaient bons et la mondialisation faisait que la demande était énorme
», _regrette Jean-Marie Garde, vigneron à Pomerol, président de la Fédération des grands vins de Bordeaux. Pékin a fermé ses portes sous prétexte de lutter contre la corruption. Depuis,
Trump a dépassé Xi en matière d'épouvantail à taxes, et les deux débouchés essentiels sont plus ou moins murés.
_« Il faut repartir sur des marchés comme le Canada, où il y a de vrais amateurs qui boivent du vin. Ça fait partie aussi de nos marchés historiques, avec qui on a des accords bilatéraux.
Mais il faut tout faire pour ne pas casser le marché avec les Américains,_ ajoute Jean-Marie Garde. _Ensuite, il faut se tourner vers l'Asie et l'Inde, où tout est à construire.
Mais, quand on reprend l'histoire de Bordeaux, ce sont les Corréziens qui sont partis au-devant des consommateurs. Beaucoup ont oublié ça. Les jeunes qui veulent vendre du vin
aujourd'hui doivent retourner voir les clients. »_ Cela semble en effet une pas si mauvaise idée…
À Bordeaux, tout le monde (courtiers, négociants…) souhaitait un geste spectaculaire, des prix bas pour relancer la vente en primeur. Le message semble avoir été entendu. Lafite Rothschild,
premier grand cru classé, généralement un peu plus cher que ses pairs, a donné le _la_ en annonçant 400 € la bouteille – ce n'est pas donné, mais le 2022 se situe aux environs de 700 €
chez les marchands : son prix le plus bas depuis longtemps. Plus abordable, Prieuré-Lichine (cru classé de margaux), par exemple, proposé à 29,40 € chez Duclot, contre 46 € pour le 2022.
Branaire-Ducru, cru classé de saint-julien, a beaucoup fait parler de lui en annonçant une baisse encore plus importante : 37 € le 2024, contre – en vente primeur à l'époque – 55 € le
2022 et 45 € le 2023. Affaires, souhaitons-le, à suivre…