Comment la France déroule le tapis rouge à l’islamisme

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Tous les indicateurs, en ce début du XXIe siècle, montrent que l'islamisme, c'est-à-dire l'islam politique, le plus conservateur et le plus patriarcal, n'a jamais été


aussi fort ni n'a conquis autant de territoires dans toute son histoire, alors qu'au début du XXe siècle, la réalité du monde musulman prédisait le contraire.


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En France, il ne se passe pas un jour sans qu'on dénonce l'islamisme, son entrisme et sa montée. Cependant, dénoncer l'islamisme ne suffit pas pour lui faire face. La lutte


contre l'islamisme doit être avant tout un travail intellectuel mené au sein de l'islam.


Ce travail ne peut se faire que si les musulmans arrivent à porter un regard critique sur leur religion, et pour cela, la reconnaissance des problèmes que l'islam pose dans les sociétés


actuelles est indispensable. Reconnaître un problème, c'est susciter le désir et ensuite la volonté de le résoudre. Le nier, c'est le pérenniser. Ce regard critique et cette


reconnaissance de l'existence des problèmes sont aujourd'hui entravés par deux obstacles majeurs.


Le premier obstacle réside dans le slogan : « Si problème il y a, il est dû aux musulmans et non à l'islam » mis en place, au début du XXe siècle, par les conservateurs musulmans pour


contrer le processus de modernisation sociale et politique voulue par des politiques et des intellectuels modernistes.


Ces derniers avaient compris qu'ils ne pouvaient pas sortir leur société du sous-développement sans questionner l'islam, ce qu'ils ont commencé à faire. La riposte des


conservateurs – et l'islamisme est un conservatisme – a été rapide pour mettre fin à ces réformes, et à celle de l'islam en particulier, qu'ils avaient vues comme une


catastrophe.


Leur stratégie consistait à mettre l'islam à l'abri de tout regard critique. Face au retard du monde musulman, en comparaison avec l'Occident, ils ont décidé d'exonérer


l'islam de toute responsabilité et de l'imputer aux musulmans qui n'auraient pas respecté son message. Autrement dit, ils ont placé les causes des problèmes sociopolitiques


des musulmans en dehors de l'islam.


Leur objectif était que l'islam n'évolue pas et ne change pas par rapport à sa version construite par les premiers musulmans il y a des siècles. Ils étaient conscients que, sans la


réforme de l'islam, il n'y aurait ni réforme sociale, ni politique, ni culturelle, ni même morale.


Ils ont même lancé une contre-réforme, celle qui a comme objectif de retrouver l'islam des premiers musulmans. Leur slogan, répété tout au long du XXe siècle, a été la cause principale


de la montée et du renforcement de l'islamisme le plus conservateur dans les sociétés musulmanes et parmi les musulmans d'Occident.


Le second obstacle réside dans le concept d'islamisme tel qu'il a été forgé en France au début des années 1980, autrement dit comme un « islam politique » distinct de l'islam.


Initialement, le terme « islamisme », inventé en France au XVIIIe siècle, désignait la religion musulmane, tout comme le christianisme et le judaïsme désignaient respectivement les


religions chrétienne et juive.


En d'autres termes, l'islamisme était l'équivalent du terme « islam » dans la langue arabe. Au XXe siècle, les universitaires, les anthropologues, les sociologues et les


politologues, dont les travaux concernaient les sociétés musulmanes, en ont modifié le sens.


En observant le phénomène du retour de ces sociétés vers le traditionalisme et la montée des groupes politico-religieux, ils ont utilisé le terme islamisme pour le désigner. Ils ont précisé


que ce terme signifiait l'islam politique auquel ils ont attribué deux caractéristiques : ce serait un mouvement contemporain qui n'aurait aucun lien avec l'islam.


Cette conception du terme islamisme est celle qui s'est répandue par la suite dans tout l'Occident, d'abord chez les politiques et finalement dans l'opinion publique.


Jean-François Clément fait partie des premiers anthropologues à considérer l'islamisme comme une pensée politique nouvelle, le distinguant ainsi de l'islam.


Ce nouveau concept d'islamisme, tel qu'il est forgé en France, n'a aucun fondement ni historique ni théologique. Les musulmans ont opté, dès les premiers siècles de


l'islam, pour une religion qui n'était pas séparée de sa partie juridique, autrement dit de sa partie politique.


Dans le Coran, l'imbrication entre le religieux et le politique s'est opérée à l'époque de Médine (622-632), quand plusieurs versets coraniques ont pris un caractère


juridique. Quant aux mouvements politico-religieux qui utilisent l'islam pour prendre le pouvoir, ils ne sont pas un phénomène contemporain ; ils ont marqué toute l'histoire de


l'islam.


> Le concept d’islamisme comme islam politique qui n’aurait rien > à voir avec l’islam met l’islam à l’abri de tout regard > critique.


Le nouveau concept d'islamisme, forgé par des universitaires en France, est une falsification de l'histoire de l'islam, de sa réalité comme religion et de l'histoire des


sociétés musulmanes. Rappelons qu'encore aujourd'hui la très grande majorité des musulmans, hormis ceux d'Occident, ne connaissent pas un islam et un islamisme qui serait un


islam politique distinct de l'islam, mais un islam qui n'est pas dissocié de sa dimension politique.


Le problème que pose ce nouveau concept d'islamisme va au-delà du fait qu'il n'a pas de valeur scientifique étant donné que son objectif, lui aussi, est de placer les


problèmes que pose l'islam dans les sociétés actuelles en dehors de l'islam et présenter celui-ci comme exempt de toute responsabilité.


Quant à la lutte contre l'islamisme, elle ne peut, dans ce cas, être menée qu'en dehors de l'islam, c'est-à-dire sans jamais l'interroger en tant que religion. Le


concept d'islamisme comme islam politique qui n'aurait rien à voir avec l'islam met, lui aussi, l'islam à l'abri de tout regard critique et entrave la prise de


conscience par les musulmans des problèmes qui se posent, prise de conscience nécessaire à toute réforme.


L'école française, dans sa conception du terme islamisme, s'inscrit dans le même projet que celui des islamistes – comme on les appelle aujourd'hui – et particulièrement des


Frères musulmans. Elle a répété fidèlement leur discours soit par complaisance, soit par méconnaissance de l'islam et de son histoire ou encore par souci du politiquement correct ou de


réconforter les musulmans dans leur religion.


Elle a été, par conséquent, le meilleur soutien des islamistes dans leur combat contre les modernistes dans le monde musulman et a contribué à consolider le conservatisme islamique en


France, en Occident et dans tout le monde musulman.


En France et en Occident, le concept d'islamisme comme un islam politique qui n'aurait rien à voir avec l'islam a provoqué, chez beaucoup de non-musulmans, la peur de


confondre l'islam et l'islamisme, d'autant plus que ceux qui leur affirment qu'ils sont distincts n'ont jamais eux-mêmes su dire comment les distinguer.


À LIRE AUSSI « NE RIEN CÉDER » : LE MANIFESTE DE BRUNO RETAILLEAU, UNE DÉCLARATION DE GUERRE À L'ISLAMISMEBeaucoup préfèrent fermer les yeux sur l'avancée de l'islam politique


plutôt que de se retrouver accusés d'islamophobie. D'autres, notamment les jeunes, ne comprennent pas pourquoi on les accuse d'islamo-gauchisme quand ils défendent


l'islam et les musulmans qui veulent pratiquer leur religion alors qu'on leur a répété depuis quarante-cinq ans que le problème ne concernait pas l'islam, mais seulement


l'islamisme.


Quant aux musulmans d'Occident, beaucoup ne comprennent pas pourquoi on les rassure constamment en leur affirmant que l'islam ne pose aucun problème, mais seulement


l'islamisme, tandis qu'on les qualifie d'islamistes quand ils veulent pratiquer ce qui est pour eux l'islam.


Pourquoi leur dit-on que l'islam ne pose aucun problème, donc qu'il n'a pas à changer ni évoluer, et pourquoi leur reproche-t-on de ne pas l'adapter à la culture et aux


lois des pays occidentaux ? Cela crée chez un grand nombre le sentiment d'être victimes de racisme, voire d'islamophobie.


Ce concept d'islamophobie, inventé lui aussi en France, vient rallonger la liste des concepts et des théories que les conservateurs et les littéralistes ont dressée, à partir du Xe 


siècle environ, contre la pensée créatrice et rationnelle pour l'empêcher de s'exprimer dès lors qu'il s'agit de l'islam.


Les islamistes activistes ne pouvaient pas mieux espérer que le nouveau concept d'islamisme tel qu'il a été forgé en France pour avancer leurs pions en Occident. Il leur suffit de


dire qu'ils ne veulent que pratiquer leur religion, l'islam et qu'ils sont eux-mêmes contre l'islamisme. Le concept de l'islamisme comme un islam politique distinct


de l'islam leur a été un paravent utile.


En conclusion, le concept d'islamisme, ou l'islam politique qui n'a rien à voir avec l'islam, est l'un des concepts les plus conséquents et les plus influents que la


France a créés et avec lequel elle déroule depuis quarante-cinq ans le tapis rouge à l'islam politique, pas seulement sur son propre territoire, mais aussi en Occident. Dans le monde


musulman, où l'islamisme le plus radical menace aujourd'hui d'une manière très inquiétante les droits humains, notamment ceux des femmes et des filles, la France a été un de


ses plus grands soutiens.


À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre Si on admet que l'islamisme signifie l'islam politique, un islam qui ne serait pas un islamisme est possible à condition que les musulmans


le dissocient de la dimension politique ou de l'islam des juristes. Cela passera inévitablement par une réforme de l'islam, celle qui est orientée vers l'avenir et qui crée


du nouveau en islam, et non celle des salafistes qui est tournée vers le passé.


_* RAZIKA ADNANI est une philosophe et islamologue franco-algérienne. Son dernier ouvrage _Sortir de l'islamisme_ est paru aux éditions Érick Bonnier en décembre 2024._