Déserts médicaux : «dans nos campagnes, l’aide à mourir arrivera plus vite qu’un médecin»

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DÉSERTS MÉDICAUX : «DANS NOS CAMPAGNES, L’AIDE À MOURIR ARRIVERA PLUS VITE QU’UN MÉDECIN» FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour Bartolomé Lenoir, député UDR de la Creuse, la loi légalisant le recours à


l’aide à mourir risque d’accentuer encore davantage les inégalités dont souffrent les départements ruraux. Publicité _Bartolomé Lenoir est député UDR de la Creuse._ -------------------------


Dans nos campagnes, on pourra bientôt obtenir l’aide à mourir plus facilement qu’un rendez-vous médical. Voilà la vérité crue que personne ne veut regarder en face. Dans quelques jours,


nous serons amenés à nous prononcer sur une proposition de loi créant un «droit à l’aide à mourir». Que l’on considère ou non ce texte comme une avancée, nous devons nous poser une question


simple : de quelle liberté parle-t-on quand les soins élémentaires ne sont déjà plus garantis ? Le législateur ne peut pas ignorer les inégalités criantes de nos campagnes. Avant de graver


un droit à mourir dans la loi, qu’on garantisse à chacun le droit de vivre soigné. Qu’on rétablisse des médecins, des soignants, des équipes mobiles. Qu’on ouvre des lits, pas seulement de


«nouveaux droits». La Creuse, comme tant d’autres départements ruraux, vit depuis des années un recul progressif de la présence médicale. Sur le terrain, cela veut dire ceci : les malades du


cancer doivent faire quotidiennement deux à trois heures de route pour bénéficier d’une radiothérapie, depuis la fermeture du service de Guéret. À Felletin, le seul dentiste a pris sa


retraite sans être remplacé. Faute de médecins disponibles, nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à renoncer à se faire soigner, avec un retard de diagnostic et de prise en charge.


Et au cœur de cette désertification, on propose aujourd’hui un nouveau «droit» : celui d’abréger sa vie. Mais de quel accompagnement parle-t-on lorsque les structures de soins sont absentes


ou saturées ? La liberté véritable suppose l’accès à des choix éclairés, équilibrés, équitables. Dans les métropoles, une personne gravement malade pourra, peut-être, prendre une décision


dans un cadre médicalisé, après un accompagnement par une équipe pluridisciplinaire. Mais dans la Creuse ? Quand il n’existe plus d’unité fixe de soins palliatifs ? Avec un médecin traitant


parti à la retraite depuis deux ans, sans remplaçant ? Avec un isolement géographique, social et médical devenu une norme ? Le recours à l’aide à mourir sera une option plus accessible que


le soin. À Bourganeuf ou à Chambon-sur-Voueize, ce «choix» risque d’être une impasse, le dernier recours dans un désert. Je suis frappé de voir à quel point ce débat de société est mené


depuis Paris, avec des termes abstraits, philosophiques, souvent hors sol. On parle d’autonomie, de volonté, de dignité. Mais dans nos campagnes, ces mots résonnent autrement. L’autonomie ?


Elle s’érode avec l’âge, l’isolement et le manque de transports. La volonté ? Elle vacille lorsque l’on se sent oublié, marginalisé, inutile. La dignité ? Elle commence par la possibilité


d’être soigné, accompagné, respecté. Or ces conditions ne sont plus réunies. En Creuse, les soignants font des miracles pour pallier l’absence de services. Ils traversent des dizaines de


kilomètres par jour pour maintenir un semblant de continuité de soins à domicile. Et pourtant, ce sont ces départements-là, déjà défavorisés, que cette loi viendra frapper en premier. Parce


que ce sont eux qui cumulent les fragilités : vieillissement accéléré de la population, pauvreté, isolement, absence de structures médicales. Ce sont eux où les citoyens risquent de demander


la fin non pas par choix librement consenti, mais par fatigue, par résignation, par solitude. Tous les amendements qui proposaient de conditionner l’accès à l’aide à mourir à une prise en


charge effective préalable ont été rejetés, souvent avec l’appui du gouvernement lui-même Dans le monde rural, nous avons déjà vu partir les classes, les maternités, les gares, les brigades


de gendarmerie. Allons-nous maintenant devenir aussi les premiers à être privés d’un accompagnement digne au seuil de la mort, et les premiers à se voir proposer l’aide à mourir comme unique


réponse à la souffrance ? Ce qui rend cette proposition de loi encore plus difficile à accepter pour nos campagnes, ce sont les contradictions criantes qu’elle véhicule. Tous les


amendements qui proposaient de conditionner l’accès à l’aide à mourir à une prise en charge effective préalable - médicale, psychologique ou palliative - ont été rejetés, souvent avec


l’appui du gouvernement lui-même. On aurait pu espérer, au nom de la cohérence et de la décence, que l’État garantisse d’abord un accompagnement digne avant d’autoriser un acte aussi grave


que l’aide à mourir. Il n’en est rien. En refusant de lier ce droit nouveau à un droit existant - celui aux soins palliatifs et à l’accès aux soins -, on ouvre la porte à une profonde


inégalité. Et la proposition de loi sur les soins palliatifs que nous venons d’examiner ne résoudra rien à court terme, faute de budget et de mesures concrètes et ambitieuses pour résorber


ces inégalités. Ce que je demande, au nom des citoyens de la Creuse, c’est que l’on ne confonde pas progrès législatif et abandon silencieux. Qu’on ne donne pas à ceux qu’on a oubliés depuis


vingt ans une porte de sortie cynique en guise de politique de santé. La République ne doit pas promettre l’aide à mourir quand elle n’est même plus capable d’assurer les soins.