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ÉLISABETH DE FEYDEAU : « AUX FEMMES LICENCIEUSES, LES PARFUMS CAPITEUX; AUX FEMMES CONVENABLES, LE SAVON DE MARSEILLE » De Cléopâtre à Frida Kahlo, de Catherine de Médicis à Sissi,
l’historienne du parfum dresse dix-neuf portraits de femmes de légende à travers leur sillage, arme de pouvoir, de séduction ou de respectabilité. Passionnant. Publicité Et si le parfum
avait aussi créé la femme ? C’est la question que pose, dans son nouvel ouvrage, _Les Voluptueuses. Une histoire parfumée des femmes de légende,_ Élisabeth de Feydeau. Du kyphi de Cléopâtre
au No 5 de Marilyn Monroe en passant par la tubéreuse de la marquise de Montespan et les fleurs de myrte et d’oranger de la reine Victoria, l’historienne plonge au cœur de leur intimité pour
raconter une certaine relation à l’amour et à la séduction, à la liberté et parfois même à la dissidence. _« D’autant que, selon les codes traditionnels de la féminité, le parfum était une
arme de séduction redoutable. Il traçait la femme, lui donnait une forme olfactive, affinait les traits de son visage et la définissait aussi au sein de la société », _écrit-elle. S’appuyant
sur une riche documentation et de multiples anecdotes, la spécialiste dresse 19 portraits à travers deux mille ans d’histoire de la parfumerie. Rencontre. LE FIGARO. - QU’EST-CE QUI RÉUNIT
CES FEMMES DONT VOUS RACONTEZ LE DESTIN À TRAVERS LEURS PARFUMS ? ÉLISABETH DE FEYDEAU. - Si toutes représentent différentes époques et différentes féminités, elles ont pourtant en commun
une certaine volupté, c’est-à-dire cette euphorie des sens et de l’esprit. Pour ces femmes, le parfum s’envisage autant comme une force de séduction que d’émancipation. On le voit dès
l’Antiquité avec Cléopâtre, où son usage permet, à la fois, une existence sociale et l’expression d’un pouvoir, ce que l’on retrouvera ensuite avec les Garçonnes des années 1920 et avec les
parfums coups de poing des working girls. D’ailleurs, au Moyen Âge, avec la diffusion du christianisme, l’emploi profane des parfums diminue, l’Église n’y voyant qu’une futilité contraire à
la morale. La fameuse eau de la reine de Hongrie, le plus ancien parfum occidental à base d’alcool connu à ce jour, est présentée comme un puissant remède contre les maladies. Un élixir que
l’on boit et dont on se parfume le corps par friction et qui incarne, plutôt, une forme de volupté mystique. VOUS RACONTEZ QUE C’EST CATHERINE DE MÉDICIS QUI INTRODUIT, À LA RENAISSANCE, LA
DIMENSION SENSORIELLE ET ÉLÉGANTE DU PARFUM EN FRANCE. La parfumerie française existait déjà depuis 1190, date à laquelle les parfumeurs se sont organisés en corporation. Mais elle avait
encore cette vocation d’apothicairerie, sanitaire et antipestilentielle. Une fois reine de France, Catherine de Médicis va imposer la mode des hespéridés et aromatiques italiens, celle des
gants parfumés et des petits flacons à odeurs qu’on glisse dans les poches de vêtement. Son parfumeur et astrologue, Renato Bianco, connu sous le nom de René le Florentin, ouvrira même une
boutique au pont au Change où les Parisiens se pressent pour trouver leurs eaux de senteur à la violette, à la camomille, leurs poudres à l’iris, à la rose, à la jacinthe. > Sur le plan
sociétal, le parfum n’est pas seulement un artifice > outrancier mais peut aussi devenir habit de vertu > Élisabeth de Feydeau, auteur des Voluptueuses, Une Histoire > parfumée des
femmes de légende. L’IMPÉRATRICE EUGÉNIE SYMBOLISE, ELLE AUSSI, UN MOMENT DE BASCULE DANS L’ÉVOLUTION DE L’INDUSTRIE. Sous le second Empire, la politique économique de Napoléon III va
favoriser le développement du luxe industriel. Mais ce qui est encore plus intéressant dans la figure d’Eugénie, c’est son patchouli. Elle en était folle. Pourtant, lorsqu’elle devient
impératrice, elle délaisse ce parfum capiteux associé aux courtisanes pour se draper dans une forme de dignité avec des senteurs florales et d’eau de Cologne. D’autant plus qu’elle va
devenir l’égérie de Pierre-François-Pascal Guerlain, qui lui dédie son Eau de Cologne Impériale. Eugénie incarne, à la fois, ces dynasties de parfumeurs industriels qui commencent à se
mettre en place et le clivage olfactif très important qui s’établit, à la même époque, entre le grand monde qui évite l’indécent patchouli ou la sulfureuse tubéreuse et le demi-monde qui,
lui, en abuse. C’est ce que raconte très bien Émile Zola à travers le personnage de Nana, qui se couvre de violette pour masquer l’odeur de la prostitution. Aux femmes licencieuses, les
parfums capiteux ; aux femmes convenables, l’odeur des fleurs délicates ou du savon de Marseille. Sur le plan sociétal, le parfum n’est pas seulement un artifice outrancier, il peut aussi
devenir habit de vertu. VOUS ÉCRIVEZ QUE L’ART DU PARFUM EST UN LANGAGE SILENCIEUX QUI PERMET D’EXPRIMER CE QUE L’ON NE PEUT DIRE AVEC DES MOTS. EN QUOI UNE SENTEUR DESSINE-T-ELLE NOTRE
IDENTITÉ ? Un parfum bien choisi reflète toujours qui l’on est à la manière d’un double olfactif. On le voit bien avec Marilyn Monroe et le No 5 de Chanel. Elle ne l’a sûrement pas choisi au
hasard. À l’époque, c’était l’archétype du parfum français, l’assurance du chic et de l’élégance. La certitude aussi de ne pas faire de faute de goût. Pour une actrice encore débutante, il
représentait ce pouvoir transformateur qui lui conférerait l’aura et le mystère d’une femme fatale. Elle disait : _« J’ai toujours pensé que je n’étais personne. Et la seule façon pour moi
de devenir quelqu’un… eh bien, c’est d’être quelqu’un d’autre. » _Et c’est aussi ce qui a fait le succès du No 5 : les femmes voulaient être Marilyn Monroe. Ce n’est pas seulement un parfum
qu’elles achètent, mais une certaine idée qu’elles ont d’elles-mêmes, ce qu’elles pensent ou aimeraient être. > Colette est un écrivain olfactif, comme Zola, Huysmans, Baudelaire >
Élisabeth de Feydeau, historienne du parfum VOUS AVEZ RÉDIGÉ CERTAINS CHAPITRES EN VOUS AIDANT DE TOUCHES PARFUMÉES. À QUOI VOUS SERVAIENT-ELLES ? Par le parfum, on entre dans l’intimité de
ces femmes, et c’est très émouvant. Il nous livre leur récit invisible. Pour Sarah Bernhardt, qui a connu tous les premiers parfums modernes, de Fougère Royale de Houbigant au Tabac Blond de
Caron, j’avais sous le nez cette fragrance oubliée au drôle de nom, Voilà pourquoi j’aimais Rosine, que Jacques Guerlain lui a dédiée - et qui, selon plusieurs témoignages, correspond
parfaitement à ce que sentait le salon de la Divine. Ce chypre cuivré me transportait immédiatement dans ses appartements ! Même chose avec George Sand, qui cultivait, à Nohant, un jardin
parfumé et produisait pots-pourris et savonnettes pour ses invités. On sait aussi qu’elle demandait à Musset de lui envoyer le « patchouli du parfumeur Leblanc », dont les notes orientales,
la fraîcheur de la bergamote et du citron la ravissaient. Pour écrire sur Colette, m’accompagnait, à côté de ses nombreuses photos, la reconstitution de l’opulent Jasmin de Corse de Coty
qu’elle a porté jusqu’à ce qu’il soit supprimé dans les années 1930. COMME GEORGE SAND, COLETTE PARSÈME D’AILLEURS SES ROMANS DE RÉMINISCENCES ODORANTES. Colette est un écrivain olfactif,
comme Zola, Huysmans, Baudelaire. Mais ce qui la distingue, c’est qu’elle va être la première plume à travailler pour l’industrie du parfum, puisqu’elle va écrire des dossiers de presse pour
Lanvin et d’autres. Elle a également été très proche de la famille Maubert, qui possédait déjà l’usine Robertet à Grasse et qu’elle visite en 1948. Elle écrit un chapitre entier sur ce
séjour dans son dernier roman, _Le Fanal bleu,_ où elle raconte ces _« eaux grassoises qui élèvent la nuit, dans l’air pur et sans brise, une brume insaisissable qui capte l’odeur des
jasmins et l’immobilise »._ Et puis, elle avait surtout ouvert un institut de beauté en 1932 dont j’aime beaucoup l’inscription au fronton : _« Je m’appelle Colette et je vends des parfums
». _ _LES VOLUPTUEUSES. UNE HISTOIRE PARFUMÉE DES FEMMES DE LÉGENDE _, FLAMMARION, 417 PAGES, 23,90 EUROS.