These savage shores: un rakshasa, cousin indien du vampire, dans le tourbillon de la colonisation

feature-image

Play all audios:

Loading...

LA CASE BD - Ce comics situé au XVIIIe siècle oppose deux figures légendaires aux troublantes similarités. Son scénariste Ram V nous explique sa démarche. Publicité En 1766, un vampire


anglais embarque à bord d'un navire de la Compagnie britannique des Indes orientales en direction de Calicut. Sur place, il est hébergé par Vikram, un jeune prince sous la protection


d'un mystérieux homme masqué, Bishan. Il s'agit un fait d'un rakshasa, une créature surnaturelle hindoue. _«En lisant et étudiant la mythologie hindoue, j'ai trouvé que


des comportements vampiriques étaient souvent attribués aux rakshasas : demeurer dans l'obscurité, boire du sang humain, bondir sur des innocents qui ne doutent de rien, etc.»_, raconte


au _Figaro_ Ram V, scénariste de _These Savage Shores_ («Ces rives sauvages»). Vient alors l'idée d'une confrontation avec un vampire, dont la légende s'avère largement


postérieure. _«À partir de là, la conversation métaphorique du colonialisme m'est apparue.»_ Malgré quelques passages à Londres, la majorité de l'intrigue prend place en Inde et


fait intervenir des personnalités qui ont vraiment existé. _«L'histoire se déroule pendant les événements allant jusqu'à la première guerre anglo-Mysore _(entre la Compagnie


britannique des Indes orientales et le royaume de Mysore, NDLR)_, que de nombreux historiens considèrent comme le premier conflit important qui allait mener à la colonisation de la région»_,


précise l'auteur, originaire de Bombay mais aujourd'hui installé dans la capitale britannique. > Cela n'a pas de sens de juger le présent sur son passé mais il est > 


important de le replacer dans un contexte . L'humanité gagnerait à > être moins ignorante de son propre passé > Ram V La vision du monde Ram V est le produit de sa double


culture._ «En tant qu'Indien vivant à Londres, je vois les gens vivre autant avec le bagage de leur passé impérialiste que j'ai vu l'Inde et les Indiens vivre avec le bagage


d'avoir été colonisés, _confie le scénariste_. Cela n'a pas de sens de juger le présent sur son passé mais il est important de le replacer dans un contexte_._ L'humanité


gagnerait à être moins ignorante de son propre passé.»_ _«En tant qu'artiste, je peux maintenant voir que les influences de ma jeunesse étaient occidentales. C'est le résultat de


l'histoire coloniale qui imprègne le système éducatif indien»_, analyse Ram V. Pour _These Savage Shores, _son inspiration principale reste _Dracula _de Bram Stoker, mais les épopées


sanskrites _Ramayana _et _Mahabharat, _ainsi que certains puranas, des textes de nature encyclopédique, ont aussi joué un rôle important. On aurait tort de réduire _These Savage Shores_ à


l'exotisme de son cadre historico-culturel ou à une «simple» dénonciation du colonialisme. Dense et viscéral, le récit ne néglige pas l'émotion, comme en témoigne la scène


ci-dessous. LA CASE BD _«Nous avions le gaufrier de neuf cases sous-jacentes en arrière-plan, donc la création de pages était relativement simple,_ admet Ram V, avant d'entamer la


description de cette double planche. _Sur la page de gauche, je savais que je voulais présenter ce moment où la troupe de guerriers était sur le départ. Nous voyons les instruments de


guerre, les soldats, les chevaux, les armes, les drapeaux, tous affichés dans ce geste grandiose et pourtant implacablement inhumain. Et cela est contrasté par la figure unique du prince


debout devant la machine de guerre : humain, nerveux, vulnérable… Un enfant.» _À droite, l'émotion prend le dessus, avec les yeux emplis de larmes de Vikram, inquiet du devenir de son


protecteur. _«C'est un moment charnière. Bishan part pour la guerre. Au-delà de ses implications évidentes, c'est un moment de changement. Nos personnages qui ont été ensemble et à


côté l'un de l'autre sont sur le point d’être séparés. Et au fur et à mesure que les événements se déroulent, même lorsqu'ils se retrouvent, nous nous rendrons compte que les


choses ne seront plus jamais les mêmes»_, détaille Ram V. > Bishan, cet immortel rakshasa qui a probablement vu des centaines de > guerres, se montre capable d'humanité en 


serrant cet enfant dans > ses bras et en lui disant qu'il reviendra > Ram V _«Honteux de sa nervosité et de son anxiété, Vikram met de côté sa vulnérabilité en ordonnant à Bishan


de revenir, au lieu de lui dire qu'il a peur qu'il ne revienne pas,_ analyse l'auteur. _Alors que Bishan, cet immortel rakshasa qui a probablement vu des centaines de guerres,


se montre capable d'humanité en serrant cet enfant dans ses bras et en lui disant qu'il reviendra.»_ Le scénariste en profite pour rendre hommage au travail de son dessinateur :_


«Je trouve que Sumit [Kumar] a une capacité extraordinaire à transmettre des émotions complexes à travers les expressions faciales et le langage corporel. Je me souviens avoir été frappé par


ça en découvrant ces pages!»_ Cette scène met aussi en valeur le fameux masque de Bishan, que l'on retrouve sur la couverture du livre. _«Le design du masque est dérivé de l'art


indien du kathakali. C'est une forme traditionnelle de danse et de performance qui implique des acteurs avec des masques et des visages peints»_, précise Ram V. Quant aux vêtements et


armures, ils s'inspirent de peintures et de documents historiques, même certains choix de design prennent quelques libertés pour privilégier un effet dramatique. THESE SAVAGE SHORES_,


DE RAM V (SCÉNARIO) ET SUMIT KUMAR (DESSIN), HICOMICS, 17,90 EUROS._