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« À ce qu’on nous a dit, c’était un des plus gros projets en démarrage que la Financière agricole du Québec avait soutenu cette année-là, relate Catherine Sylvestre. C’est là qu’on a
vraiment compris que ce qu’on lançait, c’était pas juste un jardin.» L’agronome originaire de Saint-Hyacinthe, est depuis peu à Québec. Venue rejoindre son chum et partenaire d’affaires
Guillaume Lambert qui y est enraciné depuis toujours – un ingénieur en génie logiciel qui y a sa propre entreprise d’équipement agricole - elle était déterminée à trouver la terre parfaite
pour donner vie à ses idées un peu folles. LOCAVORISME QUATRE SAISONS La Ferme Décembre de l’arrondissement Beauport, dont elle est directrice en plus d’être propriétaire, fera pousser des
légumes, en plein cœur de la ville, l’été, et aussi en plein cœur de l’hiver, à l’abri dans une serre. > D’où le nom de la ferme, où céleris, laitues sucrines, > radicchios, tomates
ancestrales, légumes asiatiques et compagnie, > selon les saisons, pousseront en alternance au froid comme au chaud > pour garnir certaines épiceries, nourrir les convives de >
restaurants de Québec – et peut-être plus, éventuellement. «Nos clients sont tous à moins de 15 minutes d’ici, s’emballe la propriétaire et directrice. C’est ça, pour nous, la vraie
production de proximité. On est capables de livrer frais, rapidement, sans transport inutile.» CULTIVE LES LIENS AUTANT QUE LA TERRE Si les clients sont près, ceux qui l’aident le sont
aussi. L’ancien propriétaire et son cousin, qui ont cultivé la terre jusqu’à tout récemment, viennent contribuer au projet en lui donnant un coup de main. Elle loue aussi des parcelles de
jardin aux citoyens cherchant un endroit où cultiver. À LIRE AUSSI «On a déjà une centaine de personnes qui participent dans la portion “jardins communautaires”, dont beaucoup de membres de
la communauté burundaise de Québec. Et ça, c’est important pour nous, parce que ça crée un lien vivant avec le voisinage», insiste Catherine Sylvestre, qui accueillera aussi dès cet été un
incubateur de nano-fermes urbaines, en partenariat avec le Laboratoire sur l’agriculture urbaine > «La terre comme telle fait cinq hectares, elle était affichée à > 1,3 million de
dollars, mais patience et négociation font que ce > n’est pas ce qu’on a payé, indique-t-elle en étendant le bras > vers les champs en faisant remarquer que c’est vraiment grand. >
C’est zoné agricole, cultivé depuis longtemps, en ville de > surcroît. On savait que c’était un bon prix, mais il fallait > agir vite». GUERRE D’USURE AVEC LES DÉVELOPPEURS IMMOBILIERS
Les spéculateurs propriétaires sont effectivement partout autour et ils attendent patiemment que leur investissement change de zonage pour commencer à construire, comme l’a constaté
Catherine Sylvestre lorsqu’elle a tenté d’acheter la terre voisine à l’un d’eux, en vain. > Reste que le prix qui était affiché pour la terre où la Ferme > Décembre s’est installée
représente douze fois plus par hectare > que la valeur moyenne des terres agricoles transigées au Québec en > 2024, selon la Financière agricole. Trouver une terre abordable à cultiver
aujourd’hui, c’est comme le Klondike. Rareté, spéculation et pression urbaine sont autant de facteurs qui contrecarrent l’accès à la relève. L’Union des producteurs agricoles (UPA) estime
que les terres consacrées à l’agriculture au Québec ne représentent que 2 % de la superficie du territoire de la province. En France, ce taux est de 58 % et aux États-Unis, de 45 %, toujours
selon le syndicat. « J’ai regardé sur Centris, mais il n’y avait rien. J’ai pris ma voiture et je suis allée me promener dans les rangs, voir s’il y avait des terres oubliées, des pancartes
à vendre… C’est comme ça que j’ai trouvé celle-là au bout de la rue du Vignoble», ajoute la fermière, bien consciente d’être tombée sur une terre avec une telle histoire. UNE TERRE
ANCESTRALE DEVENUE TERREAU FERTILE En passant devant la vieille grange traditionnelle où cohabitaient autrefois cochons au sol et poules à l’étage, Catherine Sylvestre raconte que le
processus a pris au moins un an. Il lui a fallu plusieurs mois pour convaincre la famille Lortie, les héritiers du cultivateur Armand Lortie, qui avaient mis leur terre sur le marché peu
après sa mort à 98 ans en 2017. Si ce nom résonne, c’est qu’il avait été évoqué dans une saga de terres convoitées pour le développement domiciliaire où l’ex-Maire Régis Labeaume s’était
désolé que des propriétaires choisissent de demeurer sur leurs terres en ville sans même les exploiter, au détriment disait-il, de jeunes familles qui ont besoin de se loger. La prétention
du maire, qui s’est depuis excusé, était fausse: non seulement les terres étaient cultivées, mais abritaient aussi des jardins collectifs, que Décembre a repris à son tour sous son aile en
achetant. DÉZONAGE REFUSÉ, APPUI DE LA VILLE RENOUVELÉ En 2019, la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) a refusé le dézonage demandé par la Ville. Ce conflit est souvent
cité comme cas d’espèce dans les débats sur le développement durable, l’urbanisme et la protection des terres agricoles au Québec. Aujourd’hui, Catherine s’enthousiasme du soutien de sa
ville d’adoption. «L’équipe du développement économique m’a aidée à trouver du financement, des clients, elle m’a vraiment soutenue. La Ville veut encourager la production de proximité, et
ça se voit, » se réjouit-elle. UN SOL SUR MESURE Grâce à sa recherche de terrain digne d’une chasse au trésor, la maraîchère constate surtout la richesse du trésor qu’elle a trouvé en
mettant main sur son lopin rare. « C’est plus grand qu’on s’imaginait mais c’est du sable au loam [silteux, soit un mélange de limon, argile et sable], une qualité incroyable pour faire des
légumes. Cultivée par la même famille pendant cent ans. Je n’ai même pas eu besoin de faire de travaux. Je suis juste rentrée… et j’ai planté. » Spécialisée en culture nordique — une
pionnière en la matière — elle a fait ses armes à la Ferme des Quatre-Temps à Hemmingford aux côtés de Jean-Martin Fortier et dont elle a éventuellement pris la place comme directrice de la
production maraîchère. > Leur influence sur la manière d’aborder et de comprendre > l’agriculture est palpable. Elle a d’ailleurs cosigné avec lui > _Le maraîchage nordique:
découvrir la culture hivernale des > légumes_, publié chez Cardinal en 2021. Mais bref, le soleil frappe fort en ce mercredi après-midi, et Catherine Sylvestre, débarquée de la
Montérégie, accueille satisfaite ce temps chaud trop rare au printemps à Québec. «On a semé tôt sous la serre, mais on a manqué de chaleur, dit-elle. Les salades n’ont pas levé comme on
voulait. Il faisait trop froid, même sous plastique. Ça nous a un peu freinés, mais on apprend. » UNE SERRE POUR DES LÉGUMES D’HIVER EN PLEINE TERRE La grande serre, qui devrait être prête
en août, permet à la Ferme Décembre de lancer la saison plus tôt et de stabiliser sa production. Deux _pépines_ s’affairent à mettre à niveau le terrain où elle sera érigée. L’aménagement de
l’abri hivernal reflète aussi la vision du maraîchage quatre saisons, bien précise, qu’adopte Catherine Sylvestre. « On cultive directement au sol, pas en bacs, parce qu’on veut travailler
avec le vivant, avec un vrai sol nourri et vivant, » explique la propriétaire. > À ses yeux, ce choix n’est pas qu’agronomique, il est aussi > philosophique. «Ça nous oblige à penser
autrement la fertilité, > à construire notre sol sur place, à long terme», confie Catherine > Sylvestre. Elle précise que la serre est conçue pour être fonctionnelle et efficace,
notamment en ayant une orientation stratégique, un accès simplifié, et une polyvalence d’usage selon les saisons avec un chauffage minimal à trois degrés centigrades. «On est au gaz pour
l’instant, en attendant que l’Hydro arrive parce que tout est prévu pour passer à l’électricité dès que c’est possible. C’est plus cohérent avec notre vision écologique, même si c’est plus
cher à l’usage. Mais on compense avec une bonne isolation et un système bien pensé.» C’est d’ailleurs la spécialité de son partenaire Guillaume Lambert dont l’entreprise Orisha excelle dans
l’automatisation des serres. EN ÉPICERIES GRÂCE À LA «PORTE ARRIÈRE» Les légumes de la Ferme Décembre seront vendus au Marché de proximité de Québec mais aussi dans des IGA de Charlesbourg —
IGA des sources sur la 1re avenue, au IGA Coop, avenue Louis-XIV — où un frigo spécialement identifié aux couleurs de la ferme accueillera mesclun, sucrines et épinards. > «J’ai essayé
directement avec la maison mère Sobeys, mais ça > n’avançait pas. En passant “par l’arrière” avec les IGA, > ça a tout débloqué. Ils ont été super ouverts», assure-t-elle. La Ferme
Hantée de Lotbinière a utilisé un stratagème similaire pour offrir ses légumes frais et fermentés dans les étals du IGA Deschênes du quartier Montcalm, comme le relatait _Le Soleil_ en mars.
ET LES RESTOS VEULENT LEUR PART DU MAGOT Elle participera aussi au concours _Aliments du Québec_, en partenariat avec IGA, pour mettre en valeur ses produits — en commençant par son
mesclun. Du côté des restaurateurs, certains se sont déjà engagés à travailler les légumes de la Ferme Décembre comme Chez Boulay, le Café Au Temps Perdu tandis que des discussions sont
entamées avec Ambre et Le Continental, par exemple. «Si on veut tendre vers une certaine autonomie alimentaire au Québec, ça passe par ça: garder nos terres en culture, produire localement,
même en hiver», conclut la maraîchère polaire. _*UNE VERSION PRÉCÉDENTE FAISAIT ÉTAT D’UN PROJET DE 1,3 MILLION DE DOLLARS, ALORS QUE C’ÉTAIT PLUTÔT LE PRIX TOTAL DEMANDÉ AU DÉPART POUR LA
TERRE._