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Le show de « La Dernière » de « Zen » a eu lieu le 15 novembre à Paris-Bercy, en présence du duo d'humoristes Éric et Ramzy. © Crédits photo : capture d'écran Great Production
Team Des invités prestigieux et un ton inédit : en trois ans, l'émission de Maxime Biaggi est devenue emblématique de la plateforme Twitch et bien au-delà, jusqu'à remplir
l'une des plus grandes salles d'Europe en quelques minutes. Tristan Barraux Publié le 09 décembre 2024 Ils sont encore en train de s’en remettre. Maxime Biaggi (Maxime Ricoveri),
27 ans, et Grimkujow (Mathis Noinin), 23 ans, viennent de mettre un point final à trois ans de _late show_ sur Internet. C'était le 15 novembre dernier devant 12 000 spectateurs, à
Paris-Bercy — les billets ont été vendus en seulement quatorze minutes. Sur scène, assis dans deux fauteuils, les invités d'honneur Éric et Ramzy n’en revenaient pas : _« En trois ans,
en arriver là, faire votre dernière à Bercy, c’est très émouvant pour nous. »_ La fin d’une aventure rythmée par un show diffusé toutes les deux semaines. Leur parole est rare. Les deux
animateurs, leurs producteurs et auteurs, encore groggy par l’expérience, nous donnent rendez-vous pour revenir sur l’ascension d’une émission unique en son genre. Il faut remonter à 2021,
au moment où Maxime Biaggi, Stéphane Cochara et Thibault Braccio travaillent pour « Millenium ». Ce site d’actualité d’e-sport est hébergé par Webedia, une agence où des créateurs de
contenus sont également accompagnés. Toujours en poste, les trois amis parviennent à négocier pour obtenir un petit studio_ « dans une cave »_, et réaliser leur propre émission. Zen — « nez
» à l’envers, en référence à celui de l’animateur — apparaît sur la plateforme de streaming Twitch le 25 octobre 2021, filmée en direct. Une émission de divertissement avec à l’écran des
têtes connues, notamment sur les réseaux sociaux : Maxime Biaggi et Yass. Peu à l’aise dans cet exercice, ce dernier est remplacé par Grimkujow dès la deuxième émission. L’équipe qualifie
sans détour cette première saison de « laboratoire » : un _talk-show_ à la forme mouvante avec de l’actualité, des invités en tout genre, des jeux, des moments inattendus. _« On a senti
qu’il y avait un potentiel avec cette émission. Au cours de l’année, on a décidé de fonder notre propre société de production, de la coproduire avec Webedia et de travailler dessus à temps
plein »_, explique Thibault Braccio. « FLOPS » Si les audiences décollent légèrement au fil des mois, c’est dès la deuxième saison que Zen prend un tournant décisif. La direction artistique
est plus assumée, les présentateurs sont habillés à chaque émission en chemise et veste de costume, dans un nouveau studio. _« On s’est clairement inspirés des _late show_ américains, avec
le bureau, la ville en fond, un seul invité qui reste tout le long »_, précise Stéphane Cochara qui défend une ligne éditoriale plus claire._ « Les gens pouvaient retrouver des repères, des
rendez-vous réguliers »_, complète Grimkujow. Apparaissent des happenings, ces sketchs inattendus, loufoques, en lien avec l’invité, moteurs du succès de l’émission. S’y glissent de
nombreuses références à la culture Internet, à l’actualité. S’installent des personnages récurrents incarnés par Elian Ventre, Theorus, ou encore Benjamin Haddad, qui interprète
régulièrement la caricature d’un « sniper », un chroniqueur à l’humour extrêmement vulgaire. Et s’affirme un ton unique : un subtil mélange d’interviews sérieuses, d’absurde et de bides
volontaires, de « flops ». UNE PART D'IMPROVISATION Le tout est majoritairement écrit, répété et a pour objectif de surprendre l’invité, le présenter sous un angle inédit. Reste la part
d’improvisation des deux animateurs. _« C’est l’humour de Maxime, très second degré et dans la comédie, mélangé à celui de Grim, plus glaçant et provocateur, c’est le mélange des deux
personnalités qui a donné ça, naturellement. On n’a jamais donné de consignes sur l’humour en tant que producteurs »,_ nous raconte Stéphane Cochara. Cela donne des scènes volontairement
gênantes et parfois mal comprises. _« Certains ne comprenaient pas pourquoi l’émission n’était pas drôle, d’autres nous disaient qu’on était des génies_, se remémore avec un sourire en coin
Maxime Biaggi. _Mais ça a aussi forgé son identité. »_ Premier invité de cette nouvelle version, en septembre 2022 : le rappeur Bigflo._ « C’est l’émission avec laquelle on a été vraiment
vus. Il y avait un truc un peu magique, avec un invité qui joue le jeu à 1 000 %. C’est l’émission qui a posé toutes les bases de l’après »_, confie Thibault Braccio. Bigflo est interrogé
sur son parcours, confronté à ses propres _bad buzz_, et invité à jouer à des jeux manifestement faits d’accessoires bas de gamme. _« En plus, on avait un problème de climatisation, il
faisait très chaud dans le studio. Il y avait un truc un peu enivrant, qui a créé un état d’humour, un ton exceptionnel. » _C’est le premier épisode à passer la barre du million de vues sur
la rediffusion Youtube, qui va devenir un canal important. _« C’est un autre public. On se rendait compte que Twitch, c’était notre rampe de lancement mais ce n’est pas là où les gens sont
le plus présents. Finalement, la force de frappe de Youtube est trop forte, tu peux faire un million de vues assez facilement »_, observe Maxime Biaggi. La chaîne Youtube de « Zen » cumule
aujourd’hui plus de 200 millions de vues. Les invités, les happenings, les moments forts sont de plus en plus découpés et publiés sur TikTok et Instagram. _« On était les premiers à mettre
des extraits verticaux d’une émission Twitch sur les réseaux, à le faire sérieusement, _fait remarquer Stéphane Cochara. _Et ce qui nous a beaucoup aidés aussi, ce sont les gens qui tombent
sur des extraits de notre émission sans que ce soit le compte de “Zen” qui les ait publiés. »_ Des vidéos virales, plusieurs millions de vues cumulées au total. Les statistiques explosent, y
compris en direct. « Zen » gagne une crédibilité lui permettant de s’offrir en plateau les plus gros créateurs de contenus, de McFly & Carlito à Inoxtag, en passant par Léna Situations,
Mister V et Cyprien. Fin de saison, juin 2023. Squeezie, le Youtubeur aux 19 millions d’abonnés, est invité pour une émission en direct du Zénith de Paris. 6 000 spectateurs ont acheté leur
billet, la salle est au complet. Le direct enregistre un record d’audience sur Twitch, avec 187 000 viewers et plus de 4 millions de vues sur la rediffusion Youtube. Au cours de la soirée,
l’équipe annonce d’ores et déjà que la troisième sera la toute dernière saison de Zen, pour ne pas épuiser le concept. La préparation de l’émission est aussi particulièrement chronophage,
selon les associés, qui veulent développer davantage de projets personnels — le cinéma, par exemple, pour Maxime Biaggi. L’équipe pensant avoir fait le tour des personnalités issues
d’Internet, il est décidé pour le retour en septembre d’élargir le spectre d’invités. « _On pensait qu’on pouvait avoir Timothée Chalamet », _témoigne ironiquement Grimkujow. _« En fait, on
s’est dit qu’on avait un concept assez novateur et populaire, _se remémore précisément Stéphane Cochara_. Il y a plein d’acteurs et actrices qu’on voulait inviter, on a tenté. Mais on a fait
face à des réalités d’agenda et du système pour avoir des grosses têtes d’affiche, qui nous ont souvent bloqués. On a découvert tout ça. » _Il faut dire que la production de l’émission
nécessitait de mobiliser l’invité plusieurs jours avant le direct, notamment pour tourner des scènes d’un court métrage diffusé à chaque fois en fin d’émission. Une contrainte souvent
incompatible avec l’emploi du temps de promotion des acteurs les plus demandés. DES CRITIQUES D’UN NOYAU DUR DE FANS Dans un décor encore plus moderne pour leur ultime saison, Maxime Biaggi
et Grimkujow parviennent tout de même à interviewer Fabrice Eboué, Ahmed Sylla, Soso Maness, Malik Bentalha, etc. Si les personnalités se sont largement prêtées au jeu, des critiques d’un
noyau dur de fans de l’émission persistent, hermétiques aux invités qui ne viennent pas de Twitch. Des messages sont postés sur les réseaux sociaux à chaque annonce de l’hôte du jour. _« On
était les rois du monde au début de la deuxième saison, et à la troisième on avait l’impression que les gens [nous] rejetaient totalement. On nous disait qu’on était des “vendus”, même quand
on invitait des Youtubeurs »_, décrit amèrement Grimkujow. Toute l’équipe, remuée par ces désapprobations publiques, a traversé de nombreuses remises en question malgré des audiences
toujours dans la moyenne. Maxime rajoute :_ « On ne voyait que ces 200 personnes qui critiquaient. On pensait qu’on était détesté. »_ > « “Zen” était presque davantage une émission de
télé en > termes de moyens » Mais pour clôturer l’aventure, la bande d’amis voit les choses en grand, et souhaite faire la toute dernière émission en public, à l’Accor Arena de Bercy. _«
On pensait qu’on ne remplirait pas, mais autour de nous tout le monde nous disait que si »_, se remémore Thibault Braccio. Passé les nombreux obstacles pour obtenir la location de la salle
et organiser l’événement, Éric et Ramzy sont annoncés en invités, et l’ensemble des places vendu en moins d’un quart d’heure. Du jamais vu pour un _late show_. _« Là, à la fin, les gens
étaient contents, on a été épargné des critiques », _pointe Maxime Biaggi. Deux heures et demie d’interview et de spectacle préparé pendant plusieurs semaines. Le show a coûté plus d’un
million d’euros, financé en grande partie par des opérations commerciales, des partenariats avec des marques, comme le reste de l’année. _« On a fait un exercice qui, dans l’écosystème
d’Internet, normalement, n’est pas vraiment viable. C’est colossal en termes de moyens déployés »_, analyse Stéphane Cochara. _« C’était le _late show_ le plus ambitieux d’Internet, qui est
un écosystème très différent de celui de la télévision : sur Twitch, on n’est pas rémunéré quand on diffuse, alors que France Télévision nous a acheté les droits de diffusion pour sa
plateforme. “Zen” était presque davantage une émission de télé en termes de moyens. »_ En face, les autres émissions importantes sur Twitch, comme « Popcorn » ou « Backseat », sont des
_talk-shows_, basés sur des interviews, des discussions et des débats, bien moins coûteux à produire. SUR FRANCE 2 POUR LA PREMIÈRE FOIS France Télévision, par le biais d’un partenariat, a
donc codiffusé cette dernière émission en direct sur la plateforme France.tv. Le spectacle s’est retrouvé sur France 2 le lendemain, juste après « Quelle Époque ». 120 000 téléspectateurs
étaient derrière le poste pendant la première partie, selon Médiamétrie, qui n’a pas mesuré l’intégralité du spectacle. Si le groupe public soutient régulièrement des événements diffusés sur
Twitch, c’est la toute première fois qu’est diffusée à la télévision une de ces émissions, ce qui s’inscrit dans une stratégie d’accompagnement de jeunes talents. _« “Zen” est devenu un
rendez-vous Twitch extrêmement performant en termes d’audience. C’est aussi une offre très particulière dans l’environnement Internet : un programme d’humour qui intègre une partie
_talk-show_ mais aussi une partie spectacle. Dans la dernière émission, on a vu toute l’étendue de cette dimension »_, assure Alexandre Dureux, directeur délégué aux programmes de France
Télévisions chargé des contenus jeunes publics, qui regrette l’arrêt de « Zen ». Cette diffusion sonne comme une petite revanche pour la télévision qui n’a jamais réussi à installer un _late
show _de la sorte. Dernière tentative en date, celui d’Alain Chabat sur TF1 à la fin de l’année 2022, qui s’est arrêté avec un bilan d’audiences décevant. _« On disait souvent que le fait
de “roaster” l’invité, s’en moquer, ça ne marche pas en France_, observe Vincent Bilem, doctorant en sciences de l’information et de la communication à l’université Sorbonne Nouvelle,
travaillant en particulier sur Twitch. _Avec « Zen », c’est enfin les lettres de noblesse du _late show_ en France, et ça n’est donc pas à la télévision. »_ Ce ton de l’émission, en
permanence à la frontière de l’absurde et du sérieux, est_ « consubstantiel à Internet et c’est sûrement ce qui a fait le succès de l’émission : accepter l’échec, embrasser le fait que ça ne
marche pas, plutôt que de vouloir réussir ses blagues à tout prix, comme ont voulu faire pendant longtemps les _late shows_ à la française. » _Le chercheur note aussi que « _c’est la
première fois qu’une émission se saisit des mèmes, de la culture Internet tout en la tournant en dérision. Ça a été un moment Twitch. »_