Vendée Globe : 40 skippers, et autant de producteurs de contenu | la revue des médias

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Les skippers du Vendée Globe doivent envoyer photos et vidéos à la société organisatrice de la course, mais possèdent aussi leur propre canal de communication, le plus souvent Instagram. 


Les marins participant à la 10e édition de cette course en solitaire sont tenus de partager photos et vidéos de leurs aventures. Si certains sont très à l’aise avec l’exercice, d’autres


regrettent une course aux images. 


Manœuvrer, scruter les fichiers météo, réparer la casse, essayer de dormir, de manger, le tout à bord de voiliers ultrapuissants (Imoca) et sans oublier d’appuyer sur le bouton Rec. Le 10


novembre, les 40 marins qualifiés pour le Vendée Globe quittent les Sables-d’Olonne en solitaire, prêts à partager leur aventure au jour le jour. Le suivi médiatique de la plus exigeante des


courses au large repose en partie sur les skippers, à coups de vidéos tournées à bout de bras et tachées d’embruns.


La communication a toujours fait partie de la course au large. Les marins s’y prêtent avec plus ou moins d’aisance et de plaisir. Clarisse Crémer excelle naturellement : confinée ou en mer,


la skippeuse sait faire de la caméra sa compagne et le public le lui rend bien. Les plus taiseux trouvent leur ton au fil des expériences, conseillés par leurs équipes de communication. Ceux


qui ont navigué en équipage avec des reporters embarqués (communément appelés « médiamans ») ont glané auprès d’eux pas mal d’astuces. Chacun connaît ses propres limites. Benjamin Dutreux


refuse de pleurer devant la caméra quand Éric Bellion le fait sans difficulté. En 2016, il est rentré de son premier Vendée Globe avec 55 heures de rushs, dont il a fait un film, Comme un


seul homme. « Il faut sortir la caméra malgré la fatigue, dans les moments inconfortables, ce n’est pas anodin, mais filmer a aussi des vertus : ça permet de prendre du recul, ça donne du


carburant. »


Pour cette dixième édition, une partie des bateaux seront connectés via le réseau Starlink. Une révolution. Ce réseau satellitaire permet d’obtenir en pleine mer un débit proche de celui des


réseaux terrestres. De quoi fournir des images quasiment en direct. « Ce sera encore plus facile et rapide qu’en 2020 », confie Charlie Dalin, l’un des favoris, équipé sur son monocoque de


caméras fixes et mobiles. « Sur la console du bord, je choisis quelle caméra j’utilise, je peux tourner une vidéo avec plusieurs plans d’une traite. Ça part à terre sans même avoir besoin de


compresser les images. »


Les skippers sont tenus contractuellement d’envoyer trois vidéos de deux minutes par semaine et six photos. Cette mesure a été mise en place lors de la précédente édition, en 2020, par la


Saem Vendée, organisatrice de la course. Une pénalité de 1 000 euros est prévue en cas de manquement. « C’est une formalité, les skippers ont plutôt tendance à en envoyer plus naturellement 


», indique-t-on du côté de l’équipe de communication.


Sur les pontons des Sables-d’Olonne, à trois semaines du départ, tous les concurrents ne sont pas du même avis. Benjamin Ferré, 33 ans, profil d’aventurier fan de Kessel, pourtant très à


l’aise devant la caméra, déplore cette obligation de quantité. « C’est à contresens de ce qu’est le Vendée Globe. Il faut faire attention à ne pas priver les gens de leur imaginaire en les


abreuvant d’images. » Pour Antoine Cornic, outsider de 44 ans, le volume de vidéos exigé cette année reste raisonnable et correspond à ce qu’il enverrait de lui-même mais la surconnexion


l’interroge : « Je voudrais qu’on fasse attention, que ça devienne pas “Loft Story”. Plus on aura la possibilité de diffuser facilement des images de qualité, plus on devra fournir. Partager


ce que l’on vit, c’est un plaisir, et ça doit le rester. »


Lui part sans Starlink, avec 24 gigas de données via le réseau Iridium, suffisants pour ses besoins. Pour se filmer, il a glissé dans son voilier une caméra mobile, une perche et un


smartphone dont l’objectif est souvent sale, au grand désespoir de son chargé de communication. Louis Duc, dans le circuit depuis quinze ans, se montre plus virulent, même s’il considère que


faire vivre les courses au grand public a toujours fait partie du job. « Quand ça devient une obligation de la part des organisateurs pour que ça leur profite, je trouve ça insupportable.


Si tu préfères t’exprimer seulement quand t’as un truc intelligent à dire, qu’on te laisse faire ! Au moins ta vidéo ne passera pas inaperçue au milieu de 40 autres ! » Seuls dans un espace


de vie de cinq mètres carrés, les marins reconnaissent qu’il faut parfois se creuser la tête pour trouver des choses à dire un peu singulières. « Heureusement, on est aidés par les belles


images de couchers de soleil et de tempêtes », avoue Charlie Dalin.


Louis Duc préfère les « lives ». Pour le grand public et les médias, le suivi de la compétition passe aussi par ces conversations filmées avec les skippers. Au minimum, chaque coureur


s’engage à participer à un live par semaine avec l’organisation de course. S’ajoutent à cela des vacations audio. « Là, t’as des vrais échanges avec des gens qui savent aller chercher la


bonne info, confie le skipper normand. C’est spontané, tu ne dois pas préparer un petit scénario. » Jean Le Cam, doyen de la course et chouchou des médias en 2020, avoue ne pas se préoccuper


de ces obligations et ne pas les remplir, même s’il adore depuis toujours la vidéo : « Certains sont hypers bons élèves mais la question, c’est y a-t-il contenu ? C’est un autre débat. »


Afin de préparer les coureurs, l’organisation a concocté une séance de media training. Un intervenant de TikTok est venu présenter les « nouvelles attentes en termes de consommation de


contenus ». Ses conseils n’ont pas fait l’unanimité. « Quelle rigolade ! se marre Jean Le Cam. Chacun est différent, tu peux pas standardiser les choses, ça ne marche pas. »


Pour les plus compétiteurs, la communication est aussi un enjeu tactique. Charlie Dalin s’efforce toujours de faire bonne figure. « Je prends un ton enjoué même si une heure avant j’avais un


gros problème technique. » Même stratégie pour Nicolas Lunven : « Si j’ai une petite galère qui ne ternit pas mes performances mais qui peut me conduire à faire des choix différents, je ne


le dis pas. Comme ça, mes concurrents se font des nœuds au cerveau pour tenter de comprendre ! » Comme le fait remarquer Paul Meilhat, la course au large est l’un des seuls sports où le


marin est aussi son propre réalisateur. « On décide ce que l’on montre ou pas : c’est un espace de créativité énorme ! Mais on nous pousse à faire tous la même chose. Il faut une minute avec


le skipper face caméra en vertical et la mer derrière. » Il regrette que l’accent soit toujours mis sur l’image, au détriment de l’écrit. Comme d’autres concurrents, il écrira des


chroniques en mer (pour Ouest-France dans son cas). Benjamin Dutreux a lui aussi le goût des mots mais sur son bateau à foils, ultrapuissant, il reconnaît que l’exercice sera impossible.


Trop extrême. Lors du premier Vendée Globe, en 1989, les « telex-océans » des marins, publiés dans Libération, ont marqué les esprits. Parce qu’ils étaient rares, imprévisibles, qu’ils


n’obéissaient à aucune règle, ces chroniques du large avaient une saveur particulière. Cette même année, les marins avaient mené une fronde contre les organisateurs, comme le racontait


récemment Titouan Lamazou à l'INA. Il était question de rejoindre des points de passage, pendant la course, pour transmettre des cassettes vidéo tournées à bord. Ce qu’ils ont refusé. « 


J’étais tout à fait contre, se souvient le vainqueur de cette première édition. Ou on fait le Vendée Globe, ou on fait du cinéma. »


Fabienne Morin accompagne les skippers dans leur communication depuis vingt ans. Elle estime que les images envoyées depuis le bord disent toujours quelque chose du marin. « Sébastien Josse


qui court nu sur le pont de son bateau, c’était son grain de folie, son bien-être immense ! La caméra, tu lui confies tes bobos, tes moments de sollicitude. Il y a une dimension cathartique.


 » Elle reconnaît que l’abondance d’images bouleverse son métier : « On est connectées en permanence. Si on veut, on a. » Il est loin le temps où elle décrochait le téléphone fixe de


l’agence avec l’excitation de peut-être entendre la voix de Michel Desjoyeaux surgie d’un grésillement.


Sans tous ces contenus, 2,25 millions de visiteurs revendiqués par l'organisation viendraient-ils sur les pontons des Sables-d’Olonne avant le départ ? « Le Vendée Globe est devenu ce qu’il


est grâce aux moyens de communication, rappelle Nicolas Lunven. Si on en était restés au fax, ça ne passionnerait pas autant de monde ! » La dernière édition a généré 2 345 heures de


diffusion télé et 115 millions de vidéos vues sur les réseaux sociaux. Un record. Les médias n’ont pourtant pas toujours couvert la course au large. « On a beaucoup souffert d’un manque de


visibilité », rappelle Laurence Caraës, attachée de presse de Jean Le Cam et qui a commencé dans la communication de la voile en 1996. « À l’époque, notre seul espoir, c’était “Thalassa” ! »


Pour autant, pas facile d’exister médiatiquement quand 40 skippers prennent le départ… Aujourd’hui, tous utilisent leur propre canal de diffusion (le plus souvent Instagram). Un atout pour


les sponsors. « C’est notre moyen le plus direct d’exister auprès du public et des médias, reconnaît Bastien Hebras, chargé de la communication d’Antoine Cornic. En 2023, Antoine a eu la


dengue pendant une transat. Il avait 40 de fièvre, un calvaire, mais il a su communiquer. On est passés sur RMC Sport et tous les médias ont repris en récupérant les images sur nos canaux.


C’est malheureux mais si tu veux qu’on parle de toi, c’est soit tu gagnes, soit il t’arrive des bricoles. »


Ce n’est pas ce qu’il souhaite à son skipper, qu’il tient à « faire exister jusqu’au bout ». Pour combien de semaines s’engage-t-il ? Le record de la course la plus longue de l’histoire du


Vendée Globe revient à Jean-François Coste. En 1990, après 163 jours de solitude, il clôturait ainsi sa dernière chronique dans Libération : « Granit gris bleu de Bretagne. Chaleur. Lumière.


Bientôt les regards. Au revoir l’ailleurs, bonjour l’ici. Pas de départ, pas d’arrivée, que des étapes. Allons encore sur la mer, cela me suffit. »


Edit le 8/11/24 à 15 h 40 : précision de la source de l'estimation du nombre de visiteurs.


Pour faire face aux demandes des journalistes, apprendre à dire non, gérer leur communication sur les réseaux sociaux, un personnage clé pour les athlètes : l’attaché de presse. Son rôle se


fait d’autant plus crucial en cette année de JO.


À 27 ans, ce spécialiste du 5 000 m et diplômé en journalisme a vécu des Jeux olympiques mouvementés. Entre une bousculade pendant une course, une interview largement commentée et des tweets


problématiques, il nous livre son regard sur cette traversée médiatique. 


En 2024, pour la première fois, France Télévisions diffuse les Paralympiques en intégralité. Douze ans plus tôt, les directs des Jeux paralympiques de Londres, eux, étaient retransmis sur


TV8 Mont-Blanc, une chaîne locale.