Tintin, inépuisable filon éditorial

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© Crédits photo : © Hergé/Moulinsart 2022 / Prisma médias _Tintin l’aventure_ est un mook lancé par Prisma en 2019. Un objet élégant, mêlant planches de BD et invitations au voyage. Retour


sur l’origine d’un projet né dans les archives de Moulinsart et fabriqué par les pros de la presse d’évasion. Xavier Eutrope Publié le 08 septembre 2022 Depuis trois ans, Géo et les éditions


Moulinsart s’efforcent de perpétuer le mythe Tintin dans une revue trimestrielle que l’on croise, intrigués, en kiosques et en librairies. Le _mook_ (contraction de magazines et _book_)


_Tintin, c’est l’aventure_ en est à son treizième numéro. L’objet est attirant, dense, la finition soignée. À l’origine de ce projet, un homme, Didier Platteau, 78 ans, directeur éditorial


au sein de TintinImaginatio, la sourcilleuse entreprise gestionnaire des droits entourant les créations de Hergé, auparavant connue sous le nom de Moulinsart. Pour cette revue, tout est


parti d’un constat : « _Il y a eu des tas de hors-séries sur Tintin, sur des sujets très différents, mais pas un seul sur l’aventure_ ». Et Didier Platteau sait de quoi il parle : il a été


de chaque hors-série dédié au jeune reporter, pour le faire vivre, son univers et lui, malgré la fin de ses aventures. _Le Figaro_, _Télérama_, _Le Monde_, _Le Point_, _L’Express_… Ils sont


nombreux à s’être emparés de la silhouette du jeune reporter d’une manière ou d’une autre. Mais depuis quelques années, le flot s’est tari. Entre des collaborations plus ou moins réussies et


un manque d’inspiration, Didier Platteau l’admet : « _Je ne savais plus quoi faire, ni comment faire_. _Entre nous, ça me dérangeait un peu d’être à sec _». Il se met à réfléchir… Et


soudain, cette fulgurance : et si on parlait d’aventure ? « _C’était d’une évidence incroyable_ », souffle-t-il. Nous sommes en 2018. Fort de cette idée, il contacte Prisma, maison-mère du


magazine _Géo_. Des passerelles existent : les deux sociétés ont déjà collaboré à plusieurs reprises sur des hors-séries, dès les années 2000. Chez Prisma, l’accueil est enthousiaste. On


décèle dans ce nouveau projet le potentiel pour durer. Des deux côtés, on met en avant d’excellentes relations de travail, une bonne entente. Un travail d’une petite année s’engage pour


créer la revue. Car il y a tout à faire, ou presque : réfléchir au concept, le peaufiner, trouver le ton... Une publication, c’est tout une machine à créer, organiser et animer. « _On ne


partait pas complètement de zéro, nous avions un partenaire_. _Pour certains titres, il faut tout inventer _», raconte Laura Stioui, directrice éditoriale des mooks, collections et beaux


livres chez Prisma. D’ailleurs, pourquoi faire un mook, trimestriel qui plus est ? « _Nous voulions un objet intemporel, collectionnable qui parle de notre époque, sans pour autant être pris


dans le feu de l’actualité_, explique Frédéric Granier, responsable éditorial de la revue. _Nous n’aurions pas pu faire ça avec un hebdomadaire ou même un mensuel. » _ Par ailleurs, créer


un magazine ou une revue et faire un hors-série sont deux exercices différents, tient à préciser Didier Platteau. « _Dans le cadre d’un hors-série, on travaille à chaque fois pour un public


particulier. Ici, nous sommes dans un effort de fidélisation, sur la durée ». _Cette idée en tête, un sommaire est développé. Il s’articule autour d’un dossier dont les lecteurs doivent se


dire : « _Tintin en a fait partie, il était là, Hergé y a pensé, voilà les preuves dans les albums_ ». Ce dossier thématique représente un tiers de la pagination. Le premier numéro, paru en


juin 2019, a pour thème la conquête spatiale, sujet sur lequel Hergé a été un véritable visionnaire. Planches originales des albums et photos à forte puissance évocatrice, croquis


préparatoires de dessinateurs, interviews d’explorateurs et carnets de voyage garnissent les pages des dossiers. Les thèmes sont autant d’occasions d’illustrer les multiples paysages,


monuments et palaces placés sur le chemin des aventures de Tintin, comme la cité antique de Pétra en Jordanie, ou les fictives pyramides « paztèques », inspirées de celles existant bien au


Mexique. Plusieurs pages, des « parallèles », mettent en résonnance les cases de BD et des photos de paysages, sauvages ou non, dont _Géo _a le secret. La revue publie aussi de la bande


dessinée créée pour l’occasion. Ce dernier point était une « _condition non négociable_ » du côté de tintinImaginatio, alors encore Moulinsart. « _S’il n’y en avait pas, le projet __ne se


faisait pas_ », note Didier Platteau. Six à huit mois avant publication, Laura Stioui, Caroline Rondeau (responsable éditoriale de la revue _Tintin c'est l'aventure_ et beaux


livres, Editions Prisma), Frédéric Granier, Daniel Couvreur (du quotidien belge _Le Soir_,_ _grand connaisseur de l’œuvre d’Hergé) et Didier Platteau se retrouvent lors d’un comité de


rédaction. Ils discutent du sujet du numéro à venir, des rubriques, des personnalités à interviewer. Le numéro treize est sorti le 31 août, le suivant est déjà bien avancé. Entre mai et


juillet, une grosse partie du travail pour le numéro de Noël a été abattu. Sujet du dossier : le train. Une fois le numéro terminé_, _tout est envoyé du côté de tintinImaginatio : la société


a le dernier mot avant publication. Ce rythme à mi-chemin entre celui de l’édition et celui du journalisme, Frédéric Granier s’y est habitué. « _Tout se fait plus en amont, quitte à parfois


mener plusieurs sujets de front en même temps_ ». La revue est distribuée en kiosques et librairies. Son prix aujourd’hui : 16,99 €... Mais quel est son public ? « _Elle est à destination


des fans du personnage et des passionnés de voyage, de belles photos, et des lecteurs du magazine _Géo » explique Laura Stioui. Soit des lectrices et lecteurs de 50 ans et plus, avec un


pouvoir d’achat certain et amateurs de beaux objets. Pas imaginé, donc, pour un public d’enfants ou d’adolescents, futurs fans potentiels du reporter à la houppe. Le renouvellement du


lectorat se fera ailleurs. « _La BD franco-belge est dans un contexte compliqué, la difficulté est connue_, admet Didier Platteau. _Mais ce magazine n’est pas formulé pour ça, il est destiné


à un public déjà amateur_. » Sans nous fournir de chiffres, Prisma et Moulinsart assurent que la revue, lancée peu de temps avant la pandémie de Covid-19, marche bien. On soutient même


qu’il s’agirait du meilleur lancement chez Prisma depuis quelques temps. « _On a traversé le Covid avec un peu de difficultés_, explique Didier Platteau, _mais sans trop de dégâts._ _Dès la


première année nous avons eu un petit bénéfice_. » Les lecteurs semblent là, chaque numéro est diffusé à 21 255 exemplaires. Dans un contexte difficile pour la presse, accru par la montée en


flèche du prix du papier, quel futur peut espérer une telle entreprise ? « _Chaque magazine a un cycle de vie_, souligne Didier Platteau en vieux baroudeur de l’édition,_ là on a dépassé la


vie courte._ » Laura Stioui estime que, « _comme dans tous les médias il faut créer, innover, peut-être passer par une nouvelle formule, mais préparer les numéros quatorze et quinze d’un


trimestriel, c’est déjà un beau succès. _»