Stuart ewen : « la propagande a été développée en raison de la démocratie »

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ENTRETIEN AVEC STUART EWEN À l’heure des réseaux sociaux et de la présidence Trump, Pierre Haski s’entretient avec l’historien des médias Stuart Ewen, à propos de la propagande et de la


fabrique de l’opinion publique en démocratie. propos recueillis par La Rédaction Publié le 09 novembre 2018 _STUART EWEN __(né en 1945) est un historien américain spécialiste des médias et


de la publicité. Il est l’une des figures des « media studies », discipline qu’il a contribué à fonder aux États-Unis. Professeur émérite au Hunter College et au City Graduate Center de la


City University of New York, il est l'auteur de nombreux ouvrages. En 1989, son livre _All Consuming Images_ a servi de base à la série en quatre volets de Bill Moyers, _The Public


Mind_. Le documentaire réalisé par Jimmy Leipold, _Propaganda, la fabrique du consentement_, produit par l’Ina en coproduction avec Arte France (et au sein duquel il témoigne), est également


inspiré de _PR! - A Social History of Spin, son ouvrage sur l’histoire des relations publiques_._ _[Débat enregistré dans la cadre de la soirée « Propagande & Démocratie » du 20/09 au


Cinéma Étoile le Saint-Germain-des-Prés, à Paris._ _Le texte ci-dessous est la transcription de l’échange entre Stuart Ewen et Pierre Haski, traduit par Michel Zlotowski et édité par la


rédaction. Retrouvez la vidéo de cette discussion en bas de l'article.]_ _PIERRE HASKI : LAURENT VALLET [PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INA__,_ _NDLR__] PLAISANTAIT SUR CE TITRE 


« _PROPAGANDE & DÉMOCRATIE_ » ET LE FAIT QUE CES DEUX MOTS, BIEN QU'ILS SEMBLENT ANTAGONISTES, NE SONT PAS SI ÉLOIGNÉS L'UN DE L'AUTRE. TOUT VOTRE TRAVAIL, ET CE QUE NOUS


AVONS VU DANS LE DOCUMENTAIRE, LE MONTRE. SOMMES-NOUS DANS UN MONDE DIFFÉRENT AUJOURD'HUI, OU PENSONS-NOUS ÊTRE DANS UN MONDE DIFFÉRENT DE CELUI D'EDWARD BERNAYS ? QUE SERAIT SA


RÉACTION, S'IL REVENAIT AUJOURD'HUI ? IL AVAIT 102 ANS À SA MORT. IL N'ÉTAIT PAS VÉRITABLEMENT IMPLIQUÉ DANS LE MONDE NUMÉRIQUE, MAIS QUELLE SERAIT SA RÉACTION S'IL


REVENAIT, AVEC TOUTES CES HISTOIRES D'ALGORITHMES, CETTE TECHNOLOGIE QUI A ENVAHI CHAQUE DOMAINE DE NOTRE VIE ? _ STUART EWEN : Je pense que nous sommes persuadés que tout est nouveau.


Nous aimons bien penser que nous agissons dans la vie. Cela fait aussi partie de la façon dont les médias d'information fonctionnent, avec un cycle de 24 heures dans les informations.


Ils se reposent sur le fait que chaque journée apporte du nouveau : c'est pour ça qu'on dit que ce sont des nouvelles. Le résultat, c'est que cela promeut une certaine


fascination pour les nouveautés du présent et ça oblitère aussi. Chaque journée consume les informations de la veille et génère une amnésie historique, qui nous empêche de voir Edward


Bernays chevaucher parmi nous. Bernays serait très heureux des technologies qui sont utilisées aujourd'hui avec le _Big Data_. On sait que ça diagnostique les sentiments profonds des


gens par leur comportement en ligne ; lui se dirait : « C'est exactement ce que je cherchais. Dans les années 1920, je voulais comprendre tout d'abord quelles sont les motivations


qui meuvent le public ou les masses. » J'étais aussi intéressé par la compréhension de Gabriel Tarde, sociologue français, qui parlait d'opinion et de conversation. Et une des


choses qu'il a dites, en 1898 : les gens sont autour d'une table, ont une conversation, mais ils croient qu'ils ne sont que deux ou trois à avoir une conversation. Mais en


fait, le jeu du journalisme et le jeu des médias arrivent à un point où leurs conversations ne sont plus leurs conversations. En fait, leurs idées suivent le sillon des idées qu'ils


empruntent. Et donc dès cette époque-là, Bernays cherchait quels étaient les rails, pour ainsi dire, ou les réseaux, empruntés par la perception, dans la société. L'utilisation du _Big


Data_, qui est devenu un mot-clé du présent, une phrase-clé du présent, c'est tout simplement quelque chose qui affine ce que Bernays cherchait, en termes plus primitifs, quand il a


commencé son travail, au cours de la Première Guerre mondiale. _PIERRE HASKI : VOUS CROYEZ DONC QUE LES FONDAMENTAUX DE SA RÉFLEXION, DE SA THÉORIE, SONT TOUJOURS PRÉSENTS ET QUE TOUT CE QUE


NOUS AVONS CHANGÉ, C'EST L'ÉCHELLE, LES OUTILS, LES CAPACITÉS D'ATTEINDRE L'ESPRIT DES GENS ET LEUR COMPORTEMENT ? MAIS FONDAMENTALEMENT, RIEN N'A CHANGÉ._ > Ce 


dont on parle, c'est de la fabrique de l'obéissance STUART EWEN : Si vous regardez quelles sont les motivations, quelles sont les stratégies, elles n'ont pas changé, sauf que


les outils ont changé. Jimmy Leipold parlait précédemment du livre d’Edward Bernays, _Propaganda_, qui a été publié en France il n'y a que 10 ans. Il venait d'être republié aux


États-Unis. Bernays, c'était un nom. Il y a une anecdote, que j'ai apprise quand j'étais étudiant : Beethoven et Hegel étaient sur le bord de la route et Napoléon est passé à


cheval. Hegel se tourne vers Beethoven et lui dit : « Nous sommes témoins de l'esprit du monde qui passe à cheval ». Et Beethoven n'a jamais reparlé à Hegel. Bernays représente


l'esprit du monde, des marionnettistes cachés, non pas le sentiment public, mais la fabrique du consentement, ou plutôt d’ailleurs la fabrique de l'obéissance. C'est une


partie constante de notre monde et très certainement aux États-Unis aussi. On en peut pas comprendre le Trumpisme si on ne le considère pas comme le produit de la fabrique de


l'obéissance. _PIERRE HASKI : LORSQUE L'INTERNET ET LES COMPAGNIES DE TECHNOLOGIES ONT DÉBUTÉ, ON LES A CONSIDÉRÉS COMME DES OUTILS DE LIBÉRATION, DE LIBERTÉ, CHANGEANT CE


PARADIGME QUE VOUS AVEZ DÉCRIT, ET PARTICULIÈREMENT QUAND ON PARLE DU SLOGAN DE GOOGLE, « NE FAITES PAS DE MAL ». COMMENT SE FAIT-IL QU'ON NE L'AIT PAS VU AU DÉBUT ?_ STUART EWEN :


Question compliquée, parce que l'Internet a été développé par l'armée américaine, pas simplement par une petite bande à la recherche de la liberté. Un livre publié récemment aux


États-Unis, dont le titre échappe à ma vieille tête, traite justement de cette étrange relation entre le militaire et l'utilisation de l'Internet. Mais ce que beaucoup de gens ont


vu, c'était que l'Internet créait l'espace public, l'agora, où tout le monde pouvait prendre part aux débats. C'était fondamental pour l'idée de la démocratie,


telle qu'elle a été développée au XVIIIe siècle ici, aux États-Unis et ailleurs, mais en France et aux États-Unis principalement. La différence, bien sûr, c'est que l'Internet


est un espace public, où les individus sont isolés. Et les relations entre cet espace public et les possibilités de conscience publique, en tant que public, de discussions publiques et


d'activisme public, c'est très compliqué, parce qu'il y a des gens qui sont devant leurs petits écrans, en témoins de l'histoire de façon extrêmement isolée. En même


temps que cela offrait la possibilité d'une sorte d'interaction, qui était auparavant inimaginable, cela créait aussi un public beaucoup plus insulaire, individualisé, isolé, qui


crée un terrible problème pour notre avenir. _PIERRE HASKI : QUI SERAIT L'EDWARD BERNAYS D'AUJOURD'HUI ? CE SERAIT UN INGÉNIEUR EN INFORMATIQUE, QUI CONÇOIT DES ALGORITHMES ?_


STUART EWEN : Une des raisons pour lesquelles Edward Bernays est intéressant, et a été traduit en français il et republié en anglais aux États-Unis il y a une dizaine d'années, avec


son livre précédent, qui s'appelait _Crystallizing Public Opinion_[Actuellement non disponible en français, NDLR], publié en 1923, c'est parce qu'il parle à la génération


d'aujourd'hui. Je connais beaucoup de jeunes qui sont impliqués dans des formes contemporaines de la persuasion et de l'influence, qui retournent vers Bernays. Une des raisons


pour laquelle le film de Jimmy Leipold a une résonance aujourd'hui, c'est qu’en beaucoup de manières, Bernays, comme je l'ai dit précédemment, est l'esprit du monde de


notre temps. Il n'était pas seul, il y avait beaucoup de gens comme Edward Bernays. Une des raisons pour lesquelles on connaît Bernays aujourd'hui, c'est parce qu'il a


écrit sur lui-même, parlé de lui, pas comme beaucoup de gens des RP, qui veulent rester dans la coulisse, mais il s'est auto-promu. À part les livres qu'il a écrits dans les années


1920, il a écrit son autobiographie, _Biography of an Idea: Memoirs of Public Relations Counsel_ [Actuellement non disponible en français, NDLR],et s’est approprié l'idée de la


propagande. Mais Bernays faisait partie d'une génération de gens qui avaient travaillé pour la machine de propagande militaire, qui s'appelait « Le Comité pour l'information


publique », au cours de la Première Guerre mondiale. Et ce qui s'était passé à l'époque, c'est que ces gens, qui étaient des gens des médias, des spécialistes de la


persuasion, des publicistes, des réalisateurs de films, des orateurs, ont été recrutés dans la commission d'information publique, aussi appelée « Commission Creel  », du nom de son


dirigeant, George Creel. La Commission Creel a été démantelée sept jours après l'Armistice. Il y avait tout un groupe de gens qui venaient du journalisme, de la radio, à l'échelle


locale, qui avaient compris l'intérêt de porter leur travail à une échelle nationale et internationale. Donc il y eut l'émergence, dans les années 1920, de ce qu'un


universitaire a appelé « les professions de la conformité ». Bernays était un représentant de son temps, il n'était pas un individu isolé. La raison pour laquelle il est devenu


quelqu'un de tellement prééminent, c'est qu’il ne s'est pas contenté de parler de ce qu'il savait. Et Bernays parle aux gens d'aujourd'hui. Et les jeunes dont


je parlais sont dans le marketing, dans la réalité virtuelle, dans la gestion de données, ce sont des gens qui regardent et qui apprennent de Bernays, c'est son lectorat, c'est


pour ça que c'est republié. _PIERRE HASKI : VOUS AVEZ MENTIONNÉ DONALD TRUMP ET SA VICTOIRE A OUVERT LA VOIE À BEAUCOUP DE QUESTIONS, BEAUCOUP DE DÉBATS. ILS SONT AU CŒUR DES


DISCUSSIONS D'AUJOURD'HUI, SUR LES _FAKE NEWS_, SUR LA MANIPULATION, SUR LA POST-VÉRITÉ. CES CONCEPTS EXISTAIENT MAIS ILS SE SONT ANCRÉS DANS LE DÉBAT PUBLIC APRÈS LA VICTOIRE DE


DONALD TRUMP. QUE SE PASSE-T-IL ? QU'EST-CE QUE TRUMP A DÉCLENCHÉ ? ON PARLE D'EDWARD BERNAYS, DE LA MANIPULATION, DU FAÇONNAGE DE L'OPINION PUBLIQUE. QU'EST-CE QUE


DONALD TRUMP NOUS DIT À CE SUJET ?_ STUART EWEN : Eh bien, une des choses centrales au sujet de Trump, c'est qu'il a mis le monde sens dessus dessous. La vérité a toujours été une


conséquence des idées, le journalisme n'est pas simplement une collection scientifique de données, qui sont ensuite présentées au grand public, de façon totalement objective. Le


journalisme a toujours eu des motifs et des visions sous-jacents. Il y a cent ans, William James, le philosophe américain, a écrit un livre qui s'appelle _Le Pragmatisme : un nouveau


nom pour d’anciennes manières de penser_. Je l'ai cité dans _PR! - A Social History of Spin_, il y a 22 ans et regardez, je suis là aujourd'hui. Une des choses qu'il a écrite


dans son livre sur le pragmatisme, dans un de ses chapitres intitulé « la notion pragmatiste de la vérité, défendue contre ceux qui ne la comprennent pas », est que la vérité n'est pas


quelque chose d'inhérent à soi-même, la vérité est le produit d'une idée, ça devient la vérité par un processus de présentation et de vérification. C'est vraiment une vision


très intéressante. Parce que d'un côté, c'était l'idée extrêmement démocratique qu'il ne faut pas accepter des vérités qui nous sont données par des rois et des papes.


Mais si la vérité peut être produite par une idée, si vous le dites suffisamment, si vous le répétez suffisamment, ça devient la vérité. Et pendant longtemps aux États-Unis, des institutions


comme le _New York Times_, la télévision, la chaîne CBS, le _Washington Post_, etc., avaient l'imprimatur de la vérité. > Donald Trump a transformé les arbitres traditionnels de la 


vérité > en fournisseurs de mensonges Je lisais l'édition internationale du _New York Times_, très différente de ce qu'on a chez nous d'ailleurs. C'est beaucoup plus


critique que ce que nous avons au pays. Mais ce qui manque, c'est qu'en haut du titre, à droite c'est la météo, et à gauche il y a ce slogan, « Toutes les informations qui


méritent d'être imprimées ». Ce que cela signifie, c'est que pendant très longtemps il y avait ces autorités qui semblaient être les présentateurs, non pas de la vérité révélée,


mais de recherches qui devenaient vérités. Il y avait une certaine arrogance à cela. C'est très différent de la France, nous n'avons jamais eu de journaux comme_ Libération_ aux


États-Unis. On n'a jamais eu un journalisme qui était vraiment diversifié. On n'a pas de partis très diversifiés, on a les deux faces de la même pièce dans notre système politique.


Trump a transformé les arbitres traditionnels de la vérité en fournisseurs de mensonges, ce qui était vrai dans une certaine mesure. Le _New York Times_ a vendu la guerre en Irak au peuple


Américain, en faisant passer du journalisme préemballé par l'armée américaine et ce n'est que deux ou trois ans plus tard... _PIERRE HASKI : OUI, PLUS TARD LES JOURNAUX ONT


COMMENCÉ À SE CRITIQUER EUX-MÊMES._ STUART EWEN : Exactement. Ces journaux se critiquaient, ont commencé à se critiquer pour avoir vendu l'idée d'armes de destruction massive.


C'était comme un théâtre de marionnettes. Ce que Donald Trump a compris, c'est que si on a un système dans lequel il y aura toujours des marionnettistes impliquées dans la


présentation des informations – et certains secteurs du public américain se sentaient éliminés ou amputés de la vision de la vérité qui était présentée par ces médias – il est très facile


pour beaucoup de gens de voir les médias traditionnels principaux, les médias commerciaux, comme travaillant tous pour le système du business qui s'était effondré internationalement en


2008, de les voir comme une machine de propagande. Et donc lui a pris le terme propagande, ou _fake news_, qui est une autre façon de dire la chose, et l'a projeté sur les grands


médias. _PIERRE HASKI : CELA SIGNIFIE-T-IL QUE, DANS CE NARRATIF, TRUMP SERAIT COMME UN MOUVEMENT DE RÉSISTANCE À EDWARD BERNAYS ? ET À LA FABRICATION DU CONSENTEMENT ?_ Je ne pense pas. Ce


qu'il a fait, c'est qu'il comprend Bernays mieux que le _New York Times_. > Donald Trump comprend Bernays mieux que le New York Times _PIERRE HASKI : IL LES A PRIS À LEUR


PROPRE JEU._ STUART EWEN : Vous avez parlé au début de la terminologie de la propagande de la démocratie. Il y a beaucoup de ces contradictions apparentes, dans notre monde. Il y a un


écrivain aux États-Unis, qui a vécu à Paris pendant un certain temps, Ta-Nehisi Coates, qui a produit un excellent travail de journalisme, intitulé _Le procès de l’Amérique. Plaidoyer pour


une réparation_, sur les politiques qui sous-tendent le système du racisme aux États-Unis. Particulièrement en ce qui concerne les Noirs. Et une des choses qu'il dit, c'est que la


démocratie et la suprématie blanche étaient partenaires. Et c'est probablement aussi vrai en France, comme aux États-Unis. _PIERRE HASKI : ON N'EST PAS TELLEMENT DIFFÉRENTS._


STUART EWEN : Non, mais le colonialisme et l'impérialisme américain sont des moments différents de l'Histoire. La propagande a été développée en raison de la démocratie. Edward


Bernays s'était rendu compte que ces vieux systèmes de règles ne fonctionnaient plus : l'aristocratie, la hiérarchie ecclésiastique, ce n'était plus pertinent. Non, ce qui


était nécessaire, puisque les gens avaient l'idée arrogante que leur pensée était importante, c'était la création d'ingénieurs invisibles, d'outils scientifiques pour


gérer la démocratie, pour que les gens puissent continuer à croire que leur propre voix était entendue. Et dans le même temps, que le pouvoir exécutif pourrait faire ce qu'il voulait.


Ce que Donald Trump a fait, c'est qu'il a lié sa politique à certains sentiments qui sont courants aux États-Unis. Regardez ce que j'ai dit au sujet de Ta-Nehisi Coates. Cette


idée de suprématie blanche est quelque chose qui va donner, même aux Blancs les plus pauvres, un sentiment de supériorité, un sentiment d'importance, de sorte que les autres – les gens


de couleur – n'étaient pas importants. Ça donnait aux Blancs un sens d'importance. Et une partie de ce qui s'est produit, dans cette période qui suit la Deuxième Guerre


mondiale, et plus particulièrement dans les années 1960-1970, c'est que ces points de vue autrefois submergés, vont soudain avoir à nouveau une voix. Des livres ont été publiés par des


gens qui étaient censés être analphabètes. Et Trump a senti le ressentiment qu'avaient ces gens, et lui-même est issu de ce ressentiment. Le père de Donald Trump, c'est de lui


qu'il tient son argent, était dans l'immobilier. Il avait interdit aux Noirs d'habiter dans les maisons qu'il construisait. Et son père marchait main dans la main avec le


Ku Klux Klan dans les années 1920. La famille de Trump est liée à la suprématie blanche, et le fait d'appeler les Mexicains des violeurs et des criminels, ce n'est pas différent


de ce que le KKK disait de l'émancipation des Noirs à la fin du XIXe siècle. Donald Trump, à la différence de tous les autres hommes politiques que j'ai vus, quand il prononce ses


discours, à chaque fois, il recrute des gens qui se tiennent derrière lui. Et il tient des meetings tout le temps – je n'ai jamais vu un président des États-Unis qui tenait des meetings


tous les deux jours – et pour ces meetings, il va dans des endroits qui sont en faveur de ses idées sur : rendre du pouvoir à ceux qui n'ont pas de pouvoir, défendre la suprématie


blanche contre la mainmise des Autres qui transforment les États-Unis en un endroit qu'on ne reconnaît plus. > Trump joue sur l'anti-intellectualisme, qui est un des éléments


> vitaux de la société américaine Donc quand vous le voyez dans un meeting, ce n'est pas simplement Trump sur un podium, mais il y a des centaines de personnes derrière lui qui ont


été formées par quelqu'un, pour acclamer follement chaque chose qu'il va dire, et qui sont aussi, comment dirais-je, une mosaïque de petites représentations de la diversité, donc


vous allez voir un visage noir. Et ce visage de Noir surmonte un corps, enveloppé dans un tee-shirt blanc où il est écrit, « les Noirs pour Trump ». Il y a deux femmes, en dépit de la


misogynie qui prévaut dans son mouvement, qui sont les « femmes en faveur de Trump », mais pour la plupart c'est une bande de camionneurs qui portent des casquettes rouges avec le


slogan, « Rendre sa grandeur à l’Amérique » (« _Make America Great Again_ »), ce qui pour beaucoup de gens signifie « que l'Amérique soit blanche à nouveau ». De beaucoup de façons,


c'est l'utilisation de ce symbolisme, d'être un homme du peuple, et d'avoir le peuple derrière soi sur scène. Ça, c'est remarquable. Que ça soit fait par intuition,


je crois que c'est le cas. Ce n'est pas un intellectuel, Donald Trump. Véritablement, il joue sur l'anti-intellectualisme, qui est un des éléments vitaux de la société


américaine. _PIERRE HASKI : DONC IL FAIT DU BERNAYS SANS AVOIR LU BERNAYS ? _ STUART EWEN : Il connaît quelqu'un qui a lu Bernays, probablement. Mais pour la plus grande part, son


style, vient de la culture populaire américaine. Dans la culture populaire américaine, il y a deux genres de films qui étaient dominants. Le premier, c'est le western. John Wayne ou


d'autres. Et le western met l'accent sur l'individu qui n'obéit à personne d'autre qu'à lui-même. Et d'une certaine manière, c'est une représentation


du comportement libertaire, celui qui est prêt à tuer n'importe qui se mettra en travers de sa route. Et ça fait partie du charme horrible de la tradition western. Et l'autre


tradition, ce sont les films de gangsters. Et Trump, il sort directement d'un film de gangsters. Il faut vous rendre compte qu'il vient de l'industrie du bâtiment. Toute


personne qui a passé suffisamment de temps à New York, à regarder comment l'industrie du bâtiment fonctionne, sait que l'industrie du bâtiment, historiquement, avec d'autres


industries comme l'assainissement, ont été dirigées par la mafia ou d'autres organisations criminelles. Et si vous voulez faire des affaires à New York, il faut savoir à qui verser


un dessous de table. Il faut savoir à qui faire confiance et à qui ne pas faire confiance. Il y a un lien secret qui se développe entre ceux-là, entre vous et les gens que vous payez. Et ce


lien secret est basé sur l'idée que vous les payez, mais si jamais ils retournent leur veste, vous, vous allez les éliminer. Les gens de l'entourage de Donald Trump,


lorsqu'ils sont sous enquête et retournent leur veste, Trump utilise le langage des gangs pour en parler. « Celui- là, c'est un mec bien » « Lui, c'est une balance. » Mais


c'est le langage du gangster, et de toute personne qui travaille dans certains domaines à New York, et c'est vrai depuis très longtemps. J'ai grandi avec ces gens-là. Les


pères de beaucoup de mes amis étaient gangsters. J'ai grandi dans le Queens pendant longtemps. C'est de là que vient Trump. C'est un monde infiltré par le gangstérisme. Je le


comprends instantanément, parce que je travaille dans une université qui fait partie de cette ville de New York, du système politique de la ville de New York. Et j'ai vu des paquets


d'argent au sein de l'université, où les doyens donnaient de l'argent à des professeurs obéissants, pour rien. « Ah tu es mon copain, on prend un pot après le travail. Tiens,


voilà 100 000 dollars, prends du bon temps ». Donc ça fait partie de la culture, ça parle aux gens. Vous savez, les criminels dans les films de gangsters sont toujours les héros. Les tueurs


sont toujours romantiques. Et le fait qu'il mette sa casquette de baseball rouge, qui est devenue un symbole de la culture des camionneurs,– ce sont des Teamsters, qui ont une longue


histoire d'association criminelle – c'est qu'il est entouré de gens qui viennent du marais. _PIERRE HASKI : UN DES ASPECTS LES PLUS FRAPPANTS DE LA SCÈNE AMÉRICAINE, VUE


D'ICI EN TOUT CAS, C'EST LA POLARISATION. LE FAIT QUE LES AMÉRICAINS NE LISENT PAS LES MÊMES INFORMATIONS, NE CROIENT PAS AUX MÊMES INFORMATIONS, EN LA MÊME VÉRITÉ. ON EST SOIT FOX


NEWS, SOIT _NEW YORK TIMES_, LA BASE POUR LA SOCIÉTÉ, POUR LA COMMUNAUTÉ, N'EXISTE PLUS. EST-CE QUE C'EST QUELQUE CHOSE QUE TRUMP UTILISE ?_ STUART EWEN : Tout d'abord,


c'est quelque chose qui s’est produit lorsqu'on a remplacé les cheminées par la télévision. _PIERRE HASKI : VOUS ÊTES UN GRAND PESSIMISTE._ STUART EWEN : Je ne suis pas un


pessimiste, je suis un optimiste. Parce que je pense que le changement, c'est difficile. On en a déjà parlé. Nous vivons dans un monde aux États-Unis, où les gens veulent la récompense


tout de suite. Ils veulent un changement immédiat. En tant qu'historien, ce que l'on sait, c'est que le changement, ça prend du temps. Et je crois qu’avec cette division de la


société et l'utilisation du _big data_ pour la systématiser, cela a été bien vu. Mais il y a une insatisfaction grandissante. Quand Donald Trump va dans le Michigan, ou n'importe


quel endroit, et qu'il y a cette foule qui applaudit derrière lui, ils ont été formés pour ça. Quand les reporters viennent voir les gens, et posent la question : « Est-ce qu'il


dit quelque chose qui peut vous énerver ou vous mettre en colère ? » Ils disent : « Non, non, je crois à tout ce qu'il dit ». Ce sont des gens qui ne sont même pas dans la démocratie,


ce sont des gens qui sont tombés amoureux de Trump. Ils ont projeté sur lui les choses qu'ils ont senties et qu'ils n'arrivaient pas à dire, ils projettent sur lui ce qui leur


manque dans leur propre vie. Mais simultanément, la population des États-Unis est en train de changer. Il y a un grand mouvement d'organisation, les gens se rencontrent, localement,


d’une façon qui de mon point de vue, est très prometteuse. Le fait qu'un socialiste ou qu'il y ait quelques socialistes qui soient arrivés à des positions de pouvoir aux


États-Unis, c'est quelque chose qui ne s'était pas produit depuis cent ans. _PIERRE HASKI : VOUS FAITES RÉFÉRENCE À QUOI ? AUX PRIMAIRES DÉMOCRATES POUR LES ÉLECTIONS DE MI-MANDAT 


?_ STUART EWEN : Oui, il y a aussi une chose intéressante au sujet de Trump : il est haï dans sa propre ville. Nous, on a reçu une grande dose de Trump, à l'époque où il était un


_play-boy_ sur la couverture du magazine _The National Enquirer_. Et les gens avaient une très mauvaise opinion de lui, il fait partie de la mythologie américaine, du petit malin citadin qui


va essayer d'embobiner les gens des petites villes, mais cette fois-ci, les gens aiment ça. Et d'autres choses se produisent. Il y a eu une recherche récente menée sur la


population des États-Unis. En 2018, le pourcentage de la population qui est née à l'étranger est plus important que ça ne l'a jamais été depuis 1910, c'est-à-dire au milieu de


cette grande période de migration de gens qui venaient du Mezzogiorno en Italie, qui venaient d'Europe de l'Est. Et ces gens ont été aussi maltraités à l'époque. Et Trump


répète un petit peu ces antiennes… ces forces anti immigration de l'époque, les gens qui promouvaient l'eugénisme pour tenter de diminuer la fertilité des êtres inférieurs, et


aussi des tentatives, réussies d'ailleurs, contre les Noirs, pour les décourager ou les empêcher, de façon violente parfois, de voter. Et Donald Trump nous fait retourner violemment


vers cette démagogie qui a inspiré Edward Bernays ou Gustave Le Bon. Ce n'est pas un technocrate. _PIERRE HASKI : POUR POURSUIVRE SUR CE QUE VOUS AVEZ DIT DANS LES DERNIÈRES PAGES DE


VOTRE LIVRE _PR! - A SOCIAL HISTORY OF SPIN_, VOUS ÊTES UN OPTIMISTE, C'EST VRAI, SUR L'INFLUENCE DE L'ÉDUCATION, SUR L'ALPHABÉTISATION PAR LES MÉDIAS. PAR COMPARAISON


AVEC LE DÉBUT DU VINGTIÈME SIÈCLE, IL Y A, À L'ÉVIDENCE, UN ACCÈS BEAUCOUP PLUS IMPORTANT À L'INFORMATION, AU SAVOIR, CES CHOSES-LÀ SE SONT DÉMOCRATISÉES, SE SONT OUVERTES. ET PUIS


AU COURS DES 20 DERNIÈRES ANNÉES, ON A LE SENTIMENT D’AVOIR FAIT UN RETOUR EN ARRIÈRE._ > L'histoire ne va pas toujours de l'avant STUART EWEN : Vous savez, l'histoire ne


va pas toujours de l'avant. Ça fait partie de ces idées des Lumières, le progrès, mais je dirais deux choses de ce point de vue-là. Si vous concluez un livre sur le pouvoir de la


persuasion, sur les marionnettistes qui sont derrière l'instrumentalisation de la persuasion, il faut encourager le lecteur à croire qu'il y a une possibilité d'avoir quelque


chose de mieux, parce que les études des médias, si c'est simplement sur toutes les manières dont les médias sont en train de vous « niquer la tête », pardonnez-moi pour mon langage –


en anglais on dirait « pardonnez mon français » –, alors ce que vous faites, c'est que vous encouragez les gens à avoir ce sentiment d'impuissance. Et autre chose au sujet de ce


sentiment d'impuissance, c'est que ça rend les gens [vraiment] impuissants. C'est important que les gens puissent imaginer leur puissance potentielle, pas en tant


qu'individus, mais en tant que peuple, que Terriens. _PIERRE HASKI : MAIS L'INITIATION AUX MÉDIAS EST UN SUJET INTÉRESSANT, PARCE QUE L'ON PARLE BEAUCOUP DE CELA. EN FRANCE,


LE GOUVERNEMENT A ANNONCÉ QU'IL ALLAIT DOUBLER LES BUDGETS POUR L'ÉDUCATION AUX MÉDIAS À L'ÉCOLE. C'EST VU COMME UNE FAÇON DE S'OPPOSER AUX _FAKE NEWS_, AUX THÉORIES


DE CONSPIRATION, CRÉER DE MEILLEURS CITOYENS POUR L'AVENIR. IL N'Y A PAS DE VÉRITABLE PREUVE QUE ÇA FONCTIONNE QUAND VOUS REGARDEZ LES ÉTATS-UNIS._ STUART EWEN : Tout


d'abord, il faut regarder la question de la connaissance et de l'alphabétisation, ce que ça veut dire. Est-ce que cela signifie que, comme disaient certaines personnes au début du


vingtième siècle dans le monde du business : « Il faut apprendre aux gens à lire et à écrire pour qu'ils puissent mieux obéir aux ordres » ? L'alphabétisation a une histoire. La


plupart des gens au cours de l'Histoire n'étaient pas alphabétisés. Quand on instruisait les enfants, au XIXe siècle, qu’on les alphabétisait, ce n'était pas pour qu'ils


comprennent tous les mensonges qu'on leur racontait dans leurs livres. C'est quelque chose qu'il faut être capable de voir. Il faut comprendre les manières dont la rhétorique


d'un côté, si utilisée correctement, peut éclairer les gens, et d'un autre côté, dont ça peut aussi masquer la réalité et faire que les gens travaillent contre leur propre intérêt.


> Nous sommes à une époque sombre du développement de la > psychologie des masses Mais l'idée d'alphabétisation et les mouvements pour l'alphabétisation, et pourquoi ça


a été une partie tellement fondamentale des mouvements sociaux populaires, c'était d'élargir l'univers du débat. L'idée n'était pas simplement d'apprendre à


lire, mais d'apprendre à écrire pour élargir le spectre d'idées des gens qui, historiquement, avaient été rendus muets par ce que l'on appelle le cours de l'histoire. Je


crois vraiment que nous sommes à une époque sombre du développement de la psychologie des masses, utilisée pour mobiliser des gens de façons qui sont extrêmement dangereuses. Et dans le même


temps, c'est une époque où il y a une explosion d'écrits qui donnent la voix à des idées inouïes. Je parlais de Ta-Nehisi Coates, dans son essai sur le dossier de la réparation,


qui porte sur cette institution du racisme, les assassinats des Noirs par la police – ça fait partie des informations quotidiennes – il dit : « Attendez, ce n'est pas simplement quelque


chose qui se produit maintenant, c'est quelque chose qui se produit parce qu'il y a une histoire de différentes politiques qui ont assuré la ghettoïsation des Noirs ». Et


d'une certaine manière, c'est rendre le présent lisible pour fournir aux gens une mémoire historique ; c'est une des tâches de l'alphabétisation et ça se produit.


Regardez le film de Jimmy Leipold [_Propaganda, la fabrique du consentement__, _NDLR], ça fait partie de l'univers de la conversation et de la discussion. _PIERRE HASKI : VOUS AVEZ ÉTÉ


TRÈS CRITIQUE DES MÉDIAS AUX ÉTATS-UNIS, MAIS CE QUE VOUS DITES POURRAIT S'APPLIQUER À LA FRANCE ET À L'EUROPE DE LA MÊME MANIÈRE SI VOUS VIVIEZ ICI. ET CERTAINES DE CES CRITIQUES


SONT LÉGITIMES ET TRÈS CERTAINEMENT PARTAGÉES PAR BEAUCOUP DE PERSONNES. MAIS DANS LE MÊME TEMPS, L'ALTERNATIVE N'EST PAS APPARUE. LORSQUE NOUS AVONS LANCÉ RUE89, ON AVAIT CETTE


IDÉE QUE LES GENS POURRAIENT PRENDRE EN MAIN LES RÉSEAUX SOCIAUX ET PRODUIRE NON PAS DES INFORMATIONS ALTERNATIVES, MAIS UNE MEILLEURE FAÇON DE FAIRE DE L'INFORMATION – MAIS ÇA NE


S'EST PAS PRODUIT._ STUART EWEN : Non, ça ne s'est pas produit. _PIERRE HASKI : ET AUJOURD'HUI NOUS FAISONS FACE À DES MÉDIAS DÉCRÉDIBILISÉS ET DES RÉSEAUX SOCIAUX QUI SONT


DEVENUS EN FAIT DES CHAMPS DE BATAILLE POUR DES IDÉOLOGIES RIVALES, OU DES GROUPES DE HAINE. DONC ON RESTE AVEC UN SYSTÈME D'INFORMATION QUI EST MOINS CRÉDIBLE._ STUART EWEN : Le


système de l'information a, de tous côtés, contribué à cela, parce que chaque jour il faut sortir un nouveau journal qui contient des choses qui sont nouvelles et Trump est très bon


pour ça. Je suis désolé de revenir en arrière pour parler du présent, mais je pense que la mémoire est importante et la perte de mémoire est une des choses les plus dangereuses dans notre


monde. Quand Ray Bradbury a écrit son livre _Fahrenheit 451_, une des choses que ça a créée, ce monde dystopique, c'est que personne ne pouvait plus se souvenir de quoi que ce soit. Et


l'oblitération de la mémoire est très grave. Quand Gustave Le Bon regardait les dirigeants de la fin du XIXe siècle et de la Commune de Paris, il a dit que les dirigeants parlaient en


images et chaque image suit l'image d'avant, comme dans une lanterne magique. Elles n'ont pas de lien, il n'y a pas de connexion logique des unes avec les autres, mais


elles deviennent une sorte de pseudo récit. C'est ce que fait Twitter. Twitter est la lanterne magique d'aujourd'hui. Le fait qu'on a un président des États-Unis qui est


sur Twitter 10 fois par jour est une façon de créer un constant détournement d'attention du monde en général. Mais je vais revenir sur ce que vous avez dit au départ. Vous avez dit que


je suis critique des médias. Non, je ne suis pas critique des médias. Les médias sont des outils d'expression publique. Je ne suis pas un critique de la presse imprimée, elle peut être


utilisée pour émanciper les gens et elle peut aussi être utilisée pour opprimer les gens. La véritable question, c'est celle de l'alphabétisation. Si on est sérieux au sujet de ce


que l'on dit sur l'initiation aux médias, celle-ci doit encourager le public, non seulement à pouvoir voir, pas simplement ce qu'est l'information des médias ou la


désinformation des médias, mais aussi comment les structures peuvent les empêcher d'atteindre ce qui leur est nécessaire pour accomplir leur aspiration démocratique. > Le journalisme


 citoyen a un effet extrêmement positif Une autre chose qui devrait être faite, c'est qu'il briser la distinction entre un auteur et un public, en d'autres termes, faire du


journalisme citoyen. C'est quelque chose qui a un effet extrêmement positif, aux États-Unis en tout cas. Le meurtre d'Erik Garner par un policier à Staten Island, ça a été quelque


chose, ça fait partie du narratif américain. Les policiers tuent des Noirs, depuis qu'il y a eu des Noirs libres, et même lorsqu'ils n'étaient pas libres, c'étaient les


contremaîtres qui les tuaient. Mais maintenant, il y a des gens qui publient ça. Les gens devraient s'imaginer en citoyens journalistes et imaginer des façons de se réunir en tant que


communauté. J'ai donné une interview il y a deux jours, et l'intervieweur m'a dit : « Que pouvez-vous conseiller à quelqu'un qui dit, ‘’je ne veux pas être manipulé’’ ? 


». Je lui dirais : « Aussi longtemps que tu te vois comme quelqu'_un_, tu es susceptible d'être manipulé. C'est simplement quand tu te comprends comme un terrien, comme


faisant partie d'une espèce qui a besoin de se redécouvrir, c'est simplement quand ça se produit que tu peux créer des médias qui sont critiques, interactifs, pas interactifs en


ligne, mais interactifs dans la rue ». La rue, c'est quelque chose de très important parce que quand les gens se réunissent dans la rue, le pouvoir tremble. Lorsque les gens se


réunissent en ligne, cela repose la question : qui contrôle les structures des médias ? > La rue, c'est quelque chose de très important parce que quand les > gens se réunissent 


dans la rue, le pouvoir tremble. _PIERRE HASKI : ET QUI CONTRÔLE LES PLATEFORMES TECHNOLOGIQUES ? FACEBOOK, GOOGLE, TWITTER. CE SONT DES ALLIÉS OU DES ENNEMIS DANS CE QUE VOUS VENEZ DE


DÉCRIRE ? _ STUART EWEN : C'est intéressant, parce que si vous regardez les sociétés de la Silicon Valley, je ne suis pas au fait de leur équivalent français. _PIERRE HASKI : NOUS


UTILISONS TWITTER, FACEBOOK…_ STUART EWEN : Les Chinois ont développé des alternatives. _PIERRE HASKI : ILS SONT BIEN PLUS MALINS._ STUART EWEN : Les gens de la Silicon Valley sont dans ces


contradictions intéressantes : ils sont socialement très progressifs et tendent à l'être en termes d'idées, des droits de genre, d'orientation sexuelle, dans tout cela, et ils


soutiennent des causes « libérales », à une exception, le type qui est à la tête de PayPal, Peter Thiel, était un soutien de Trump. Mais les autres, ce sont des gens qui fonctionnaient pour


Obama. Ils sont fortement libertariens et par exemple, lorsque le gouvernement veut les réglementer d'une manière ou d'une autre, ils adoptent la même position que


l'industrie du pétrole, la même position que d'autres monopoles mondiaux ont adoptée depuis les premiers jours du libre-échange. Et donc, il y a une situation où il y a une sorte


de corporatisme transnational, c'est l'état d'esprit économique de la Silicon Valley et une sorte d'intérêt de pure forme pour la doctrine libertarienne, à destination du


public. Pour en revenir à notre discussion, le problème c'est que les propriétaires, les capitaines de ces industries comprennent les buts lucratifs et c'est ce qui les motive. Un


grand nombre de gens qui travaillent pour eux sont des ingénieurs informaticiens, ce sont des libertariens qui ne s'identifient pas aux motivations capitalistiques. Donc, il y a


quelqu’un comme Edward Snowden qui vient de ce monde, qui s'est éloigné des politiques de la NSA, mais aussi de la Silicon Valley. _PIERRE HASKI : MAIS LA SILICON VALLEY, C’EST LA


NOUVELLE COLONNE VERTÉBRALE DU CAPITALISME AMÉRICAIN ? _ > La haute technologie est invariablement reliée à l'argent et au > pouvoir STUART EWEN : Mais oui, absolument, et


c'est une des raisons pour lesquelles, lorsque l'on parle de créer des médias alternatifs, il faut trouver d'autres canaux. Il faut probablement aller plus vers la _low-tech_,


parce que la haute technologie est invariablement reliée à l'argent et au pouvoir. Et dans les années 1960, une chose qui s’est produite au milieu de toutes ces activités, ça a été la


création en France des ateliers populaires, et aux États-Unis de la presse _underground_. Même au sein de l'armée, les soldats d’infanterie, ceux qui faisaient la guerre sur le terrain,


ont commencé à « tirer » sur leurs officiers et à produire des journaux clandestins à l'aide de ronéos. _PIERRE HASKI : MAIS LÀ, ON VA DANS L'AUTRE SENS ? YUVAL NOAH HARARI


PRÉSENTE UN AVENIR AVEC L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, RELIÉE AU CERVEAU HUMAIN, ET UN AVENIR TECHNOLOGIQUE QUI FORME NOTRE MONDE ET QUI CRÉERA D'AUTRES TYPES D'INÉGALITÉS ET


D'AUTRES LUTTES ? _ STUART EWEN : La question est : où trouver les alternatives ? Une partie de l'attraction des interactions entre le cerveau et la machine vient de la théorie


computationnaliste d'Alan Turing où l'on considère l'ordinateur comme un peu un fac-similé du fonctionnement du cerveau. Il n'y a aucune preuve de cela. Si vous voulez


comprendre un bâtiment, si vous regardez le réseau électrique et le réseau de plomberie, ça ne vous dit rien sur la façon dont les gens vivent à l'intérieur de cet appartement.


L'attraction de cette interaction cerveau/ordinateur, c'est que les gens disent qu’à l'avenir on sera capables de télécharger votre cerveau sur une sorte de disque dur et vous


serez immortel. Votre corps va mourir, mais votre esprit survivra, il sera attaché à une machine. C'est une sorte de christianisme de high-tech… _PIERRE HASKI : LA VIE APRÈS LA VIE ?_


STUART EWEN : Oui, c’est une promesse d'une vie après la mort. Une des choses que les gens doivent réaliser de façon urgente, c'est leur propre mortalité. Une fois capable de


comprendre qu'on est mortel, à ce moment-là on trouve un but, ce qu’on va faire de notre vie. C'est ce que votre vieux patron Jean-Paul Sartre a dit : la vie en elle-même n'a


un sens que par l'engagement. Et je crois que c'est vrai : espérer en ces avenirs déterminés technologiquement, il n’y a rien de neuf, c'est quelque chose qui existe depuis


toujours. _PIERRE HASKI : ÇA FAIT LONGTEMPS QUE JE N'AI PAS ENTENDU QUELQU'UN QUI CITE JEAN-PAUL SARTRE. _ STUART EWEN : Excusez-moi, je suis un vieux gars. _PIERRE HASKI : ON VA


PRENDRE QUELQUES QUESTIONS DU PUBLIC. J’AI UNE DERNIÈRE QUESTION. EN 2000, IL Y AVAIT 65 900 JOURNALISTES AUX ÉTATS-UNIS ET 128 000 PERSONNES QUI TRAVAILLAIENT DANS LES RELATIONS PUBLIQUES –


SOIT UN POUR DEUX. EN 2015, 15 ANS PLUS TARD, LE NOMBRE DE JOURNALISTES A DIMINUÉ D'UN TIERS, À 45 000, ET LE NOMBRE DE GENS DES RP S'EST ACCRU À 218 000. DONC, IL Y A DÉSORMAIS


UN JOURNALISTE POUR CINQ PERSONNES DES RP. QU'EST-CE QUE CELA DIT SUR NOTRE MONDE ? EN TANT QUE JOURNALISTE, JE TROUVE ÇA EFFRAYANT. _ STUART EWEN : C’est effrayant, mais ça vous dit


aussi que l'urgence de la fabrication du consentement est devenue de plus en plus grande et l'urgence de travailler avec un public informé est devenu quelque chose que les


structures de pouvoir sont de moins en moins intéressées à voir. Donc, on peut voir des statistiques comme celle-là de plusieurs façons. L'une d'entre elles, c'est que les


gens ne sont pas intéressés à comprendre le monde dans lequel ils vivent, et l’autre c’est que, peut-être, les gens sont intéressés à comprendre le monde et qu’il faut mettre sur le terrain


plus d'ingénieurs du consentement. Je ne pense pas que les gens aient perdu de leur curiosité et de leur colère face aux injustices du pouvoir. Donald Trump, c’est l’homme de paille qui


peut mettre en place un cirque visible dans les médias à travers le monde quotidiennement. Mais dans les coulisses, ce qui se produit politiquement est horrible, et c'est quelque chose


qui fait partie d'un plan conservateur aux États-Unis et ailleurs aussi, je suppose, depuis longtemps, mais ils n’ont jamais eu le bonimenteur qui pourrait se tenir devant les foules


et les détourner des véritables problèmes de leur vie. Parce que l'inégalité économique croit, la répression de la souveraineté populaire et du vote croit, les salaires des cols bleus


sont en train de stagner, alors que les revenus des très riches – pas simplement le 1 %, mais probablement les 10 % – assurent qu'il y ait une classe moyenne supérieure qui sera le


porte-parole des politiques conservatrices. Et pendant ce temps-là, il y a des gens dans les Appalaches qui sont au chômage, se battent avec des problèmes de santé, avec des tas de


problèmes, qui sont menés par le bout du nez par ce bonimenteur. J’ai rencontré des gens qui m’ont dit : « J’aurais voté pour Bernie Sanders, mais j’ai finalement voté pour Trump, parce que


je n'ai pas pu le faire  ». Et ça, ça vous montre à quel point les gens sont manipulables, qu'ils n'ont que faire de la différence entre l’un et l’autre. Mais il y a aussi cet


empilement de contrariétés, ce sentiment de s'être fait voler ses droits imprescriptibles et ça peut mener à différentes choses et ce que l'on peut voir maintenant, c'est que


ça a mené à l'élection de ce président impossible. Si vous regardiez ses meetings depuis 2015, il n’était pas difficile de voir qu’il deviendrait président en raison de ces trucs


qu'il déversait sur les gens. Dire aux gens de tabasser tous ceux qui le critiquaient… « Jadis, on les aurait sortis sur un brancard », « Allez-y, donnez-lui un coup sur la tête », « 


j'aimerais vous mettre mon poing dans la figure » – et c'est le président qui parle. « j'aimerais vous mettre mon poing dans la figure, vous savez quoi ? Donnez-lui un coup de


poing dans la figure. Si vous êtes poursuivis, je vous enverrai mon avocat. » Sauf que maintenant, son avocat est poursuivi devant les tribunaux. _QUESTION DU PUBLIC : VOUS AVEZ DIT DANS LE


FILM QUE LES GENS QUI ONT COMMENCÉ CETTE PROPAGANDE N'EN VERRAIENT PAS LA FIN, QUE ÇA DURERAIT PENDANT DES GÉNÉRATIONS. JE NE SAIS PAS SI VOUS PENSIEZ À QUELQU'UN EN PARTICULIER


OU PAS. _ STUART EWEN : C'est une question importante. En partie parce que des tendances plus progressistes dans notre société ne pensent pas au long terme. Nous avons ce désir pour des


satisfactions immédiates. Si on parle d'individus, en 1936, lorsque Roosevelt était en campagne pour la présidence, il menait une guerre contre la classe des affaires. Il les appelait


les royalistes économiques et il disait : « On va leur enlever leur pouvoir ». On le voit un petit peu dans le film [_Propaganda, la fabrique du consentement__, _NDLR]. Et à la fin des


années 1930, différentes organisations se regroupent. L'une d'entre elles, mentionnée dans le film, est l'Association nationale des industriels (National Association of


Manufacturers) qui toujours très puissante aux États-Unis – les chambres de commerce ont un pouvoir important aux États-Unis. Il y avait aussi un groupe de gens qui étaient intéressés par la


création d’une identification entre la chrétienté, Dieu et le capitalisme. Une des raisons pour laquelle sur les billets de banque américains, il est écrit : « Nous avons confiance en Dieu


 ». C'est quelque chose qui a commencé à être promu dans les années 1930 mais ça n'est pas arrivé jusqu'aux billets de banque avant les années 1950. Et il y a aussi eu le


développement d'organisations comme la Pelerin Society, le département d'économie à l'Université de Chicago qui ont vu la vitalité du capitalisme et la longévité du


capitalisme comme étant en danger et qui ont établi des plans, « _The Long Game_ », l'approche à long terme. En d'autres termes, même si on ne vit pas assez longtemps pour voir la


fin de ce qu'on a créé, il faut le créer quand même et avoir confiance en le fait que ça va atteindre son but. Pour répondre à votre question plus directement, avait été recruté par


l'Association nationale des industriels un jeune acteur de Hollywood du nom de Ronald Reagan, et celui-ci, durant les années 1940, est devenu un porte-parole contre un système de santé


national, qui était sur le point d'être voté. Et puis, il a travaillé pour General Electric. Il avait un tuteur, quelqu'un qui le formait pour ses déplacements, et il passait


d'usine en usine argumentant contre le syndicalisme. Et General Electric est devenu une des premières grandes entreprises à développer des stratégies pour démanteler les syndicats.


Reagan a travaillé à la télévision dans les années 1950, avant General Electric. Il présentait une émission, « The General Electric Theater » dont le slogan était « Chez General Electric, le


produit le plus important, c'est le progrès ». Dans les années 1960 et 1970 il a été élu gouverneur de la Californie et en 1980, comme vous le savez tous, il est devenu président des


États-Unis, et il utilise la fabrication du consentement. C'était une prémonition de Trump. Il n'avait pas la dureté de Trump, mais il avait la même politique. C'est un


exemple d'idées qui percolent dans les années 1930, mais qui arrivent au pouvoir au niveau présidentiel dans les années 1980 et qui, depuis, croissent et grandissent. Comme, par


exemple, le Parti démocrate qui s'éloigne de sa tradition des programmes d'aides sociales qui étaient l'héritage du New Deal. Je considère Ronald Reagan et maintenant disons


son fantôme idolâtré, comme un exemple de cette approche à long terme. _QUESTION DU PUBLIC : OÙ EST LA LIMITE ENTRE CETTE IDÉE QU'IL Y A CETTE INGÉNIERIE À LONG TERME TRÈS EFFICACE, ET


LA THÉORIE CONSPIRATIONNISTE – SI ON EST VÉRITABLEMENT MANIPULÉ, ALORS EST-CE QU'ON EST MANIPULÉ POUR TOUT ? ET PEUT-ÊTRE QUE PERSONNE N'EST ALLÉ SUR LA LUNE, PEUT-ÊTRE QUE LE 11


SEPTEMBRE NE S'EST PAS PRODUIT ? OÙ EST LA LIGNE DE SÉPARATION, COMMENT LA DÉFINISSEZ-VOUS ? _ STUART EWEN : L’expression, « théorie conspirationniste » me pose problème, parce que


toute personne qui étudie l'histoire sait qu'il y a et qu'il y a eu des conspirations. La papauté a été expulsée de Rome et exilée à Avignon il y a des siècles par une


conspiration. L'assassinat d'Abraham Lincoln n'a réussi que grâce à une conspiration des anciens Confédérés pour éliminer le leadership de l'Union. L'expression « 


théorie conspirationniste » est entrée dans ce monde bourbeux… et en fait on ne peut pas étudier l'histoire sans reconnaitre qu'il y a des gens qui se réunissent dans certaines


pièces, certaines sur Madison Avenue. _QUESTION DU PUBLIC : COMME ON LE FAIT AUJOURD'HUI ICI, N'EST-CE PAS ? _ STUART EWEN : Tout ça est totalement planifié bien entendu. En fait,


aucun d'entre nous n'est ici. Vous voyez, on a une petite clé derrière l'oreille droite et on a été remonté en descendant ici. Et mon ressort commence à fatiguer. Et après


l'assassinat de Kennedy, il y a eu toutes sortes de « théories » sur qui l'a assassiné et la position officielle du gouvernement a été en ligne avec l'individualisme


américain. C'était un loup solitaire, pas de conspiration, ne regardez pas l'homme qui se trouve derrière le rideau. Non, c'était un loup solitaire qui, comme par hasard, a


été tué quelques jours après avoir fonctionné comme tueur solitaire. Donc il ne peut pas divulguer ce qui a pu le motiver. Donc il y a des tas de gens, toutes sortes de gens, souvent


dépourvus d'information, qui ont spéculé sur le fait que l'assassinat d'un président n'est pas quelque chose qui se produit sans quelques discussions préalables. Et donc


le terme « théorie de la conspiration » est devenu un euphémisme pour dire « idées folles ». Je pense que la façon dont on peut faire la différence, c'est par l'enquête. Une des


choses qui différencie le bon journalisme du journalisme fumeux, c'est que le bon journalisme est basé sur la recherche, on regarde partout, on soulève les pierres. Tout comme la bonne


histoire, il faut trier les ordures, regarder tout ça, comme un travail de détective, et les gens devraient être capable de le reconnaître. > Le bon journalisme est basé sur la recherche,


 on regarde partout, > on soulève les pierres Trump est plein de ces théories de la conspiration. Il a dit avoir vu une bande d'Arabes sur le toit d'un bâtiment dans le New


Jersey qui se réjouissaient lorsque World Trade Center s'est effondré. Mais il ne l'a pas vu, il n'était pas dans le New Jersey. Et ça peut être démontré. Mais nier cette idée


que des groupes de gens puissent fonctionnent en accord les uns avec les autres, en conspirant, je ne pense pas que ce soit sain pour nous d'ignorer la façon dont des intérêts croisés


fonctionnent dans le cours de l'histoire. _QUESTION DU PUBLIC : JE VOULAIS FAIRE UN PETIT RETOUR EN ARRIÈRE SUR LA PSYCHOLOGIE D'EDOUARD BERNAYS. CET HOMME LÀ ÉTAIT ASSEZ


INTELLIGENT, IL AVAIT TOUT POUR LUI ET IL S'EST MIS AU SERVICE DE CAUSES QU'APPAREMMENT IL NE POUVAIT PAS PARTAGER. PARCE QUE FAIRE LA GUERRE CONTRE L'AUTRICHE ET


L'ALLEMAGNE, QUI ÉTAIENT SES PAYS D'ORIGINE, OÙ IL AVAIT DE LA FAMILLE, C'ÉTAIT DÉJÀ ASSEZ DÉLICAT ; FAIRE MANGER DU BACON ET DES ŒUFS – JE NE PENSE PAS QU'IL VA EN


MANGER LUI-MÊME POUR DIFFÉRENTES RAISONS ; ET LA PROMOTION DE LA CIGARETTE, JE NE PENSE PAS NON PLUS QU'IL FUMAIT. ALORS, FINALEMENT QU'EST-CE QUI POUSSE UN HOMME À SE METTRE AU


SERVICE DU POUVOIR ? EST-CE UNE ESPÈCE D'IVRESSE DU POUVOIR PAR PROCURATION ? C'EST ÇA LA QUESTION QUE JE ME POSE._ _UNE AUTRE QUESTION EST CELLE DU CONTRÔLE DES POPULATIONS. EN


FRANCE, CONTRAIREMENT AUX ÉTATS-UNIS, ON A UN ÉTAT CENTRAL FORT. DONC LA POPULATION EST CONTRÔLÉE DEPUIS TOUJOURS, DEPUIS TROIS SIÈCLES. CE QUI N'EST PEUT-ÊTRE PAS LE CAS AUSSI


EFFICACEMENT AUX ÉTATS-UNIS. C'EST PEUT-ÊTRE POUR ÇA QUE LA DÉMOCRATIE AMÉRICAINE EST PEUT-ÊTRE PLUS EFFICACE D'UNE CERTAINE MANIÈRE QUE LA FRANÇAISE. MAIS ACTUELLEMENT, GRÂCE AUX


GAFA, AUX ENTREPRISES DE LA SILICON VALLEY, NOUS AVONS UNE ESPÈCE DE CONTRÔLE GÉNÉRAL DE LA POPULATION EN TEMPS RÉEL, QUI EST ABSOLUMENT EXTRAORDINAIRE. ET DERNIER POINT, QUAND VOUS AVEZ


ÉVOQUÉ L'IMMORTALITÉ DE L'ÂME, EN VÉRITÉ C'EST DÉJÀ FAIT PUISQUE TOUS NOS FAITS ET GESTES, NOS MOINDRES PENSÉES, LA MOINDRE HÉSITATION SONT ENREGISTRÉS EN PERMANENCE. DONC IL


N'Y A PAS BESOIN DE PAYER POUR ÇA, ON LE FAIT TOUS LES JOURS, À TOUT MOMENT._ STUART EWEN : Vous avez posé beaucoup de bonnes questions, dans votre question. Oui, je pense qu'il a


été enivré par l'idée de contrôler les gens. Sa fille, Anne Bernays que vous avez vu dans le documentaire et que je connais, était à sa table et il lui disait : « Tout le monde est


bête, stupide. Tu stupide ». Il pensait que la minorité intelligente avait une responsabilité envers la démocratie pour s'assurer que les masses stupides se comportent bien. Il y avait


beaucoup d'argent impliqué là-dedans, et c'est ce qui fait que les gens promeuvent la guerre contre leur pays d'origine. Bernays n'était pas un des dirigeants de la


Commission sur l'information publique. Walter Lippmann et Arthur Bullard étaient des conseillers du président Wilson. Wilson voulait utiliser la force pour faire taire l'opposition


et Lippmann et Bullard ont argumenté en faveur de la création d'un bureau de la propagande, et sont devenus les architectes de ce bureau. Ils ont choisi un homme qui s'appelait


George Creel pour diriger la commission. George Creel était un journaliste qui faisait des révélations sur le rôle de Rockefeller dans le meurtre des mineurs de Ludlow, dans le Colorado, il


était connu comme critique du monde des affaires, et c'était vraiment une décision intelligente de le nommer dans le cadre d'une guerre souvent vue comme étant la guerre des


businessmans. Bernays était un fonctionnaire dans cette histoire, il n'était certainement pas un architecte de la guerre contre l'Autriche. Il faisait partie, comme beaucoup


d'intellectuels américains, de ce crépuscule des idoles, ces intellectuels qui se sont mis en conformité avec l'effort de guerre. Au sujet de ce que vous avez dit sur


l'immortalité, je comprends ce que vous dites. Avant, on était soit mort, soit vivant. Et puis soudain, on a été enregistré, c'est une espèce de lieu intermédiaire. Je le sais,


parce que je l'ai mentionné à Pierre [Haski], quand mon père était sur le point de mourir. C’était quelqu'un qui était très visuel et puis il est devenu aveugle. Ma mère lui a


acheté un petit enregistreur et il parlait tous les jours dans son enregistreur de son transit intestinal, de son état nauséeux, de ses rêves, du fait qu'il ne voulait pas être morbide,


de ses souvenirs avec son père quand ils allaient aux bain-douche en ville dans le Lower East Side. Mon fils, qui est monteur, a mis tout cela sur un CD et tous ces souvenirs sont devenus


des pistes sur un CD. Et moi je l'avais sur mon iPod et j'allais rendre visite à un ami, j'écoutais de la musique et soudain j'entends la voix de mon père dans


l'oreille. Et c'était incroyable. Je suis allé voir cet homme, qui était un de mes collègues et je lui ai dit : « La chose la plus étrange vient de m'arriver. J'écoutais


de la musique et soudain mon père a commencé à me parler et je pouvais entendre sa respiration, je pouvais entendre sa voix. Et c'était tellement différent que de regarder une photo qui


est gelée, qui est morte ». Et mon ami m'a dit, « Mon père est mort quand j'avais 13 ans et je donnerais toutes mes photos si je pouvais simplement avoir un enregistrement de lui


en train de me parler. ». Donc, bien sûr il y a ce territoire intermédiaire, mais ce qui est différent au sujet de l'immortalité dont vous parlez et qui sont les données enregistrées,


c'est transformer les sujets en objets. L'immortalité, c'est l'immortalité d'un objet, la subjectivité a disparu. Le mythe promu sur le transfert du cerveau vers un


disque dur, c'est que la subjectivité subsisterait, que votre esprit, votre conscience perdureraient. Mais dans ce cas, la conscience devient simplement de la donnée brute qui pourrait


être exploitée pour des buts poursuivis par d'autres personnes. Donc, je n'appellerais par ça de l'immortalité dans le sens souhaité par certaines personnes. _PIERRE HASKI :


MERCI POUR CE TÉMOIGNAGE PERSONNEL, TRÈS SIGNIFICATIF POUR NOTRE SUJET._ STUART EWEN : Je voudrais vous dire que c'est un des grands plaisirs de ma vie d'être ici avec vous. Je


suis un septuagénaire et je sais que les idées avec lesquelles je lutte depuis que je suis très jeune sont encore importantes, encore pertinentes. Ça n'a rien à voir avec


l'immortalité, c'est sur l'engagement. C'est sur le but de la vie que votre vieil ami Sartre a beaucoup écrit et je vous remercie beaucoup d'être avec nous.


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