RTL : une radio populaire | la revue des médias

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L' histoire de Radio Luxembourg, RTL, de 1933 au début des années 2000, s'est formée autour de crises intrinsèques au monde de la radio et de programmes précurseurs que des hommes


tel Jean Prouvost ont su défendre. Denis Maréchal Publié le 27 septembre 2010 LA GÉNÈSE Le 15 mars 1933, un nouvel émetteur, le plus puissant d’Europe, surgissait au Luxembourg. Fruit d’une


longue gestation et d’un projet grand-ducal mûrement réfléchi, il annonçait une aventure radiophonique originale appelée à perdurer sous le nom de Radio Luxembourg jusqu’en 1966, puis sous


l’acronyme de RTL. Lorsque deux commerçants, vendeurs de postes de radiodiffusion à Luxembourg, les frères Anen, décidèrent de créer une association pour exploiter un premier poste émetteur


en 1925, le gouvernement luxembourgeois, tout en suspendant cette activité, entreprit de mettre en place une législation sur le sujet. Tard venus dans l’univers de la radiodiffusion, le


gouvernement et l’Assemblée nationale luxembourgeoise légiférèrent non sans avoir longuement observé l’état des pratiques dans de nombreux pays européens. Attaché au libéralisme économique,


la piste privilégiée est celle d’une orientation favorable à l’entreprise privée. Dans le même temps, lucide sur les risques de la concurrence d’étouffer toute initiative au vu de


l’étroitesse du cadre national – le Luxembourg représente la superficie d’un département français – on se range à l’avis de créer une situation de monopole sous la forme d’une concession


dévolue à une groupe privé à l’issue d’un appel d’offres ouvert à l’international. En France, le président du Conseil, Raymond Poincaré, aussitôt alerté indique à son ministre des Affaires


étrangères, Aristide Briand, la marche à suivre : “Tout faire pour maintenir l’influence française”. Une entente entre industriels, banques et groupes de presse va, parmi d’autres, porter


une offre répondant à l’attente luxembourgeoise. La Société Luxembourgeoise d’Études Radiophoniques bientôt dénommée la Compagnie Luxembourgeoise de Radiodiffusion – la CLR devenue en 1954


la Compagnie Luxembourgeoise de Télévision, la CLT. LES DÉBUTS DE LA CLR : 1933-1939 Sous la houlette de la Compagnie des Compteurs de Montrouge, de la Banque de Paris et des Pays Bas et de


l’agence Havas, une équipe voit le jour. Jacques Lacour-Gayet, homme à poigne, premier administrateur de la station, va porter sur les fonts baptismaux une station, vite devenue la troisième


grande antenne radiophonique en France et qui parvient à l’équilibre financier en sept ans. Premier ressort de ce succès : le recours à la publicité. Poste commercial, la publicité s’invite


dans les programmes. Elle s’appuie sur un savoir faire incomparable développé par Armand Salacroux et des petites entités comme « Foniric », animé entre autre par le poète Robert Desnos et


le compositeur Alejo Carpentier qui vont savoir mettre en ondes des ritournelles amusantes puisées dans le folklore et remises au goût du jour avec talent. Cette publicité divertissante a eu


sa part dans le succès de la station. Audible dans toute l’Europe du nord, Radio Luxembourg en dérogeant sans autorisation aucune et malgré les protestations des États riverains et de l’UIR


- Union Internationale de la Radiodiffusion – sut créer les conditions d’une écoute internationale. En reprenant une idée de programmation déposée par un groupe concurrent, Blue Star Radio,


la première grille des programmes proposait chaque soir des émissions dédiées à un pays différent : la France le mercredi, le Luxembourg le jeudi, l’Allemagne le vendredi, les Pays-Bas le


samedi et l’Angleterre le dimanche. Des concerts surtout, des causeries et des bulletins de nouvelles en trois langues participaient d’un modèle radiophonique inédit. En Angleterrre, le


succès fut foudroyant puisque le dimanche, sunday closed oblige, le monopole de la BBC diffusait uniquement de la musique religieuse. Autre innovation de taille à partir de 1937, Radio


Luxembourg est la seule station à diffuser ses émissions en continu. Les interruptions matinales et d’après midi disparaisssent et ce mouvement est bientôt imité par les concurrrents. Sur le


front de l’information, les dépêches de l’agence Havas sont systématiquement reprises par des speakers et ravitaillent les premiers journaux parlés. Des feuilletons, des causeries, des


émissions comme « Le Passe temps des dames et des demoiselles » et des concerts interprétés par l’orchestre de Radio Luxembourg donnent à entendre tout un univers sonore où le divertissement


de bon aloi règne en maître. Cet équilibre va être brutalement interrompu en septembre 1939 avec la Seconde Guerre mondiale. Lorsqu’en novembre 1946 renait la station, le paysage


radiophonique est bouleversé. En France, les stations privées ont été supprimées pour faire place au monopole des ondes. UN LEADERSHIP BIENTÔT ENTAMÉ PAR LA CONCURRENCE 1946-1966 Jacques


Lacour-Gayet va confier à Louis Merlin la programmation. Ce dernier va s’inspirer des antennes alors en vogue aux États-Unis en adoptant de grandes émissions comme « Queen of a day, Reine


d’un jour » animée par Jean Nohain. Toute une pléiade de trouvailles issues des stations de l’entre-deux-guerres vont être reprises à Radio Luxembourg comme le plus célèbre des feuilletons


radiophoniques, « La famille Duraton ». La station privée, forte de ces apports multiples, remporte rapidement en France la bataille de l’audience au point d’être deux fois plus écoutée que


la concurrence des stations de service public au milieu des années cinquante. Jean Grandmougin, éditorialiste le plus écouté de France, donne le ton jusqu’à ce qu’il soit brutalement mis fin


à sa carrière au moment de la guerre d’Algérie. Geneviève Tabouis, autre grande figure du journalisme, adopte une posture d’éditorialiste avec sa fameuse intervention quotidienne : « 


Attendez-vous à savoir ». Mais à cet âge d’or succède une lente érosion face à une concurrence d’une nouvelle station périphérique, Europe n°1, née en 1955 et adepte du music and news. Enfin


et surtout le développement exponentiel d’un nouveau media qu’est la télévision change les habitudes d’écoute. UNE RELANCE PAR LA NOUVEAUTÉ ENGENDRE LE SUCCÈS : DE 1966 À NOS JOURS En 1966


un nouvel actionnaire, l’homme de presse Jean Prouvost, rompu à l’exercice de relancer des journaux populaires : France Soir, le Figaro, Paris Match, Télé7 jours, entre au capital de la CLT,


devient administrateur délégué et se lance dans l’aventure radiophonique. Jean Farran, un journaliste venu de la direction de Paris Match transforme de fond en comble la grille des


programmes. Tous les feuilletons sont supprimés, le service des informations subit un profond bouleversement : tout change jusqu’au nom de la station avec le lancement de RTL. La radio


d’après-guerre a vécu. Le rajeunissement est spectaculaire. Un animateur des Radios pirates est engagé : Rosko pour concurrencer l’émission « Salut les Copains » d’Europe n°1. Menie Grégoire


innove avec un genre radiophonique reposant sur les conversations téléphoniques abordant toutes les questions de société concernant les femmes. Elle est la première à aborder la question de


l’homosexualité mais se heurtera à un refus réitéré de la direction de la station d’aborder la question de l’avortement. Dans un tout autre genre, un Jean Yanne mulitplie les facéties à


l’antenne, allant jusqu’à produire un film dénonçant en 1972 cette nouvelle vague radiophonique dans Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. L’information s’ouvre à de


nouvelles formes avec le « Journal inattendu ». Pour la première fois une personnalité de la société civile, artiste, scientifique, professeur, ou encore appartenant au milieu du cinéma joue


le rôle de rédacteur en chef d’un journal d’information. Cette trouvaille de Jean-Pierre Farkas s’inscrit dans une grille qui joue sur un ressort : l’interactivité. L’auditeur est invité à


prendre la parole pour commenter l’information, un sujet de société. Dans le domaine de la variété, l’auditeur participe au choix du chanteur c’est la fameuse émission « Stop ou encore ? ».


Autre ressort : prendre acte de la prédominance de la télévision comme média de masse et s’appuyer sur ses vedettes pour nourrir l’antenne. Une speakerine, Anne-Marie Peysson, des


journalistes animateurs, Léon Zitrone, Michel Drucker, vont tour à tour être appelés à rejoindre le micro de RTL. De même, des animateurs de radio sont encouragés à rejoindre la télévision


et à multiplier les allers et retours : Fabrice, Philippe Bouvard, Jean-Pierre Foucault sont simultanément présents à la radio et à la télévision. Pour caractériser le phénomène, Jean Farran


s’exclamait à l’annonce de cette nouvelle stratégie : « Nous allons faire de la radio qui se voit ! ». Autre force du modèle radiophonique : son indépendance dans le champ de l’information.


De par sa situation à l’étranger, l’émetteur luxembourgeois bénéficiait d’un éloignement propice à cultiver cette autonomie. C’est en mai 68 qu’elle s’exprime avec le plus de vigueur à


l’occasion de la couverture des événements. Plus tard, un partenariat avec Le Monde lors de la naissance, en 1980, du « Grand Jury » puis les chroniques parfois acides pour le pouvoir de


Philippe Alexandre, démontrent par l’exemple l’indépendance de la rédaction toujours soutenue par la direction de la station. En confiant, à partir de 1985, la direction des programmes au


journaliste Philippe Labro, l’administrateur délégué, Jacques Rigaud, jusqu’à son départ en juin 2000, ne transigea jamais avec cette valeur cardinale de la station. Portée par des sondages


flatteurs, l’audience témoigne des succès trente ans durant d’une radio populaire1, toujours en prise avec la demande sociale de ses auditeurs tout au long de la journée. L’éclosion d’un


nouveau paysage radiohonique avec l’arrivée des radios libres au début de la décennie des années quatre-vingt ne perturbe en rien cette suprématie. Pourtant, à la rentrée de septembre de


l’an 2000, ce modèle va commencer à vaciller avant de s’effondrer. En perdant en un trimestre quelques deux millions d’auditeurs, RTL connut la plus spectaculaire chute d’audience d’une


radio en Europe. Un véritable accident industriel créé de toute pièce par le renvoi d’un animateur vedette. Philippe Bouvard sut organiser avec maestria une réplique médiatique de haute


intensité pour dénoncer sa mise à l’écart en dénonçant une chasse aux seniors. Dès janvier 2001, la station de la rue Bayard, qui avait cru pouvoir anticiper un vieillisement d’audience de


l’émission des Grosses têtes dut se résoudre à écarter ses nouveaux dirigeants et rappeler l’animateur à l’antenne en janvier 2001. Celui ci poursuivra sans encombre sa carrière tout au long


de la première décennie du XXIe siècle. À l’issue d’un épisode long à cicatriser puisque les auditeurs prirent leur temps avant de reprendre le chemin de RTL. Sans procéder à d’autres


changements significatifs depuis lors, RTL devait retrouver en partie son leadership dans le paysage radiophonique d’aujourd’hui, non sans s’assurer un solide relais de croissance avec


RTL.fr . RÉFÉRENCES Denis MARECHAL, RTL, Histoire d’une radio populaire, de Radio Luxembourg à RTL.fr, Nouveau monde éditions, 2010. Jean-Noël JEANNENEY (dir.), L’Écho du siècle.


Dictionnaire historique de la radio et de la télévision en France, Hachette Littératures, 1999. Robert PROT, Dictionnaire de la radio, PUG/Ina, 1997. * 1En 1997, RTL rassemblait en moyenne 8


millions d’auditeurs par jour. Cf. Robert Prot, Dictionnaire de la radio, PUG/Ina, 1997, p. 372 et suivantes.