Qu'est-ce que la culture fan ? | la revue des médias

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Paul Booth, professeur en études médiatiques à l’Université DePaul de Chicago, nous offre dans son ouvrage _Digital Fandom. New Media Studies_ un nouvel éclairage sur les études de fans et


des communautés de fans et propose de réévaluer l’importance de ces analyses pour appréhender plus largement l’étude des médias. Il développe quatre axes qui permettent de comprendre les


mutations opérées et opérables dans les études des communautés de fans : une analyse du phénomène des ARG (_Alternate Reality Games_), une évolution de la relation producteur / consommateur,


une mise en avant du lien entre l’économie de la récompense et les activités des fans et enfin l’émergence d’une nouvelle forme d’expression identitaire à travers les réseaux sociaux. Cet


ouvrage s’appuie sur de nombreux exemples de la culture populaire (des séries comme _Lost_ ou _Heroes_), des ARG promotionnels (_I love Bees_ pour le jeu vidéo _Halo 2_, ou _The Beast_ pour


le film _A.I_.), des activités de fans (création du LostPedia, le wiki de la série _Lost_ ou écriture de fan fictions autour de _Battlestar Galactica_, et création de profils Myspace pour


les personnages _Veronica Mars_ ou _Gilmore Girls_ par exemple). En citant une phrase tirée du livre _The Club_ Dumas de Arturo Perez-Reverte en exergue de chaque chapitre, Paul Booth


cherche à démontrer que la culture fan est présente à tous les niveaux et qu’elle n’est pas seulement une pratique purement masculine et confinée au seul genre de la science-fiction ou de la


fantasy. LES ALTERNATE REALITY GAMES, CES ENTITÉS TRANSMÉDIAS HYBRIDES Paul Booth met l’accent sur le fait que les fans sont des utilisateurs des nouvelles technologies interactives dans


lesquelles ils tirent du plaisir et avec lesquelles ils jouent. Ils sont ce que l’on appelle des « usagers novateurs ». Pour Paul Booth, les ARG sont un important objet d’étude car ils


représentent un mélange entre le ludique (les joueurs jouent) et le travail (les joueurs collaborent ensemble pour finir l’ARG). Pour Paul Booth, les ARG sont « ubiquitaires, multimodaux et


mondiaux » (p.17). Ils procurent des expériences immersives qui permettent à des milliers de joueurs de travailler ensemble et de jouer à résoudre des énigmes, posées par le _puppetmaster_,


le maître du jeu. Ces ARG sont hybrides parce que ce sont « des narrations ludiques qui se jouent à la fois en ligne et hors ligne, et qui utilisent de multiples modes de médiation pour


immerger le joueur dans l’univers » (p.13). Les ARG sont donc des entités transmédias, puisque leur univers et leur histoire sont dispersés sur diverses plateformes médiatiques, et qu’elles


encouragent l’immersion, la participation et l’engagement des joueurs et des fans. Les ARG sont des médias ubiquitaires intéressants pour Paul Booth qu’il convient d’analyser et décrypter


pour comprendre les nouvelles activités des fans dans des environnements interactifs. UNE NOUVELLE RELATION PRODUCTEUR / CONSOMMATEUR Paul Booth veux dépasser la métaphore classique du


producteur / consommateur car selon lui elle donne une image négative du fan qui consommerait alors seulement du texte, sans avoir ni recul réflexif ni activité productrice. Il propose


d’utiliser le terme _produser_ qui lui semble plus approprié dans un environnement médiatique où les technologies sont de plus en plus présentes. Le _produser_ utilise les nouvelles


technologies pour créer et partager des contenus médiatiques de façon quasi-professionnelle. Le_ produser_ possède des caractéristiques qui le rapprochent de la définition du fan créateur :


il est à la fois un producteur et un lecteur de contenus médiatiques, il appartient à une communauté, il est un pilier de la culture participative et il collabore à travers ce que Paul Booth


appelle l’ « inter-créativité ». Pour illustrer ce nouveau fan actif et cette nouvelle métaphore du _produser_, Paul Booth décrit le phénomène des blogs de fan fictions. Le blog est un


travail collaboratif, un _work-in-progress_ qui évolue à l’intérieur même d’une communauté de fans. Ce qui importe, selon Paul Booth, ce sont les commentaires qui suivent chaque post, et qui


servent de points de départ pour des débats à l’intérieur de la communauté. Grâce à une analyse des messages laissés sur des blogs de fan fictions de _Battlestar Galactica_, Paul Booth


définit le blog comme étant une rencontre entre l’intertextuel et l’intratexuel. L’intertextuel « envisage le texte comme étant ouvert ». L’intratextuel « envisage le texte comme étant une


entité complète, fermée, définie par les connexions entre les éléments internes » (p.57). Six caractéristiques de l’intratextuel peuvent être analysées : « la self-reflexivité,


l’organisation, l’adresse directe, la méta-connaissance, le ludique et l’expansion récursive » (p. 62). Le blog de fan fiction est donc bien représentatif de ce _mash-up_ : la fan fiction


est une forme de réécriture d’un texte médiatique existant, s’inspirant de différents aspects du texte culte. Toute une communauté participe à son élaboration à travers les commentaires et


les débats relatifs à ce projet commun. LA NOUVELLE ÉCONOMIE DU DON (GIFT ECONOMY) Afin d’approfondir encore le changement de paradigme qui s’opère entre la production et la consommation des


contenus médiatiques, Paul Booth introduit deux notions fondamentales : la _Digi-Gratis Economy_ et le _Web Commons_. Le _Web Commons_ est représentatif de cette culture de la communauté de


fans : il utilise Internet comme une (re)source pour la communauté et est le symbole de l’action commune et participative de cette communauté. Trois caractéristiques peuvent le qualifier :


une action collective, une gouvernance propre et collaborative, et un capital social qui bénéficie à tous les membres. Si l’on suit cette définition, les Wikis sont le meilleur exemple de ce


que le _Web Commons_ peut offrir pour les communautés de fans. Les wikis sont des « textes interactifs, élaborés grâce aux concepts de collaboration et de coopération du _Web Commons_ »


(p.91). Ils présentent des archives, des bases de données narratives compilées par les fans à propos d’un texte médiatique. Ils font également appel à l’« intelligence collective », définie


par Pierre Lévy, puisqu’ils contribuent à la connaissance collective de la communauté. Les Wikis sont d’autant plus importants pour les ARG et pour les séries à narration complexe qu’ils


constituent un ensemble narratif encyclopédique de l’univers transmédiatique proposé. En reprenant la notion d’ « économie hybride » énoncée par Lawrence Lessig, Paul Booth développe celle


de _Digi-Gratis economy_ qui implique une économie de la récompense(1) et du cadeau pour les fans. Cette nouvelle économie favorise les relations sociales dans un monde numérique et revient


à mettre en relation la production et la consommation de contenus médiatiques à un niveau égalitaire. Les ARG sont un bon exemple de _mash up_ entre une économie classique (promotion d’un


texte médiatique) et l’économie de la récompense (travail et jeu en communauté). IDENTITÉ(S) ET NOUVELLES FORMES D’EXPRESSION SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX Dans un quatrième et dernier axe, Paul


Booth s’appuie sur une analyse du jeu de rôle identitaire autour des séries _Veronica Mars_, _Gilmore Girls_, _Doctor Who_ et _Torchwood_. Sur le réseau social Myspace, les fans se


réapproprient les personnages en créant des profils fictifs ou alors conversent et interagissent avec des personnages fictifs créés par la production sur les réseaux sociaux. Paul Booth a


analysé le phénomène sur Myspace mais ses conclusions peuvent s’appliquer à d’autres réseaux sociaux et particulièrement à Twitter et Facebook. Ces stratégies qui font partie du phénomène


d’extension transmédia du côté de la production, et du phénomène de performance du côté des fans, participent au brouillage de la frontière entre réalité et fiction. Selon l’auteur, les jeux


de rôle identitaires permettent aux fans de (se) construire une identité, grâce aux profils, basée sur la narration de la série mais également sur les expériences du fan lui-même. Avec les


profils Myspace, les fans performent une identité de trois façons différentes : « à travers une fragmentation des identités virtuelles, à travers une reconstruction des textes narratifs et à


travers un personnage interagissant avec des personnages reconstruits » (p. 162). De plus, ces jeux de rôle identitaires sur les réseaux sociaux sont représentatifs du système économique


proposé par Paul Booth, la _Digi-Gratis Economy_. En effet, les fans, en combinant des éléments des personnages et de leur propre personnalité dans un seul texte médiatique, utilisent le


texte médiatique qu’ils aiment et créent de nouveaux produits médiatiques pour la communauté. Tout au long de cet ouvrage, Paul Booth nous explique que les contenus médiatiques doivent être


désormais appréhendés sous un angle nouveau : nous devons étudier la relation entre le texte, le médium et la technologie. Cela induit le changement de paradigme que Paul Booth nous décrit,


qui entraîne de nouvelles études sur les médias. L’auteur résume ses arguments de la façon suivante : « le blog est un mélange de tension entre le travail et le texte distribué ; le wiki


entre la narration et le discours et entre la narration et l’interactivité ; Myspace entre les faits ontologiques et les personnes / personnalités ontologiques ainsi qu’entre la réalité et


la fiction » (p. 180). La plateforme de jeu en réalité alternée _Why so serious ? W_hySoSerious.com Ce qui est fondamental dans le phénomène des fans, c’est l’appartenance à une communauté.


Cette communauté est ce qui fait la force du _fandom_, ce qui les caractérise principalement. Ensuite, Paul Booth démontre qu’il y a toujours un lien entre le sérieux (travail) et le ludique


(jeu). Les ARG mettent bien en avant ce lien entre le travail collaboratif et le plaisir du jeu. De plus, le succès des ARG repose lui aussi sur la création d’une communauté interactive,


immergée, participative et collaborative de joueurs. « Que ce soient des serious games, des extensions narratives telles _Why so serious ?_, du marketing viral comme _I love bees_, ou des


éléments interactifs comme _The Lost Experience_, les ARG proposent aux joueurs une communauté active et puissante » (p.191). Il est utile de rappeler ici qu’un des points de la définition


des ARG est qu’ils se jouent en communauté et non pas seul. Enfin, les ARG sont par définition ubiquitaires, et la médiation immersive qu’ils exercent est aujourd’hui essentielle pour


comprendre les médias et le phénomène des fans. Les ARG jouent sur une dichotomie : d’un côté, ils sont hypermédiatisés et l’immersion est renforcée grâce à ce phénomène ; d’un autre côté,


ils se cachent derrière cette médiation en utilisant des lieux réels dans leurs systèmes de jeu. QU'EST-CE QUE LE TRANSMÉDIA ? - ÉPISODE 8/11 [ENTRETIEN] Les gérants de HaloDestiny.net


et Halo.fr reviennent sur dix ans d’investissements bénévoles dans la franchise Halo. Ils nous font partager leur expérience et de leur rôle de community manager officieux de la communauté


française. QU'EST-CE QUE LE TRANSMÉDIA ? - ÉPISODE 7/11 [ENTRETIEN] Alexis Blanchet, chercheur et auteur du livre « Des Pixels à Hollywood » (Pixn’ Love, 2010), entre dans la complexité


des récits médiatiques éclatés.