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Pour faire leur une sur un événement comme la mort de Johnny Hallyday, survenue le 5 décembre 2017, les rédactions se préparent bien en amont. © Crédits photo : Joël Saget / AFP Un
quotidien n’a pas les mêmes contraintes que celles d’une agence de presse ou d’une chaîne d’infos. Comment ces rédactions préparent-elles les annonces de décès de personnalités ? Sidonie
Sigrist Publié le 11 septembre 2023 _« __À _Libé_, on est attendu, à tort ou à raison, sur ces numéros nécro_._ C’est peut-être lié à notre format de une mais on a une réputation de
"bien enterrer les gens" »,_ estime Michel Becquembois. Le journaliste est, depuis 2021, coordinateur des numéros spéciaux du quotidien. Il est donc le chef d’orchestre du _Libé
des étoiles_ ou du _Libé des solutions_, mais aussi des nécrologies des personnalités (surnommées « nécros » ou « rétros ») qu’il commande aux journalistes, en fonction de leur spécialité ou
affinités. Une bonne nécro _Libé_ ? « _C’est un papier dans lequel il y a un peu d’émotion. Ce n’est pas une fiche Wikipédia mais des moments d’une vie qui éclairent la personnalité_. » Le
quotidien est connu pour « casser » son chemin de fer à quelques heures du bouclage, pour mettre à l’honneur et à la une la vie et l’œuvre d’une personnalité décédée. Mais l’urgence du web a
accéléré le tempo : il ne s’agit plus seulement d’être à l’heure pour l’édition du lendemain mais d’être prêt à publier dans la foulée du décès. _« __Le lecteur veut lire tout de suite un
portrait, et on sait qu’il va venir chez nous, c’est pour ça qu’il faut être prêt_. » Le « frigo » de _Libé_ compte ainsi une centaine de nécros prêtes à être publiées. « _Cela ne m’empêche
pas d’avoir encore des sueurs froides !_ » confie Michel Becquembois. « DANS LES CINQ MINUTES » L’Agence France Presse (AFP) est elle aussi très attendue sur la réactivité. Si elle n’a pas
le monopole de l’avis de décès, elle doit nourrir son fil de dépêches auquel la plupart des rédactions est abonnée. En cas de décès, l’agence publie une « alerte », une ligne ou plus qui
annonce la date et le lieu du décès, avec la source nommée. Ou plus rarement un « flash », quand l’information revêt une dimension exceptionnelle. _« _ _Le “flash”, c’est la mort du pape.
C’est très rare. Le __décès de Johnny__ [Hallyday], par exemple, a été flashé_ _»,_ explique Aurélie Mayembo, cheffe du service numérique et culture à l’AFP. _«_ _On se repose sur trois
types de sources : la famille, l’entourage ou l’agent_. _Et il nous arrive de demander une pièce d’identité pour vérifier l’identité de la source_. _Le papier doit sortir dans les cinq
minutes. Enfin, c’est le scénario idéal »,_ nuance la journaliste. > « Nous avons environ 6 500 portraits de personnalités > recensés » Le papier en question est souvent un portrait,
actualisé à l’occasion du décès. « _Nous avons environ 6 500 portraits de personnalités recensés dans notre base interne et stockés dans nos archives. Ils ont été écrits au fil des années
par les journalistes de l'ensemble de notre réseau en France et à l'étranger _[1 700 journalistes – texte, photo, vidéo – présents dans 151 pays, NDLR], et par deux
documentalistes_. La plupart sont disponibles dans nos trois principales langues de travail : français, anglais et espagnol_ », nous explique Marie Wolfrom, cheffe du département
documentation multimédia. « _Ces portraits ne sont pas spécifiquement des nécros mais sont liés à l’actualité – les Oscars, Césars, prix Nobel…_ » Une base de données qui permet à l’AFP de
réagir très vite. Sans oublier le fil iconographique. « _On numérise beaucoup de photos, on réalise une sorte de bio en images qui retrace les grandes étapes de leur vie, prêtes à être
diffusées sur le fil_ », abonde Marie Wolfrom. L’illustration est un enjeu de taille pour la presse mais aussi, voire surtout, pour les chaînes de télé. La recherche d’archives vidéo est
chronophage et peut difficilement être improvisée. Chez TF1, des sujets rétrospectifs sont préparés en amont, prêts à être diffusés. Guillaume Debré, directeur-adjoint de la rédaction,
développe : « _On peut faire un off sur une image _[commentaire sur une image NDLR]_, d’autres hommages se réalisent sur deux ou trois minutes et pour les personnalités très marquantes, un
conducteur _[document qui décrit le déroulement d’une émission ou l’enchaînement des émissions sur une journée, NDLR]_ va être dédié pour raconter leur vie, comme pour Johnny Hallyday ou
Jacques Chirac. Cela nécessite une organisation avec différents chefs et le service documentaire pour les images_. » Isabelle Toublant, cheffe de la cellule image à la direction de
l'information chez TF1, abonde : « _Il faut plusieurs jours de travail pour préparer une rétro. C’est un travail en commun avec le journaliste, qui va monter le sujet avec son angle, et
la documentation._ » Deux rétros sont montées en moyenne chaque mois. TF1 en compte près de 150, régulièrement mises à jour et accompagnées d’une liste de contacts pour être réactif dès
l’annonce du décès. Mais, précise Isabelle Toublant, ces rétros sont rarement diffusées en l’état : _« On va rajouter des réactions, elles sont souvent amendées avec les dernières images. On
peut aussi préparer et nourrir des dossiers avec des images dans lesquelles on pioche le jour J_. » > « LA MORT DE PELÉ EST ARRIVÉE PENDANT LE JOURNAL » Si l’info tombe à l’ouverture du
JT, la rédaction doit pouvoir rebondir. _« __La mort de Pelé_ [le 29 décembre 2022, NDLR] _est arrivée pendant le journal, on avait une rétro prête et on a organisé un direct dans la foulée
avec la correspondante au Brésil_ _»_, témoigne Guillaume Debré. Pour les chaînes d’infos en continu, comme BFMTV, les archives vidéo sont tout aussi indispensables. La rédaction se repose
notamment sur des bouts à bouts d’images de personnalités, régulièrement actualisés, ainsi que sur certains sujets montés qui retracent leur parcours. « _On ne doit pas seulement annoncer le
décès, il faut aussi alimenter l’antenne, alimenter la conversation_ », précise le directeur de la rédaction, Philippe Corbé. Convoquer des spécialistes maison pour raconter le parcours
d’une personnalité, trouver des invités pour éclairer tel ou tel aspect de leur vie, contacter des correspondants ou envoyer des équipes pour recueillir des réactions… Une liste de contacts
et d’invités potentiels est préparée, mais l’anticipation ne fait pas tout pour le directeur de la rédaction. _« __Le plus difficile, c’est la question des angles plus que les éléments
biographiques : comment est-ce que l’on raconte un parcours, une personnalité ?_ _Quand on casse l’antenne et qu’on se lance, on ne sait pas combien de temps cela va durer »,_ explique
Philippe Corbé. _« Lors du décès de Bernard Tapie _[le 3 octobre 2021]_, nous avons diffusé une nécro, des images, mais l’essentiel de ce que nous avons fait est le fruit du travail sur le
moment »__,_ estime t-il. _ _« C'EST UN TRAUMATISME » L’enjeu concerne aussi les radios. _«_ _On a une liste de personnalités clés. Un red chef vérifie régulièrement ce qui est prêt, si
les papiers sont à jour et en commande aux journalistes. Il y a aussi une réflexion du côté des programmes à mettre en place. Car selon la personnalité, on va bousculer l’antenne _», nous
explique Philippe Lefébure, directeur de la rédaction de France Inter. Ce dernier estime que la rédaction centralise une quarantaine de nécros prêtes, un chiffre qui ne tient pas compte des
commandes spécifiques des chefs de service. Les aléas du direct provoquent parfois quelques frayeurs. Philippe Lefébure se souvient du décès de David Bowie, le 10 janvier 2016 : « _L’annonce
de sa mort est tombée un matin tôt : on n’était pas prêt. Il n’y avait personne à la rédaction. C’est une équation à résoudre rapidement_ : _on savait qu’il fallait passer en [édition]
spéciale. Une fois la stupéfaction passée, on a appelé nos experts maison. _» Pour les journaux, l’heure du bouclage est décisive. Les rotatives d’un quotidien peuvent être
exceptionnellement retardées pour un événement attendu, comme les résultats d’une élection présidentielle. Rarement à la dernière minute. Il s’en est ainsi fallu de peu pour _Libération_
lors du décès de Tina Turner, avait raconté Alexandra Schwartzbrod, directrice adjointe de la rédaction, à la Revue des médias. Michel Becquembois se souvient d’un raté : le décès de Nelson
Mandela, survenu en milieu de soirée, le 5 décembre 2013 : « _C’est un traumatisme. Les autres l’avaient, pas nous. On n’a pas tous les mêmes horaires de bouclage. _Le Parisien_ boucle par
exemple plus tard, _Le Monde_, c’est différent, il peut couvrir le mort du petit matin_. »