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© Crédits photo : Illustration : Jérémie Luciani d'après Moebius et Ugo Bienvenu. _Métal Hurlant_ renaît de ses cendres pour la deuxième fois de son existence. Retour sur les origines
et les coulisses de cette résurrection, entre respect de l’esprit des années 1970 et rupture avec les traditions. Xavier Eutrope Publié le 08 octobre 2021 Vendredi 1er octobre 2021, au Point
Éphémère à Paris. Ce soir on fête _Métal Hurlant_. Le magazine de bande-dessinée de science-fiction (mais pas que) culte, né en 1975, mort en 1987, fait son retour en fanfare sous la forme
d’un trimestriel. Les tickets de consommation pour boisson et nourriture passent au-dessus du comptoir tandis qu’une DJ fait résonner _Assault & Battery_ de Hawkwind à fort volume dans
le petit espace privatisé. Les échanges vont bon train, tout le monde a l’air de se connaître et heureux de se retrouver pour cette occasion. Le _Métal Hurlant _originel (trimestriel à ses
début, mensuel la quasi-totalité de son existence), a marqué son époque, accueilli des grands noms du scénario et du dessin (Enki Bilal, Hugo Pratt, Richard Corben, Alejandro Jodorowski…),
et durablement laissé sa marque sur les cultures de l’imaginaire _(Alien_ et _Blade Runner_ pour ne citer qu’eux). Derrière le projet du retour de _Métal_, il y a un homme, Vincent Bernière.
Il en est persuadé, il est possible de publier des titres de création (entendre : de bande-dessinée) en kiosque. L’homme aux multiples casquettes (directeur de publication, directeur de la
rédaction, journaliste, éditeur…) a notamment relancé _Les cahiers de la BD_ en 2017. Rapidement, un autre projet lui vient : relancer _Pilote_, le magazine fondé en 1959 par (notamment)
René Goscinnny et Albert Uderzo, les papas d’Astérix et Obélix. Mais le projet n’aboutit pas. « _Ce qui est compliqué avec ces vieux titres, c’est que ceux qui les possèdent sont conscients
de leur potentiel, mais ils ne savent pas quoi en faire et craignent de l’abimer, donc ils ne font rien », _explique Vincent Bernière. Il se tourne alors vers _Métal Hurlant_. Ironie de
l’histoire, le _Métal Hurlant _des origines_ _comptait parmi ses fondateurs des dessinateurs et scénaristes partis de _Pilote_ en mai 1968, s’estimant bridés dans leur création. ENTRE
CRÉATION PURE ET _VINTAGE_ Le premier numéro de la nouvelle formule, 290 pages 100 % originales, s’intéresse au _near future _(le futur proche), car comme le titre en couverture le rappelle
: « _Le futur, c’est déjà demain ! _». Quatre magazines _Métal Hurlant_ paraîtront chaque année, chacun avec un fil rouge différent. La revue alternera les numéros de création pure (avec des
articles de fond et des entretiens) et les numéros « _vintage_ ». La liste des artistes qui ont participé au premier numéro est impressionnante. À côté de Ugo Bienvenu, qui signe la
couverture, et Mathieu Bablet, à l’origine de plusieurs des meilleures bandes-dessinées de science-fiction française de ces dernières années, figurent de nombreux artistes des quatre coins
du monde, dont quelques américains, et pas des moindres : Mark Waid, Brian Michael Bendis et Matt Fraction, trois auteurs incontournables des _comics_ de ces trente dernières années. Le
deuxième numéro (_vintage_, donc), se focalisera uniquement sur la science-fiction, avec une succession d’histoires publiée autrefois dans _Métal Hurlant_ , classées selon l’ordre de
parution et introduites par un texte expliquant leur création. Ces choix éditoriaux ne doivent rien au hasard. Faire un numéro de création prend du temps : une année de travail pour le
premier numéro sorti le 29 septembre dernier (autant que pour le premier numéro de 1975). Par ailleurs, les équipes sont réduites (trois personnes à la production) et il n’y a pas vraiment
de rédaction physique. « _Tout se passe par échange de fichiers_ », explique Vincent Bernière, avant d’ajouter qu’engager « _des moyens de production pour faire un mensuel de création aurait
été possible, mais pas dans la configuration actuelle_ ». Enfin, un titre dit « de presse », qui a accès à un meilleur réseau de distribution, doit avoir… quatre numéros par an. Montage des
couvertures des premiers numéros de chaque version de Métal Hurlant, avec un dessin de Moebius, Fred Beltran et Ugo Bienvenu COUVERTURES DES PREMIERS NUMÉROS DE CHAQUE VERSION DE _MÉTAL
HURLANT,_ PAR MOEBIUS, FRED BELTRAN ET UGO BIENVENU. CRÉDITS : HUMANOÏDES ASSOCIÉS, MONTAGE : LA REVUE DES MÉDIAS. Les deux numéros « vintage » puisent directement dans l’héritage du titre :
_Métal Hurlant_ regorge d’histoires méconnues, qui n’ont jamais été éditées par la suite dans d’autres formats et qu’il est possible de remettre en avant. Il faut alors contacter tous les
créateurs un par un pour obtenir leur autorisation — un défi. Projet éditorial « total », le nouveau _Métal Hurlant_ est aussi un objet hybride : pas tout à fait un magazine (pagination
élevée), ni un _mook_ (pas de richesse de fabrication, papier magazine). Aux Humanoïdes Associés, la maison d’édition propriétaire de la marque Métal Hurlant créée dans les années 1970 par
Jean « Moebius » Giraud, Philippe Druillet et Jean-Pierre Dionnet, il était souvent question du retour du magazine. « _Aux Humanos, tout le monde savait que _Métal_ allait revenir à un
moment ou à un autre_, explique Jerry Frissen, le directeur artistique, depuis Los Angeles, où il vit. _Il y a régulièrement, une ou deux fois par an, trois fois maximum, des propositions
pour faire revenir le magazine_. » Le projet de Vincent Bernière a été retenu parce qu’il était le plus intéressant. « _Ce qui est particulièrement excitant dans sa proposition,
_ajoute-t-il_, c’est l’équilibre entre le respect de ce qui a déjà été fait à _Métal Hurlant,_ sans tomber dans la vénération, tout en étant ouvert à autre chose. Refaire du _Métal Hurlant_
comme ça a été fait à l’époque n’aurait pas trop de sens_. » JEAN-PIERRE DIONNET RACONTE LES COULISSES DU PREMIER NUMÉRO DE _MÉTAL HURLANT_. EXTRAIT DE « FENÊTRE SUR_ »_. C’est aussi ce qui
a plu à Mathieu Bablet. « _Je venais de terminer _Carbone et Sillicium_ et Vincent [Bernière] m’a proposé d’y participer_, explique l’auteur. _Au début j’ai eu très peur, je ne voulais
surtout pas être dans une sorte de nostalgie »._ Réfléchir à des thématiques précises dans chaque numéro a achevé de le convaincre. _« C’est à contre-courant de ce que faisait _Métal
Hurlant_ dans les années 1970, créé dans un sorte de réaction au magazine _Pilote_ qui était devenu un magazine à papa. _Métal Hurlant_ a été davantage dans l’expérimentation formelle, plus
que dans la recherche de sens_ », analyse Mathieu Bablet. Le _Métal Hurlant_ des origines était contre-culturel, car c’était la position de la science-fiction à l’époque, « _mais ce n’est
pas notre histoire à nous maintenant_ », explique Bernière, « _on a pas du tout le même contexte, économique ou sociétal_ ». UN DEUXIÈME NUMÉRO UN Pour marquer ce changement, le premier
numéro de la nouvelle formule démarre au n°1. En juillet 2002, la précédente relance du titre avait, elle, pris le relais de la version originale à partir du n°134. Publié sous le même
format que les _comic-books _américains mensuels, il est destiné aux librairies. Mais l’aventure est de courte durée, et cette deuxième version du magazine s’arrête en 2006, avec des ventes
oscillant entre 15 000 et 20 000 exemplaires en librairie. « _L’équipe était répartie entre Paris et Los Angeles, et vouloir faire le grand écart entre la bande dessinée et le comic book
américain, au sens propre et figuré, s’est révélé épuisant pour tout le monde_, nous explique Fabrice Giger, PDG des Humanoïdes Associés et membre du comité de direction du magazine, depuis
un aéroport où il est en escale. _C’est la raison de son arrêt_. » Cette formule de _Métal Hurlant_, à laquelle Jerry Frissen et Fabrice Giger participaient déjà à l’époque, et « _qui tenait
davantage de l’anthologie que du magazine_ », a cependant contribué à lancer des talents, devenus depuis des auteurs reconnus comme Jerome Opeña ou Adi Granov, collaborateur régulier du
géant américain Marvel. La version de 2021 fait donc un pas de côté et assume ses différences claires avec l’originale et celle des années 2000. _« Dans le futur, lorsque l’on regardera le
magazine qui vient de sortir, on se dira "ah oui, c’est l’une des nombreuses itérations _de Métal Hurlant"_ _». Une rupture, mais dans la continuité, car Enki Bilal, l’un des
nombreux auteurs à avoir collaboré à _Métal Hurlant _dans_ _les années 1970/80, signe un édito dans ce premier numéro. Vincent Bernière nous avoue avoir été surpris par l’aura du titre lors
de l’annonce, en 2020, du retour imminent de _Métal Hurlant._ Lancée en juin 2021, l’opération de financement participatif proposant notamment de s’abonner avant le premier numéro a atteint
1403 % des objectifs affichés à son lancement. Qu’il ait été découvert par hasard ou par atavisme familial, _Métal Hurlant_ — 70 000 exemplaires vendus au numéro en 1980, et des tirages à
plus de 90 000 en 1983 —a su passer les générations. « Métal_ _Hurlant_ est resté dans l’imaginaire populaire parce ce que ce n’était pas juste un magazine de bande dessinée_, analyse Jerry
Frissen_, mais un mouvement artistique contestataire : du contemporain punk. Des magazines comme _À suivre _ont été oubliés : ils étaient très bons mais n’étaient pas beaucoup plus qu’un
catalogue d’auteurs_. » DES RÊVES D'AMÉRIQUE Comme son aîné des années 2000, ce _Métal Hurlant_ millésimé 2021 regarde vers les États-Unis. Les Américains ont déjà eu, dès 1977, une
sorte de version de _Métal Hurlant_ sur leur territoire : _Heavy Metal_. Le titre n’appartenait pas aux Humanoïdes Associés, et si une partie des œuvres publiées en France étaient achetées,
traduites, puis publiées dans ses pages, leur part a baissé continuellement au fil des ans. Avec _Humanoids’Metal_, le projet des Humanoïdes Associés est de proposer au premier semestre 2022
un magazine composé d’extraits traduits du premier numéro de _Métal Hurlant_ et de créations d’artistes américains. Le premier numéro du _Métal Hurlant_ version 2021 est tiré à 55 000
exemplaires : 12 000 iront en librairies, 3 000 chez les abonnés, le reste chez les marchands de journaux. Si les chiffres de vente sont importants, la nouvelle équipe assure que la
performance de ce nouveau_ Métal Hurlant _ne sera pas seulement appréciée à l’aune de ce critère. « _Le retour des lecteurs et l’intérêt des éditeurs étrangers à en publier une version dans
leur pays seront aussi pris en compte_, explique Fabrice Giger. _Ça ne se jouera pas sur un ou deux numéros ; il faut du temps pour installer les choses_. » Vincent Bernière s’attend
toutefois à « _au moins 15 000 ventes en kiosque »_. Le magazine entend répondre à un mouvement dans l’imaginaire français et mondial. « _Il y a un renouveau de la science-fiction depuis
quelques années, qui est plus large que ce que propose ce nouveau _Métal Hurlant,_ que ce soit dans la bande dessinée ou au cinéma_, analyse Mathieu Bablet. _Elle s’empare différemment des
sujets ressassés habituellement dans le genre_. _Je pense que c’est le bon moment de faire ce magazine.» _Il y a dix ans, le timing n’aurait probablement pas été le bon, selon le
dessinateur-scénariste, pour qui il reste encore quelques recoins de l’imaginaire à explorer pour être vraiment représentatif de la SF d'aujourd'hui, en publiant par exemple plus
d’autrices et en explorant des thèmes comme l’afroféminisme_. _Ce que l’auteur souhaiterait à ce nouveau _Métal Hurlant_ ? « _De s’arrêter au bon moment, lorsqu'il aura épuisé toutes
les bonnes idées, et qu’il revienne vingt ans après avec une science-fiction encore différente et des personnes différentes. _Comme l’écrivait Jerry Frissen dans l’édito de l’ultime numéro
des années 2000 : « _Métal Hurlant ? Il nous enterrera tous_ ».